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Le Bolchévik nº 214

Décembre 2015

La Chine n’est pas capitaliste

La Chine et l’économie mondiale : le mythe et la réalité

Nous reproduisons ci-dessous le texte, revu et corrigé pour publication, d’un exposé présenté en septembre dernier à New York par Bruce André, membre du comité de rédaction de Workers Vanguard, journal de la Spartacist League/U.S. Dans son exposé, notre camarade démonte quelques-uns des mythes les plus répandus dans la presse au sujet de l’économie chinoise et il explique un certain nombre d’événements survenus récemment dans ce domaine.

Pour comprendre l’économie chinoise, il faut partir du fait que, contrairement aux allégations de la plupart des commentateurs bourgeois ou prétendument socialistes, la Chine n’est pas un pays capitaliste. La Révolution de 1949 a mis fin au pouvoir de la bourgeoisie et des propriétaires terriens chinois, et elle a libéré le pays de l’esclavage impérialiste. Par la suite, la création d’une économie collectivisée et planifiée a jeté les bases d’un développement industriel accéléré, avec d’immenses acquis pour les masses ouvrières et paysannes qui, jusque-là, vivaient dans la misère. La Révolution chinoise a été menée par l’Armée populaire de libération de Mao Zedong, basée sur la paysannerie ; elle a créé un Etat ouvrier, mais celui-ci était dès sa naissance déformé, du fait qu’il avait à sa tête la bureaucratie parasite du Parti communiste chinois (PCC). Malgré une percée considérable du capitalisme au sein de l’économie, la Chine demeure un Etat ouvrier ; le noyau dur de son économie reste collectivisé – notamment les banques et les grandes industries, qui sont nationalisées. Une petite classe capitaliste a bien fait son apparition en Chine continentale, mais elle ne détient pas le pouvoir d’Etat.

Les impérialistes, qui avaient « perdu la Chine » en 1949, sont déterminés à la reprendre, afin de pouvoir à nouveau exploiter à volonté les masses chinoises. On peut le voir avec les agressions militaires américaines croissantes contre la Chine, qui se concentrent en ce moment en mer de Chine du Sud. La dernière en date de ces provocations a été l’annonce par les Etats-Unis d’exercices navals pendant deux semaines début novembre « à l’intérieur de la zone des 12 miles nautiques que la Chine revendique comme la limite de ses eaux territoriales autour de plusieurs des îles qu’elle a construites dans l’archipel des Spratly » (Financial Times, 8 octobre). Cette agressivité militaire s’accompagne de pressions économiques. Le projet de Partenariat transpacifique (PTP) porté par l’administration Obama consiste à créer un bloc contre la Chine dominé par l’impérialisme américain et japonais, incluant neuf autres pays capitalistes ainsi que le Vietnam, un Etat ouvrier déformé.

La Ligue communiste internationale s’oppose au PTP ainsi qu’aux manœuvres militaires américaines : nous sommes pour la défense militaire inconditionnelle de la Chine contre les impérialistes et les autres Etats capitalistes, et contre la contre-révolution intérieure. En même temps, nous ne donnons aucun soutien politique au régime du PCC, que le prolétariat chinois doit balayer par une révolution politique qui créera un régime de démocratie ouvrière ayant pour programme la révolution socialiste mondiale.

Depuis l’époque de Mao jusqu’à aujourd’hui, la politique du PCC a été l’expression du dogme nationaliste stalinien que le socialisme – une société d’abondance matérielle marquée par la disparition des classes – peut être construit dans un seul pays, et même dans un pays aussi historiquement arriéré que la Chine. Ce programme est en totale contradiction avec le programme marxiste de révolution prolétarienne mondiale – la condition préalable à la création d’une économie internationalement planifiée qui éliminera la pénurie en s’appuyant sur les technologies les plus avancées. Or celles-ci sont actuellement concentrées dans les pays capitalistes avancés. Sous Mao, l’économie planifiée était massivement déformée par le régime de la bureaucratie, qui avait érigé l’autarcie économique en vertu. Pour corriger les déséquilibres engendrés par l’incurie bureaucratique et pour favoriser la modernisation et la croissance, les équipes dirigeantes qui se sont succédé depuis 35 ans ont introduit des réformes de marché, assoupli le contrôle étatique sur la production et le commerce. Les investissements capitalistes ont aussi été encouragés dans certaines régions.

