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Le Bolchévik nº 211

Mars 2015

Les impérialistes américains rétablissent les relations diplomatiques

Défense des acquis de la Révolution cubaine !

Pour la révolution politique ouvrière à Cuba !

Cet article est traduit du journal de nos camarades américains Workers Vanguard (n° 1059, 9 janvier).

* * *

Depuis plus d’un demi-siècle, les impérialistes américains s’acharnent à renverser la Révolution cubaine et à restaurer la domination du capital sur cette île par tous les moyens : de l’invasion de la baie des Cochons en 1961 aux multiples tentatives d’assassinat visant Fidel Castro, des provocations terroristes fomentées par la CIA et les gusanos cubains en exil à des actes de sabotage. La Maison Blanche d’Obama annonce maintenant qu’elle veut « prendre une voie nouvelle » avec Cuba en rétablissant les relations diplomatiques – c’est-à-dire qu’elle utilisera des moyens plus efficaces pour aboutir au même résultat stratégique. Washington avait coupé toute relation avec La Havane après que le gouvernement de Castro eut exproprié la classe capitaliste de l’île en 1960, apportant ainsi d’énormes acquis pour les masses cubaines.

Ce qui est proposé est relativement modeste : l’assouplissement d’un certain nombre de restrictions aux voyages, l’autorisation de certaines ventes et exportations et la facilitation des transactions bancaires entre les deux pays. L’embargo américain, un acte de guerre économique qui étrangle les ouvriers et les paysans cubains depuis des décennies, est assoupli mais pas démantelé. Obama prétend qu’il ne peut pas abolir les lois Torricelli et Helms-Burton sans l’aval du Congrès. Ces lois avaient rendu l’embargo plus strict après l’effondrement de l’Union soviétique en 1991-1992, effondrement qui signifiait pour Cuba la fin d’une aide économique et militaire capitale. Entrées en vigueur sous le démocrate Clinton, ces lois visaient à « semer le chaos sur l’île ». A bas l’embargo !

Du point de vue des marxistes révolutionnaires, Cuba a le droit si elle le souhaite d’avoir des relations diplomatiques et économiques avec n’importe quel pays capitaliste, notamment pour essayer de surmonter le problème bien réel de sa stagnation économique. Le développement de liens commerciaux et financiers avec des firmes américaines ne constituerait pas une restauration progressive du capitalisme. Toutefois, ces liens amènent avec eux le danger bien réel d’un renforcement des forces de la contre-révolution capitaliste à l’intérieur même de Cuba.

Par ailleurs, la présence à Guantánamo d’une base navale américaine et d’un centre de détention et de torture – où sont incarcérés environ 130 prisonniers de la « guerre contre le terrorisme » américaine – rappelle que Cuba est toujours militairement dans la ligne de mire des impérialistes. Malgré la libération de plusieurs dizaines de prisonniers l’an dernier, Obama n’est pas prêt de fermer ce bagne, et encore moins de rendre Guantánamo à Cuba. Etats-Unis, hors de Guantánamo!

Le dégel dans les relations entre les deux pays est l’aboutissement d’un an de négociations menées sur le sol canadien par l’entremise du Vatican. Comme ses prédécesseurs à la tête de l’impérialisme américain, Obama nourrit des buts ouvertement revanchards à l’endroit de Cuba. Sous son mandat, l’USAID (Agence américaine pour le développement international), qui de notoriété publique travaille en étroite collaboration avec la CIA depuis le début des années 1960 – a été à l’instigation de plusieurs machinations contre-révolutionnaires visant à encourager la dissidence pro-impérialiste à Cuba. Un complot récent consistait à infiltrer des groupes de hip-hop cubains de la scène underground pour essayer de créer un mouvement de jeunesse opposé au régime.

Dans le cadre des accords qui viennent d’être conclus, Obama a libéré les trois derniers des Cinq de Miami qui étaient encore en détention ; ces cinq Cubains avaient été emprisonnés en 2001 sous l’accusation bidon d’espionnage et de complot en vue de préparer des assassinats. Nous nous réjouissons de la libération des Cinq de Miami qui ont héroïquement essayé d’empêcher des actes terroristes contre Cuba en infiltrant et en surveillant les groupes d’exilés contre-révolutionnaires en Floride. Le président cubain Raúl Castro a libéré en échange deux espions américains : Rolando Sarraff Trujillo, un ancien agent des renseignements cubains qui a facilité le coup monté contre les Cinq de Miami et leur arrestation, et Alan Gross, qui avait été envoyé pour introduire en fraude à Cuba des équipements informatiques et de communication par satellite permettant de faire de l’espionnage.

