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Le Bolchévik nº 193

Septembre 2010

A bas les expulsions ! Pleins droits de citoyenneté !

Le gouvernement se déchaîne contre les gens du voyage

28 août – Le gouvernement s’est saisi d’une explosion de colère le 18 juillet chez les gens du voyage à Saint-Aignan après qu’un jeune de la communauté, Luigi Duquenet, avait été tué la veille par les flics, pour lancer une campagne raciste d’une violence inouïe contre l’ensemble des Tsiganes, Roms et gens du voyage. Le gouvernement a déclaré littéralement la chasse aux Roms ouverte. Des cohortes de flics attaquent des campements, détruisent brutalement les maigres possessions de leurs victimes et renvoient ces dernières en masse vers la Roumanie ; tous les jours on imprime les bulletins de succès sur les camps « éradiqués ». L’année dernière déjà 9 875 Roms avaient été expulsés vers la Roumanie et la Bulgarie (l’Humanité, 29 juillet), soit le tiers de toutes les expulsions pratiquées depuis le territoire métropolitain. Au 25 août le chiffre atteignait déjà plus de 8 000 depuis le début de l’année (l’Humanité, 26 août).

Si le gouvernement s’en est pris aux Roms et gens du voyage, c’est qu’il s’agit de la couche la plus vulnérable de la population, vivant une existence en partie aux marges de la société capitaliste urbaine. Pourtant le mouvement ouvrier a un intérêt direct à défendre ces opprimés parmi les opprimés contre les attaques racistes du gouvernement : accepter les attaques contre les Roms rendrait le mouvement ouvrier directement vulnérable aux tentatives de division de la classe ouvrière elle-même selon des barrières ethniques, raciales ou sexuelles, tout en renforçant l’arsenal policier visant les travailleurs. Une attaque contre un est une attaque contre tous !

La république capitaliste française, les réformistes et les gens du voyage

La réponse du PS, du PCF, du Parti de gauche (PG) et du NPA aux campagnes racistes du gouvernement a été d’appeler avec les Verts à une manifestation le 4 septembre. L’appel à la manifestation (l’Humanité, 5 août) profite de l’oppression des Roms pour faire une ode à la république capitaliste-impérialiste française gorgée de sang de l’Afrique au Proche-Orient, à l’Indochine et aujourd’hui l’Afghanistan. Les réformistes veulent redorer l’image de la France face au tollé international que la chasse aux Roms a suscité. Il s’agit aussi de réaffirmer le soutien des signataires à l’ordre bourgeois contre la « délinquance », reproduisant implicitement au passage le cliché raciste que tous les Roms et gens du voyage sont des voleurs. (Lutte ouvrière a refusé à juste titre de signer cet appel, mais cette organisation est plus que discrète concernant les expulsions pratiquées dans les communes où elle fait partie de la majorité municipale PCF ; ainsi, à Bagnolet en juillet 2008, la mairie a sommé des familles roms bulgares de renvoyer leurs enfants en Bulgarie comme condition pour héberger les adultes.)

L’appel pour le 4 septembre déclare notamment :

« il [Sarkozy] ne lutte en rien contre la délinquance, qui est répréhensible pour tout individu sans distinction de nationalité ou d’origine. […] Il ne s’agit plus du débat légitime en démocratie sur la manière d’assurer la sûreté républicaine, mais bien d’une volonté de désigner comme a priori dangereuses des millions de personnes à raison de leur origine ou de leur situation sociale. […] Parce que le seuil ainsi franchi nous inquiète pour l’avenir de tous, nous, organisations associatives, syndicales et politiques diverses mais qui avons en commun l’attachement aux principes fondamentaux de la République laïque, démocratique et sociale, rappelons avec force que l’article 1er de la Constitution “assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion”, et que toutes propositions qui méconnaîtraient cette règle fondatrice de la démocratie constituent une atteinte à la paix civile. […] Et nous appelons à un grand rassemblement citoyen à l’occasion du 140e anniversaire de la République, le samedi 4 septembre, place de la République, à Paris ».

Voilà bien le comble du cynisme : c’est la Troisième République qui avait institué par la loi de 1912 le « carnet anthropométrique d’identité » pour tous les nomades (à l’exclusion des forains et ambulants de nationalité française), complété par un carnet collectif ; leurs véhicules étaient assujettis à une mention spéciale permettant de les identifier comme appartenant à des nomades, l’équivalent d’une étoile jaune (voir le livre d’Emmanuel Filhol et Marie-Christine Hubert, les Tsiganes en France : Un sort à part (1939-1946), paru en 2009 chez Perrin). L’obligation de faire viser un carnet ou un livret de circulation par les flics tous les trimestres demeure toujours en vigueur pour les gens du voyage.

