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Le Bolchévik nº 203

Mars 2013

Pleins droits démocratiques pour les homosexuels !

Pour le droit au mariage homosexuel... et au divorce !

La LTF a pris part aux récentes mobilisations pour le « mariage pour tous » visant à obtenir un certain niveau de droits élémentaires pour les couples homosexuels, y compris le droit d’adopter enfin des enfants. Ce n’est en fait qu’en 1999 que les couples homosexuels ont reçu une première reconnaissance légale lors de l’introduction du PACS. Nous, marxistes, nous soutenons le droit des homosexuels de se marier – et de divorcer librement – parce que nous sommes pour l’égalité complète devant la loi et pour les droits démocratiques pour les homosexuels, de la même façon que nous soutenons toute avancée juridique que la classe ouvrière et les opprimés pourraient arracher aux capitalistes et à leur Etat. Ceci dit, nous luttons pour une société où personne ne sera forcé de se plier à des contraintes légales pour obtenir des droits fondamentaux que la société capitaliste ne reconnaît aujourd’hui qu’à ceux qui rentrent dans le moule légal traditionnel du « un homme sur une femme pour la vie ».

Au lendemain de l’adoption du projet de loi au parlement, le PCF a écrit que « le mariage n’est plus (tout à fait) une institution patriarcale, vermoulue et réactionnaire » et que « l’Assemblée nationale a révolutionné l’institution familiale » (l’Humanité, 13 février). D’un côté il y a là un aspect de vérité : la loi sur le mariage homosexuel a pour objectif d’adapter le mariage à la réalité de la vie des gens aujourd’hui afin de mieux défendre l’institution de la famille bourgeoise. Jean-Jacques Urvoas, président PS de la commission des lois au parlement, le disait ainsi dans une interview au Monde (15 janvier) : « Il est donc erroné de nous accuser d’agresser la famille alors que nous voulons – toutes – les sécuriser. »

Mais la fonction du mariage en tant que pilier fondamental de l’unité familiale bourgeoise ne changera pas tant que le capitalisme n’aura pas été détruit. L’oppression des homosexuels, tout comme l’oppression des femmes, n’est pas fondamentalement due à la réaction de droite et à l’arriération ; elle s’enracine dans l’institution de la famille, qui a pour fonction historique de transmettre la propriété privée des moyens de production en légitimant l’héritage. C’est pourquoi la France interdit aux célibataires et aux couples homosexuels la pratique de l’insémination artificielle, ou PMA (procréation médicalement assistée), ainsi que la gestation pour autrui. La famille est aussi l’un des moyens dont dispose la bourgeoisie pour enseigner le respect de l’autorité et l’obéissance à ses codes de moralité. Et l’Eglise et l’ordre bourgeois considèrent l’homosexualité comme un « péché » et une « déviation » parce qu’elle ne cadre pas avec la structure patriarcale de la famille monogame composée d’un homme et d’une femme.

Le fait que le PCF s’oppose à la gestation pour autrui (GPA), une pratique qui bénéficie en particulier aux hommes homosexuels, montre sa foi en l’institution de la famille. La GPA est aujourd’hui passible d’une amende de 45 000 euros et de trois ans de prison. Elle a été vivement dénoncée par Christiane Taubira, la ministre de la Justice, et par Marie-George Buffet du PCF lors du débat parlementaire sur le mariage homosexuel. Elle est également attaquée par des féministes du NPA. Elles argumentent toutes que cela revient à une marchandisation du corps des femmes : « En donnant pouvoir à un tiers sur la grossesse d’une femme, c’est une menace pour le droit à l’avortement. Par ailleurs, la possibilité d’aliéner son corps par un contrat ouvre la porte à une légalisation de la prostitution » (Tout est à nous ! La revue, avril 2011).

