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Le Bolchévik nº 205

September 2013

Les travaillistes ont préparé le terrain aux privatisations des tories

Grande-Bretagne: Il faut mobiliser les syndicats pour défendre la Sécu

L’article suivant a été traduit de Workers Hammer n° 222, printemps 2013, journal de la Spartacist League/Britain.

* * *

25 mars – La loi sur la Sécurité sociale, qui a pris effet le 1er avril, promet d’être le plus important bouleversement du Service national de santé (NHS) en Angleterre depuis sa création. Pour la première fois depuis 1948, le gouvernement ne sera plus tenu par la loi de fournir des soins médicaux universels. Au lieu de l’« engagement à fournir » ce service social fondamental, le gouvernement s’engage maintenant à le « promouvoir » ; si ce changement dans les termes semble inoffensif, il masque un tournant fondamental vers le secteur privé. Le docteur Jacky Davis, coprésident de l’Association des consultants du NHS, a déclaré après que la loi avait été votée au parlement : « Nous n’avons plus de système national de santé. »

L’une des mesures les plus controversées de la nouvelle législation porte sur les Groupes de prise en charge clinique (CCG), qui contrôleront la part du lion dans le budget du NHS (environ 65 milliards de livres sterling sur 100 milliards pour l’année fiscale en cours). Les CCG décideront, soi-disant sur instruction du médecin traitant, de l’attribution des soins aux patients, y compris en les redirigeant vers des organismes privés et en refusant des soins qui ne correspondraient pas à une « nécessité raisonnable ». Une étude récente du British Medical Journal montre qu’un tiers des médecins traitants responsables de ces groupes de décision gèrent des sociétés médicales privées ou en détiennent des actions. Mais en réalité la plupart des médecins traitants n’ont ni le temps ni les connaissances pour « prescrire » des soins ; cette tâche reviendra donc à des consultants privés comme ceux de la société d’experts-consultants géante McKinsey. Sous prétexte de donner plus de responsabilité aux médecins traitants, les CCG ouvrent en fait la porte au basculement de milliards de livres du NHS vers des entreprises privées.

Le gouvernement prétend que les services du NHS resteront gratuits pour les usagers. Mais, comme le fait remarquer l’économiste politique Colin Leys, « c’est totalement trompeur. Ils oublient d’ajouter une condition essentielle : il faut que le service soit encore disponible au NHS. En réalité certains services, dont la liste s’allonge, ne seront plus disponibles, et donc ne seront plus gratuits » (Red Pepper, avril 2012). En fait ce processus a déjà commencé. La Caisse primaire d’assurance maladie de Croydon [au Sud de Londres] a dressé en 2006 dans un but d’économies une liste de 34 procédures qu’elle n’est plus tenue d’offrir aux patients ; cette liste comprenait les opérations de la cataracte, de la hanche ou du genou. La « liste de Croydon » se répand depuis petit à petit. On dit aux personnes dont la vie n’est pas menacée, mais qui souffrent d’affections douloureuses ou handicapantes, qu’elles doivent prendre en charge leur traitement si elles le peuvent ; sinon, tant pis pour elles. Certains médecins ont un nombre limité de patients qu’ils ont le droit d’envoyer à un spécialiste chaque semaine, quels que soient les besoins des patients. Des prescriptions pour consulter un spécialiste ont été interceptées et refusées par des « guichets de prescription ». La compagnie d’assurance santé américaine UnitedHealth, entre autres, est très connue pour contrôler soigneusement et parfois annuler les décisions des médecins traitants. Et comme de plus en plus de gens sont poussés vers le secteur privé pour se soigner, les revenus du NHS sont ponctionnés d’autant ; le NHS risque de devenir un dépotoir où l’on jette les pauvres et les malades chroniques.

Les travailleurs méritent mieux que cela !