La Troisième République perfectionna sans cesse l’arsenal contre les Tsiganes. En avril 1940 (avant l’occupation allemande) elle décidait l’assignation à résidence, c’est-à-dire l’internement de tous les nomades dans de petits camps de concentration locaux pour toute la durée de la guerre. La répression contre les Tsiganes (qui étaient pour la plupart citoyens français) exercée par le gouvernement de Vichy fut en fait basée sur la législation de la Troisième République, et ce fut le cas aussi pour la plupart des mesures prises contre eux par la police française dans la zone occupée.

A la « Libération »… les Tsiganes ne furent pas libérés, pour certains, avant 1946 ; le PCF était entre 1944 et 1947 au gouvernement, avec la SFIO (parti socialiste). Les derniers nomades internés ne furent libérés qu’en mai 1946, un an après la fin de la guerre en Europe.

Tous les nomades en France ne sont pas des Tsiganes, et tous les Tsiganes ne sont pas nomades. On a de plus vu certaines communautés de gens du voyage manifester ces dernières semaines avec des drapeaux français pour insister qu’ils sont des citoyens et des électeurs français, contrairement aux Roms venus d’Europe de l’Est et des Balkans qui concentrent sur eux la haine et les préjugés racistes. Pourtant, même les Tsiganes français sédentarisés continuent aussi de faire l’objet de discrimination raciste. Dans le quartier du Polygone à Strasbourg vivent 200 familles tsiganes, sur un campement installé en 1970 dans des conditions qui sont toujours précaires aujourd’hui ; une vieille dame rapportait ainsi (Dernières Nouvelles d’Alsace, 30 juillet) : « Nos enfants vont à l’école comme tout le monde. Mais lorsqu’ils commencent à chercher du travail, et qu’ils disent qu’ils habitent rue de l’Aéropostale, ils sont systématiquement refusés. » Un pasteur ajoutait simplement : « Nous sommes moins considérés que des chiens. »

Une partie des Juifs sous la Troisième République capitaliste, celle de l’affaire Dreyfus, voyaient aussi de haut les Juifs fuyant les pogroms en Europe de l’Est, que les Juifs français considéraient comme une menace pour leur propre intégration en tant que citoyens français. En fait, c’est l’Etat français sous Vichy qui envoya des milliers de Juifs, étrangers ou pas, dans les camps de la mort nazis ; l’un des responsables, Maurice Papon, fit ensuite une longue carrière dans l’appareil d’Etat capitaliste et aussi comme PDG de Sud-Aviation en Mai 68. Les travailleurs et les opprimés ont un intérêt vital à s’unir dans une lutte commune. Il faut combattre la fausse conscience distillée par la bourgeoisie qui fait penser aux travailleurs immigrés que ce sont les Roms qui menacent leur propre lutte pour des papiers ou qui fait penser aux travailleurs français que les Roms sont des « délinquants ». C’est la tâche d’un parti révolutionnaire que de combattre cette fausse conscience.

Les Roms, un peuple sans Etat

Aujourd’hui, huit à douze millions de Roms, Sinti, Gitans ou Manouches vivent en Europe ; ils sont sédentarisés ou nomades. Les Juifs et les Tsiganes ont une longue histoire commune de victimes de la haine et de l’oppression. Abraham Léon, un trotskyste belge qui fut assassiné à Auschwitz en 1944, a expliqué dans la Conception matérialiste de la question juive que les Juifs étaient un « peuple-classe ». S’ils ont survécu comme entité distincte, ce n’est pas malgré leur oppression séculaire mais du fait de leur existence à l’origine comme une caste remplissant une fonction économique spécialisée indispensable dans la société. Les Juifs, en tant qu’usuriers et commerçants, vivaient nécessairement sous le féodalisme de façon sédentaire dans des communautés urbanisées ; plus tard, lorsque l’essor de la bourgeoisie industrielle rendit superflue leur fonction économique, ils s’assimilèrent dans la société capitaliste moderne. Le puissant mouvement ouvrier européen reprit à son compte la lutte contre l’antisémitisme. De nombreux socialistes et révolutionnaires étaient juifs, notamment Marx. Les Roms et Tsiganes étaient autrefois surtout musiciens, marchands de chevaux, vanniers ou rémouleurs ; historiquement ils apportaient des connaissances inestimables dans l’économie de subsistance paysanne mais, en tant que « peuple-classe » d’artisans nomades, leur rôle dans la société était toujours resté plus marginal que celui des Juifs.

La Révolution russe de 1917, sous la direction des bolchéviks de Lénine et Trotsky, et du fait de son caractère véritablement internationaliste, a permis pour la première fois dans l’histoire d’établir la dictature du prolétariat, qui combattit avec succès les pogroms antisémites et le chauvinisme. Elle ouvrit de même la porte à l’émancipation des Roms, qui pour la première fois furent reconnus en tant que minorité. On promut l’élaboration de dictionnaires et de grammaires romani ainsi que la culture de ce peuple.

