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Spartacist, édition française, numéro 40

Automne 2011

M.N. Roy, menchévik nationaliste

Le livre de Charles Wesley Ervin, Tomorrow Is Ours : The Trotskyist Movement in India and Ceylon, 1935-48 [Demain est à nous : le mouvement trotskyste en Inde et à Ceylan, 1935-1948], a fait l’objet d’une critique élogieuse dans la revue britannique Revolutionary History. On y souligne tout particulièrement « l’excellent passage (pages 29 à 38) sur l’activité de M.N. Roy, marxiste indien négligé » (Revolutionary History, vol. 9 nº 4). En réalité la façon dont Ervin traite cet aventurier pseudo-marxiste, qui fut dès le début une figure de premier plan de l’Opposition de droite boukharinienne en 1928, est un cas d’idolâtrie philistine typique des études universitaires bourgeoises sur le communisme indien, dans lesquelles on est loin de négliger Roy. Ce qui distingue Roy, et qui le rend attrayant pour ces gens-là, c’est qu’il essayait de combiner communisme et nationalisme – une gageure. Roy incarnait cette conception révisionniste. En cherchant à atteindre ce but, il devint un vulgaire démocrate prônant l’idéologie bourgeoise du nationalisme, quoique avec un certain vernis communiste, ce qui fit de lui un adversaire dans le combat pour un parti léniniste d’avant-garde basé sur l’internationalisme prolétarien.

Les travaillistes de gauche qui publient Revolutionary History (RH) forment une bande hétéroclite ; même s’il leur arrive à l’occasion d’essayer de se faire passer pour « trotskystes », ils se rangent depuis longtemps sous la bannière du communisme de droite pour justifier « l’aile gauche du possible ». Ces gens renient la Révolution bolchévique de 1917, qu’ils qualifient d’événement historique aberrant – au mieux une expérience qui a échoué –, et ils avancent des arguments retors d’avocat pour excuser ceux qui ont trahi des occasions révolutionnaires ailleurs. Revolutionary History a ainsi défendu le rôle de Heinrich Brandler, dirigeant du Parti communiste allemand, dans la révolution avortée de 1923, et plus tard celui de l’Opposition de droite internationale. En Espagne, RH a amnistié le POUM d’Andrés Nin, ex-membre de l’Opposition de gauche. En fusionnant avec le communiste de droite Joaquín Maurín en 1935 pour former le POUM, une formation centriste, Nin avait porté un coup fatal à la perspective de forger un parti léniniste d’avant-garde en Espagne à la veille de la guerre civile. (Pour en savoir davantage sur ces questions, voir nos articles « Le Comintern et l’Allemagne en 1923 : Critique trotskyste » et « Trotskysme contre front-populisme dans la guerre civile espagnole », Spartacist édition française nº 34, automne 2001, et nº 39, été 2009.)

Dans son plaidoyer pour Roy, Ervin commence par prétendre, comme le font généralement les intellectuels nationalistes, que Roy critiquait Lénine de la gauche dans la discussion sur les questions nationale et coloniale lors du Deuxième Congrès de l’Internationale communiste (IC) en 1920. A en croire Ervin, Roy avait adhéré avant l’heure à la théorie de la révolution permanente de Trotsky dans l’Orient colonial. Ervin prétend que « Roy rejetait le modèle “menchévique” pour l’Inde » alors que, toujours selon Ervin, Lénine affirmait avec insistance que « la bourgeoisie d’Asie avait toujours un rôle révolutionnaire à jouer dans l’histoire mondiale. Comme nous l’avons vu, c’est l’opinion qu’il s’était faite avant la Première Guerre mondiale, quand il était encore un social-démocrate de gauche » (Tomorrow Is Ours). Ervin de continuer : « De l’avis général, Lénine s’était montré prêt à reconsidérer certaines de ses hypothèses » au vu des critiques de Roy.

