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Le Bolchévik nº 214 |
Décembre 2015 |
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Le soutien de la gauche à l’UE pave la voie à la montée des fascistes, en Grèce et en France
La Grèce dévastée par l’austérité de la troïka
A bas l’Union européenne et l’euro ! Pour des Etats-Unis socialistes d’Europe !
Nous reproduisons ci-après la présentation, revue et abrégée pour publication, de notre camarade Alexis Henri lors d’un meeting de la LTF à Paris sur la Grèce le 29 octobre dernier.
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Chers camarades et amis,
Nous avions une camarade du Groupe trotskyste de Grèce (TOE) qui devait venir d’Athènes mais n’a malheureusement pas pu se libérer. Du coup c’est moi qui vais vous faire une présentation sur la Grèce ; celle-ci ne manquera pas de faire des allers-retours sur la France. J’espère que cela ne vous décevra pas. Nous sommes réunis à peine un mois après les élections du 20 septembre dernier qui ont reconduit au gouvernement la coalition de Syriza et des Grecs Indépendants, un petit parti d’extrême droite et alors même que les annonces de grèves et luttes se multiplient contre le nouveau gouvernement qui taille dans le vif en mettant en uvre consciencieusement les ordres des impérialistes.
Le 21 et le 22 octobre, les dockers ont fait une grève de deux jours contre la privatisation du port du Pirée et de celui de Salonique. Début novembre les marins ont annoncé une grève de trois jours. Les étudiants comptent également entrer en lutte début novembre contre l’augmentation des frais de scolarité imposée par la troïka. Le 12 novembre se tiendra la première journée d’action en forme de grève nationale sous le gouvernement Syriza (la date n’est pas encore tout à fait certaine). Les syndicats du privé et du public se sont joints à l’appel initié par la tendance du KKE [Parti communiste de Grèce] dans les syndicats.
Rien de tout cela n’est annoncé dans l’Humanité. Le PCF a salué la victoire de Syriza, qu’il avait activement soutenu pendant la campagne électorale et pendant toutes ces dernières années, y compris au moment même où Alexis Tsipras, le chef du gouvernement capitaliste, signait une capitulation en règle face à Angela Merkel et François Hollande en juillet dernier. Nos camarades en Grèce avaient au contraire au mois de juillet appelé à former des comités d’action ouvriers pour rejeter la capitulation de Tsipras et dire non à l’Union européenne et à l’euro, et ils ont refusé de donner le moindre soutien aux populistes bourgeois de Syriza ou à ses frondeurs de l’Unité populaire.
Le résultat le plus frappant de ces élections a été une montée spectaculaire de l’abstention. Syriza lui-même a perdu 300 000 voix par rapport au mois de janvier, soit un de ses électeurs sur sept. Mais ce discrédit relatif des principaux partis parlementaires de la bourgeoisie n’a pas profité au KKE qui de son côté a perdu plus de 35 000 voix.
C’est sans doute le prix qu’il paie pour sa trahison de juillet dernier quand il avait appelé à voter nul lors du référendum sur le plan d’austérité de la troïka impérialiste (UE, FMI, BCE), au lieu de mobiliser les électeurs pour un « non » retentissant aux diktats de l’Union européenne. Plus encore que toute sa politique de ces dernières années, cela l’a empêché de pouvoir se présenter comme une véritable alternative ouvrière à l’austérité de la troïka.
Et cette trahison du KKE est la raison pour laquelle nos camarades grecs du TOE ont refusé de voter pour lui lors des élections de septembre, contrairement aux élections de 2012 et de janvier dernier. Nous avions alors appelé à un soutien critique pour lui car il s’opposait à toute alliance avec Syriza et à tout soutien à un gouvernement Syriza, et car il s’opposait à l’Union européenne ; bien entendu il s’agissait d’un soutien critique, et nos camarades n’ont pas cessé de polémiquer contre le nationalisme et le chauvinisme de ces réformistes.
