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Le Bolchévik nº 209

Septembre 2014

L’impérialisme américain resserre l’étau sur la Chine

Les staliniens vietnamiens attisent l’hystérie antichinoise

Pour la révolution politique ouvrière, de Hanoi à Pékin !

Nous reproduisons ci-dessous la traduction d’un article publié dans Workers Vanguard, le journal de nos camarades de la Spartacist League/U.S. (n° 1048, 13 juin).

* * *

20 000 Vietnamiens brandissant des drapeaux et armés de barres de fer ont mis à sac pendant plusieurs jours à la mi-mai plusieurs zones industrielles du centre et du Sud du Vietnam ; ils pourchassaient les ouvriers chinois et incendiaient les usines appartenant à des Chinois ou à d’autres étrangers, aux cris de « Nous sommes Vietnamiens ! » Ces émeutes ont été le point culminant d’une série de manifestations antichinoises qui se sont déroulées dans au moins 22 des 63 provinces du Vietnam. Ces manifestations ont fait plus de 20 morts et près de 100 blessés. Pékin a envoyé une petite armada pour évacuer ses ressortissants. Soucieux d’éviter le départ des investisseurs étrangers du pays, les bureaucrates staliniens vietnamiens se sont employés à endiguer l’hystérie antichinoise qu’ils avaient eux-mêmes attisée.

Le motif affiché de ces sanglantes émeutes nationalistes était l’installation par la Chine d’une plate-forme de forage en eau profonde, d’une valeur d’un milliard de dollars, près des îles Paracels. Ces îles se situent à distance équivalente des côtes vietnamiennes et chinoises. Le Vietnam a également mobilisé sa marine de guerre et ses garde-côtes pour tenir tête aux quelque 80 navires chinois qui accompagnaient cette plate-forme ; il y a eu en résultat des incidents et accrochages en série entre les deux pays.

Derrière cette confrontation, il y a le fait que le gouvernement vietnamien s’est directement aligné sur l’impérialisme américain, qui cherche à encercler la Chine, le plus puissant des pays qui restent encore où la domination capitaliste-impérialiste a été renversée. La bureaucratie stalinienne chinoise cherche à contrer les efforts de Washington pour imposer son hégémonie en mer de Chine du Sud. Une composante essentielle de la stratégie américaine consiste à renforcer les liens avec le Vietnam, qui comme la Chine est un Etat ouvrier bureaucratiquement déformé. Les gardes-côtes vietnamiens sont aujourd’hui partiellement financés et entraînés par les Etats-Unis et le Japon.

Les émeutes qui ont secoué le Vietnam se sont produites après la tournée du président américain Obama en Asie qui avait pour objet, selon la formule de la chaîne d’information CNN, « la Chine, la Chine et encore la Chine ». Bien qu’il n’ait pas réussi à obtenir d’engagement ferme à adhérer à son « Partenariat transpacifique » (par lequel les Etats-Unis cherchent à créer un bloc économique asiatique antichinois), Obama a eu davantage de succès sur le plan militaire. Au Japon, il a étendu les clauses du vieux traité de sécurité américano-japonais afin que celui-ci inclue les îles Diaoyu/Senkaku, situées en mer de Chine orientale, qui ont une importance stratégique dans le périmètre de défense chinois. Nous soutenons les revendications chinoises sur ces îles contre le Japon impérialiste (voir « Provocations américaines et japonaises en mer de Chine orientale », Workers Vanguard n° 1041, 7 mars).

Aux Philippines, qui sont une néocolonie des Etats-Unis, le chef des armées américain a signé pour dix ans un nouveau traité de défense qui donnera aux troupes, aux navires et aux avions américains des droits d’accès plus faciles aux bases situées dans ce pays. Un nouvel accord de « partenariat élargi » a été signé avec le gouvernement malaisien ; il prévoit notamment un renforcement de la « sécurité » et de la coopération en matière de « défense ». Nous exigeons le retrait de toutes les bases américaines et des 80 000 soldats américains stationnés dans la région Asie-Pacifique, dans le cadre de la lutte que nous menons pour mobiliser la classe ouvrière américaine contre ses propres exploiteurs et leurs aventures militaires prédatrices.

Le Vietnam adhère au « pivot » antichinois des Etats-Unis

Il y a quarante ans, les Etats-Unis avaient été humiliés sur le champ de bataille par les héroïques ouvriers et paysans vietnamiens engagés dans une révolution sociale victorieuse contre le pouvoir des propriétaires fonciers et des capitalistes. Le prix à payer a été énorme : près de trois millions de Vietnamiens tués, sans compter les blessés et les mutilés. Aujourd’hui encore, le Vietnam a un taux élevé de malformations à la naissance du fait de l’« Agent orange », un défoliant dont des millions de tonnes ont été déversées par les avions américains. Pour se venger de leur défaite, les Etats-Unis avaient imposé au Vietnam un embargo qui n’a été levé qu’à la fin des années 1990.