Cette expérience est loin d’être particulière à la Chine. Dans notre série d’articles « Le socialisme de marché en Europe de l’Est » (voir le Bolchévik n° 87 à 89, octobre à décembre 1988), nous analysions les effets de mesures de ce type dans plusieurs Etats ouvriers déformés d’Europe de l’Est avant leur destruction par la contre-révolution capitaliste. Nous faisions remarquer que, dans le cadre du stalinisme, il y a « une tendance inhérente à remplacer la planification et la gestion centralisées par des mécanismes de marché. Puisque les gestionnaires et les ouvriers ne peuvent pas être soumis à la discipline de la démocratie des soviets (conseils ouvriers), la bureaucratie considère de plus en plus que la seule réponse à l’inefficacité économique est de soumettre les acteurs économiques à la discipline de la concurrence. » Nous renvoyons également nos lecteurs à notre article « Les “réformes de marché” en Chine » (le Bolchévik n° 177, septembre 2006).

* * *

L’été a été agité sur les marchés financiers ; certains ont beaucoup perdu, notamment des banques, des fonds spéculatifs et autres grands investisseurs capitalistes. Cela a donné lieu une nouvelle fois dans la presse bourgeoise à une pluie d’articles qui cherchaient à expliquer les problèmes de l’économie mondiale en invoquant la prétendue imminence d’une crise en Chine.

Le 24 août, après une série de fortes baisses à la Bourse de New York, l’indice Dow Jones des valeurs industrielles a dégringolé de près de 600 points. Il se trouve que cela faisait suite à une série de ventes massives à la Bourse de Shanghai. La presse financière américaine a commencé à s’alarmer d’un « krach » supposé en Chine. Le Comité pour une Internationale ouvrière taaffiste [représenté par la Gauche révolutionnaire en France], qui prétend que le capitalisme a été restauré en Chine, évoquait de son côté la crainte de « récessions mondiale [sic] menée par la Chine » (« Economie mondiale : La crise chinoise crée la panique sur les marchés mondiaux », www.socialisme.be, article initialement publié le 25 août).

Bon, pour commencer, les ventes massives à Wall Street n’avaient fondamentalement rien à voir avec la Chine. C’était un exemple classique de bulle financière qui se dégonfle (jusqu’à un certain point). Depuis 2009 et jusqu’à l’année dernière, la Réserve fédérale a fait tourner la planche à billets à concurrence de 3 500 milliards de dollars, mis gratuitement à la disposition des banques et autres institutions financières. Celles-ci ont à leur tour investi en achetant des actions et d’autres actifs à risque aux Etats-Unis et ailleurs dans le monde, stimulant ainsi artificiellement l’économie mondiale. Beaucoup de ces bulles financières (sur les minerais et autres matières premières, les actions et obligations dans les pays du tiers-monde, etc.) sont en train de se dégonfler. Si le coup d’épingle qui a provoqué un dégonflage partiel de la bulle boursière américaine provient d’une chute de la Bourse de Shanghai, c’est un pur hasard, sans aucune signification économique sous-jacente. La piqûre d’épingle aurait tout aussi bien pu venir de rumeurs sur la politique de la Fed, ou d’à peu près n’importe quoi d’autre.

Deuxièmement, l’état de la Bourse de Shanghai ne dit rien sur l’état de l’économie chinoise dans son ensemble. Contrairement à la Bourse des Etats-Unis et autres puissances capitalistes, les fluctuations de la Bourse chinoise n’ont pratiquement aucun impact sur les décisions d’investissement dans ce pays. Seuls 5 % des financements du secteur privé chinois proviennent de la Bourse – sans parler du secteur étatisé qui est dominant ! Si les actions de la Bourse de New York perdaient 40 % de leur valeur en deux mois, comme cela s’est produit cet été à la Bourse chinoise, nous serions en présence d’une récession mondiale.

L’effondrement de la Bourse de Shanghai a été à n’en pas douter un coup dur politique pour le régime de Pékin, qui depuis plusieurs années encourageait la classe moyenne chinoise à arrondir ses fins de mois en investissant dans des actions, tout en prêchant que la Bourse était amenée à jouer un « rôle décisif » dans l’affectation des ressources. Cet engagement politique des bureaucrates de Pékin explique sans doute pourquoi depuis le début du krach, au moins de juin, ils ont déboursé la somme incroyable de 236 milliards de dollars, prélevés sur les précieuses réserves de devises du pays, pour essayer de soutenir les cours boursiers.

Troisièmement, même si l’effondrement de la Bourse de Shanghai reflétait une crise économique croissante en Chine, ce qui n’est pas le cas, cela ne ferait pas planer la menace d’une crise économique aux Etats-Unis. Les Etats-Unis ont un immense marché intérieur, qui représente environ 70 % du PIB. Les exportations américaines vers la Chine représentent seulement 1 % du PIB américain.