Unité populaire : Syriza bis
Quant au groupe qui a scissionné de Syriza au mois d’août dernier, l’Unité populaire, elle a fait moins de 3 % et n’est donc pas représentée au nouveau parlement. Il s’agit d’une formation populiste bourgeoise à laquelle nous sommes tout autant opposés par principe qu’à Syriza. Ils étaient des dirigeants de Syriza quand ceux-ci sont arrivés au pouvoir en janvier 2015. Ils sont devenus ministres dans le nouveau gouvernement bourgeois, ils ont voté pour l’accord du 20 février avec la troïka impérialiste où le gouvernement Tsipras s’engageait à mener jusqu’au bout les attaques déjà prévues par le gouvernement de droite précédent. Ils ont coulé les tentatives du KKE de soumettre des motions au parlement refusant un nouveau plan d’austérité.
Ensuite les frondeurs grecs ont certes voté contre la capitulation de Tsipras du 13 juillet face à l’UE de Hollande et Merkel, mais cela ne les a pas empêchés de continuer à déclarer sur tous les toits qu’ils ne soutenaient peut-être pas l’accord mais qu’ils soutenaient toujours le gouvernement. Ils ont finalement rompu avec Syriza uniquement quand Tsipras a annoncé de nouvelles élections de façon à les remplacer par des députés plus « godillots » qu’eux. Et encore l’Unité populaire s’est alors présentée fondamentalement comme la continuatrice authentique du Syriza qui s’était présenté en janvier dernier, avec les résultats qu’on connaît.
Autrement dit, ils ont un programme bourgeois pro-UE, même si à l’intérieur de l’Unité populaire il y a certains militants connus, comme Costas Lapavitsas, qui sont pour une sortie de la Grèce de l’euro. Ce sont des populistes bourgeois au même titre que Syriza (encore que je doute que l’on puisse qualifier de très populiste la mise en uvre des mesures de la troïka dans laquelle se spécialise maintenant Syriza).
Tout cela n’est pas reluisant et les électeurs grecs ne s’y sont pas trompés, mais cela n’a pas empêché le NPA [Nouveau Parti anticapitaliste] de se passionner pour cette nouvelle formation (avant de s’en désintéresser en voyant que la mayonnaise ne prenait pas). Les militants du NPA entretiennent des liens à la fois avec l’Unité populaire, où ils ont des camarades, et avec le groupe concurrent Antarsya. Entre l’Unité populaire et Antarsya il n’y a pas de quoi se déchirer, l’Anticapitaliste lui-même (3 septembre) ayant rapporté qu’Antarsya « s’est prononcé publiquement pour une campagne commune » avec l’Unité populaire. Comme l’Unité populaire est pour l’Union européenne (avec ou sans l’euro), cela montre que l’opposition d’Antarsya à l’UE et au capitalisme est complètement bidon, et donc aussi l’opposition de tous les « anti-UE » et « anticapitalistes » qui soutiennent Antarsya. Pour eux il s’agit tout au plus d’une question tactique au gré de leur perception d’opportunités électorales.
Vous avez par exemple un groupe comme la « tendance claire » (l’une des tendances du NPA il y en a une demi-douzaine qui se déchirent pour le contrôle de la direction du parti et de la caisse). Alors eux, qui se déclarent contre l’UE et l’euro, se sont lamentés que le NPA soutienne seulement l’Unité populaire pro-UE et qu’il ne soutienne pas en même temps aussi Antarsya. Ils ont dit à propos d’Antarsya, qui je vous le rappelle voulait faire campagne commune avec les populistes bourgeois de l’Unité populaire : « Mais le devoir des anticapitalistes en France est d’exprimer leur solidarité politique à l’égard de leurs homologues grecs, même si on peut discuter et contester leurs choix tactiques lors de l’élection du 20 septembre » (Au CLAIR de la lutte n° 27, automne 2015).
La gauche française au chevet de l’Union européenne
Pour nous la destruction de la Grèce par les diktats du FMI et de l’Union européenne ne fait qu’apporter une nouvelle preuve tragique montrant pourquoi il faut s’opposer par principe à l’Union européenne. Nous sommes contre depuis le début, y compris sous ses avatars précédents de Communauté économique européenne [CEE], etc. A l’origine elle avait été conçue comme un ciment économique pour faire tenir ensemble les pays européens de l’OTAN, cette alliance militaire capitaliste antisoviétique.