Par une cruelle ironie de l’histoire, le Vietnam agit aujourd’hui de concert avec l’impérialisme américain contre la Chine. Le rapprochement diplomatique entre Washington et les staliniens vietnamiens est un produit de l’isolement du Vietnam après la destruction contre-révolutionnaire de l’Union soviétique, ainsi que de la pression toujours forte de la pauvreté et de l’animosité mutuelle historique entre le Vietnam et son voisin chinois, qui est plus grand et plus puissant. Ce rapprochement a débuté avec la visite au Vietnam du Démocrate Bill Clinton en 2000, la première visite d’un président américain depuis la défaite des Etats-Unis. Marchant dans les pas de son mari, Hillary Clinton déclarait dix ans plus tard devant les chefs d’Etat de l’ANASE (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) réunis à Hanoi que les Etats-Unis défendaient leur « intérêt national » en mer de Chine du Sud. Les liens diplomatiques, économiques et militaires entre les Etats-Unis et le Vietnam se sont renforcés depuis. D’après certains témoignages, une usine d’appareils électroniques sur laquelle flottaient des drapeaux américains et vietnamiens aurait été épargnée pendant les émeutes antichinoises dans la zone industrielle de Binh Duong, près d’Hô Chi Minh-Ville.

Le Premier ministre vietnamien Nguyen Tan Dung a appelé les Etats-Unis à jouer un rôle accru dans la région. Des rencontres ont lieu entre responsables militaires de haut niveau des deux pays et des navires de guerre américains sont maintenant autorisés à faire escale dans des ports vietnamiens. En juillet 2013, à l’occasion d’une visite aux Etats-Unis, le président vietnamien Truong Tan Sang et Obama ont annoncé un ambitieux partenariat américano-vietnamien qui, selon la revue East Asia Forum (6 août 2013) allait donner au Vietnam « davantage d’assurance – et en fait davantage d’options – pour tenir tête à la Chine en mer de Chine du Sud ».

Pour sceller cet accord, John Kerry [ministre des Affaires étrangères] s’est engagé en décembre 2013 à accorder 18 millions de dollars d’aide supplémentaire pour augmenter les capacités des gardes-côtes vietnamiens, avec pour commencer l’entraînement des équipages et la livraison de cinq patrouilleurs rapides. Le Vietnam a adhéré le 20 mai à l’« Initiative de sécurité en matière de prolifération » ; mise en place par George W. Bush, elle permet aux pays membres d’arraisonner des cargos « dont les destinataires pourraient utiliser la cargaison pour nuire aux Etats-Unis ou à d’autres pays ».

Avec leur politique les staliniens font le jeu de l’impérialisme

Nous qualifions la Chine et le Vietnam d’Etats ouvriers déformés ; cela signifie que l’économie de ces pays repose sur des formes de propriété collectivisée, qui ont rendu possible un formidable bond en avant pour le niveau de vie et la situation sociale des masses laborieuses. Mais en même temps, la classe ouvrière n’exerce pas le pouvoir politique, elle ne contrôle pas la production ni ne décide de la politique internationale. Nous sommes pour la défense militaire inconditionnelle de ces pays contre l’impérialisme et la contre-révolution, et nous luttons en même temps pour une révolution politique ouvrière qui chassera la caste bureaucratique parasitaire.

Constituée et organisée sur une base nationale, la bureaucratie de chaque Etat ouvrier déformé cherche à maximiser ses propres privilèges économiques et son emprise politique sur la société. A la racine de la politique nationaliste de tous les régimes staliniens se trouve le dogme antimarxiste du « socialisme dans un seul pays », mis en avant pour la première fois en 1924 par Staline comme idéologie d’une bureaucratie conservatrice en voie de consolidation en Union soviétique. Dans l’espoir de se concilier les bonnes grâces des puissances impérialistes, Staline avait progressivement transformé les partis communistes du monde entier : il ne s’agissait plus pour eux de renverser leur propre classe dirigeante, mais de faire pression sur celle-ci pour la pousser vers une « coexistence pacifique » avec l’URSS. C’est cette même politique suicidaire qui est suivie aujourd’hui par Pékin et Hanoi et qui conduit à des alignements successifs avec les puissances impérialistes, les bureaucrates cherchant à défendre le « socialisme » de leur propre pays aux dépens des autres Etats ouvriers.

A la fin des années 1950 et pendant les années 1960, l’antagonisme entre l’Union soviétique et Pékin avait abouti à une rupture complète. Au nombre des trahisons qui ont marqué cette rupture, on peut citer la livraison par le Kremlin d’avions de chasse, des Mig, à l’Inde capitaliste pendant la guerre frontalière de 1962 entre ce pays et la Chine. On peut citer aussi le fait que la Chine avait par moments sérieusement perturbé les livraisons d’aide militaire soviétique au Vietnam pendant la guerre entre ce pays et les Etats-Unis. Mao proclamait alors que le « social-impérialisme soviétique » était pour lui l’ennemi principal. Ceci allait dans le sens de l’objectif stratégique de la bourgeoisie américaine : détruire l’Etat ouvrier dégénéré soviétique, qui était à l’époque l’obstacle principal à la domination du monde par les Etats-Unis. Le Parti communiste chinois fut ainsi amené à faire alliance avec l’impérialisme américain contre l’Union soviétique, une alliance scellée en 1972 par la visite de Richard Nixon en Chine, où il but le champagne avec Mao alors même que les Etats-Unis intensifiaient leurs bombardements sur le Vietnam et minaient le port d’Haiphong.