La Ligue communiste internationale lutte depuis toujours pour la défense militaire inconditionnelle de Cuba contre la menace de contre-révolution capitaliste et d’agression impérialiste. En effet, pour nous Cuba est un Etat ouvrier, où le capitalisme a été renversé. Toutefois cet Etat ouvrier est déformé depuis sa naissance : le pouvoir politique y est monopolisé par une bureaucratie parasite au pouvoir. Cette bureaucratie a une base matérielle : l’administration de l’économie collectivisée dans des conditions de pénurie.

Cuba a éliminé la production pour le profit et mis en place la planification centralisée et le monopole d’Etat du commerce extérieur et des investissements étrangers ; cela lui a permis de donner du travail, un logement et une éducation à tous. Aujourd’hui encore, Cuba a l’un des taux d’alphabétisation les plus élevés du monde, et un taux de mortalité infantile inférieur à celui des Etats-Unis ou de l’Union européenne. Son système de santé réputé, avec un nombre de médecins par habitant plus élevé que nulle part ailleurs, assure des soins gratuits et de meilleure qualité que même dans beaucoup de pays avancés. Les médecins cubains sauvent des vies dans le monde entier et sont régulièrement envoyés pour venir en aide aux victimes de catastrophes, notamment la crise du virus Ebola en Afrique. Le fait qu’une île minuscule et relativement pauvre ait survécu si longtemps aux sanctions paralysantes et aux provocations militaires du mastodonte américain (situé à seulement 150 kilomètres de ses côtes) témoigne de la supériorité de l’économie collectivisée.

Raúl Castro a prononcé un discours le 20 décembre devant l’Assemblée nationale cubaine pour annoncer le rapprochement avec les Etats-Unis ; il a mis en garde contre le recours à des « thérapies de choc » ou l’accélération des privatisations pour relancer l’économie en stagnation du pays, en expliquant que ceci reviendrait à « amener le pavillon du socialisme ». Mais le socialisme est une société égalitaire et sans classes, une société d’abondance matérielle à une échelle internationale. Un Etat ouvrier isolé est soumis aux énormes pressions du monde capitaliste qui l’entoure, pressions qui le sapent et finalement le détruiront. Le sort de Cuba et sa progression vers le socialisme sont liés au combat pour le pouvoir prolétarien dans toute l’Amérique latine et dans le reste du monde, particulièrement aux Etats-Unis.

La politique de la bureaucratie castriste à La Havane montre depuis le début qu’elle est un obstacle à cette perspective. Le régime cubain, marchant dans les pas de la bureaucratie stalinienne dans l’ex-Union soviétique, est cramponné au dogme nationaliste de la construction du « socialisme dans un seul pays ». Cela a eu comme conséquence son opposition aux possibilités de révolution à l’extérieur de Cuba. Au début des années 1970, Fidel Castro a soutenu le gouvernement de front populaire chilien dirigé par Salvador Allende, dont le but était de désamorcer la menace de révolution ouvrière et de désarmer politiquement un prolétariat combatif, ce qui a pavé la voie au coup d’Etat militaire sanglant de Pinochet. Une décennie plus tard, Fidel a exhorté les Sandinistes nicaraguayens à ne pas suivre la voie cubaine en expropriant la bourgeoisie, alors que les Sandinistes, un mouvement petit-bourgeois, avaient renversé la dictature sanglante de Somoza et brisé l’Etat capitaliste. Les castristes ont toujours soutenu des régimes nationalistes bourgeois ; ils ont notamment porté au pinacle feu Hugo Chávez, le populiste à poigne vénézuélien qu’ils qualifiaient de « révolutionnaire ».