Après la contre-révolution capitaliste en Union soviétique au début des années 1990, la CEE est devenue l’Union européenne. Il s’agit d’un bloc intrinsèquement instable entre Etats capitalistes rivaux pour mieux exploiter leur propre classe ouvrière et pour faire concurrence à leurs rivaux sur le marché mondial. L’impérialisme allemand a gagné un avantage considérable avec la destruction et l’annexion de l’Etat ouvrier déformé est-allemand il y a 25 ans, et avec les mesures anti-ouvrières du chancelier social-démocrate Schröder dans les années 2000. Maintenant la domination de l’impérialisme allemand s’affirme de plus en plus non seulement sur les pays qui, notamment en Europe de l’Est et en Grèce, ont de plus en plus un statut dépendant voire semi-colonial, mais même par rapport à l’impérialisme français. La crise économique qui a éclaté en 2008 a mis au jour les différences de dynamisme de ces différents pays, et les tensions nationalistes augmentent de plus en plus. Nous disons : A bas l’Union européenne et son instrument financier l’euro ! Pour des Etats-Unis socialistes d’Europe !
En France un nombre croissant d’idéologues bourgeois, y compris le populiste de gauche Jean-Luc Mélenchon, commencent à prendre leurs distances avec l’UE, ou plutôt avec certains aspects de celle-ci (pour le chauvin Mélenchon, ce qui est le plus troublant c’est comment la France est maintenant dominée par l’Allemagne dans l’UE). Mais ils restent des voix relativement isolées à gauche ; je vous renvoie à notre article dans le Bolchévik de septembre là-dessus.
Prenez par exemple Lutte ouvrière [LO]. Ils insistent aujourd’hui que Tsipras est un homme politique bourgeois, alors qu’il y a 9 mois ils félicitaient le peuple grec de l’avoir élu et faisaient des plans sur ce que Tsipras allait faire pour aider le peuple grec en obtenant des milliards de l’UE. Ils ont un article en ce sens dans leur revue pour les cadres Lutte de classe (septembre-octobre 2015) où ils reconnaissent que « En tant que communistes révolutionnaires, nous avons exprimé notre solidarité avec Tsipras dans la mesure où il s’opposait à ceux qui se faisaient les huissiers du grand capital. »
Cette formule rappelle peut-être à certains quelques cadres bolchéviks russes (dont Staline) qui, avant l’arrivée de Lénine en Russie en avril 1917, voulaient soutenir le gouvernement provisoire bourgeois issu de la révolution de Février, « dans la mesure où celui-ci combat la réaction et la contre-révolution » (cité par Trotsky dans l’Histoire de la révolution russe). Mais bien entendu ce serait enjoliver terriblement LO que de la comparer aux bolchéviks de droite de 1917. Tout soutien politique à un gouvernement bourgeois est une trahison de classe, et Lénine combattit les partisans de Staline avec ses fameuses « Thèses d’avril » qui orientèrent le Parti bolchévique vers la perspective d’une deuxième révolution, celle qui eut effectivement lieu en octobre.
La Grèce doit sortir de l’UE et de l’euro, sans quoi elle ne peut s’affranchir de la spirale de la dette et du pillage impérialiste. L’exemple de l’Argentine et de l’Islande montre que si l’on refuse de payer ses créanciers et qu’on dévalue, c’est peut-être douloureux sur le moment mais cela peut rapidement conduire à une reprise économique et à une diminution du chômage.
Et pourtant LO a une nouvelle fois mis en garde contre une sortie de la zone euro. Ils insistent : « Mais sortir de la zone euro ne permet pas de s’affranchir de la domination du capital financier et le retour à la drachme comme monnaie nationale ne met pas fin à l’oppression et à la domination qui résultent de toute l’organisation impérialiste de l’économie mondiale. » Bien sûr que cela n’affranchirait pas d’un coup la Grèce du système impérialiste mondial.
LO cherche en fait à se cacher derrière le fait que certains économistes bourgeois, comme Costas Lapavitsas ou Jacques Sapir, sont pour un « Grexit » (la sortie de la Grèce de la zone euro) car ces derniers considèrent que c’est la meilleure manière de préserver les profits capitalistes. Mais en refusant de s’opposer à l’euro, LO donne un soutient indirect à sa propre bourgeoisie pour opprimer la Grèce. Les marxistes sont tout sauf indifférents au pillage financier de petits pays par des pays impérialistes. Tout comme Trotsky défendait le Mexique capitaliste en 1938 contre le pillage de l’impérialisme britannique, de même nos sections européennes sont pour une lutte de la classe ouvrière pour paralyser la main criminelle des impérialistes de l’UE dans le pillage actuel de la Grèce.