Au fond ils soutiennent le modèle bourgeois prescrivant que c’est la tâche de la femme (et non de deux hommes) d’élever des enfants. Ils nient aussi à la femme le droit fondamental de choisir ce qu’elle veut faire de son corps. Si une femme décide de porter le bébé de quelqu’un d’autre, c’est son choix, et l’Etat et ses politiciens n’ont pas à s’en mêler. De même, si elle se prostitue pour gagner sa vie plutôt que de se faire exploiter par un propriétaire d’usine où elle va se casser le dos ou se faire harceler sans arrêt, c’est son affaire à elle et ce n’est pas à l’Etat capitaliste de légiférer là-dessus.

Nous sommes pour la dépénalisation de la prostitution, que nous considérons comme un « crime sans victime », comme la consommation de drogue, le jeu, la pornographie, les activités sexuelles homosexuelles ou intergénérationnelles, toutes choses qui sont généralement illégales ou sévèrement régulées par la loi capitaliste. Pour nous marxistes, il y a un principe directeur dans les relations sexuelles, celui du consentement effectif, et non l’âge, le type de relation, le sexe, le nombre ou le degré d’intimité. Cela veut dire ni plus ni moins l’accord mutuel et la compréhension, par opposition à la coercition. Tant que les personnes impliquées sont d’accord pour faire ce qu’elles font, personne, et encore moins l’Etat, n’a le droit de leur dire qu’elles ne peuvent pas le faire. Etat, hors des chambres à coucher !

Hystérie homophobe et lutte pour les droits démocratiques des homosexuels

L’Eglise et les partis de droite ont mobilisé ces derniers temps des centaines de milliers de réacs dans la rue contre le mariage homosexuel. Le niveau d’hystérie homophobe était tellement grotesque que cela pouvait en paraître comique. On peut prendre par exemple la diatribe de Dassault, un des principaux capitalistes français, qui a prédit la fin de la civilisation si le mariage homosexuel était inscrit dans la loi : « Il n’y a plus de renouvellement de la population, à quoi ça rime ? On veut un pays d’homos ? Eh bien alors dans dix ans il n’y aura plus personne, c’est stupide. […] Regardez dans l’histoire, la Grèce, c’est une des raisons de sa décadence. » (leMonde.fr, 7 novembre 2012). Mais il y a aussi des choses plus sinistres comme la publication sur son site par l’UMP Jeunes de Haute-Garonne d’un jeune homme torse nu, pendu à une corde avec écrit dessus « Tu ne seras pas une pédale, mon fils. » Tout cela va conduire à des attaques brutales contre des homosexuels… ainsi que leurs enfants. Un homosexuel sur quatre a été victime d’une attaque physique ces dix dernières années d’après un sondage de l’IFOP pour le magazine gay Têtu ; SOS Homophobie, une association de lutte pour les droits des homosexuels, a publié une liste de 29 meurtres en France depuis dix ans motivés par l’homophobie ou la transphobie.

Un parti révolutionnaire doit vigoureusement démasquer devant le mouvement ouvrier toutes les attaques réactionnaires et les discriminations contre les homosexuels et tout secteur opprimé de la population ; il doit protester contre. De telles attaques visent en dernier ressort à affaiblir la classe ouvrière tout entière en la divisant selon le sexe ou la race afin de renforcer les pouvoirs répressifs de l’Etat capitaliste et maintenir la domination capitaliste. La classe ouvrière doit en venir à comprendre qu’afin de se libérer des chaînes de l’oppression et de l’exploitation capitaliste, elle a une tâche historique : abolir la société de classe pour ouvrir la voie à la liberté humaine pour tout le monde.

Mais pour mobiliser l’énorme puissance sociale de la classe ouvrière organisée contre le capitalisme, il faut mener une lutte politique contre les dirigeants des partis sociaux-démocrates du Front de gauche, du NPA et autres qui prennent la défense de la famille bourgeoise, même si c’est dans sa forme actualisée. Ils font croire que du moment que la rue fait suffisamment pression, le capitalisme peut se « révolutionner » et devenir plus humain grâce à un gouvernement « de gauche ». Avec ces mensonges ils œuvrent à préserver l’exploitation capitaliste et la réaction sociale qui va avec.