En ce qui concerne la question coloniale, l’objectif principal de Lénine lors du Deuxième Congrès était de se démarquer clairement du social-impérialisme de la Deuxième Internationale dans le mouvement ouvrier des pays capitalistes avancés. Comme nous l’avons noté ailleurs (voir « Les origines du trotskysme chinois », Spartacist édition française nº 31, automne 1997), le mouvement prolétarien dans le monde colonial était à l’époque nouveau et de petite taille ; le rôle que les bourgeoisies naissantes allaient jouer dans la lutte pour la libération nationale n’était pas du tout clair, pas plus que ne l’était la question de savoir si le programme de la révolution permanente, qui avait été vérifié dans le cas de la Russie tsariste, était applicable dans des pays tels que la Chine et l’Inde. C’est pour cela que les thèses soumises par Lénine ne traitaient des rapports entre les partis communistes et les mouvements nationalistes bourgeois que dans les grandes lignes. Cependant, le projet de thèses soumis par Lénine, qui fut adopté sans aucun changement de substance, était catégorique sur le point suivant : il insistait sur l’indépendance de classe prolétarienne. Il déclarait : « l’Internationale Communiste doit conclure une alliance temporaire avec les démocrates bourgeois des colonies et des pays arriérés, mais pas fusionner avec eux, et maintenir fermement l’indépendance du mouvement prolétarien, même sous sa forme la plus embryonnaire » (« Première ébauche des thèses sur les questions nationale et coloniale », juin 1920).

Lénine a effectivement fait une concession à Roy en parlant de soutien aux mouvements « national-révolutionnaires » plutôt que « démocratiques bourgeois » dans les colonies. Pour Lénine il n’y avait pas là de distinction en termes de programme ou de principes puisque, disait-il, « il n’y a pas le moindre doute que tout mouvement national ne puisse être que démocratique bourgeois, car la grande masse de la population des pays arriérés est composée de paysans, qui représentent les rapports bourgeois et capitalistes » (« Rapport de la commission nationale et coloniale », 26 juillet 1920). Autant pour les affirmations d’Ervin que Lénine aurait « reconsidéré » ses positions prétendument « social-démocrates de gauche » !

En essayant de renforcer l’autorité de Roy aux dépens de Lénine, Ervin passe totalement sous silence le fait que c’est Roy qui dut « reconsidérer certaines de ses hypothèses » au cours de la discussion. Il fut critiqué en particulier pour avoir argumenté que le prolétariat d’Europe était tellement corrompu par l’impérialisme qu’il ne pouvait pas prendre le pouvoir avant la révolution coloniale. Il avait par exemple affirmé dans son projet de thèses complémentaires, écrites au moment où l’Allemagne était en proie à l’agitation révolutionnaire et alors qu’il y avait des luttes prolétariennes partout en Europe : « Sans l’effondrement de l’empire colonial, le renversement du système capitaliste en Europe n’apparaît pas possible » (Colloque sur : l’expérience soviétique et le problème national dans le monde (1920-1939), Actes II, Paris 1978, Institut national des langues et civilisations orientales). Ce fut le délégué du Parti communiste d’Iran, Ahmed Sultanzadeh, qui dans la discussion répondit avec le plus de force aux préjugés de Roy vis-à-vis du prolétariat d’Europe de l’Ouest. Il déclara : « Cela signifie-t-il, comme le camarade Roy voudrait nous le faire croire, que le destin du communisme dans le monde dépend du succès de la révolution sociale en Orient ? Certainement pas » (Proceedings and Documents of the Second Congress, 1920 [New York, Pathfinder, 1991]). Sultanzadeh ajouta : « Le grondement de la révolution en Occident a secoué l’Orient jusqu’aux racines et a donné force aux révolutionnaires de Perse et de Turquie » (ibid.). Roy était un précurseur, non pas de la révolution permanente, mais de la conception maoïste-guévariste prônant l’encerclement des « villes » impérialistes par les « campagnes » du « tiers-monde ».

Furent également retirées du projet de thèses de Roy, adoptées par le congrès après de nombreux amendements, les affirmations répétées que les masses coloniales étaient déjà en train de rompre avec les nationalistes bourgeois et d’adopter une politique révolutionnaire. Il faut dire qu’à l’époque, même le groupe (éphémère) des communistes indiens de l’émigration n’existait pas encore. Il ne se forma que quelques mois après le Deuxième Congrès à Tachkent, en Union soviétique. Comme beaucoup de « nouveaux convertis » au mouvement communiste, Roy ne pouvait pas imaginer à quel point serait ardue la lutte pour construire un parti capable de conduire les masses ouvrières au pouvoir. C’est une leçon que Lénine avait cherché à faire comprendre dans la Maladie infantile du communisme (le « gauchisme »), écrit à la veille du Congrès.