Nous partons d’un point de vue radicalement différent de Lapavitsas pour nous prononcer en faveur de la sortie de l’euro. Nous avons expliqué dans un article que nous avons publié dans le dernier Bolchévik : « Mais cela créerait des conditions plus favorables pour que la classe ouvrière puisse lutter pour ses propres intérêts. De plus, la sortie de la Grèce de l’UE porterait un coup à l’existence même de ce bloc dominé par les impérialistes. Ce qu’il faut, ce sont des Etats-Unis socialistes d’Europe ! »
La vérité, c’est qu’une monnaie commune à divers Etats n’est pas viable à long terme. Pouvoir frapper sa propre monnaie est une prérogative fondamentale d’un Etat ; c’est un élément constitutif de sa souveraineté nationale. Et plus généralement l’UE n’est pas viable car le capitalisme est basé sur l’Etat-nation, et toute alliance entre puissances capitalistes est fondamentalement éphémère. Il est utopique de croire que l’on puisse faire disparaître la rivalité historique entre la France et l’Allemagne, qui est la maîtresse naturelle de l’Europe continentale capitaliste depuis l’unification du pays sous Bismarck au XIXe siècle. L’actuelle soi-disant réconciliation franco-allemande finira dans les poubelles de l’histoire comme la précédente, celle entre Pétain et Hitler la seule alternative étant que les ouvriers prennent eux-mêmes le pouvoir.
Les tensions entre la France et l’Allemagne n’ont fait que s’exacerber depuis l’éclatement de la crise économique internationale il y a 7 ans ; elles préparent la voie à une rupture acrimonieuse et à l’explosion de l’UE. D’ailleurs si la politique extérieure de la France s’est autant rapprochée de celle des Etats-Unis depuis cette période, c’est moins pour cause de tropisme américain personnel de Sarkozy et Hollande que parce que la France doit se rapprocher des Etats-Unis car elle est trop faible pour tenir tête seule à l’Allemagne dans le « concert » impérialiste.
Pourtant l’impérialisme français demeure à ce jour favorable à l’Union européenne, car il continue de profiter comme second couteau de la mise en esclavage du Sud et de l’Est de l’Europe. On a parlé la semaine dernière d’un rapprochement franco-grec avec le voyage de Hollande à Athènes. Hollande cherchait à profiter des tensions gréco-allemandes après que Merkel avait voulu ordonner aux Grecs d’accepter des patrouilles communes avec les Turcs pour policer la mer Egée. En fait Hollande visitait la Grèce pour positionner les trusts français, notamment la société Vinci, pour la privatisation du réseau routier grec, sachant que l’entreprise publique allemande Fraport a déjà mis la main l’été dernier pour une bouchée de pain sur les aéroports grecs. Il est du devoir du mouvement ouvrier français de s’opposer à ce pillage impérialiste et de lutter pour l’annulation pure et simple de la dette grecque.
De crise de la dette grecque en crise de la dette grecque, la rupture de la zone euro et de l’UE est sans cesse reportée, mais elle risque de n’en être que plus brutale, et c’est pour cette échéance que se préparent les fascistes du Front national. Ils tirent de plus en plus parti du discrédit de l’UE et de la haine qu’elle suscite. Les travailleurs voient chaque jour comment les « directives de Bruxelles » sont avancées pour justifier le démantèlement de leurs acquis au nom de la « concurrence libre et non faussée ». En l’absence d’une opposition internationaliste à l’UE, c’est l’opposition nationaliste qui l’emportera et non un utopique soutien internationaliste à l’UE, même s’il est critique, comme le propose le NPA ou LO.
Tensions dans l’UE et montée des nationalistes d’extrême droite et des fascistes
Quant aux fascistes d’Aube dorée, ils ont gagné un député aux dernières élections tout en perdant quelques milliers de voix seulement. Ils s’enracinent comme le troisième parti du pays dans les élections, alors même qu’ils avaient, dans les derniers jours de la campagne électorale, revendiqué la responsabilité politique pour le meurtre de Pavlos Fyssas, un métallo syndicaliste et rappeur engagé à gauche tué juste deux ans auparavant. Le KKE, qui a obtenu plus de 100 000 voix dans la région de l’Attique où se trouvent Athènes et le Pirée, n’a mobilisé que quelques centaines de personnes à travers son bras dans les syndicats, le PAME, pour marquer les deux ans de cet assassinat la semaine des élections.