Les « valeurs républicaines » anti-femmes et anti-jeunes du gouvernement capitaliste de Hollande

Avec ce genre d’immondices réactionnaires venant de la droite, le gouvernement Hollande n’a guère eu de mal à paraître « progressiste » en faisant la promotion du « mariage pour tous » (ce qui ne diminue pas sa capitulation face à l’Eglise et aux partis de droite sur la PMA). Il compte bien se servir de ce capital politique pour continuer à présider sans trop d’opposition aux fermetures d’usines, à la criminalisation des syndicats et la poursuite de leur programme raciste et anti-ouvrier. En Grande-Bretagne c’est le Premier ministre conservateur qui vient de faire passer au parlement une loi sur le mariage homosexuel pour renforcer l’institution de la famille mais aussi, tout comme Hollande, pour se donner une couverture « sociale » afin de mieux faire passer ses attaques d’austérité continuelles.

Taubira a déclaré à propos de la nouvelle loi sur le mariage : « Le mariage pour tous illustre bien la devise de la République… liberté de se choisir, égalité de tous les couples, fraternité, parce qu’aucune différence ne peut servir de prétexte à des discriminations d’Etat » (l’Humanité, 30 janvier). Il faut le faire pour montrer autant d’hypocrisie ! L’Etat français, sous la droite comme sous la gauche, n’a aucun scrupule à briser les familles quand il s’agit de la classe ouvrière, des immigrés et autres couches opprimées. Une réunion de soutien a récemment marqué à Aubervilliers le premier anniversaire de l’expulsion de Changfeng Mo, un sans-papiers ayant deux enfants nés en France et scolarisés en France ; il a été expulsé après avoir vécu et travaillé dix ans ici. Pleins droits de citoyenneté pour tous les immigrés et leurs familles !Il n’y a eu bien entendu aucun signe de « fraternité » en provenance du ministre des flics Valls pour réunifier cet homme avec sa famille.

On peut prendre aussi le dernier département français, la petite île de Mayotte où ont été exécutées 26 400 expulsions en 2010 (dont 6 400 enfants), non loin des 33 000 immigrés expulsés depuis la France métropolitaine. La machine à expulser continue à un tel rythme sous Valls et Cie qu’il n’est pas rare que des enfants rentrent de l’école et trouvent qu’un de leurs parents, ou les deux, ont été placés dans un camp de transit en attente de déportation. De nombreux témoignages attestent aussi que des enfants sont expulsés sans leurs parents ; on les « rattache » arbitrairement à une tierce personne. A bas les déportations !

Pendant des mois et des mois on a entendu les politiciens de gauche comme de droite qui juraient que ce qu’ils ont à cœur c’est uniquement les intérêts des enfants et des jeunes, alors qu’en même temps ils travaillent tous à préserver la véritable source de la violence, des crimes et de l’aliénation infligés aux jeunes dans cette société : la classe capitaliste et son appareil de répression étatique. Le quart des jeunes âgés de 16 à 24 ans sont aujourd’hui au chômage en France et ils ne voient guère comment pouvoir quitter bientôt le toit familial et vivre indépendamment. Dans de nombreux quartiers de banlieue le chômage des jeunes est de 50 % depuis des années (et encore). La révolte des banlieues en 2005 en France a servi de révélateur à tout ce désespoir, notamment pour les jeunes hommes à la peau foncée qui ne voient aucun avenir pour eux-mêmes en dehors de petits boulots comme chez McDo, ou plus probablement Pôle Emploi ou la prison. Et la situation a empiré depuis 2005.