C’est pourquoi la défense de la Révolution cubaine est directement liée à la perspective trotskyste d’une révolution politique prolétarienne pour chasser la bureaucratie castriste et pour mettre la classe ouvrière au pouvoir en instaurant un régime basé sur la démocratie ouvrière et l’internationalisme révolutionnaire. Cela requiert la constitution d’un parti léniniste-trotskyste d’avant-garde pour mobiliser les masses ouvrières cubaines dans la lutte.

Déprédations impérialistes et « réformes de marché »

Comme il fallait s’y attendre, l’assouplissement des mesures restrictives contre Cuba a provoqué la fureur des exilés anticommunistes cubains et leurs créatures, comme le sénateur de Floride Marco Rubio. Mais cet assouplissement est approuvé par d’importants secteurs de la bourgeoisie, notamment la Chambre de commerce, et par plusieurs médias capitalistes influents. Ces derniers mois, le New York Times a appelé à maintes reprises à la levée de l’embargo. Un éditorial du magazine Forbes (16 janvier 2013), considérait que la politique belliqueuse des Etats-Unis était contre-productive et avait fait son temps : « Un embargo perpétuel contre une nation en développement qui va vers des réformes n’a pas beaucoup de sens, en particulier lorsque les alliés de l’Amérique y sont ouvertement hostiles. Il empêche que s’engage une discussion plus large sur une réforme intelligente à Cuba, et il n’a aucun sens du point de vue économique. »

L’administration Obama affirme souhaiter un Cuba « démocratique, prospère et stable ». Ce qu’elle entend par là, c’est le retour de Cuba à son statut néocolonial par la restauration du capitalisme, avec à la clé pour les capitalistes américains de rentables investissements basés sur une main-d’œuvre à bas salaires et la mise en place d’un régime politique docile. Les capitalistes européens et canadiens ont pu s’implanter sur le marché cubain par l’intermédiaire de joint-ventures, et ils cherchent à inonder le pays de produits importés bon marché. Plusieurs grands groupes américains comme Caterpillar, Colgate-Palmolive et Pepsico craignent de laisser ce marché à leurs concurrents.

Les enjeux sont considérables : au bout du compte, soit l’unique économie socialisée en Amérique latine l’emportera par l’extension internationale de la révolution, soit la contre-révolution capitaliste fera à nouveau de Cuba un terrain conquis pour la bourgeoisie américaine. Dans la Révolution trahie (1936), le dirigeant marxiste révolutionnaire Léon Trotsky décrivait la situation à laquelle l’Etat ouvrier dégénéré soviétique faisait face, à savoir son encerclement par des économies capitalistes plus avancées technologiquement et industriellement. Trotsky écrivait : « Mais en elle-même la question “qui l’emportera ?”, non seulement au sens militaire du terme, mais avant tout au sens économique, se pose devant l’U.R.S.S. à l’échelle mondiale. L’intervention armée est dangereuse. L’intervention des marchandises à bas prix, venant à la suite des armées capitalistes, serait infiniment plus dangereuse. » Cette remarque peut s’appliquer aux périls auxquels Cuba est confrontée aujourd’hui.

Pendant 30 ans, Cuba a bénéficié d’importants subsides de la part de l’Union soviétique. Ces dix dernières années, elle s’est beaucoup appuyée sur le Venezuela capitaliste, qui est son principal partenaire commercial et qui lui livre du pétrole bon marché. Mais cette situation est précaire, car le Venezuela connaît lui-même une grave crise ; avec l’effondrement du prix du pétrole, ce pays est ravagé par l’inflation et il a été récemment frappé par une nouvelle bordée de sanctions américaines.

Cuba ne s’est jamais vraiment remise de la grave crise qui avait suivi la restauration du capitalisme en Union soviétique. Depuis le début des années 1990 (ce qu’on avait appelé à l’époque la « Période spéciale »), la bureaucratie cubaine a ouvert le pays à la pénétration économique impérialiste et livré par des « réformes de marché » plusieurs secteurs de l’économie collectivisée à la petite entreprise privée. Ceci, combiné à d’autres politiques comme l’encouragement de l’entreprise individuelle dans le secteur des services et l’octroi d’une plus large autonomie aux sociétés d’Etat, a accru les inégalités dans l’île. Les Noirs cubains, qui ont bénéficié d’immenses acquis grâce à la révolution, sont particulièrement touchés car ils ont moins facilement accès à des devises étrangères, ayant moins souvent de la famille à l’étranger ou un emploi dans le secteur touristique.