Pour stopper les fascistes il faut des mobilisations de front unique du mouvement ouvrier, comme nos camarades en Grèce ne cessent de l’avancer. C’est une perspective diamétralement opposée aussi à celle de réformistes comme le SEK (Parti socialiste ouvrier, lié au SWP britannique et faisant partie de la coalition Antarsya). Le SEK demande sans arrêt à l’Etat capitaliste d’emprisonner les fascistes et de les désarmer. Trotsky disait en 1936, en parlant d’hypothétiques demandes de mesures gouvernementales contre les fascistes :
« Toutes les lois d’exception, tous les pleins pouvoirs extraordinaires, etc. seront utilisés contre le prolétariat. [
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« Le mot d’ordre de dissolution et de désarmement des bandes fascistes par l’Etat (les social-démocrates allemands criaient : “L’Etat doit agir !”) et le vote de mesures analogues sont réactionnaires de bout en bout. Cela reviendrait à sacrifier la peau du prolétariat pour en faire un fouet dont l’arbitre bonapartiste de service se servira peut-être pour caresser tout doucement, une fois en passant, le postérieur des fascistes. »
Le fascisme, c’est une mobilisation de la petite bourgeoisie ruinée (ou menacée de ruine), manipulée par des agents du grand capital pour massacrer les immigrés, les Juifs et les homosexuels, et pour détruire le mouvement ouvrier organisé. La bourgeoisie n’hésite pas à recourir à ces assassins si elle considère que les illusions parlementaristes ne suffisent plus à endormir les travailleurs et les paralyser, et qu’il faut avoir recours aux méthodes de la guerre civile pour empêcher les ouvriers de lutter pour leur propre pouvoir. Les fascistes servent les mêmes maîtres que l’Etat capitaliste, et c’est pourquoi il est non seulement illusoire de demander à ce dernier de désarmer les premiers, cela détourne du nécessaire : mobiliser en masse la classe ouvrière dans un front unique, avec derrière elle tous les opprimés, pour balayer cette racaille avant qu’elle ne nous écrase.
La pitoyable mobilisation du KKE pour Pavlos Fyssas montre que ce n’est pas la perspective du KKE, alors même qu’il a l’influence dans la classe ouvrière et la puissance sociale pour prendre l’initiative de ce genre de mobilisation de masse. Et il justifie son inaction en disant qu’il faut simplement isoler les fascistes et que de toute façon cette gangrène est inhérente au système capitaliste. Mais en réalité il n’en découle absolument pas qu’il ne faille rien faire. Si on attend que les fascistes prennent le pouvoir, il est ensuite trop tard pour lutter contre eux quand on se retrouve dans un camp de concentration ou devant un peloton d’exécution. Il faut lutter pour mobiliser la classe ouvrière et les opprimés maintenant, tout en pointant du doigt qu’on ne peut en rester là et que pour en finir une bonne fois pour toutes avec cette vermine raciste il faut renverser le système capitaliste tout entier.
Les fascistes grecs ont déjà tué ces dernières années un certain nombre d’immigrés. Dans certains quartiers d’Athènes ils terrorisent au grand jour les sans-papiers dans la rue. La crise est en train de s’aggraver avec l’afflux de centaines de milliers de réfugiés qui transitent par la Grèce en essayant de rejoindre l’Europe du Nord et notamment l’Allemagne.
Pleins droits de citoyenneté pour tous les immigrés !
De son coté le gouvernement Syriza a ouvert courant octobre dans l’île de Lesbos le premier des hot spots prescrits aux lisières de l’UE pour organiser la politique d’immigration et de déportation à l’échelle de l’Union européenne en fonction des besoins négociés par les différents Etats, c’est-à-dire en fonction surtout de ce qu’impose Berlin. Dimanche dernier Tsipras a accepté à Bruxelles de construire des camps de concentration pour 30 000 personnes immédiatement, et 20 000 de plus l’année prochaine.