Aujourd’hui PSA et Hollande ferment l’usine automobile d’Aulnay qui avait longtemps été l’un des principaux employeurs pour les jeunes du 9-3 (bien qu’avec des contrats temporaires pourris). Les gens comme Montebourg agitent le doigt, dans la tradition de leur héros Jules Ferry. Ils sermonnent les travailleurs en leur disant qu’ils doivent faire « plus d’efforts », être plus flexibles, accepter un emploi à des centaines de kilomètres de chez eux. Dans les faits ils fabriquent ainsi des familles monoparentales par milliers, avec toute la pesante oppression que cela signifie, notamment pour la femme. Les coupes sombres ces dernières années dans les budgets d’éducation et de santé pèsent particulièrement sur les femmes et les enfants. C’est maintenant une pratique courante dans de nombreuses municipalités de refuser la cantine aux enfants de chômeurs, dont c’était parfois le seul repas chaud de la journée, l’Etat argumentant que, les parents ne travaillant pas, les enfants peuvent rentrer à la maison pour manger. Ils enferment ainsi plus sûrement les mères (car c’est le plus souvent d’elles qu’il s’agit) dans le chômage et l’isolement du foyer. Pour des cantines et des garderies de qualité gratuites, 24 heures sur 24 !

La famille bourgeoise, pilier du capitalisme

Il n’y a qu’une manière de faire pour en finir avec le chauvinisme profond et la violence que le système capitaliste de profit exerce sur les jeunes, les femmes, les homosexuels, les immigrés et autres couches opprimées : il faut lutter pour renverser la domination capitaliste grâce à une révolution socialiste. Un gouvernement ouvrier sera en mesure, grâce à l’expropriation des moyens de production possédés par la classe capitaliste, de jeter les bases d’une économie planifiée qui accroîtra énormément les forces productives, éliminera la pénurie et augmentera quantitativement et qualitativement les connaissances scientifiques. Un tel saut dans la productivité sociale présuppose l’extension internationale de la révolution, avant tout dans les pays impérialistes avancés. La révolution socialiste peut alors commencer à jeter les bases pour remplacer la famille en fournissant les moyens matériels pour socialiser et collectiviser les tâches ménagères ; par exemple il y aura des garderies 24 heures sur 24, des cantines, des cuisines, des laveries communautaires et des soins médicaux gratuits.

La famille est née avec le développement des classes. Auparavant, on ne cherchait pas à savoir qui était le père car les enfants étaient dans une large mesure élevés collectivement par une activité commune. Mais l’invention de l’agriculture permit aux producteurs pour la première fois de produire davantage qu’ils ne pouvaient consommer eux-mêmes. Ceci conduisit à la création d’un surplus et de la propriété privée ainsi que d’une classe oisive qui pouvait vivre du labeur des autres. Pour que celle-ci puisse transmettre sa fortune et sa propriété à la génération suivante, il fallait savoir qui était le père. De là vint l’institution du mariage, qui avait précisément pour but de restreindre l’accès des femmes à la sexualité et requérait donc la monogamie de la femme (pas de l’homme). La famille est donc par essence répressive sexuellement. Encore aujourd’hui en France, si une femme désire se remarier dans les neuf mois suivant son divorce, elle doit de par la loi subir un examen médical pour obtenir une attestation médicale certifiant qu’elle n’est pas enceinte, en accord avec le Code civil : « L’enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari. »

L’héritage de la Révolution française pour les femmes et les homosexuels

Si l’on veut comprendre combien le progrès social ne vient qu’avec la lutte révolutionnaire, il faut regarder en arrière et étudier les avancées significatives que les femmes, les homosexuels et autres minorités ont gagnées pendant de telles périodes. La Révolution française de 1789 fut une révolution bourgeoise préservant la propriété privée, ce qui marque les limites des changements qu’elle a introduits. Mais elle a amené des progrès monumentaux pour les droits des femmes et des homosexuels, notamment pendant ses premières années les plus radicales.

Encore en 1783, sous l’ancien régime, un moine avait été brûlé vif après avoir été accusé d’avoir commis un acte sexuel avec un garçon. Le code pénal de 1791 abolit le crime de sodomie, qu’il déclara un « crime imaginaire » et en pratique, par exemple, la surveillance des lieux de rencontre homosexuels comme les Tuileries diminua notablement après la révolution.