Cuba reçoit aujourd’hui des investissements impérialistes substantiels et cherche à en obtenir davantage encore. Le gouvernement cubain a autorisé la construction d’une « zone franche » à 50 km de La Havane, dans le port en eau profonde de Mariel, pour accueillir les plus gros cargos du monde. Le Brésil a déjà investi près d’un milliard de dollars dans ce projet. Avec maintenant la perspective d’une reprise du commerce avec les Etats-Unis, nous répétons notre mise en garde qu’un tel développement « souligne l’importance du monopole de l’Etat cubain sur le commerce extérieur – c’est-à-dire un contrôle strict du gouvernement sur les importations et les exportations » (« Cuba : crise économique et “réformes de marché” », Workers Vanguard n° 986, 16 septembre 2011).

Le régime cubain a rétabli les liens avec l’institution réactionnaire qu’est l’Eglise catholique et il encourage les activités de celle-ci à Cuba alors même qu’elle est un terreau fertile pour la contre-révolution capitaliste. Obama comme Castro ont salué le rôle du pape François dans les négociations. Ce pape jésuite a offert un petit lifting au Vatican en proposant de rendre l’Eglise plus inclusive (tout en s’opposant fermement à l’avortement et à l’ordination des femmes) et en prêchant contre la « tyrannie » du capitalisme, mais il n’en a pas moins des intentions aussi sinistres que ses prédécesseurs.

Le Vatican est connu pour avoir soutenu les dictatures militaires latino-américaines et pour avoir encouragé la restauration capitaliste sous couvert d’élections soi-disant libres et de réformes « démocratiques ». Le cardinal cubain Jaime Ortega – qui fut placé dans un camp de détention dans les premières années de la révolution, lorsque la domination de l’Eglise catholique fut brisée – est ouvertement favorable à de telles « réformes » à Cuba, tout comme le pape François. Fidel avait accueilli avec enthousiasme le pape Jean Paul II en 1998, puis en 2012 le pape Benoît XVI. Dans tout le pays, des photos et des monuments commémorent la rencontre entre Castro et Jean-Paul II, l’inspirateur de la contre-révolution qui avait travaillé sans relâche à restaurer le capitalisme dans les Etats ouvriers déformés d’Europe de l’Est, et en particulier dans sa Pologne natale.

La défense de Cuba à la croisée des chemins

Les guérilleros qui firent leur entrée à La Havane en 1959 sous le commandement de Fidel Castro constituaient une formation petite-bourgeoise politiquement hétérogène. Leur victoire ne provoqua pas seulement la chute du régime honni de Batista, mais aussi elle brisa le vieil appareil d’Etat bourgeois. Le nouveau gouvernement mit en œuvre une série de réformes démocratiques. Mais la redistribution des terres et les mesures prises contre les tortionnaires de l’ancienne police de Batista effrayèrent les partisans bourgeois de Castro, qui commencèrent à fuir vers Miami. Ces initiatives alarmèrent aussi Washington qui prit des mesures punitives, obligeant ainsi Castro à signer un traité commercial avec l’Union soviétique. Le refus des raffineries appartenant aux impérialistes de traiter le brut soviétique conduisit Cuba à nationaliser les biens appartenant à des Américains ; ceci fut suivi par la nationalisation de toutes les banques et de toutes les entreprises en octobre 1960, une mesure qui signifiait la liquidation de la bourgeoisie cubaine en tant que classe. Aujourd’hui, les grandes sociétés comme United Fruit, Standard Oil ou Texaco salivent à la perspective d’extorquer des compensations pour ces nationalisations effectuées il y a un demi-siècle.