Bien sûr il ne s’agit pas d’un tournant fondamental dans la politique de Syriza. Nous avions publié en mars dans le Bolchévik une photo montant les flics grecs attaquant des manifestants devant un centre de rétention non loin d’Athènes. A cette époque l’étoile Syriza brillait encore au firmament de la gauche européenne. Nos camarades en Grèce, comme nous le faisons ici nous-mêmes, s’opposent à toutes les expulsions et exigent les pleins droits de citoyenneté pour tous ceux qui sont parvenus à mettre les pieds sur le territoire.
Vous pouvez vous douter que la gauche grecque, qui s’est retrouvée à la botte de Syriza au début de l’année avec son engagement pro-européen, ne s’est pas distinguée de la gauche française sur cette question. Elle demande, tout comme le NPA ou LO, en long et en large l’ouverture des frontières. Il n’y a pas là de quoi faire froncer les sourcils aux racistes grecs anti-immigrés, vu qu’il s’agit essentiellement d’ouvrir les frontières de la Grèce pour que les réfugiés puissent quitter le pays afin de se diriger vers l’Allemagne. Dans le dernier Bolchévik nous polémiquons contre nos opposants qui unanimement réclament l’ouverture des frontières ; ils propagent ainsi des illusions qu’on pourrait abolir les frontières sous le capitalisme. Mais l’Etat-nation (ou un Etat multinational prison des peuples pour tout le monde sauf la nation dominante) est la règle sous le capitalisme, et cela ne va pas sans flics et gardes-frontières. Les frontières entre Etats ne seront liquidées que sous le socialisme, après une série de révolutions ouvrières.
Le KKE ne se distingue guère du reste de la gauche réformiste sur cette question. Il se prononce en particulier contre les accords de Dublin de reconduite des demandeurs d’asile au pays d’entrée dans l’UE. Ca ne coûte pas cher de se focaliser sur Dublin ; non seulement ces accords sont inapplicables depuis que les réfugiés passent par centaines de milliers par la Grèce, mais l’impérialisme allemand lui-même les a déclarés morts et enterrés. Dublin a été remplacé dans les faits par l’accueil d’une partie des réfugiés en Allemagne et par le renforcement généralisé des barrières aux frontières y compris intra-européennes et, pour la France, à hauteur de Vintimille et de Calais. Ainsi la France, au lieu de renvoyer comme auparavant les immigrés tunisiens en Italie, a tout simplement fermé la frontière avec l’Italie pour ceux qui ont un profil de réfugiés et renforcé le bouclage de la frontière côté Calais. Au moins 20 personnes ont été tuées ces derniers mois près de l’accès au tunnel de la Manche.
Si l’Allemagne a accueilli plus de réfugiés, ce n’est pas parce que le Quatrième Reich est moins raciste que la Cinquième République, mais parce que l’Allemagne a une relative pénurie de main-d’uvre et de jeunes, et qu’elle compte utiliser un nouvel afflux de travailleurs cherchant désespérément de quoi vivre, afin de mener de nouvelles attaques contre l’ensemble de la classe ouvrière et notamment contre la journée de 8 heures. Nos camarades allemands rapportent que dans le journal bourgeois Frankfurter Allgemeine Zeitung on prône de profiter de la levée des barrières à la frontière pour lever des « barrières » comme le salaire minimum et le coût du prêt de main-d’uvre, à un moment où il y a un certain regain de luttes de classe en Allemagne qui ont abouti à quelques augmentations de salaires. Nos camarades en Allemagne exigent, et nous faisons de même ici : « Pour la syndicalisation de tous les travailleurs immigrés ; à travail égal salaire égal ; partage du travail entre toutes les mains sans perte de salaire et avec une réduction drastique du temps de travail ! A bas le prêt de main-d’uvre, les contrats de chantier et la sous-traitance ! »
Pendant ce temps les attaques terroristes nazies se multiplient en Allemagne contre les locaux abritant des réfugiés. Nos camarades appellent à des groupes de défense ouvriers pour protéger ces locaux. Et de même ici les provocations racistes se multiplient contre les immigrés autour de Calais, sur fond de montée du FN qui fait une violente campagne électorale sur le thème « arrêtons l’immigration » ; là aussi le mouvement ouvrier devrait se mobiliser pour défendre les immigrés et faire tâter du pavé à la racaille fasciste.
