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Le Bolchévik nº 210 |
Décembre 2014 |
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Prisonnier politique en France depuis trente ans
Libération immédiate de Georges Ibrahim Abdallah !
Cela fait trente ans depuis le mois d’octobre que Georges Ibrahim Abdallah est en prison. Ce combattant libanais pour les droits des Palestiniens, et opposant déterminé de l’impérialisme, est aujourd’hui le prisonnier politique le plus ancien en France et à notre connaissance en Europe. Il n’aurait jamais dû passer un seul jour derrière les barreaux, et nous exigeons sa libération immédiate. Nous écrivions à l’époque de son procès en 1987, lorsqu’il avait été condamné à la prison à vie, soi-disant pour complicité dans le meurtre à Paris en 1982 d’un représentant américain de haut rang (et agent de la CIA) ainsi que du chef des services de renseignements israéliens en France (le Mossad) :
« Abdallah a été condamné sur la base d’un dossier vide [
]. Toute l’“affaire Abdallah”, d’un bout à l’autre, n’a été qu’une vaste manipulation où les manuvres secrètes de la diplomatie française au Proche-Orient se mêlent aux “coups tordus” et aux campagnes de désinformation des différents services secrets français. C’est là le fonctionnement de la “démocratie”. »
le Bolchévik n° 72, avril 1987
Georges Ibrahim Abdallah a été arrêté en octobre 1984 à Lyon. Le contexte précédant son arrestation avait été marqué par l’invasion et l’occupation par Israël du Liban en 1982, soutenues par les impérialistes américains et français ; 20 000 Palestiniens et Libanais avaient alors été tués par l’Etat sioniste. La même année, 2 000 Palestiniens avaient été massacrés dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila, au Liban, par des phalangistes chrétiens organisés par l’armée israélienne. C’étaient les forces de « maintien de la paix » américaines, françaises et italiennes au Liban qui avaient désarmé les combattants de l’Organisation de libération de la Palestine et ainsi préparé le massacre. Lors de son procès de 1986, Abdallah avait déclaré : « L’itinéraire que j’ai suivi a été commandé par les atteintes aux droits de l’homme perpétrées contre la Palestine. »
La barbouzerie au Palais de Justice
Jacques Attali, qui était alors conseiller de Mitterrand, a écrit au sujet de l’arrestation d’Abdallah dans ses mémoires en mars 1985 (Verbatim, tome I) : « Faute de preuves, il n’est inculpé que de faux et usage de faux. Il dispose d’un “vrai-faux” passeport algérien » et ceci en dépit du fait que l’avocat d’Abdallah, Jean-Paul Mazurier, était de son propre aveu à la solde des services secrets à partir d’août 1984 ; Mazurier donnait des informations sur les activités d’Abdallah et de son groupe, les FARL (Fractions armées révolutionnaires libanaises).
Les services secrets français déclarèrent soudainement avoir trouvé des « preuves » début avril 1985, juste au moment où l’Etat français s’apprêtait à relâcher Abdallah dans le cadre d’un échange d’otages. Il s’agissait d’un arsenal comprenant le pistolet avec lequel avaient prétendument été tués les agents secrets américain et israélien ; ces armes avaient été trouvées dans un appartement parisien loué au nom d’Abdallah. Cette « découverte » fort opportune des flics parisiens avait lieu deux ans seulement après le scandale des « Irlandais de Vincennes », où l’Etat avait déclaré avoir trouvé des armes utilisées dans des meurtres, ainsi que d’autres preuves incriminant trois citoyens irlandais dans un attentat à la bombe antisémite visant un restaurant juif parisien. Mitterrand et compagnie avaient salué la trouvaille de l’appartement de Vincennes comme une victoire contre le « terrorisme international » - mais il s’avéra très vite que les « preuves » avaient été déposées dans cet appartement par les flics venus perquisitionner. Les flics mentirent ensuite au tribunal, avec le soutien de responsables haut placés à l’Elysée.