Le yuan et vous

Pendant ce temps, Pékin a dévalué le yuan à la mi-août en laissant le cours de sa devise baisser de 4,4 % en une seule semaine. La presse financière américaine a interprété cela comme un signe supplémentaire que l’économie chinoise entrait soi-disant dans une crise profonde. Cette dévaluation était présentée comme une réaction de panique de la part de Pékin, qui aurait cherché à enrayer un ralentissement économique en stimulant les exportations. (Une baisse du cours du yuan rend les exportations chinoises moins chères sur les marchés internationaux.) L’économiste indien Prabhat Patnaik argumente dans un article de la revue Monthly Review (« La dévaluation du yuan », 27 août) que « la dévaluation de la monnaie chinoise laisse présager une grave accentuation de la crise capitaliste mondiale ». Patnaik prédit une guerre monétaire où la Chine essaiera désespérément de rester à flot en augmentant ses exportations aux dépens de ses concurrents internationaux.

Il faut replacer cette dévaluation dans son contexte. En 2005, sous de fortes pressions américaines, la Chine avait de facto fixé le cours du yuan par rapport au dollar. Cela a eu pour effet une réévaluation continue du yuan pendant dix ans ; on peut parier que ce n’était pas exactement l’effet attendu par les responsables chinois. Quand la Réserve fédérale américaine a commencé, suite à la crise financière, à faire tourner frénétiquement la planche à billets, cela aurait logiquement dû conduire à un affaiblissement du dollar. Mais la stagnation économique au Japon et en Europe, sans parler de la crise sans fin de la dette grecque, a fini par faire apparaître le dollar comme une valeur refuge pour les capitalistes financiers du monde entier. Les capitaux ont afflué aux Etats-Unis, poussant à la hausse le dollar – ainsi que le yuan qui était fixé à lui. Cette hausse a nui aux exportations chinoises, car il devenait plus coûteux d’acheter des marchandises produites en Chine et dont le prix est libellé en yuans. C’était particulièrement vrai pour les importateurs européens et japonais, car l’euro et le yen se dépréciaient.

La meilleure manière d’évaluer l’impact économique sur la Chine est d’examiner l’évolution depuis dix ans du taux de change du yuan pondéré par le commerce extérieur. C’est le taux de change du yuan par rapport non seulement au dollar mais à un panier de devises où sont représentés les principaux partenaires de la Chine à hauteur de leur poids dans son commerce extérieur. Dans un article publié le 15 août dans The Economist, on trouve un graphique montrant qu’entre 2005 et la mi-2015 le taux de change pondéré du yuan a augmenté de rien moins que 50 %. Autrement dit, si l’on ne fait que prendre l’effet de la hausse du yuan sur cette période, cela a eu pour effet de renchérir en moyenne de 50 % les produits chinois sur le marché mondial.

Dans ce contexte, la dépréciation du yuan en août n’était pas exactement un bouleversement majeur. En fait, The Economist se demande s’il est même approprié de parler de dévaluation, faisant remarquer que la Banque populaire de Chine (la banque centrale) est initialement restée les bras croisés : elle a laissé le marché jouer un rôle plus grand pour déterminer le taux de change du yuan ; puis elle a rapidement fait machine arrière et dépensé plusieurs dizaines de milliards de dollars puisés dans les réserves de devises du pays pour soutenir le yuan et l’empêcher de baisser davantage. Comme l’explique The Economist : « La dévaluation initiale de 2 % ne faisait que compenser l’appréciation du yuan au cours des dix jours précédents, en termes de taux de change pondéré par le commerce extérieur. Le yuan est toujours 10 % au-dessus de son cours d’il y a un an par rapport aux devises des principaux partenaires commerciaux de la Chine. »

L’une des contraintes qui pèsent sur la Banque populaire de Chine, c’est qu’une dévaluation plus importante opérée d’un seul coup provoquerait des actions similaires de la part d’autres pays, ce qui neutraliserait l’effet de la dévaluation comme stimulant pour les exportations. Et si tout le monde était convaincu que le yuan allait connaître une série de dévaluations, cela accélérerait une fuite hors de Chine des capitaux qui est déjà préoccupante.

Tout ceci ne veut pas dire que la dépréciation du yuan, aussi limitée soit-elle, n’aura pas d’impact sur le commerce mondial. A la mi-2015, les exportations chinoises étaient en baisse de 8,3 % sur 12 mois, certainement du fait du ralentissement économique dans la plus grande partie du monde capitaliste. On peut s’attendre à ce que la dévaluation du yuan stimule un peu les exportations chinoises. En même temps, un certain nombre de pays asiatiques qui exportent beaucoup vers la Chine seront pénalisés dans des proportions variables – Taïwan, la Malaisie et la Corée du Sud exportent plus de 5 % de leur PIB vers la Chine.