Les fermetures d’hôpitaux se répandent dans tout le pays. Les urgences et maternités ferment ou sont réduites comme à l’hôpital de Lewisham dans le Sud de Londres. Malgré le fait qu’il était solvable, l’hôpital de Lewisham a été visé par un plan de restructuration lorsque la caisse voisine du NHS pour le Sud de Londres a été mise sous tutelle. Cette caisse traînait un remboursement de 60 millions de livres par an, une dette contractée en vertu des partenariats public-privé (PPP – Private Finance Initiatives ou PFI en anglais), qui font que des projets d’aménagement public sont financés par des emprunts privés. Le gouvernement cherche à réduire drastiquement le budget de la Santé de 20 milliards de livres d’ici 2015. Des coupes claires s’annoncent pour les hôpitaux, quand ce n’est pas la fermeture ou le déclassement. L’hôpital de Whittington dans le nord de Londres a annoncé un plan de réduction des dépenses comprenant 570 licenciements et la vente de plusieurs bâtiments à des entrepreneurs privés. Et des consultants d’une ancienne usine automobile du groupe Unipart ont déjà touché 500 000 livres pour trouver des économies.

L’écrivain scientifique Marcus Chown explique dans « Le grand hold-up du NHS » (opendemocracy.net, 31 janvier) : « Le gouvernement est en train de graduellement réduire le NHS à la disette financière. C’est un acte délibéré. Les hôpitaux sont à court d’argent – les remboursements de PPP en sont une cause majeure – et ils deviennent la proie de compagnies privées qui les rachètent. » Le rachat l’an dernier par la société privée Circle Holdings de l’hôpital Hinchingbrooke dans le Cambridgeshire, un hôpital du NHS menacé de fermeture, est considéré comme un prototype. Circle appartient à des sociétés et fonds d’investissement enregistrés aux îles Vierges, à Jersey et aux îles Caïman ; Circle a l’intention de faire 311 millions de livres d’économies et détruit des emplois. Parmi ceux qui cherchent à profiter de la privatisation des hôpitaux, on trouve Richard Branson, le magnat de Virgin, et Harmoni, qui possède déjà des cabinets médicaux dans beaucoup d’endroits.

La privatisation de la santé est si impopulaire que les porte-parole du gouvernement usent de termes comme « choix du patient » et autres expressions lénifiantes et abréviations à n’en plus finir pour tenter de masquer ce qu’ils sont en train de faire. De nombreux détails de la loi sur la Sécurité sociale sont encore en débat. Certaines réglementations destinées à mettre quasiment tous les services du NHS aux enchères ont provoqué un tollé et ont dû être amendées. Mais après chaque recul le gouvernement reprend l’offensive. Pour la bourgeoisie britannique le NHS représente des frais généraux malvenus – sans parler des profits faciles qu’offre la privatisation aux spéculateurs financiers de la City. Dans la mesure où la classe capitaliste s’intéresse à la santé de la population, cela se réduit à pouvoir disposer d’une main-d’œuvre en suffisamment bonne santé pour se faire exploiter et de soldats à envoyer dans les guerres et aventures impérialistes. En période de révolte sociale, les capitalistes peuvent bien sortir leur porte-monnaie pour apaiser la population, mais ils essayeront toujours de récupérer les concessions qu’ils ont faites.

Pour que les immenses richesses créées par le travail du prolétariat servent les besoins de l’humanité, il faut exproprier la bourgeoisie par des révolutions ouvrières et l’établissement d’un Etat ouvrier. Il faudra construire une économie collectivisée et planifiée, non seulement pour garantir les soins médicaux mais aussi tous les autres besoins fondamentaux de la vie, comme une alimentation équilibrée, un logement décent, des loisirs et le plein emploi. Pour y parvenir, il faut commencer par se battre pour défendre ce qu’on a déjà, aussi médiocre que ce soit – et le NHS est devenu un enjeu contesté. La solution n’est pas de faire pression sur le parlement ou de remettre les travaillistes au pouvoir aux prochaines élections. Les travailleurs de la santé, qui paient le plus lourd tribut aux réductions budgétaires, ont la puissance et l’intérêt pour jeter une vraie force sociale dans cette bataille. Leur lutte bénéficierait d’un énorme soutien et serait plus efficace qu’un million de pétitions. Mais elle est paralysée par les directions syndicales qui ont pour objectif politique de mettre le Parti travailliste au gouvernement. Ces dirigeants traîtres acceptent l’idée que les travailleurs doivent aider à payer la crise capitaliste, mais ils imaginent qu’ils pourraient négocier de meilleures conditions avec les travaillistes d’Ed Miliband.