Lors de son premier procès, en juillet 1986, Abdallah fut condamné à quatre ans de prison pour usage de documents administratifs falsifiés, association de malfaiteurs et infractions à la législation sur les armes. Mais cette condamnation fut jugée trop clémente par les gouvernements français, américain et israélien, qui criaient vengeance pour les meurtres visant la CIA et le Mossad en 1982. Abdallah fut rejugé en 1987 ; il était maintenant accusé de complicité dans ces meurtres, ainsi que de tentative de meurtre sur le consul américain à Strasbourg en 1984. Le gouvernement américain se porta partie civile pour renforcer l’accusation.
La découverte de l’arme présentée comme celle du meurtre ainsi que d’une carte annotée de la main d’Abdallah indiquant l’adresse du consul américain de Strasbourg constituait la seule « preuve ». Tous ces éléments étaient connus lors du procès de 1986, mais ils ne furent présentés rétroactivement qu’en 1987 afin de condamner Abdallah à la prison à vie. Comme son équipe d’avocats (qui comprit dans un deuxième temps le peu recommandable Jacques Vergès, défenseur du tortionnaire nazi Klaus Barbie) le fit remarquer à l’époque, leur client était devenu la victime d’un complot international d’espionnage.
La chasse aux sorcières de l’Etat contre Abdallah prit son essor en 1987, dans le contexte d’une vague terroriste qui ensanglanta Paris juste avant le deuxième procès. Pendant un an et demi, des attentats à la bombe visèrent de façon indiscriminée des zones commerciales et des cafés, faisant au total 13 morts et près de 300 blessés. Nous avons alors condamné ces attaques criminelles et indéfendables. Elles fournissaient au pouvoir capitaliste un nouveau prétexte pour attiser l’hystérie antiterroriste et pour accroître les pouvoirs répressifs de l’Etat. Néanmoins l’exécution d’un agent de la CIA ou d’un chef du Mossad, comme celles revendiquées par les FARL, ne sont pas des crimes du point de vue de la classe ouvrière. Ce sont plutôt des actes futiles qui invitent la répression et qui sont contraires à la stratégie pour mobiliser les masses, dans les pays opprimés et dans les centres impérialistes, dans la perspective d’une révolution ouvrière. Mais lorsque les opprimés s’en prennent à la bourgeoisie et à son Etat, nous les défendons contre la répression capitaliste.
Quelques mois avant le deuxième procès d’Abdallah se produisit l’attentat de la rue de Rennes, qui tua sept personnes, le plus meurtrier de toute cette série d’attentats indiscriminés à Paris. Ils furent revendiqués par un « Comité de solidarité avec les prisonniers politiques arabes et du Proche-Orient » (CSPPA) qui exigeait la libération d’Abdallah et d’autres prisonniers politiques. Les services secrets français estimèrent plus tard que le CSPPA était lié au Hezbollah libanais et à l’Iran, et qu’il cherchait à stopper les livraisons d’armes françaises à l’Irak, alors en guerre avec l’Iran ; mais à l’époque l’Etat et les médias établirent un lien entre les attentats terroristes de Paris et Abdallah. Il fut décrit comme le cerveau de ces attentats, alors qu’il était en prison pendant toute cette période. Charles Pasqua, ministre des flics, décida d’imprimer 200 000 affiches désignant les frères d’Abdallah comme suspects. On prétendit ensuite que ces derniers avaient été identifiés rue de Rennes le jour de l’attentat. Le directeur de la police de l’époque, Robert Pandraud, déclara dans les années 1990 : « Nous savions que pour des Français, qui pensaient avoir reconnu des frères Abdallah sur les lieux des attentats, tous les barbus proche-orientaux se ressemblent. Nos contacts, notamment algériens, nous assurent que le clan Abdallah n’est pour rien dans ces attentats. En réalité, nous n’avions aucune piste. »