Comme son optimisme béat se heurtait à la réalité objective, Roy, qui avait cherché d’abord à minimiser l’emprise du nationalisme bourgeois sur les masses, finit par s’y adapter. Ervin affirme que Roy « avait évidemment absolument raison » quand il déclarait au Quatrième Congrès de l’IC, en novembre-décembre 1922, que la bourgeoisie coloniale devait nécessairement devenir une force contre-révolutionnaire (Tomorrow Is Ours). Ce que ne précise pas Ervin c’est que Roy fit cette remarque, somme toute banale, tout en apportant un soutien sans faille au « front unique anti-impérialiste » adopté par le Quatrième Congrès. Cette résolution revenait implicitement à un programme menchévique et étapiste pour la révolution coloniale, avec pour première étape, en bloc politique avec le nationalisme bourgeois, la lutte démocratique contre l’impérialisme. Comme nous l’avons fait remarquer dans « Les origines du trotskysme chinois », entre les impulsions opportunistes exprimées au Quatrième Congrès du Comintern révolutionnaire et la politique de trahison catastrophique pleinement développée que le Comintern de Staline et Boukharine mit en œuvre dans la Révolution chinoise de 1925-1927, il y a un gouffre : à la suite de la contre-révolution politique de 1923-1924 en Union soviétique, l’IC s’était progressivement transformée de parti de la révolution mondiale en instrument servant les manœuvres diplomatiques de Staline.

Il n’en reste pas moins que, sur une question programmatique importante, Roy était même à droite des thèses du Quatrième Congrès. Ervin reconnaît, sans autre explication, que Roy, « après avoir souligné la nécessité de “développer nos partis dans ces pays”, ajoutait de manière assez ambiguë que seul “un parti politique représentant les ouvriers et les paysans” pouvait assurer la “victoire finale” » (Tomorrow Is Ours). Ervin poursuit : « Après le Quatrième Congrès Roy appliqua la stratégie du parti du peuple en Inde » et « se mit à jouer avec l’idée qu’on pouvait pousser d’autres classes à commencer la révolution ». En fait, dans les mois qui avaient précédé le Quatrième Congrès, Roy avait déjà appelé à la formation d’un parti ouvrier-paysan en Inde, amalgamant les intérêts du prolétariat et de la paysannerie. Il écrivait par exemple que « la direction de la lutte nationale doit être assurée par un parti de masse représentant consciemment les intérêts tant immédiats que fondamentaux des ouvriers et des paysans » (« Wanted a New Party », Octobre 1922, Selected Works of M.N. Roy [Oxford University Press, 1987]). Sur cette question, Roy a vraiment eu une longueur d’avance et a devancé la ligne que Staline et Boukharine allaient prôner plus tard avec des conséquences désastreuses.

Trotsky a mis en pièces la notion antimarxiste d’un parti de « deux classes » dans son livre l’Internationale communiste après Lénine (1928), où il dénonce la dégénérescence stalinienne du Comintern. Il écrit :

« Le marxisme a toujours enseigné, et le bolchevisme a confirmé cet enseignement, que le prolétariat et la paysannerie sont des classes différentes, qu’il est faux d’identifier leurs intérêts, de quelque façon que ce soit, dans la société capitaliste, qu’un paysan ne peut adhérer au Parti communiste que dans la mesure où il passe du point de vue du propriétaire à celui du prolétariat. […]

« La fameuse idée des partis ouvriers et paysans semble être spécialement conçue pour permettre le camouflage des partis bourgeois obligés de chercher un appui chez les paysans, mais désireux aussi de compter des ouvriers dans leurs rangs. Désormais, le Kuomintang est entré pour toujours dans l’histoire comme le type classique d’un parti de ce genre. »