La privatisation du NHS par les travaillistes

Andy Burnham, le ministre travailliste de la Santé dans le cabinet fantôme [dans l’opposition] a déclaré que le gouvernement essayait de « faire passer en force la privatisation du NHS par la petite porte » ; le ministre tory [conservateur] de la Santé l’a alors accusé de provoquer la peur. Mais si les travaillistes ont promis d’abroger la loi sur la Sécurité sociale, ouvrir le NHS à d’énormes intérêts privés était la politique du Parti travailliste bien avant l’arrivée du gouvernement conservateur/libéral-démocrate. Comme l’écrivent Colin Leys et Stewart Player, « la réalité, c’est que les ministres de la Santé du Parti travailliste qui se sont succédé collaboraient étroitement avec le secteur privé et qu’ils avaient déjà presque entièrement édifié un marché de la santé. Le plan des tories ne fait qu’en accélérer l’étape finale et le rendre plus visible » (Red Pepper, octobre 2010). Leys conclut pourtant : « A moins qu’Ed Miliband et Andy Burnham ne reviennent au gouvernement et n’honorent leur promesse d’abroger la loi sur la Sécurité sociale, nous devons nous préparer à voir passer de plus en plus de services de santé, y compris les soins hospitaliers, aux mains d’entreprises pour le profit ; et cela ira inévitablement de pair avec une augmentation des coûts et une baisse de la qualité » (Guardian, 16 janvier). Quelles illusions persistantes envers les travaillistes ! Tout ce que montre Leys prouve que si les travaillistes gagnent les prochaines élections, ils poursuivront essentiellement la même politique de privatisation que les tories… sous un nom différent.

La politique consistant à délibérément créer un « marché interne » au NHS, élaborée dans les années 1980 sous Thatcher, a vu le jour sous le gouvernement Blair. Sous Blair et Brown, les caisses du NHS ont été graduellement transformées en « fondations » qui empruntent sur les marchés financiers, forment des entreprises communes avec des sociétés privées et établissent leurs propres règles d’embauche. Si une fondation perd de l’argent, elle est fermée ou reprise. La caisse de l’hôpital NHS du Mid Staffordshire a sabré 10 millions de livres dans son budget en 2006-2007 pour acquérir le statut de fondation. C’est comme une histoire d’horreur sur un hospice pour les pauvres de l’époque victorienne : entre 400 et 1 200 personnes sont décédées pour rien à l’hôpital de Stafford entre 2005 et mars 2009 ; beaucoup d’entre elles s’étaient vu refuser des médicaments contre la douleur ; certaines n’avaient pas été lavées pendant un mois. L’alimentation des malades était laissée aux bons soins des membres de la famille, mais beaucoup avaient faim. Les travaillistes au pouvoir ont rejeté les demandes persistantes des familles à ce qu’il y ait une enquête. Le gouvernement conservateur-libéral en a mené une, et il en tire maintenant parti avec cynisme pour populariser son projet pour le NHS.

Le Parti travailliste a supervisé la création de « Centres de traitement indépendants » (des institutions privées) pour pratiquer la chirurgie facultative peu risquée. Si ceux-ci ont réduit le temps d’attente pour des opérations qui vous changent la vie, comme la prothèse de hanche (une opération dont le NHS était en fait pionnier), ils ont aussi garanti un revenu minimum pour des entreprises privées. Des millions de livres ont été payées par le NHS pour des opérations qui n’ont jamais été pratiquées. Le gouvernement Blair a aussi créé le « Réseau de choix étendu » qui permet aux centres privés de traiter les patients du NHS pour une somme rondelette. Dans ces deux cas, des institutions privées étaient libres de choisir les patients qui leur rapporteraient le plus ; les hôpitaux du NHS, eux, étaient aux prises avec les dettes, les réductions de personnel et les fermetures de services, et ils se voyaient menacés de fermeture s’ils ne prouvaient pas leur « viabilité » financière.