Georges Ibrahim Abdallah fut condamné à la prison à vie par une « cour d’assises spéciale » en février 1987. Il n’y avait pas de jury, mais seulement des magistrats sélectionnés pour cette tâche. Nous faisions remarquer à l’époque que cette cour d’assises spéciale rappelait les « sections spéciales » mises en place par Vichy en 1941 pour « réprimer l’activité communiste anarchiste ». C’est le gouvernement « de gauche » de Mitterrand qui avait créé ces « cours d’assises spéciales » pour juger les affaires d’espionnage et de trahison, et Chirac avait ensuite élargi leur compétence à la lutte contre le « terrorisme ». Abdallah refusa de prendre part à la mascarade judiciaire et fit seulement une déclaration à la fin du procès :
« Non, Messieurs, votre Cour est loin d’être apolitique [
]. Avec quelle sérénité et quelle indépendance prétendez-vous juger des actes de guerre en les isolant du processus général de l’agression impérialiste perpétrée contre notre peuple ? Dans quelle mesure, vous, représentants de l’impérialisme français, n’êtes-vous pas impliqués dans cette guerre ? De quel cynisme doit être doté le représentant du criminel Reagan pour se présenter en victime et partie civile à Paris au moment où l’US Navy prépare l’assaut de Beyrouth et autres cités arabes ? »
Vendetta impérialiste pour garder Abdallah derrière les barreaux
Abdallah est libérable depuis quinze ans. Ses demandes de mise en liberté ont toutes été rejetées par l’Etat français, qui a allégué qu’Abdallah refusait d’afficher du remords pour le meurtre des agents de la CIA et du Mossad meurtres dont il a toujours nié être directement responsable. Les juges se sont prononcés pour sa libération conditionnelle à deux reprises, en 2003 et en 2012, mais à chaque fois les hautes instances de l’exécutif ont bloqué sa libération.
La décision de 2012 posait comme condition qu’Abdallah soit expulsé au Liban, son pays d’origine. Alors même que le gouvernement libanais a donné son accord pour l’accueillir, Valls a refusé de l’extrader, et le 5 novembre dernier le tribunal d’application des peines de Paris a rejeté (après de multiples retards et irrégularités) la neuvième demande de mise en liberté d’Abdallah. Son avocat, Maître Chalanset, a déclaré : « Le pouvoir exécutif empiète sur la justice, qui a estimé qu’il pouvait bénéficier d’une libération conditionnelle s’il était expulsé. » Pour lui, « une nouvelle fois, les Etats-Unis ont imposé au gouvernement français leur volonté de se venger ».
L’Etat américain fait ouvertement campagne depuis 1986 pour maintenir Abdallah derrière les barreaux. Un document secret datant de 2007, émanant de l’ambassade américaine et à destination de la CIA et autres agences, a été révélé par Wikileaks ; dans ce document, intitulé « Le terroriste Abdallah à l’hôpital ; il y a de bonnes chances que son incarcération se poursuive », on pouvait lire ceci:
« L’ambassadeur [américain] Stapleton a reçu le 2 avril une lettre de Jean-Marie Beney, directeur de cabinet du Garde des Sceaux, qui nous a fait savoir que le Procureur général du gouvernement français a reçu pour instruction de s’opposer catégoriquement à la demande de libération conditionnelle d’Abdallah. L’ambassadeur a répondu par écrit le 26 avril pour exprimer sa gratitude et il a demandé au ministre de la Justice d’alerter son successeur sur l’importance de cette affaire. »
Quant au rôle du gouvernement français, voici ce qu’en disait le même document :
« Indépendamment de cela, la DST (Direction de la surveillance du territoire) du gouvernement français nous a dit qu’elle avait fait les recommandations suivantes au juge en charge de ce dossier : “Dans la situation présente déjà tendue, Abdallah pourrait constituer un élément déstabilisateur supplémentaire sur la scène libanaise. Notre service considère que la libération d’Abdallah pourrait présenter un danger pour la sécurité de notre pays et pour tous ceux qui contribuent ouvertement à la guerre contre le terrorisme. Aussi la DST a recommandé qu’Abdallah ne fasse pas l’objet d’une libération conditionnelle.” »