Sous la supervision de Roy, le Parti communiste d’Inde (PCI) avait dès ses débuts, en décembre 1925, entrepris de construire un Parti paysan et ouvrier au Bengale. En 1926, Roy soutint que le PCI était « condamné à être une petite secte sans aucune influence politique » s’il ne devenait pas lui-même un parti ouvrier et paysan ; Roy argumentait que c’était là le moyen de prendre le contrôle d’« un important élément révolutionnaire » qui n’était pas « idéologiquement préparé ni suffisamment courageux pour adhérer ouvertement à un parti communiste » (cité par V.B. Karnik, M.N. Roy : Political Biography [Bombay, Nav Jagriti Samaj, 1978]). Le but de Roy dans tout cela était de mettre la main sur le Congrès national indien, un parti bourgeois, et d’en faire un parti « du peuple » ou « nationaliste révolutionnaire », basé sur un programme démocratique d’indépendance nationale. Comme l’écrivait l’historien John Patrick Haithcox : « Roy espérait que les communistes indiens réussiraient à reproduire l’apparent succès de leurs homologues chinois qui avaient travaillé au sein du Kuomintang » (Haithcox, Communism and Nationalism in India : M.N. Roy and Comintern Policy, 1920-1939 [Princeton University Press, 1971]).

Ervin diminue l’importance du rôle de Roy dans le développement des partis de deux classes, tout en faisant un semblant d’éloges de Trotsky pour s’être opposé à Staline et Boukharine sur cette question en 1928. Ensuite, à la manière typique de Revolutionary History, Ervin fustige cyniquement Trotsky, citant un article de 1928 où Trotsky, prétend-il, « reconnut, tardivement, que l’Opposition aurait dû combattre cette ligne beaucoup plus tôt, en 1923-1925, lorsqu’on était en train de l’élaborer et de l’appliquer expérimentalement » (Tomorrow Is Ours). Ce que Trotsky a reconnu dans cet article de 1928 était tout autre chose, à savoir : « Nous avons sous-estimé toute la profondeur de la régression, exprimée dès 1924-1925 par le mot d’ordre ignare de “partis de deux classes ouvriers-paysans en Orient” (« Les erreurs de l’Opposition, vraies et fausses », 23 mai 1928).

Plus récemment, dans une lettre du 23 août 2010 à Workers Vanguard, Ervin est allé jusqu’à faire de Lénine et Trotsky les complices de Roy dans ses combines de partis de deux classes. Dans cette lettre, il reproche à Workers Vanguard d’avoir osé présenter Roy comme un « aventurier pseudo-marxiste » ; il prétend que « ni Lénine ni Trotsky ne protestèrent » quand Roy appela, au Quatrième Congrès, à un « parti du peuple » (voir « Echange sur M.N. Roy », Workers Vanguard nº 969, 19 novembre 2010). Le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est totalement faux. Lénine était déjà gravement malade au moment du Quatrième Congrès et il y joua un rôle très limité, mais l’ensemble des œuvres de Lénine regorge de mises en garde qu’il ne faut pas confondre les intérêts du prolétariat et ceux de la paysannerie. Il en va de même pour Trotsky.

Contrairement à ce que prétend Ervin, Trotsky s’était battu contre la conception du parti « de deux classes » en 1924, lorsque la question s’était posée sur le terrain américain. Sous l’influence de John Pepper, aventurier hongrois transplanté aux Etats-Unis, les communistes y soutenaient le parti fermier-ouvrier, qui devint un instrument électoral pour la campagne présidentielle de Robert La Follette, un « progressiste » bourgeois. Si Trotsky n’avait pas mené ce combat, conduisant le Comintern à faire changer le parti américain de position et retirer son soutien à La Follette, cela aurait vite sonné le glas du communisme américain.

Pour ce qui est du caractère d’aventurier pseudo-marxiste de Roy, il faut noter qu’il a participé au Deuxième Congrès de l’IC en 1920 comme délégué du Parti communiste du Mexique (PCM) dont la « conférence de fondation », fin 1919, regroupait au plus sept personnes : Roy, sa femme et quelques-uns de ses amis. Roy a plus tard reconnu qu’avant de « fonder » ce nouveau parti, il avait d’abord cherché à obtenir le consentement du président mexicain Venustiano Carranza, un hacendado (riche propriétaire terrien) qui avait déjà parrainé son « parti socialiste ». Roy explique qu’il fallait « rassurer le gouvernement et les nombreux “compagnons de route” du socialisme révolutionnaire : les résolutions flamboyantes de la conférence [de fondation] ne marquaient pas une rupture avec le passé ». Roy ajoute : « Le Parti communiste restait déterminé à défendre le programme démocratique révolutionnaire [c’est-à-dire bourgeois] du défunt Parti socialiste » (M.N. Roy’s Memoirs, [Bombay, Allied Publishers Private Ltd., 1964]).