Quant aux femmes, elles n’avaient absolument aucun droit sous l’ancien régime, avant la révolution. La monarchie tentait constamment de renforcer, de consolider et étendre le contrôle exercé par le père sur le mariage de ses enfants. Les femmes accusées d’adultère étaient condamnées à la flagellation publique, jetées en prison ou, pire, envoyées au couvent pour le reste de leur vie. Les hommes, même adultes, ne pouvaient se marier sans le consentement du père, et s’ils épousaient une femme mineure (moins de 25 ans) ils pouvaient être condamnés à mort, même si la femme était consentante. Le mariage était indissoluble – une peine à vie.

L’âge de la majorité fut réduit en 1792 à 21 ans pour tous, et le mariage devint possible sans consentement parental. La loi sur le divorce édictée la même année était extrêmement libérale (même par rapport à aujourd’hui) : les couples pouvaient divorcer par consentement mutuel ou par demande de l’un des époux pour incompatibilité d’humeur. Le divorce devint abordable, même pour les pauvres, dans tout le pays. 70 % des divorces demandés la première année de l’introduction de la loi le furent par des femmes. De plus, un décret donna en 1793 aux enfants illégitimes le droit d’hériter tant de leur mère que de leur père et il y eut aussi une loi pour accepter les « unions libres » – par exemple, les partenaires non mariées de soldats pouvaient recevoir une pension du gouvernement. D’un seul coup, l’institution de la famille perdait une de ses principales fonctions, celle d’être le cadre dans lequel s’effectue le transfert de la propriété d’une génération à l’autre. Nous avons écrit dans « Les femmes et la Révolution française » (Spartacist édition française n° 34, automne 2001) :

« La famille fut temporairement affaiblie pour servir les besoins de la révolution contre ses ennemis, la noblesse féodale et l’Eglise catholique. C’est là une démonstration du fait que les institutions sociales qui semblent immuables, “naturelles” et “éternelles”, ne sont en fait rien de plus que la codification de rapports sociaux dictés par le système économique particulier qui est en place. Mais dès que son pouvoir en tant que nouvelle classe dirigeante fut consolidé, la bourgeoisie rétablit les contraintes de la famille. Pourtant rien n’allait plus jamais être comme avant. La réalité contradictoire de la Révolution française, le bond fantastique que cela représentait dans le domaine des droits individuels, ainsi que les strictes limites imposées à ces droits par le fait que c’était une révolution bourgeoisie et non une révolution socialiste, Marx l’a exprimé dans l’Idéologie allemande :
« “L’existence de la famille est rendue nécessaire par les liens qui l’attachent au mode de production, indépendant de la volonté de la société bourgeoisie. Ce caractère nécessaire se manifeste de la manière la plus frappante dans la Révolution française, où la famille fut, pour un instant, sur le plan légal, pour ainsi dire supprimée”. »

Avec la réaction thermidorienne beaucoup de ces acquis furent réduits ou supprimés, mais la situation des femmes avait progressé qualitativement, ainsi que celle des homosexuels, et il n’y eut jamais un retour à la soumission complète des femmes comme elle avait existé sous l’Ancien Régime. Et la lutte pour la libération des femmes joua un rôle central dans la Commune de Paris quelques dizaines d’années plus tard. Napoléon établit en 1804 le Code civil consolidant l’ordre bourgeois ; un certain nombre de lois sur la moralité furent introduites qui furent utilisées en partie pour réprimer les homosexuels masculins, mais l’homosexualité en tant que telle n’était pas un délit dans le Code pénal. C’est pourquoi Oscar Wilde et d’autres homosexuels s’exilèrent en France pour échapper à la prison dans leur propre pays.