Les sionistes français font également pression sur l’Etat français pour qu’il maintienne Abdallah en prison. Le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) a publié récemment une déclaration se vantant de la campagne qu’il mène depuis dix ans dans ce but, et qui cite son président Cukierman : « Dans une période où de très jeunes sont tentés par le terrorisme en Syrie ou en Irak, il faut veiller à ne pas glorifier ce genre de personnage. »
Le gouvernement Valls/Hollande n’est que trop content, tout comme ses prédécesseurs, de faire preuve d’obligeance vis-à-vis de ses alliés américain et israélien, mais il n’a certainement pas besoin de pression extérieure pour mener sa propre vendetta contre un opposant arabe de l’impérialisme. Aujourd’hui comme hier la vie d’un Georges Ibrahim Abdallah ne pèse pas lourd dans les manuvres sordides et meurtrières de l’impérialisme français pour se positionner dans un Proche-Orient riche en pétrole.
La « guerre contre le terrorisme » vise tous les opposants de l’exploitation et de l’oppression capitalistes
Comme nous l’écrivions en 1987, « la leçon du procès Abdallah, c’est que le consensus “antiterroriste” permet de faire passer, presque sans protestations, les machinations policières-judiciaires les plus monstrueuses ». Nous ajoutions que « l’hystérie “antiterroriste” sert, en France même, d’arme pour tenter d’intimider quiconque ose se réclamer de la lutte anti-impérialiste et de la révolution prolétarienne en criminalisant l’opposition politique ».
Nous disions lors des élections de 2012 : « aucun choix pour les travailleurs ». Et en effet le gouvernement actuel, élu avec le soutien du PCF, du NPA et d’une grande partie de la gauche, a bien servi ses maîtres capitalistes. La nouvelle loi antiterroriste (voir notre article de première page) représente une nouvelle escalade dans l’arsenal de répression. Sans compter le meurtre de Rémi Fraisse par la police, l’interdiction des manifestations contre le massacre sioniste à Gaza l’été dernier et le nombre croissant de protestations qui se voient interdites par la Préfecture de police (manifestations de cheminots en grève en juin dernier ou plus récemment le rassemblement des femmes de ménage du palace parisien le Royal Monceau). La bourgeoisie ne voit à l’horizon aucun retour à la croissance économique, et elle continue de s’affaiblir notamment face à son rival allemand ; aussi sa façade démocratique devient de plus en plus fragile. Christiane Taubira, chouchou de la gauche et ministre de la Justice, bat tous les records de personnes incarcérées aujourd’hui (bien plus que sous Sarkozy, Hortefeux et Guéant), et en plus la durée d’emprisonnement est passée de 8,6 à 11,5 mois entre 2007 et 2013.
Tout comme il y a trente ans, la lutte pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah fait partie intégrante d’une lutte plus large pour la révolution socialiste, pour libérer les travailleurs et les opprimés des chaînes de la misère et de l’exploitation. Nous cherchons dans ce but à mobiliser le prolétariat, les jeunes et les minorités pour qu’ils s’opposent à l’impérialisme au Proche-Orient, aux attaques anti-ouvrières quotidiennes et à la répression menée ici même au nom de la « guerre contre le terrorisme ». Libération immédiate de Georges Ibrahim Abdallah !
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Pour écrire à Georges Ibrahim Abdallah
Monsieur Georges Ibrahim Abdallah
n° d’écrou : 2388/A221
CP de Lannemezan
204 rue des Saligues
BP 70166
65307 LANNEMEZAN
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