En 1979 la Chine envahit le Vietnam, tirant les marrons du feu pour l’impérialisme américain. Cette invasion faisait suite à la visite aux Etats-Unis du numéro un chinois Deng Xiaoping qui cherchait alors à attirer les investissements étrangers. Les staliniens chinois ont récemment travaillé main dans la main avec les impérialistes pour mettre en place des sanctions afin de punir la Corée du Nord pour avoir testé son système d’armes nucléaires. En suivant ce genre de politique, les bureaucraties staliniennes sapent dangereusement la défense des acquis sociaux de ces révolutions qui ont renversé la domination capitaliste.

Et la bureaucratie vietnamienne encourage le chauvinisme antichinois réactionnaire parmi les ouvriers et les paysans ; une cérémonie a par exemple été organisée pour la première fois à Hanoi en janvier dernier pour protester contre la prise de contrôle des îles Paracels par la Chine en 1974. Cet anniversaire était traditionnellement commémoré à l’étranger par les émigrés vietnamiens contre-révolutionnaires, qui n’ont jamais accepté que la Chine ait pris ces îles au gouvernement capitaliste sud-vietnamien, un gouvernement fantoche à la solde des Etats-Unis. Mais cette année des manifestants ont scandé à Hanoi des mots d’ordre antichinois et ils ont fleuri la statue de Ly Thai To, empereur du Vietnam au XIe siècle.

Pour essayer d’expliquer le spectacle de deux pays « communistes » engagés dans une confrontation militaire, le Workers World Party (WWP) a publié le 22 mai un éditorial en droite ligne des positions traditionnelles de cette organisation, faites de crypto-stalinisme et de libéralisme antimarxiste pur et simple. Le WWP a déclaré que la Chine est « une puissance forte » et le Vietnam « un pays relativement petit et sous-développé », et il a appelé la Chine « à faire le premier pas d’une désescalade dans cette crise ». Alors même qu’il affirme défendre ces deux pays contre l’impérialisme et la contre-révolution capitaliste, le WWP ne veut pas voir que le Vietnam prête en fait main forte aux Etats-Unis pour resserrer le nœud coulant autour de la Chine. Il utilise le même langage que les néo-conservateurs, Obama ou les sociaux-démocrates anticommunistes pour exiger que la Chine « efface toute trace de domination de grande puissance ». Le WWP refuse de faire la différence entre les Etats ouvriers et leur bureaucratie dirigeante qui cherche à s’attirer les bonnes grâces des impérialistes ; il ne peut alors qu’exhorter ces bureaucraties à mieux se comporter.

Si les impérialistes réussissent grâce à une contre-révolution capitaliste à faire à nouveau de la Chine un immense atelier où règne la surexploitation, cela donnerait à tout leur système de profit en décadence une formidable décharge d’adrénaline. L’encerclement militaire et la pénétration économique ont tous les deux leur place pour atteindre cet objectif. Le « socialisme avec des caractéristiques chinoises » de Pékin, cela veut dire favoriser le développement d’entreprises en quête de profits et accueillir à bras ouverts les investisseurs impérialistes ou appartenant à la diaspora chinoise. Les mesures de ce genre accroissent fortement les inégalités et favorisent le développement de forces capitalistes à l’intérieur même de la Chine.

Cependant, l’impact des investissements impérialistes en Chine et au Vietnam est contradictoire : avec la croissance économique les revenus augmentent et un prolétariat jeune et urbanisé s’est beaucoup développé. Les bureaucrates de ces deux pays savent qu’ils sont assis sur un volcan, vu le mécontentement social. Même si le Vietnam n’a pas les infrastructures et la technologie plus sophistiquée de la Chine, il a un prolétariat combatif et remuant qui s’est déjà battu contre les bas salaires, l’inflation, la montée des inégalités et la corruption de la bureaucratie ; il y a eu plus de 800 grèves en 2011. Dans bien des cas les exploiteurs sont les mêmes qu’en Chine : le fabriquant taïwanais de chaussures de sport Yue Yuen a été la cible de la plus grande grève en Chine depuis des dizaines d’années ; un tiers de sa production se fait au Vietnam.

Si des gouvernements ouvriers révolutionnaires étaient au pouvoir à Pékin et à Hanoi, le conflit des Paracels serait facilement résolu : les deux pays partageraient la technologie nécessaire au développement des ressources naturelles de la région et ils coopéreraient pour assurer ce développement et pour se défendre mutuellement contre l’impérialisme. Le programme trotskyste de la révolution politique prolétarienne – renverser les bureaucraties staliniennes et mettre en place des gouvernements basés sur des conseils d’ouvriers, de paysans et de soldats – constitue la seule défense efficace de ces Etats ; elle fait partie intégrante de la stratégie de révolutions prolétariennes dans le monde entier pour mettre fin à l’ordre impérialiste.

 

Le Bolchévik nº 209

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