La répression contre les homosexuels après la Libération

Ce n’est qu’en 1942, sous Vichy, que le gouvernement pétainiste amenda la loi pour pénaliser à nouveau explicitement l’homosexualité. Sous l’occupation allemande, la police française et la Gestapo multiplièrent les rafles contre les homosexuels, qui furent envoyés dans les camps de concentration et les camps de la mort, des crimes qui n’ont été reconnus par le chef de l’Etat français qu’en 2005. Ces lois, loin d’être abrogées, furent renforcées par les premiers gouvernements d’après-guerre sous de Gaulle et le PCF. C’était l’époque de la « bataille de la production » : après la dévastation de la guerre impérialiste, il y avait d’énormes attentes sociales et une grande colère dans la classe ouvrière ; le PCF s’acharna à sauver le capitalisme français et il soutint l’« ordre moral » gaulliste. Il condamnait les grèves et appelait les ouvriers à travailler plus dur et plus longtemps afin de créer davantage de profits (mais aussi faire plus d’enfants pour aller travailler à l’usine…). De Gaulle évoqua en 1945 les « douze millions de beaux bébés qu’il faut à la France en douze ans », et une législation fut introduite pour renforcer encore la famille.

En juillet 1945 le gouvernement vota de porter l’âge de la majorité sexuelle à 15 ans pour les hétérosexuels et à 21 ans pour les homosexuels (un âge fixé à 11 ans en 1832 puis à 13 ans pour tous en 1863). Le gouvernement introduisit l’année suivante une loi visant les homosexuels, seules les personnes « de bonne moralité » pouvant devenir fonctionnaires. En 1960, à nouveau sous de Gaulle, un député gaulliste dénonça « l’homosexualité, fléau contre lequel nous avons le devoir de protéger nos enfants » et il fit inscrire dans la loi la nécessité de « lutter contre l’homosexualité », à côté de l’alcoolisme, de la prostitution et de certaines maladies comme la tuberculose, sans que son amendement ne suscite le moindre débat.

Ce n’est que dans la foulée de Mai 68 que les choses changèrent. En Mai 68 les jeunes se révoltèrent contre l’ordre moral gaulliste abrutissant, et ils furent ainsi l’étincelle des grèves et occupations d’usines qui menacèrent l’ordre capitaliste. Les femmes et les homosexuels commencèrent alors à obtenir des avancées concernant leurs droits démocratiques. Il y eut dès Mai 68 les premières tentatives pour créer le Comité d’action pédérastique révolutionnaire, mais ses tracts furent arrachés à la Sorbonne. Des organisations homosexuelles se créèrent dans les années qui suivirent, comme le FHAR (Front homosexuel d’action révolutionnaire). Ces organisations luttaient tout d’abord pour les droits des homosexuels mais aussi pour le droit à l’avortement et à la contraception et contre les lois sur la majorité sexuelle et elles donnèrent une visibilité sans précédent à la lutte pour les droits des homosexuels. Elles participaient aux manifestations ouvrières traditionnelles du Premier Mai, non sans l’hostilité de la direction du PCF à l’époque. Parlant de la participation du FHAR à la manifestation du Premier Mai 1972, Roland Leroy écrivit dans l’Humanité : « Ce désordre ne représente pas l’avant-garde de la société, mais la pourriture du capitalisme à son déclin. »

Mais c’est du fait que le mouvement ouvrier (essentiellement le PCF) refusa de faire sienne la lutte pour les droits des homosexuels que se développa le sectoralisme petit-bourgeois, c’est-à-dire une conception selon laquelle la lutte pour les droits des homosexuels est une question séparée sur laquelle doivent d’abord se battre ceux qui sont concernés par elle. Aujourd’hui les organisations de lutte pour les droits des homosexuels n’ont guère de liens avec le mouvement ouvrier et la lutte de classe, et elles leur sont souvent hostiles, alors que c’est la seule manière d’obtenir la libération des homosexuels. Finalement le droit à la contraception fut élargi aux mineures en 1974 et la pilule remboursée par la sécurité sociale ; l’avortement fut légalisé l’année suivante. Puis Giscard d’Estaing, suivi de Mitterrand, abrogèrent finalement entre 1980 et 1982 la plupart des lois contre les homosexuels.