Comme ce n’est pas la classe ouvrière, sous la direction d’un parti révolutionnaire d’avant-garde, qui a pris le pouvoir, le mieux qui pouvait sortir de la Révolution cubaine, c’était la création d’un Etat ouvrier déformé. En expliquant comment un mouvement de guérilla basé sur la paysannerie avait pu renverser le pouvoir capitaliste, nous écrivions dans la Déclaration de principes de la Spartacist League adoptée à notre conférence de fondation en 1966 :

« Dans certaines conditions, à savoir : l’extrême désorganisation de la classe capitaliste dans le pays colonial et l’absence d’une classe ouvrière luttant en son propre nom pour le pouvoir social, des mouvements de ce genre peuvent supprimer les relations de propriété capitalistes, mais ils ne peuventent porter la classe ouvrière au pouvoir politique. Ils créent plutôt des régimes bureaucratiques anti-ouvriers qui empêchent le développement de ces révolutions vers le socialisme. »

Spartacist édition française n° 7, automne 1974

Cette révolution n’aurait pas survécu sans l’Union soviétique, qui faisait militairement contrepoids à l’impérialisme et dont l’aide a maintenu l’économie cubaine à flots. Aujourd’hui, en l’absence d’une bouée de sauvetage équivalente, l’ouverture historique qui permettait à des forces petites-bourgeoises de créer un Etat ouvrier déformé s’est refermée.

Le combat pour la défense et l’extension de la Révolution cubaine distingue notre tendance depuis sa naissance en tant que Tendance révolutionnaire, une minorité au sein du Socialist Workers Party américain (SWP). La majorité du SWP tirait un trait d’égalité entre le régime de Castro et le gouvernement bolchévique révolutionnaire de Lénine et Trotsky. Ce faisant, les dirigeants de la majorité du SWP rejetaient explicitement à la fois la nécessité d’un parti léniniste-trotskyste pour donner une direction révolutionnaire, et le rôle central du prolétariat dans la lutte pour la révolution socialiste.

Ayant perdu espoir dans cette perspective, le SWP s’enthousiasma de façon acritique pour la bureaucratie. En janvier 1961, il adopta les « Thèses sur la Révolution cubaine » de Joseph Hansen, qui affirmaient que Cuba était « entrée dans la phase transitoire d’un Etat ouvrier, auquel toutefois manquent encore les formes d’un pouvoir prolétarien démocratique ».

Plus d’un demi-siècle plus tard, notre analyse et notre programme trotskystes ont résisté à l’épreuve du temps. Ceux qui hier acclamaient la bureaucratie cubaine sont maintenant vieux mais ils ne sont nullement devenus plus sages. Dans un article du 23 décembre mis en ligne sur le site internet counterpunch.org, Jeff Mackler, numéro un de Socialist Action (un rejeton du SWP réformiste), fait ressurgir le fantôme de Hansen : « Même s’il manque toujours [!] à Cuba des institutions formelles et vitales de la démocratie ouvrière […], l’actuelle direction cubaine ne s’est pas transformée en une caste consolidée, dont les intérêts ne pourraient être préservés que par la répression. »

En fait, la caste bureaucratique dirigée par les frères Castro a toujours exclu la classe ouvrière du pouvoir politique, en utilisant la répression et l’idéologie du nationalisme pour que les ouvriers et les paysans cubains restent des individus isolés et politiquement passifs. Le régime castriste n’emprisonne pas seulement les dissidents qui collaborent activement avec l’impérialisme américain ; il réprime aussi des opposants prosocialistes, y compris des militants comme les trotskystes dans les années 1960. Cela illustre la nature intrinsèquement contradictoire de la caste bureaucratique stalinienne, qui oscille entre la bourgeoisie impérialiste d’un côté et la classe ouvrière de l’autre.

Mackler encense en termes dithyrambiques l’« équipe Castro », présentée comme le fidèle gardien du socialisme. Il défend les réformes de marché de la bureaucratie, qu’il présente comme « visant, dans le contexte du maintien de ses idéaux socialistes, à accroître l’efficacité de l’économie cubaine », et il reprend à son compte l’affirmation absurde que ces réformes auraient été « présentées pour discussion, débat et modification » à « des millions de Cubains » avant d’être appliquées.

Les mesures orientées vers le marché sont une tentative de réponse à la stagnation économique dans le cadre du contrôle bureaucratique stalinien de l’économie. Comme nous l’écrivions dans l’article « Pour la planification centrale par la démocratie soviétique » (Workers Vanguard n° 454, 3 juin 1988) :

« La planification économique […] ne peut être efficace que lorsque les travailleurs, l’intelligentsia technique et les gestionnaires s’identifient avec le gouvernement qui élabore ces plans […].