Se focaliser sur les accords de Dublin, c’est dénoncer la partie pour éviter de se prononcer sur le tout ; c’est se placer dans le cadre social-démocrate d’une Europe plus gentille en demandant que les gens puissent se déplacer et s’installer où ils veulent. Cela revient à enjoliver les accords de Schengen avec le mythe libéral qu’en fait les frontières sont ouvertes entre Etats membres de ces accords et qu’elles doivent le rester ou le redevenir. Les accords de Dublin permettent aux gouvernements de décider où les demandes d’asile vont être prises en considération, c’est-à-dire qui va arrêter les réfugiés et qui va les déporter. Nous ne prenons pas part à ce genre de débat ; nous nous opposons à toutes les expulsions de tous ces pays, quelle que soit la législation utilisée pour les justifier. Nous nous opposons à l’Union européenne dans son ensemble, et non pas simplement à l’un ou l’autre des accords passés entre Etats membres.
Le KKE au contraire demande « la fourniture immédiate de documents de voyage à tous les réfugiés et immigrés qui veulent se rendre dans d’autres Etats membres de l’UE ». En ce sens ils ne sont pas différents du reste de la gauche grecque ou française, y compris dans les illusions qu’ils diffusent pour l’ouverture des frontières des pays impérialistes.
On nous a rétorqué ces dernières semaines quand nous vendions notre journal qu’en attendant, il y a urgence et qu’il faut faire quelque chose pour les réfugiés. Nous ne sommes pas en position de faire grand-chose sauf de lutter contre les illusions dans un impérialisme « humanitaire ». Pour l’impérialisme les réfugiés sont simplement une question de politique de main-d’uvre ou une question de négociations entre puissances sur les avantages réciproques à tirer de telle ou telle décision pour la position internationale du pays.
La lutte de classe continue en Grèce (et ici comme on le voit avec la lutte des Air France). Malgré les trahisons de sa direction, la classe ouvrière grecque continue de lutter contre les attaques des impérialistes et des capitalistes grecs. Nos camarades en Grèce vont intervenir dans les mobilisations ouvrières qui s’annoncent en mettant en avant notamment leur appel à des comités d’action ouvriers pour stopper les attaques de la troïka, une perspective de lutte de classe extraparlementaire.
Evidemment pour les réformistes du KKE ou d’Antarsya ces grèves doivent simplement servir de soupape à la colère ouvrière. Toute leur stratégie politique vise en fin de compte à dévoyer la lutte de classe vers une nouvelle combinaison parlementaire basée sur la collaboration de classes. Pour la « gauche de la gauche », après le PASOK cela a été Syriza, et maintenant l’Unité populaire. Depuis la chute de la junte des colonels il y a quarante ans cette pseudo-gauche a semé les illusions successivement dans diverses formations bourgeoises populistes. Quant au KKE, sa perspective de « pouvoir populaire » renvoie dans le meilleur des cas à sa politique pendant la résistance et la guerre civile. Il y a une continuité fondamentale entre la politique actuelle du KKE et celle qu’il avait suivie dans les années 1940, et qui s’était révélée un piège mortel. Je vous renvoie à notre article sur la guerre civile grecque dans le numéro actuel de Spartacist édition française [n° 42, été 2015].
Notre tâche c’est d’assimiler et transmettre les leçons de la lutte de classe du passé afin que dans les prochaines luttes ici, en Grèce et ailleurs car de nouvelles luttes révolutionnaires auront lieu , se forge un nouveau parti ouvrier révolutionnaire. Un parti imprégné des leçons de la Révolution russe, la seule révolution ouvrière victorieuse de l’histoire. Un parti internationaliste la petite taille même du prolétariat grec montre à quel point la solidarité internationale des travailleurs de toute l’Europe, et tout d’abord en Allemagne, en France et en Grande-Bretagne, est cruciale pour la lutte révolutionnaire en Grèce. Cela exige dès maintenant l’intervention d’un noyau internationaliste d’avant-garde. C’est cela notre tâche. C’est pour tirer les leçons du passé pour les luttes de demain que nous avons publié un grand article sur la guerre civile grecque. C’est dans cette optique que nous vous invitons à lire Spartacist, à vous abonner au Bolchévik, et je l’espère à rejoindre notre combat pour reforger la Quatrième Internationale trotskyste.
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