La Révolution russe et la lutte pour l’émancipation sociale

Cependant les marxistes considèrent qu’il n’y a pas de programme spécial pour les homosexuels, contrairement à des groupes de luttes pour les droits des homosexuels comme le FHAR dans les années 1970 ou des associations comme Act-up aujourd’hui. Le programme communiste comprend des revendications qui touchent l’oppression spécifique des homosexuels et nous sommes conscients que le sort des homosexuels, comme de tout autre groupe opprimé, se décidera dans la lutte de classe. Mais ces acquis et ces avancées demeurent réversibles sous le capitalisme, et la réaction sociale se renforce toujours en période de crise économique, comme on peut le voir aujourd’hui.

Seule une révolution socialiste peut jeter les bases pour en finir une bonne fois pour toutes avec l’oppression sociale. Nous avons pour modèle la Révolution d’octobre 1917, menée sous la direction du Parti bolchévique de Lénine et Trotsky : la révolution entreprit dès après la prise du pouvoir d’affaiblir les vieux préjugés bourgeois et les institutions sociales qui étaient responsables de l’oppression des femmes et des homosexuels. Les bolchéviks abolirent tous les obstacles législatifs à l’égalité pour les femmes et toutes les lois visant les actes homosexuels et autres activités sexuelles consensuelles. Le docteur Grigorii Batkis, directeur de l’Institut moscovite d’hygiène sexuelle, expliqua leur position en 1923 dans une brochure, « La révolution sexuelle en Russie » (voir aussi à ce sujet « La Révolution russe et l’émancipation des femmes » publié dans Spartacist édition française n° 37, été 2006) :

« [La nouvelle législation soviétique] déclare la non-ingérence absolue de l’Etat et de la société dans les affaires sexuelles, tant que cela ne porte atteinte à personne et que les intérêts de personne ne sont lésés […]. Concernant l’homosexualité, la sodomie et toute autre forme de gratification sexuelle qui sont considérées comme une offense contre la moralité publique dans la législation européenne – la législation soviétique les traite exactement de la même façon que les rapports sexuels dits “naturels”. Toute forme de rapport sexuel est une affaire d’ordre privée. »

Pour les bolchéviks, l’émancipation des femmes faisait partie intégrante de l’émancipation de la classe ouvrière elle-même, elle ne lui était pas subordonnée. Les bolchéviks s’inspirèrent de leur programme marxiste pour la libération des femmes pour tenter de créer des alternatives sociales à la famille, dans la mesure de leurs capacités qui étaient limitées par l’arriération de la Russie, saignée à blanc par la guerre mondiale et par la guerre civile qui éclata peu après la Révolution, tout cela sous la pression immense de l’encerclement impérialiste hostile. Ils luttèrent dans un contexte économique très dur afin de fournir les moyens matériels et économiques pour abolir l’unité familiale et libérer les femmes de l’isolement des soins aux enfants et du travail domestique. Ces lueurs d’une société nouvelle et d’une fin à l’oppression des femmes mais aussi des homosexuels s’estompèrent plus tard sous l’effet de la contre-révolution politique menée par Staline en 1923-1924, dans le contexte de l’isolement du jeune Etat ouvrier. Une loi fut votée en 1934 punissant d’emprisonnement l’homosexualité, et l’avortement fut interdit en 1936.

La sexualité n’est pas en tant que telle une question politique. C’est la bourgeoisie qui politise cette question en réprimant ceux qui ne se plient pas au moule établi par la famille, l’Eglise et l’Etat. Nous devons chercher à faire vivre le programme des bolchéviks de Lénine et Trotsky et mobiliser le prolétariat en défense des droits de tous les opprimés, dans le cadre de la lutte pour renverser le capitalisme par une révolution socialiste. Pour créer des relations véritablement libres et égales entre les gens dans tous les domaines, y compris la sexualité, il faut rien moins que la destruction de la domination de la classe capitaliste et la création d’un monde communiste.

 

Le Bolchévik nº 203

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