Les travaillistes au gouvernement sont également responsables de l’augmentation phénoménale des PPP dans tout le secteur public. Les PPP permettent au gouvernement d’emprunter des sommes massives tout en gardant ces dettes en dehors de leur bilan financier. Les PPP sont apparus sous les tories en 1992, mais ils sont devenus sous les travaillistes la seule manière de financer la construction de nouveaux hôpitaux et de nouvelles écoles. Les PPP transforment les fonds publics en vache à lait pour les géants de la construction comme Balfour Beatty de même que pour les prêteurs internationaux. Décrits parfois comme « un hôpital pour le prix de deux », les PPP ne sont même pas cela : il s’agit de payer des sommes exorbitantes pour des équipements qui peuvent bien ne jamais revenir au secteur public. Aujourd’hui le NHS doit 65 milliards de livres empruntées dans le cadre de PPP ; les remboursements d’emprunts et d’intérêts augmentent de 18 % par an et peuvent représenter plus de 10 % des revenus annuels d’une caisse d’hôpital. On peut dire merci aux travaillistes.

Ce qu’il faut, c’est une nouvelle direction de la classe ouvrière qui soit déterminée à renverser l’ordre capitaliste. Pour stopper les privatisations, une direction lutte de classe mobiliserait les syndicats des travailleurs de la santé sur une série de revendications immédiates, comme la restitution au secteur public des hôpitaux et autres institutions médicales privatisés, et l’annulation de la dette due aux PPP. McKinsey, Circle, Harmoni, les entreprises diverses de Richard Branson et autres vautours de la City de Londres doivent être expulsés de tous les secteurs du NHS qui leur ont été cédés ! Un parti ouvrier révolutionnaire se battrait pour l’expropriation des entreprises de santé privées et des compagnies d’assurances et laboratoires pharmaceutiques ; il exigerait des soins médicaux gratuits et de qualité pour tous, dans le cadre d’une lutte pour la révolution socialiste.

Les bureaucrates syndicaux : entre douches froides et baratin

Les hôpitaux ferment. Les travailleurs de la santé sont licenciés. Des infirmières se tuent au travail dans des services en sous-effectif et ensuite le gouvernement les calomnie en disant qu’elles « n’ont pas prodigué de soins attentionnés de qualité ». C’est on ne peut plus clair : il faut se battre. Malgré ses défauts, le NHS est l’un des acquis les plus significatifs que les travailleurs aient obtenus du capitalisme britannique, et ils veulent le défendre jusqu’au bout. Il y a de grandes manifestations pleines de colère contre les fermetures d’hôpitaux dans le pays. Mais elles sont canalisées vers une voie sans issue pour faire pression sur le parlement : des politiciens de toutes tendances font des discours électoraux, et des conseillers municipaux, célébrités et militants de People Before Profit [nos vies valent mieux que leurs profits] du Socialist Workers Party se donnent pour but final d’élire un gouvernement travailliste.

Les travailleurs hospitaliers protestent en tant qu’individus mais leurs bureaucrates syndicaux font comme s’ils étaient de simples « citoyens » et non la force sociale qui pourrait changer la situation. L’Unison, le plus grand syndicat dans le NHS avec ses 400 000 travailleurs de la santé, proclame sur son site web : « L’UNISON a mené la campagne contre la loi sur la Sécurité sociale et nous ne cesserons jamais de nous battre pour défendre et améliorer notre NHS. » Comment les dirigeants proposent-ils de le faire ? « Les membres de l’UNISON ont la possibilité très directe d’envoyer leur message aux politiciens : par la pression politique. » Les dirigeants de l’autre grand syndicat des services de santé, l’Unite, appellent les membres du syndicat à envoyer des e-mails à Cameron et à leurs élus locaux.

