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	Le Bolchévik nº 211	Mars 2015

Déclaration de la LTF

Débauche d’« union nationale » après les tueries de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher

A bas la guerre raciste « contre le terrorisme » !

Les attentats criminels perpétrés à Paris par des intégristes islamiques contre le journal satirique Charlie Hebdo et lors d’une prise d’otages dans un supermarché casher Porte de Vincennes – des civils choisis et tués dans un magasin parce que juifs – sont des actes horribles que nous condamnons catégoriquement. Mais cela ne nous empêche pas de nous opposer vigoureusement aussi à la campagne cynique d’« union nationale » attisée par le gouvernement capitaliste pour promouvoir sa « guerre contre le terrorisme » et renforcer l’appareil policier et militaire de l’impérialisme français. Nous nous opposons au plan sécuritaire Vigipirate et à l’atmosphère de guerre diffusée par l’appareil de propagande bourgeois, ainsi qu’à toutes les mesures de renforcement de l’arsenal policier et aux nouvelles aventures militaires « antiterroristes » déjà annoncées ou en préparation. Ces appels à l’« union » des classes, soutenus par les dirigeants traîtres des fédérations syndicales, ne servent qu’à enchaîner la classe ouvrière et les opprimés à leurs oppresseurs. A bas Vigipirate !

C’est une campagne qui va continuer à alimenter une atmosphère de pogromes antimusulmans dans tout le pays et renforcer la montée des fascistes de Le Pen ou autre. Dans les jours suivant l’attentat contre Charlie Hebdo, une série d’attaques contre la communauté musulmane ont eu lieu dans une dizaine de villes partout en France – tirs, grenades, profanations par des graffitis ou têtes de porcs déposées devant des portes de mosquée. Ces attentats à Paris frappent aussi la population musulmane qui était déjà dans la ligne de mire de l’Etat capitaliste.

La manifestation du 11 janvier à Paris, organisée par le gouvernement PS, était une expression obscène de l’arrogance et de l’hypocrisie impérialistes. On y a vu des chefs d’Etat capitalistes parmi les criminels les plus brutaux et barbares du monde aujourd’hui, de Merkel et Cameron à Nétanyahou, le Premier ministre israélien. Et au centre il y avait Hollande, qui ici mène une politique brutale d’austérité et d’attaques contre la classe ouvrière, et expulse par milliers les Roms et autres immigrés. Hollande dirige un impérialisme français dont l’histoire, c’est plus de cent ans d’oppression et de massacres de millions de colonisés ; aujourd’hui il mène des interventions meurtrières en Irak, en Libye, en Centrafrique, au Mali.

Les multiples interventions militaires de la France et des autres puissances impérialistes, avec leur cortège de destructions et de massacres, ont joué un rôle direct dans la montée des islamistes au Proche-Orient et en France même. Du Maghreb au Levant, la bourgeoisie française et ses gouvernements successifs poursuivent aujourd’hui, avec d’autres puissances impérialistes dont les USA et la Grande-Bretagne, une politique qui remonte à l’époque coloniale : ils ravagent les ressources naturelles et retardent le développement économique de leurs anciennes colonies ; ils ont transformé en tas de gravats des régions entières et attisé des divisions ethniques et religieuses meurtrières.

L’Assemblée nationale vient de décider lors d’un vote presque unanime de prolonger l’engagement militaire de la France en Irak contre l’Etat islamique (EI). Les impérialistes n’ont jamais eu le moindre scrupule à soutenir ce genre de forces réactionnaires quand ils estiment que cela peut servir leurs sordides intérêts : les Français notamment avaient pendant trois ans soutenu la « révolution syrienne », alors même que les réactionnaires djihadistes y étaient en nombre sans cesse croissant. Maintenant ils se retournent cyniquement contre le monstre qu’ils ont eux-mêmes contribué à créer.

Ce sont les impérialistes qui sont responsables du chaos sanglant dans lequel est plongée aujourd’hui cette région du monde. Ce sont eux les pires ennemis de l’humanité, et tout coup porté aux forces impérialistes et à leurs supplétifs, même par des forces aussi répugnantes que l’EI, servirait donc les intérêts de la classe ouvrière internationale : les marxistes se placent du côté de l’EI militairement contre l’impérialisme, sans donner le moindre soutien politique à ces réactionnaires dont nous sommes les ennemis résolus. A bas l’intervention impérialiste américaine et française en Irak ! Troupes françaises, hors du Proche-Orient et hors d’Afrique !

Les dirigeants capitalistes se saisissent de cette atrocité pour se prétendre les défenseurs des Juifs. Quelle hypocrisie ! L’histoire sordide de la bourgeoisie française vis-à-vis des Juifs, c’est l’affaire Dreyfus ou la déportation de plus de 75 000 Juifs, hommes, femmes, enfants et vieillards dans les camps de la mort nazis.

Depuis que Mohamed Merah a tué en 2012 trois enfants juifs et leur enseignant, il y a une forte augmentation du nombre de Juifs qui quittent la France. Et la bourgeoisie profite une fois de plus de la situation pour faire passer tous les habitants des banlieues pour de répugnants antisémites, tout en soutenant les actions terroristes de l’Etat sioniste contre les Palestiniens. Les prêcheurs fondamentalistes et la racaille fascisante à la Dieudonné/Soral utilisent et alimentent tout ceci en cherchant à augmenter les préjugés réactionnaires antijuifs dans les banlieues, en identifiant tous les Juifs avec les dirigeants sionistes assassins.