En Europe, la dévaluation du yuan a fait chuter le cours en Bourse de certaines entreprises qui vendent leurs produits en Chine, car les investisseurs craignent qu’elles se mettent à perdre de l’argent. Mais le premier moment de panique passé, il n’est pas du tout évident que dans l’ensemble les entreprises européennes en souffriront beaucoup. La Chine est le plus gros marché pour les producteurs automobiles allemands, mais il s’avère que ces entreprises se sont largement couvertes contre ce genre de fluctuations monétaires. Et une proportion significative des automobiles qu’elles vendent en Chine sont produites sur place, ce qui atténue l’impact des fluctuations de taux de change. Le Wall Street Journal du 11 août citait avec approbation un analyste financier en vue qui affirme que l’impact global de la dévaluation sur l’industrie automobile allemande serait « dans les faits nul ».

Quelle crise ?

Ceci étant dit, l’affirmation maintes fois répétée que Pékin a dévalué le yuan afin de désamorcer une crise croissante en Chine n’a manifestement aucune base factuelle. Comme l’expliquait l’économiste Nicholas Lardy dans un éditorial du New York Times (26 août), parler de crise en Chine c’est « tirer la sonnette d’alarme pour rien ». Pratiquement tout le monde s’accorde à dire que le taux de croissance de l’économie chinoise tourne autour de 7 % par an, un niveau qu’aujourd’hui aucun pays capitaliste avancé ne peut même espérer atteindre. Certes, le taux de croissance phénoménal de la Chine est un peu moins élevé comparé à celui des dernières années (9,7 % en 2013 et 8,3 % en 2014). Mais il faut garder en tête que ces chiffres représentent la croissance de la Chine d’une année sur l’autre. Entre 2007 et 2013, la Chine a triplé sa production de biens et services. En 2014, la croissance chinoise représentait près de 40 % de toute la croissance économique mondiale. Autrement dit, une croissance de 7 % cette année représente une augmentation de production totale bien plus grande que les 14 % de croissance de 2007.

De plus, le tassement du taux de croissance n’est guère étonnant. Des taux d’investissements impressionnants décidés par l’Etat ont permis à l’économie chinoise de continuer son développement alors même que le monde capitaliste subissait les effets de la crise financière mondiale de 2008-2009. Ce gigantesque effort d’investissements dans le logement, les transports et autres immobilisations a représenté semble-t-il jusqu’à la moitié du PIB chinois, un niveau extraordinaire. En tout juste deux ans, de 2011 à 2012, la Chine a construit environ 3,8 milliards de mètres carrés de logements, assez pour loger confortablement plus de 100 millions de personnes. (Les taaffistes joignent leur voix à celle d’économistes néolibéraux, qui sont très à droite de néo-keynésiens comme Paul Krugman, pour fustiger le déficit budgétaire de Pékin. Leur article du 25 août ne répond pas à cette question évidente : comment se fait-il que la Chine « capitaliste » ait été la seule à progresser énormément pendant la crise financière mondiale ?)

On peut ajouter que la dévaluation du yuan arrive à un moment où Pékin met en place la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, et s’est déjà engagé à investir des centaines de milliards de dollars pour construire la « Nouvelle route de la soie » vers l’Europe à travers l’Asie centrale ainsi que des routes maritimes vers le sous-continent indien et l’Afrique. Tout ceci, ajouté à la multiplication des investissements chinois en Afrique et en Amérique du Sud, témoigne de l’extension internationale de l’empreinte économique et financière de la Chine, pas d’une crise économique en Chine.

Ceux qui proclament l’imminence d’une crise économique en Chine montrent du doigt les bulles spéculatives évidentes qui se sont développées dans ce pays, notamment sur le marché immobilier. Etant donné que le gouvernement dispose de plus de 3 000 milliards de dollars de réserves financières, un effondrement du système bancaire chinois est peu probable. Des articles récents expliquent que les programmes de stimulation économique de l’Etat ont abouti à un excédent de capacité de production industrielle, par exemple dans les cimenteries. Une économie planifiée sous la direction de conseils d’ouvriers et de paysans minimiserait ce genre de déséquilibres. En cas de capacités de production inutilisées, les ouvriers des industries nationalisées pourraient alors recevoir une nouvelle formation et être employés dans d’autres industries. De toute évidence, les entreprises privées ne peuvent et ne veulent pas faire cela.

Quelques perspectives et questions

Donc, que pouvons-nous dire sur l’état de l’économie chinoise ? Derrière les statistiques économiques, ce qui nous importe particulièrement c’est le potentiel d’une révolte ouvrière et d’une fracture politique au sein du régime du Parti communiste.