Quand des grèves éclatent, comme récemment dans l’ouest du Yorkshire, elles se retrouvent isolées. 500 secrétaires médicales et réceptionnistes d’hôpitaux ont fait grève à plusieurs reprises contre la Fondation hospitalière du Mid Yorkshire qui tentait de les licencier pour les réembaucher à un salaire moindre. Les soutiens ont afflué de la part de patients et de travailleurs et syndicats hospitaliers de tout le pays, qui comprenaient avec raison que ces grévistes étaient en première ligne pour défendre le système de santé public. La direction de l’Unison a laissé entendre qu’elle organiserait un vote dans toute la section syndicale alors que les secrétaires retournaient au travail début février. Deux mois plus tard elle se dérobe toujours. Paul Holmes, membre du conseil exécutif national de l’Unison, disait lors d’un rassemblement de grévistes en février : « C’est le conflit le plus important dans la santé et toutes les caisses de santé vous regardent. Si vous perdez, elles vont elles aussi réduire les salaires. » Il avait raison, mais lui et les autres bureaucrates syndicaux ont-ils jamais appelé leurs autres adhérents à la grève ?

Les directions syndicales du secteur public limitent les grèves à des « journées d’action » deux ou trois fois par an, pour faire baisser la pression ; pendant ce temps les salaires et les acquis syndicaux s’érodent. Et c’est le cas tout autant pour les responsables syndicaux « de gauche », comme Mark Serwotka du syndicat Services publics et commerciaux (PCS), que pour ceux de droite. Il y a eu beaucoup d’occasions pour lancer la bataille, notamment la grève du 30 novembre 2011 contre les attaques envers les retraites du secteur public. Mais dès que la grande manifestation avait pris fin, Brendan Barber, qui était alors le secrétaire général du TUC [confédération des syndicats], et Dave Prentis, le dirigeant de l’Unison, ont annulé toute nouvelle action. Des militants de l’Unite dans le NHS (et le conseil municipal), reflétant la colère à la base, ont rejeté l’offre du gouvernement, tout comme l’a fait le PCS, principal syndicat du public. Ce dernier a appelé ses 270 000 membres à une grève de protestation de 24 heures dans le secteur public le 20 mars, le jour de la présentation du budget. Au lieu de se plaindre du refus de gens comme Prentis d’organiser des grèves unitaires, une direction lutte de classe passerait outre et appellerait la base des autres syndicats du secteur public à faire grève ensemble.

Len McCluskey, le secrétaire général de l’Unite, connu pour ses postures « de gauche », a présenté une motion à l’automne 2012 appelant le TUC à « continuer à mener la lutte depuis les avant-postes » avec des « campagnes de grande envergure, y compris en envisageant une grève générale » contre l’austérité et en étudiant la faisabilité d’une telle grève. Une chose en dit long sur la bureaucratie syndicale : cette motion a été présentée dans le TUC par l’Association des gardiens de prison. Ces brutes n’ont pas leur place dans le mouvement ouvrier ! Pourtant ils sont volontiers accueillis comme des « travailleurs en uniforme » par le Socialist Party et les dirigeants syndicaux traîtres, y compris dans le PCS qui syndique les flics chargés de l’immigration. C’est un scandale.

Lors de l’énorme manifestation du TUC du 20 octobre 2012 (un samedi), de nombreux travailleurs ont applaudi ceux qui, comme McCluskey, déblatéraient sur la grève générale depuis la tribune. Une lutte de classe commune de tous les grands syndicats est absolument nécessaire ; mais elle n’est pas dans l’intention des directions syndicales. Près de six mois plus tard, comme on pouvait s’y attendre, la motion est toujours lettre morte. Le Socialist Party, qui se trouve dans la direction du PCS, a toujours au bout de six mois le même espoir béat que le TUC « fixe le jour » d’une grève générale de 24 heures. La perspective de ces soi-disant socialistes, c’est de soutenir par la bande le Parti travailliste : « Une grève de 24 heures ainsi que les actions prévues ensuite pourraient faire éclater la coalition gouvernementale et mener à des élections générales » (Socialist, 21 novembre 2012). « Chassons les tories ! » – c’est de même la seule perspective qu’offre la bureaucratie de l’Unite. Sous le titre « Le NHS est à nous – sauvons-le ! », le site web de l’Unite dit : « Dans deux ans le pays retourne aux urnes. Faites ce qu’il faut pour que le parti qui peut sauver le NHS soit celui qui gagnera. »

