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Le Bolchévik nº 214

Décembre 2015

Hollande, Valls et Macron, gouvernement des patrons

Levée des inculpations contre les Cinq d’Air France ! Aucun licenciement !

Nous reproduisons ci-dessous un tract de la LTF du 21 octobre, qui a été diffusé notamment lors de la manifestation du 22 octobre devant le parlement en défense des travailleurs d’Air France poursuivis. Sans attendre le procès des Cinq, prévu le 2 décembre, la compagnie a prononcé le 12 novembre le licenciement « pour faute lourde » des Cinq (seul un de ces licenciements n’est pas encore effectif, dans l’attente de l’approbation de l’inspection du travail car il s’agit d’un délégué syndical de la CGT). Les bureaucrates de la CGT avaient juré, promis et craché que pas un avion ne volerait, pas un boulon ne sortirait des ateliers au premier licenciement – bref que « ce sera Spartacus » à Roissy, Marseille-Marignane et ailleurs (déclaration de Miguel Fortea, secrétaire général de la CGT Air France). Loin d’agir en conséquence à l’annonce de la sanction, ils en sont restés à parler d’un rassemblement prévu de longue date une semaine plus tard pour une réunion du comité d’entreprise, le 19 novembre.

Et promptement ils ont tiré parti de la consigne d’« unité nationale » du gouvernement après les attentats du 13 novembre pour annuler même ce rassemblement. L’intersyndicale d’Air France, dans un tract publié le 17 novembre, a déclaré qu’« une pause est nécessaire » et qu’elle partageait les « valeurs » du patron licencieur, Frédéric Gagey, auquel elle adressait une « main tendue ». La CGT a publié le 18 novembre un tract sécuritaire revendiquant à juste titre des embauches et (implicitement) des reprises de sous-traitance, mais aussi demandant encore plus de flics sur les aéroports. Mais devant la détermination des patrons et du gouvernement à casser les syndicats dans le transport aérien, il n’est pas dit que les bureaucrates pourront si facilement préserver la « paix sociale » avec cette pitoyable capitulation. Plus que jamais il faut une mobilisation ouvrière pour stopper le licenciement des Cinq, celui qui menace 13 autres travailleurs et celui des 2 900 qui risquent de suivre, et pour faire lever toutes les inculpations et poursuites judiciaires !

* * *

21 octobre – Le gouvernement n’a pas tardé à se venger de l’humiliation faite le 5 octobre aux dirigeants d’Air France, représentants du capitalisme français, s’enfuyant la chemise déchirée sous les quolibets des travailleurs. Le Premier ministre Manuel Valls a fait procéder à des arrestations d’ouvriers de la maintenance et du fret à six heures du matin chez eux, devant leur famille. Cinq d’entre eux sont inculpés et risquent jusqu’à trois ans de prison, leur procès étant annoncé pour le 2 décembre.

L’ensemble des travailleurs doivent se mobiliser toutes catégories confondues pour exiger la levée des poursuites judiciaires et l’arrêt immédiat des procédures disciplinaires qui visent d’ores et déjà une vingtaine de travailleurs. Si le gouvernement et la direction d’Air France parviennent à faire la peau aux Cinq d’Air France, cela ouvrira directement la voie pour mettre en œuvre les 2 900 suppressions d’emplois et licenciements. Ils chercheront à écrabouiller tous les acquis au nom de la compétitivité de l’entreprise face aux compagnies étrangères et aux compagnies low cost, et ce sera un nouveau précédent pour attaquer les ouvriers dans d’autres secteurs.

Les Cinq d’Air France sont tous employés dans les secteurs industriels de l’entreprise ; ils ont été ciblés moins pour leur participation supposée aux événements du 5 octobre que pour chercher à recréer la division entre travailleurs au sol et personnels navigants, qui s’étaient pour une fois retrouvés tous unis contre la menace de licenciements visant à la fois personnels navigants et personnels au sol. C’est cette unité entre toutes les catégories qui a mis en lumière la puissance formidable des travailleurs ; elle devrait être mobilisée dans une action de grève pour faire manger aux patrons leurs plans « Transform » et « Perform ».

Pendant qu’Emmanuel Macron, ministre du démantèlement des acquis sociaux, traitait les ouvriers de « stupides » (après avoir déjà déclaré « illettrées » les travailleuses des abattoirs bretons), Valls les qualifiait de « voyous », évoquant implicitement l’image raciste du délinquant de banlieue à la peau foncée. Le recours massif aux caméras de surveillance pour identifier les soi-disant coupables montre combien le renforcement de l’Etat-policier au nom de la « guerre contre le terrorisme » sert en réalité à faciliter la répression visant la classe ouvrière.

A bas Vigipirate !