La première question est la suivante : avec le ralentissement relatif de la croissance économique exponentielle chinoise, y aura-t-il assez d’emplois pour empêcher un chômage de masse ? Regardons d’abord la répartition actuelle de la main-d’œuvre chinoise entre les principaux secteurs de l’économie. Il y a eu une forte diminution de la proportion de la population active employée dans l’agriculture, qui est passée de 47 % en 2004 à moins de 30 % dix ans plus tard. Cette diminution s’est accompagnée d’une augmentation jusqu’à 2011 environ de la part de la main-d’œuvre industrielle, qui s’est alors stabilisée autour de 30 %. Pendant cette même période, il y a eu une augmentation constante dans le secteur des services, qui est passé d’environ 30 % en 2004 à plus de 40 % en 2014.

Il faut noter un fait important au sujet de ces emplois dans le secteur des services : la productivité de la plus grande partie d’entre eux n’est probablement pas très élevée. En supposant que le secteur des services continue à croître, on peut imaginer que cela constituera un mécanisme efficace pour absorber les travailleurs quittant le secteur agricole, tout en contribuant à limiter le chômage. La condition préalable pour cela, c’est que le revenu individuel des consommateurs chinois soit suffisamment élevé pour soutenir l’expansion du secteur des services. Il semble que les choses aillent dans cette direction. La consommation individuelle semble être en bonne voie pour remplacer les investissements dans les infrastructures comme moteur principal de la croissance économique. En 2014, la consommation individuelle a représenté 51 % du PIB, en hausse de 3 points par rapport à 2013. Les ventes de voitures et d’appareils électroménagers, ainsi que l’ensemble des ventes au détail, ont augmenté. Dans la première moitié de cette année, la consommation individuelle a représenté 60 % de la croissance économique du pays.

Plus d’un tiers de la population active chinoise est constituée de travailleurs migrants venus des régions rurales ; ils représentent probablement la couche la moins bien payée des ouvriers de l’industrie. Pendant les années 1980 et 1990, les salaires réels des ouvriers chinois avaient très peu augmenté, malgré d’énormes gains de productivité – le simple transfert d’un travailleur d’une ferme dans un coin reculé de la campagne vers une usine en ville représente un énorme gain de productivité. Après 2009, les salaires des travailleurs migrants ont connu une augmentation spectaculaire – ils ont presque doublé en cinq ans. Cet accroissement du coût de la main-d’œuvre est un des principaux facteurs du ralentissement de la croissance tirée par les exportations de la Chine.

La question que tout cela pose à mon avis est la suivante : que va-t-il arriver quand le réservoir de travailleurs migrants commencera à se tarir ? Autant que je puisse dire, ce jour n’est pas nécessairement très éloigné. La tranche de la population chinoise âgée de 15 à 24 ans est passée de 250 millions de personnes en 1990 à environ 200 millions en 2015. C’est en partie l’effet de la politique de l’enfant unique décrétée par le régime. En 2014, le nombre de travailleurs migrants âgés de 16 à 20 ans était inférieur de 14,5 millions à celui de 2008, une chute de 60 %.

La population chinoise en âge de travailler, entre 16 et 60 ans, est actuellement d’environ 916 millions de personnes. Ce nombre est en diminution depuis trois ans, à un rythme qui s’accélère. En février 2015, le nombre total de travailleurs migrants quittant les zones rurales pour chercher du travail en ville a diminué de 3,6 % par rapport à l’année précédente. C’est la première fois qu’on enregistre une diminution du flot de travailleurs migrants. Pour le moment, le déclin du nombre de jeunes travailleurs migrants est compensé par une augmentation du taux d’activité des seniors. Entre 2008 et 2014, la proportion des travailleurs migrants de plus de 50 ans est passée de 11,4 % à 17,1 %. Entre 2013 et 2014, le nombre de travailleurs migrants de plus de 50 ans s’est accru d’environ 14,6 %, la plus forte augmentation en trois ans.

A mesure que le flot de travailleurs migrants venus des zones rurales commence à se tarir, le développement économique va dépendre de plus en plus fortement de l’augmentation de la productivité. Tout comme pour ce qui est d’améliorer la qualité des biens industriels, la bureaucratie est par nature mal préparée pour améliorer l’efficacité et l’innovation. Ce point a été expliqué par Léon Trotsky, par rapport à l’Union soviétique, dans la Révolution trahie (1936).

Traduit de Workers Vanguard n° 1076, 16 octobre 2015

 

Le Bolchévik nº 214

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