L’« esprit de 1945 » du travaillisme à l’ancienne

Chacun sait que, lors de sa fondation en 1948, le NHS avait promis des soins médicaux universels et gratuits pour tous. Avec le service public de santé et le système national de protection sociale, les gens allaient être pris en charge « du berceau jusqu’à la tombe ». Le nouveau film de Ken Loach l’Esprit de 45 décrit avec force l’impact qu’a eu le NHS sur la vie des travailleurs. Certains se souviennent des horreurs de la vie avant la création du NHS : des familles incapables de payer la visite du docteur pour un enfant malade, le décès évitable d’une mère suite à une infection pendant l’accouchement, la visite de l’huissier venant le vendredi exiger l’argent des honoraires médicaux. Loach fait l’éloge du gouvernement travailliste de Clement Attlee, qui accéda au pouvoir grâce à un raz de marée électoral en 1945 et qui introduisit ensuite le NHS.

Le capitalisme britannique est sorti de la Deuxième Guerre mondiale avec un empire en pleine désintégration et une bonne partie de son économie en faillite. Une vague de combativité ouvrière déferlait sur l’Europe. Malgré ses déformations sous la botte de la bureaucratie stalinienne parasitaire, l’Union soviétique (et par extension les partis communistes de masse du monde capitaliste) avait une autorité énorme car elle avait payé le plus lourd tribut à la lutte pour vaincre les armées nazies. En quelques années le capitalisme fut renversé dans la plupart des pays d’Europe de l’Est qui restaient sous le contrôle de l’armée soviétique. Les gouvernements d’Europe de l’Ouest commencèrent à développer les programmes sociaux à la fois pour apaiser la lutte de classe et pour contrer l’influence de l’Union soviétique. Le député tory Quintin Hogg déclarait en 1943 : « Si vous ne donnez pas la réforme sociale au peuple, il vous donnera la révolution. » Dans ce contexte la classe capitaliste britannique accepta, de mauvaise grâce, la création du NHS, dont le projet avait été élaboré pendant la guerre par William Beveridge, un économiste du Parti libéral.

Le Parti travailliste, une fois au gouvernement, resta dévoué à administrer le capitalisme britannique. Les nationalisations d’après-guerre équivalaient à un gigantesque plan de sauvetage de la bourgeoisie. Le film de Loach ne le montre pas, mais le gouvernement Attlee envoya l’armée contre les dockers en grève en 1945, comme l’aurait fait tout autre gouvernement capitaliste. Au service de l’impérialisme britannique, il contribua aussi à fonder l’OTAN, envoya des troupes contre les Etats ouvriers déformés nord-coréen et chinois, mena une sale guerre coloniale en Malaisie et organisa la partition de l’Inde qui fut sanglante. Les attaques contre les acquis du NHS commencèrent en 1952 : alors des frais furent introduits pour les prescriptions médicales et les lunettes afin de contribuer au financement de la guerre de Corée.