C’est pourquoi nous sommes depuis toujours opposés à la « guerre contre le terrorisme », un prétexte politique pour la chasse aux sorcières raciste contre les musulmans visant à faire accepter des mesures d’Etat-policier contre tout le monde. En 2006 nous avions fermement protesté contre le retrait de leur badge d’accès à l’aéroport de Roissy par la police visant 72 bagagistes, ce qui équivalait à leur licenciement, pour la seule raison qu’ils étaient soupçonnés d’être des musulmans convaincus et donc potentiellement, selon les flics, des « terroristes ». L’arrivée de cette couche de travailleurs d’origine nord et ouest-africaine des banlieues du 9-3 avait contribué au renouvellement de la CGT et autres syndicats – c’était cela la véritable cause de cette hystérie antiterroriste, comme nous l’expliquions dans un article à ce sujet à l’époque (le Bolchévik n° 178, décembre 2006). Nous ajoutions :

« L’obstacle n’est pas le manque de combativité : c’est une question politique, à laquelle les bureaucrates syndicaux ne peuvent pas toucher sérieusement. La lutte pour les sans-papiers est acceptable pour les républicains bourgeois “de gauche” que courtisent les réformistes, car elle est compatible avec les déclarations sur la France “pays des droits de l’homme” et “terre d’asile”. Mais lutter contre l’oppression des travailleurs et des jeunes de banlieue, dont la plupart ont des papiers français, exige de confronter l’oppression raciale, enracinée dans le capitalisme français, contre toute une couche du prolétariat dont les parents ou les grands-parents sont venus du Maghreb et d’Afrique noire. »

Dix ans tout juste après la révolte des banlieues, et quelques mois après la campagne raciste antimusulmans « je suis Charlie », il est plus que jamais nécessaire de mobiliser la classe ouvrière en défense de ses frères et de ses enfants d’origine nord-africaine et africaine. C’est la clé pour l’unité de la classe ouvrière contre les patrons, tout particulièrement sur les aéroports parisiens où la classe ouvrière est multiethnique et multiraciale.

Cette perspective ne peut pas découler spontanément de la lutte économique des travailleurs contre les patrons. Elle exige l’intervention d’un parti ouvrier révolutionnaire se portant à l’avant-garde de la lutte contre toute forme d’oppression visant des couches spécifiques de la population, que ce soit du fait de la couleur de leur peau, de leur origine ethnique supposée, de leur sexe ou orientation sexuelle, etc. Le mouvement ouvrier doit défendre les jeunes des banlieues ! A bas Vigipirate et Sentinelle ! A bas la guerre raciste « contre le terrorisme » ! C’est une divergence de fond que nous avons avec la majeure partie de la gauche, notamment le PCF et Lutte ouvrière. Cette dernière n’a pratiquement jamais prononcé un mot en 25 ans contre Vigipirate !

Il faut lutter contre la discrimination raciale dès l’embauche, pour l’intégration des personnels sous-traitants, intérimaires et autres précaires aux grandes compagnies où existent encore des syndicats. Non pas travailler cent heures de plus gratuitement, mais réduire massivement le temps de travail pour le partager entre toutes les mains, sans perte de salaire ! Cela pose la nécessité de renverser tout le système capitaliste.

Pour l’unité de la classe ouvrière ! Une industrie, un syndicat !

Le transport aérien en France est une branche d’activité où la division des travailleurs par les patrons et leurs agents réformistes a été poussée au paroxysme, en proportion même de la puissance sociale de ces ouvriers. Il n’y a pas seulement la division raciale entre pilotes blancs masculins et ouvriers à la peau foncée, avec les hôtesses et stewards entre les deux. Il y a aussi une division syndicale selon les tendances politiques (SUD, CGT, FO…), une division syndicale par métier (syndicats réservés aux pilotes ou aux hôtesses et stewards, parfois à l’intérieur de la même fédération syndicale comme pour SUD aérien et Alter, « le syndicat pilote »).

Parmi les navigants il y a aussi des personnes menacées pour avoir soi-disant ouvert la porte par où sont entrés les travailleurs d’Air France lors du rassemblement du 5 octobre. S’ils sont épargnés jusqu’à présent par les poursuites, c’est uniquement pour dresser les travailleurs au sol contre les navigants, tout en faisant chanter ces derniers pour qu’ils acceptent de travailler cent heures de plus par an au mépris total de la sécurité des passagers.

Air France, aidée des bureaucrates syndicaux, a développé tout un art pour attiser cette division en essayant de faire croire aux personnels au sol que leurs malheurs seraient dus aux privilèges exorbitants auxquels s’accrocheraient les navigants. De leur côté nombre de navigants pensent qu’ils sont forts parce qu’ils ont leurs propres syndicats catégoriels soudés autour de leurs intérêts spécifiques. En réalité cela prête le flanc à toutes les manœuvres de la direction pour isoler les navigants des autres travailleurs, permettant ainsi qu’ils se fassent battre séparément, au lieu de gagner ensemble.

La lutte contre les menaces de licenciement passe par la lutte pour l’unité de la classe ouvrière au sein d’un seul syndicat industriel regroupant tous les travailleurs d’Air France avec les bagagistes et travailleurs des pistes d’Aéroports de Paris mais aussi avec leurs collègues d’easyJet, de Lufthansa ou de Qatar Airways. Forger un tel syndicat ne peut se faire par des négociations au sommet entre appareils bureaucratiques des différents syndicats, qui vont séparément à la mangeoire que leur tendent les patrons. Il faut une lutte pour chasser tous ces bureaucrates et forger une direction lutte de classe dans les syndicats !