« Dans le cadre du stalinisme, il y a donc une tendance intrinsèque à remplacer la planification et la gestion centralisées par des mécanismes de marché. Puisque les gestionnaires et les ouvriers ne peuvent pas être soumis à la discipline de la démocratie soviétique (conseils ouvriers), de plus en plus la bureaucratie considère que la seule réponse face à l’inefficacité économique est de soumettre les acteurs économiques à la discipline de la concurrence du marché. »

Les conseils ouvriers ne sont pas simplement des « formes » quelconques de pouvoir prolétarien : ils sont essentiels pour le fonctionnement rationnel d’une économie socialisée et planifiée.

Mackler prétend aussi que les « efforts humanitaires » de Cuba à l’étranger témoignent de « la permanence de son orientation révolutionnaire et socialiste ». Beaucoup d’interventions internationales de Cuba ont en effet été héroïques, tout particulièrement quand ce pays a envoyé des milliers de soldats en Afrique dans les années 1970 pour défendre l’indépendance nouvellement acquise de l’Angola, qui s’était libéré de la domination coloniale, contre les forces réactionnaires locales soutenues par l’impérialisme américain et l’Afrique du Sud de l’apartheid. Mais l’objectif des staliniens cubains n’a jamais été d’aider au renversement du capitalisme en Afrique ; leur intervention était une expression de leur soutien politique aux nationalistes bourgeois angolais aux côtés desquels ils se battaient. Même sous la menace militaire américaine, Fidel Castro a toujours eu pour objectif la « détente », via une aile « progressiste » de l’impérialisme américain – c’est-à-dire le Parti démocrate.

Si les pseudo-trotskystes comme Socialist Action chantent les louanges des bureaucrates staliniens cubains, ailleurs ils se joignent aux croisades anticommunistes des impérialistes pour la « démocratie ». SA s’est alliée aux pires ennemis de la Révolution cubaine en défendant les forces pro-restauration capitaliste mobilisées contre l’Etat ouvrier dégénéré soviétique dans les années 1980, notamment le « syndicat » préféré du pape Jean Paul II, l’organisation contre-révolutionnaire polonaise Solidarność.

D’autres pseudo-socialistes s’opposent au régime de Castro du point de vue d’une hostilité anticommuniste virulente envers l’Etat ouvrier cubain lui-même. C’est le cas aux Etats-Unis de l’International Socialist Organization (ISO), qui a été liée à la tendance internationale de Tony Cliff avant de se brouiller avec elle. Les cliffistes sont connus pour avoir fait une croix sur Cuba, ainsi que sur la Chine, l’ex-Union soviétique et les pays de l’Est ; ils les qualifiaient de « régimes capitalistes d’Etat » qui « n’ont rien à voir avec le socialisme ».

Samuel Farber, un contributeur régulier à la presse de l’ISO, a publié un article dans la revue Jacobin (22 décembre) où il a salué la reprise des relations avec les Etats-Unis comme « un acquis majeur pour le peuple cubain ». Selon Farber, qui fait écho au Département d’Etat américain, cet accord « peut améliorer le niveau de vie des Cubains et aider à libéraliser, quoique sans nécessairement démocratiser, les conditions de leur oppression politique et de leur exploitation économique ». Pour Farber, Cuba est un Etat basé sur l’« exploitation » capitaliste comme les autres, mais qui diffère des Etats-Unis par son manque de « démocratie ».

Les révolutionnaires aux Etats-Unis ont tout particulièrement le devoir de défendre Cuba contre la restauration capitaliste et l’impérialisme américain prédateur. Cela ne peut pas se réduire à la question de préserver la culture unique en son genre de Cuba ou d’empêcher les incursions des monopoles impérialistes dans ce pays. L’avenir des masses cubaines est lié à la libération de centaines de millions de travailleurs dans toute l’Amérique latine et à la lutte pour l’émancipation des exploités et des opprimés dans le ventre de la bête impérialiste ; c’est une question de classe. Nous luttons pour forger un parti ouvrier révolutionnaire aux Etats-Unis, section d’une Quatrième Internationale trotskyste reforgée. Ce parti inculquera à la classe ouvrière américaine multiraciale la conviction que la défense de la Révolution cubaine fait partie intégrante de son propre combat contre les capitalistes américains et pour la révolution socialiste mondiale.

 

Le Bolchévik nº 211

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