Même à son apogée, le NHS ne fournissait pas des soins correspondant aux besoins de la population. Dans les années 1950, le scientifique marxiste John Desmond Bernal résumait ainsi ses défauts :

« C’est encore un service de santé plus sur le papier qu’en réalité. La défense des intérêts nationaux a fait que la Grande-Bretagne a construit peu de nouveaux hôpitaux et de centres de santé depuis la fin de la guerre. En grande partie le Service national de santé dépend toujours des vieux cabinets médicaux, où des médecins submergés de travail donnent à la chaîne des médicaments inefficaces aux patients, et leur donnent des conseils qu’ils ne peuvent suivre. »

– Science in History, volume III (1954)

L’un des aspects les plus grotesques du capitalisme, c’est que la vie elle-même (l’espérance de vie en bonne santé) dépend inévitablement pour une bonne part de la classe sociale à laquelle on appartient. Dans les parties les plus pauvres du Merseyside, où l’espérance de vie masculine est de 67 ans, les hommes sont généralement frappés d’un handicap ou un autre à l’âge de 44 ans ; dans les quartiers plus riches de l’Ouest de Londres, ces chiffres sont respectivement de 89 et 74 ans. Un résident de Kensington ou Chelsea peut espérer vivre plus de 14 ans de plus qu’un habitant de Glasgow. Rien que dans la capitale – la ville la plus inégalitaire du monde développé, d’après le livre de Danny Dorling Injustice : Why Social Inequality Persists – on dit qu’à chaque arrêt de la ligne de métro Jubilee vers l’est de Londres l’espérance de vie diminue d’une année.

Le capitalisme est mauvais pour la santé !

Dans les années 1990, après la contre-révolution en Union soviétique et en Europe de l’Est, les bourgeoisies d’Europe de l’Ouest se sont mises à démanteler ce qui restait de l’Etat-providence institué après la Deuxième Guerre mondiale. Ces attaques redoublent aujourd’hui car les capitalistes doivent se faire concurrence dans un marché mondial en crise profonde. Même si nous marxistes ne partageons pas les illusions social-démocrates dans les projets de nationalisations, nous soutenons fermement les luttes défensives des travailleurs contre les privatisations ; celles-ci dans les faits ne sont rien d’autre que de brutales attaques antisyndicales contre l’emploi et le niveau de vie des travailleurs.

Pour de nombreux ouvriers en Grande-Bretagne, on atteint le point de rupture. Le niveau de vie baisse pour la cinquième année consécutive. Le gouffre entre riches et pauvres s’élargit. Près d’un demi-million de personnes sont au chômage depuis un an ou plus et ceux qui ont « la chance » de travailler sont censés accepter le gel ou la baisse de leur salaire, l’augmentation du coût des retraites et le surmenage. Les conditions de travail et les salaires des travailleurs de la santé, fixés au niveau national, sont remplacés par des accords locaux et des « salaires au rendement ». Les emplois sont décimés dans la production industrielle et le commerce de détail, les ouvriers jetés à la rue. Et l’absence relative de toute riposte sérieuse des syndicats contre les attaques de ce gouvernement (et du gouvernement travailliste avant lui) encourage la bourgeoisie à exiger encore et toujours plus d’austérité.

La défaite de la grève des mineurs en 1984-1985 était un moment charnière qui a fait pencher la balance contre la classe ouvrière. Thatcher a provoqué la grève en se mettant à fermer toute l’industrie charbonnière ; son objectif était de détruire le Syndicat national des mineurs (NUM), qui était depuis des dizaines d’années un bastion combatif du prolétariat britannique. Le TUC était ouvertement hostile à la grève, et la direction du Parti travailliste, avec Neil Kinnock à sa tête, a condamné le NUM qui affrontait de plein fouet toutes les forces de l’Etat capitaliste. Quant à la « gauche » du TUC, elle s’est livrée à beaucoup de baratin et même à son propre sabotage en coulisse. Si les syndicats des cheminots et des dockers avaient suivi la grève des mineurs, ils auraient paralysé le pays et obtenu une victoire historique pour la classe ouvrière. Mais les « dirigeants » de ces syndicats n’étaient pas prêts à se mesurer au gouvernement. Leur perspective se limitait à remplacer les tories par les travaillistes, et le Parti travailliste était déterminé à briser la grève. Les mineurs ont tenu bon pendant douze mois, mais ils étaient isolés et ils ont perdu. Arthur Scargill a mené la grève des mineurs aussi loin qu’elle pouvait aller dans le cadre de la combativité syndicale, mais il n’a jamais rompu avec la perspective politique du travaillisme.