Un syndicat industriel muni d’une telle direction ferait puissamment contrepoids à l’« esprit maison » chez Air France où les travailleurs sont censés se soucier sincèrement de la santé de la compagnie – c’est-à-dire de sa profitabilité pour les actionnaires ! Cela contrerait la propagande reprochant au gouvernement de privilégier les ventes d’Airbus et d’armements aux pays du Golfe, quitte à ouvrir en contrepartie des créneaux supplémentaires pour les compagnies de la péninsule arabique au détriment d’Air France. C’est une espèce de protectionnisme qui affaiblit les travailleurs ici en sapant les possibilités d’actions de solidarité internationale par des travailleurs d’autres pays.

Le transport aérien est par essence une activité internationale. Les véritables alliés des travailleurs, ce n’est pas le drapeau « Air France » mais les pilotes, bagagistes et ouvriers de maintenance d’autres compagnies et d’autres pays. Travailleurs de tous les pays, unissez-vous ! La solidarité des travailleurs d’Air France avec ceux de Lufthansa (dont la dernière grève cette année contre le même genre d’attaques a été tout simplement interdite par les tribunaux capitalistes allemands), ou avec ceux de Qatar Airways (que de Juniac se réjouit de voir emprisonner à la moindre incartade), serait le meilleur des préparatifs pour une grève victorieuse chez Air France.

A bas l’Union européenne ! Pour les Etats-Unis socialistes d’Europe !

Avant Hollande et Valls, c’était un autre gouvernement capitaliste « de gauche », avec un ministre PCF aux Transports (Jean-Claude Gayssot), qui avait entamé la privatisation d’Air France à la fin des années 1990. Si aujourd’hui le gouvernement laisse pénétrer la concurrence en France, ce n’est pas parce qu’il s’aligne sur les ordres de Berlin mais parce qu’au nom des « directives de Bruxelles » les patrons cherchent à accroître la pression d’ensemble sur tous les travailleurs ici même. Ils veulent étendre à tous le régime antisyndical des compagnies low cost (projet Transavia d’Air France) et ainsi augmenter le taux de profit capitaliste.

L’Union européenne (UE) est une alliance instable de puissances impérialistes (dont la France derrière l’Allemagne) et de pays plus faibles ; cette alliance est tournée contre leurs propres classes ouvrières nationales, contre les Etats-Unis et le Japon et contre les immigrés qui essaient de pénétrer dans la « forteresse Europe ». Nous sommes depuis toujours opposés à l’Union européenne, sur une base internationaliste. Le soutien des LO, PCF et NPA à l’UE et à l’euro ne fait que refléter la position actuelle de leur propre bourgeoisie pour l’UE et il offre un boulevard aux fascistes du FN ; ceux-ci accroissent leur influence parmi les secteurs les plus arriérés de la classe ouvrière en se présentant comme le seul grand parti s’opposant à la monnaie unique qui étouffe les économies européennes. A bas l’UE capitaliste et son instrument financier l’euro ! Pour les Etats-Unis socialistes d’Europe !

De nos jours les aéroports sont des zones militarisées à l’extrême. Toute lutte de classe sérieuse se heurte immédiatement aux bandes armées du gouvernement capitaliste. En 1993 les travailleurs d’Air France avaient défié la loi et l’ordre du gouvernement Mitterrand-Balladur (le père spirituel de Sarkozy) et ils avaient gagné sur le champ de bataille en occupant les pistes. Peut-être que quelques briseurs de grève y avaient aussi laissé leur chemise. Mais la victoire ouvrière avait été trahie par les bureaucrates syndicaux qui avaient ensuite tout livré aux patrons à la table de négociation.

L’irrationalité profonde du système capitaliste est particulièrement criante dans le transport aérien. Pour en finir avec la concurrence capitaliste et la loi du profit, il faut rien moins qu’une révolution socialiste pour établir un gouvernement ouvrier qui renversera le système capitaliste tout entier et expropriera la bourgeoisie. L’extension de la révolution à toute l’Europe permettra une reconstruction socialiste de la société basée sur une planification internationale rationnelle de la production selon les besoins, y compris de transports.

La classe ouvrière ne peut l’emporter de façon décisive contre les capitalistes avec leurs flics et juges, leurs propagandistes médiatiques et leurs agents à l’intérieur même du mouvement ouvrier, que si elle se dote d’un parti ouvrier révolutionnaire. La Révolution russe d’octobre 1917, où pour la première fois les ouvriers ont victorieusement conquis le pouvoir, a tracé la voie. Selon le modèle du Parti bolchévique de Lénine et Trotsky, nous luttons pour construire la section française d’une Quatrième Internationale reforgée, le parti de la révolution socialiste mondiale.

 

Le Bolchévik nº 214

Le Bolchévik nº 214

Décembre 2015

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