De tous les pays d’Europe, c’est en France que les populations de Juifs et de musulmans sont les plus importantes. La bourgeoisie française utilise la tactique de « diviser pour régner » afin d’exploiter à son avantage le conflit entre Juifs et Arabes au Proche-Orient ainsi que pour semer des divisions ici en France dans la classe ouvrière parmi ses composantes diverses – Français dits « de souche », Juifs, travailleurs d’origine maghrébine ou africaine. Le mouvement ouvrier doit défendre les Juifs, les musulmans, les homosexuels, les femmes et tous les opprimés contre les attaques des réactionnaires et des fascistes et contre l’offensive du gouvernement capitaliste.

La manifestation parisienne était une mer de panneaux « je suis Charlie ». L’attentat contre Charlie Hebdo était un acte criminel ignoble. Cependant, nous, nous ne sommes pas « Charlie ». Depuis le 11 septembre 2001 Charlie Hebdo s’était fait une niche dans la presse bourgeoise islamophobe. Dans un contexte de campagnes racistes croissantes contre la population d’origine nord-africaine et africaine, et sous couvert de lutte contre l’intégrisme islamique, Charlie Hebdo publiait régulièrement des croquis et articles antimusulmans. Le numéro paru le jour des meurtres faisait en première page la promotion du dernier brûlot raciste et islamophobe de l’écrivain Michel Houellebecq. Charlie Hebdo avait aussi publié de façon provocante les caricatures danoises racistes en 2006, y compris celle où le turban du prophète Mahomet cache une bombe. Nous avions protesté contre ces caricatures qui ne peuvent servir qu’à encourager des attaques par l’Etat et les fascistes contre les opprimés.

Alors que la bourgeoisie française et son gouvernement portent aux nues la liberté d’expression pour des provocations islamophobes, ces droits sont niés à quiconque exprime une opinion – même dans une conversation privée ou sur Facebook – qui ne va pas dans le sens des « valeurs républicaines » gouvernementales ; la loi Cazeneuve de novembre dernier permet en effet de les jeter en prison. Deux cents élèves dans l’Education nationale ont été recensés pour non-respect de la minute de silence nationale le 8 janvier et pour d’autres incidents ; une quarantaine de cas ont été signalés à la police. Déjà plus de soixante-dix personnes ont été arrêtées, dont le démagogue antijuif Dieudonné, pour « apologie d’actes de terrorisme » – pour simplement avoir exprimé une opinion. A Lille, trois personnes risquent la révocation du service public pour n’avoir pas fait la minute de silence. Des audiences et procès ont été accélérés, et plusieurs personnes ont déjà été condamnées, dont une à quatre ans ferme. Les accusés peuvent recevoir de lourdes amendes et jusqu’à cinq ans ferme pour un délit verbal et jusqu’à sept ans pour un message mis sur Internet. Nous exigeons la levée de ces poursuites ! Libérez ceux qui sont emprisonnés !

Dans la foulée des attentats, Valls prépare une augmentation des pouvoirs de la police déjà énormes introduits ces dernières années, permettant entre autres de continuer à siphonner (désormais en toute légalité) des données sur Internet. 10 500 militaires et plus de 100 000 gendarmes et policiers ont été déployés. D’innombrables manifestants dimanche ont applaudi les flics. Mais les flics sont les gardiens du capital : leur rôle est de protéger l’ordre capitaliste raciste. Ce sont des ennemis de la classe ouvrière et des opprimés : ils font la chasse aux jeunes à la peau foncée, raflent les sans-papiers, aident les patrons à casser les grèves. Ils sont au cœur de l’Etat qui défend la classe capitaliste au pouvoir, comme le montre par exemple l’assassinat policier de plusieurs centaines d’ouvriers algériens à Paris le 17 octobre 1961.

L’islam en France est une religion minoritaire dans un pays dont la bourgeoisie et sa culture demeurent fondamentalement catholiques. En tant que marxistes, nous sommes fermement partisans de la séparation de l’Eglise catholique réactionnaire et de l’Etat. C’est cela, la laïcité, mais elle est devenue aujourd’hui en France un mot de code pour stigmatiser les musulmans.

L’apparition de fondamentalistes islamiques meurtriers dans les villes françaises, depuis Merah jusqu’à Nemmouche et aujourd’hui les frères Kouachi et Amedy Coulibaly, est un produit direct de la ségrégation et de l’aliénation de millions de personnes, citoyens français de seconde zone victimes de discrimination raciste permanente. L’influence de l’intégrisme islamique s’est développée dans les quartiers suite à la destruction contre-révolutionnaire de l’Etat ouvrier dégénéré soviétique en 1991-1992 et aux multiples trahisons commises par les directions chauvines du mouvement ouvrier depuis des décennies. Les dirigeants traîtres du mouvement ouvrier organisé avaient notamment refusé de défendre les jeunes à la peau foncée lors de la révolte des banlieues de 2005, qui était une réaction désespérée face à la montée de la terreur raciste quotidienne et du chômage.

Contre l’« union nationale », nous les marxistes disons que seule la classe ouvrière organisée, ayant conscience de son rôle historique pour libérer les masses opprimées, pourra mettre fin à la domination de la classe capitaliste et son Etat. La classe ouvrière ne peut avancer dans sa lutte contre l’exploitation capitaliste qu’en défendant avec intransigeance les opprimés et les droits démocratiques, et en s’opposant à toute atrocité impérialiste perpétrée par « sa » classe dominante capitaliste, ici comme ailleurs. Notre tâche, c’est de construire un parti prolétarien révolutionnaire fondé sur la compréhension marxiste que tout le système capitaliste pourri doit être renversé par la révolution ouvrière.

– Ligue trotskyste de France, 17 janvier 2015