La leçon que les dirigeants syndicaux traîtres tirent de cette défaite (à savoir qu’il n’est pas possible de se battre) ne fait que souligner le besoin de forger une nouvelle direction syndicale : non pas des laquais travaillistes qui se prosternent devant le parlement, mais des dirigeants ouvriers qui misent sur la puissance sociale de leur propre classe et qui soient déterminés à obtenir ce dont les travailleurs ont besoin, et non ce que les patrons estiment possible. Le NHS dépend fortement des travailleurs intérimaires. Les syndicats doivent exiger qu’ils bénéficient de l’intégralité du salaire et des conditions de travail contractuels, et ils doivent syndiquer les non-syndiqués. Particulièrement dans le NHS, où les immigrés constituent depuis sa création une composante clé de la classe ouvrière, il est nécessaire que les syndicats se battent pour défendre les droits des immigrés, notamment l’accès gratuit aux soins médicaux. Il faut aussi répondre aux besoins des nombreuses femmes travailleuses en exigeant des salaires égaux, la prise en charge des enfants et la protection contre les discriminations.

Des demandes d’explication concernant des PPP, faites au nom de la loi sur la liberté de l’information, ont été rejetées sous prétexte du secret commercial ; on dissimule ainsi un ensemble complexe de procédés malhonnêtes payés avec l’argent des travailleurs britanniques. Nous exigeons que soient ouverts les livres de compte de ces opérations d’arrière-boutique entre entrepreneurs et spéculateurs financiers et leurs hommes de main au gouvernement. Le dirigeant révolutionnaire Léon Trotsky insistait que la classe ouvrière a le droit de « déterminer la véritable part du capitaliste individuel et de l’ensemble des exploiteurs dans le revenu national ; [de] dévoiler les combinaisons de coulisses et les escroqueries des banques et des trusts ; [de] révéler enfin, devant toute la société, le gaspillage effroyable de travail humain qui est le résultat de l’anarchie capitaliste et de la pure chasse au profit » (Programme de transition, 1938).

Quel que soit le parti au gouvernement, le capitalisme consiste à écraser les travailleurs et à gonfler les profits. Contrairement aux rêves réformistes, ce qu’il faut ce n’est pas revenir au bon vieux temps du travaillisme à l’ancienne, mais briser l’ordre capitaliste pourrissant qui pousse les travailleurs à l’abîme et le remplacer par un gouvernement ouvrier qui se donne pour but de construire une société socialiste. Pour cela il faut aux travailleurs un parti révolutionnaire, et pas des réformistes insipides comme le Socialist Party ou le Socialist Workers Party, qui sont à la traîne de la bureaucratie syndicale et se contentent de marchander sur la quantité d’austérité que la classe ouvrière doit accepter. Nos camarades de la Spartacist League/U.S. écrivaient :

« La santé, c’est bien plus que des piqûres, des pilules et des bistouris : c’est un logement convenable, de la bonne nourriture en abondance, la connaissance de la biologie humaine, de l’air non pollué, des conditions de travail sûres et convenables, l’application rigoureuse des principes de santé publique. La médecine ne peut pas sauver des vies ravagées par la pauvreté et la malnutrition. […]
« Quand nous aurons mis à bas le système capitaliste qui vend des vies humaines contre des dollars, nous pourrons établir une nouvelle société socialiste où la vie humaine, la personne et la dignité humaines compteront. Les médecins seront au service du peuple et les hôpitaux seront des refuges où l’on soignera les malades ; la recherche sur les vaccins, les techniques médicales nouvelles et les médicaments sera coordonnée internationalement pour le bien de tous. Quand les travailleurs du monde seront aux commandes, les seules limites de la santé humaine seront scientifiques, et celles-ci seront constamment repoussées par une recherche réfléchie et énergique. »

– Women and Revolution n° 39, été 1991

 

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