A partir de 1924 commença la destruction du parti bolchévique révolutionnaire internationaliste par une contre-révolution politique dirigée par les staliniens, une couche de bureaucrates privilégiés qui donna une nouvelle vie au vieux poison du chauvinisme. Les tensions nationalistes furent utilisées pour briser l’esprit internationaliste des travailleurs. Le romani fut bientôt réprimé, et ensuite aussi le yiddish.

Après la Deuxième Guerre mondiale, les régimes établis en Europe de l’Est purent réduire en partie les préjugés endémiques, mais ils ne purent pas jeter les bases pour l’élimination du chauvinisme. En Roumanie, le régime stalinien particulièrement brutal de Ceaucescu procéda à la sédentarisation des Roms. Mais beaucoup de Roms aujourd’hui regrettent le régime du Ceaucescu, car l’Etat ouvrier déformé voulait dire du travail et un revenu pour tous. Le Parisien (23 août) cite les propos caractéristiques suivants d’un grand-père rom : « Avant la Révolution de 1989, sous Ceaucescu, c’était dur, mais on se débrouillait. On avait des logements, un travail avec un petit salaire. Et puis, tout a changé… »

Il y a 20 ans nous avons lutté contre la contre-révolution capitaliste en Europe de l’Est et en Union soviétique, alors que les PCF, LO, LCR soutenaient diverses forces contre-révolutionnaires, notamment Solidarnosc en Pologne. En RDA notamment nous avons jeté nos forces en 1989-1990 pour lutter contre une réunification capitaliste de l’Allemagne et pour une révolution politique prolétarienne pour remplacer le régime bureaucratique stalinien par le pouvoir de conseils ouvriers. Avec la contre-révolution capitaliste tous les préjugés racistes contre les Roms ont refait surface. Les Roms, licenciés en masse, se retrouvent à nouveau sur les routes pour fuir la misère et la terreur raciste. C’est dire l’horreur de la restauration capitaliste que ces Roms reviennent encore en France malgré l’oppression incessante qu’ils subissent.

Sur le papier, les Roms roumains ou bulgares ont le droit de voyager dans toute l’Union européenne, y compris en France. Ils ont aussi en théorie le droit de travailler. Toutefois, en France, ils n’ont accès qu’à 150 métiers dits « sous tension », et de plus ils doivent accomplir des formalités administratives coûteuses pour obtenir un permis de travail qui prennent des semaines, voire des mois. Les capitalistes n’attendent jamais si longtemps pour les métiers auxquels pourraient prétendre les Roms, ce qui fait qu’en réalité ils n’ont pas le droit de travailler. Sans revenu, ils perdent aussi le droit de séjourner en France au-delà de trois mois. Nous exigeons la levée immédiate de toutes les restrictions à l’emploi pour tous ceux qui sont ici ! Pleins droits de citoyenneté !

La situation épouvantable des Roms dans l’Union européenne met à nu toute l’hypocrisie capitaliste sur la « liberté » et la « démocratie » pour les opprimés dans l’Europe impérialiste. D’après Amnesty international (13 janvier), de nombreux enfants roms sont scolarisés en république tchèque dans des écoles spéciales pour « enfants légèrement handicapés mentaux ». En Italie, un soi-disant « plan d’urgence concernant les nomades » pour combattre la délinquance a été adopté, menaçant des milliers de Roms de se faire chasser de leurs campements pour être regroupés dans de grands camps isolés. En Hongrie on rapporte des pogroms meurtriers. A Ostrowany (Slovaquie) ou à Tarlungeni (Roumanie) des murs sont érigés pour séparer les quartiers roms.

La terreur raciste est inhérente au système capitaliste. Il n’y aura un début de solution à l’effroyable oppression du peuple rom que dans le cadre d’Etats-Unis socialistes d’Europe. Comme l’écrivait Abraham Léon à propos des Juifs en conclusion de sa Conception matérialiste de la question juive :

« Il est évident que le rythme de la solution du problème juif dépend du rythme général de l’édification socialiste. L’antinomie entre l’assimilation et la solution nationale n’est que toute relative, la dernière n’étant souvent que la préface de la première. […] Aujourd’hui, les antagonismes nationaux culturels et linguistiques ne sont que la manifestation des antagonismes économiques créés par le capitalisme. Avec la disparition du capitalisme, le problème national perdra toute son acuité. S’il est prématuré de parler d’une assimilation mondiale des peuples, il est évident que l’économie planifiée, étendue à l’échelle de la Terre, aura pour effet de rapprocher considérablement tous les peuples de l’Univers. Cependant, il serait peu indiqué de hâter cette assimilation par des moyens artificiels ; rien ne pourrait lui nuire davantage. On ne peut pas encore prévoir nettement quels seront les “rejetons” du judaïsme actuel ; le socialisme veillera à ce que la “génération” ait lieu dans les meilleures conditions possibles. »

Le Bolchévik nº 193

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