Roy avoue également que moins d’un mois avant de fonder le PCM, il avait été conseiller du ministre mexicain du Travail en matière de brisage de grève. Et avant cela, Roy vivait de fonds qu’il avait levés auprès de l’ambassade allemande, officiellement afin d’acheter des armes pour les nationalistes indiens, ainsi qu’auprès du régime de Carranza. Roy avait manigancé son plan de « parti communiste », qui ne faisait pas non plus de différence entre le prolétariat et la paysannerie, avec la collaboration de Mikhaïl Borodine, alors en visite au Mexique. Borodine allait par la suite œuvrer avec Roy à subordonner le prolétariat chinois au Guomindang nationaliste bourgeois.

Car effectivement Roy a joué un rôle clé dans la mise en œuvre en Chine, sur le terrain, de la politique liquidationniste de Staline et Boukharine. Leur étape « démocratique », « anti-impérialiste », se termina avec le massacre en avril 1927 de milliers de communistes et d’ouvriers à Shanghai, un massacre ordonné par Chiang Kai-shek, le chef du Guomindang que Staline avait été jusqu’à nommer membre honoraire du Comité exécutif du Comintern. Peu après, Trotsky écrivait au sujet de Roy :

« Il est douteux que l’on puisse faire plus de mal au prolétariat indien que ne lui en ont fait Zinoviev, Staline et Boukharine, par l’intermédiaire de Roy. En Inde, comme en Chine, on a mené et on mène une action qui a presque toujours en vue le nationalisme bourgeois. Dans toute la période post-léniniste, Roy a fait une propagande en faveur d’un “parti du peuple” qui, comme il l’a dit lui-même, “ni par son titre ni par sa nature” ne devrait être le parti de l’avant-garde prolétarienne. C’est une adaptation du kuomintangisme, du stalinisme et du lafollettisme aux conditions du mouvement national de l’Inde. Politiquement, cela veut dire : par l’intermédiaire de Roy, la direction de l’Internationale tient l’étrier aux futurs Tchang Kaï-chek indiens. Quant aux conceptions de Roy, elles sont un mélange d’idées socialistes-révolutionnaires et de libéralisme, accommodées à la sauce de la lutte contre l’impérialisme. […] Inutile de dire que ce national-démocrate, intoxiqué par un ersatz de “marxisme” est un ennemi irréductible du “trotskysme”. »

l’Internationale communiste après Lénine

Lorsque Staline fit prendre au Comintern un tournant à gauche avec la « troisième période », Boukharine et Roy s’opposèrent à Staline de la droite. Boukharine capitula rapidement devant Staline. Roy fut exclu de l’IC en septembre 1929. N’ayant tiré aucune leçon de la débâcle en Chine, Roy s’attacha, à son retour en Inde en décembre 1930, à subordonner le prolétariat au parti bourgeois du mahatma Gandhi, le Parti du congrès. Dans ce but, Roy et son groupe se firent l’instrument des nationalistes pour virer les communistes de la direction du All India Trade Union Congress (AITUC), la confédération syndicale indienne. Enivré par le sectarisme de la « troisième période », le PCI, après avoir perdu le contrôle de l’AITUC, facilita la purge anticommuniste dirigée par Roy et ses partisans en scissionnant de l’AITUC pour former sa propre confédération, le Congrès syndical rouge.

Dans les années qui suivirent, Roy démontra maintes fois son allégeance envers les nationalistes bourgeois. Au milieu de l’année 1934, quand les communistes appelèrent à transformer une grève du textile combative à Bombay en grève générale dans tout le pays, les partisans de Roy s’y opposèrent et cherchèrent au contraire vainement à mettre fin à la grève. Un an plus tard, les partisans de Roy critiquèrent le PCI parce qu’il cherchait à construire des syndicats, des ligues paysannes et des organisations de jeunesse en dehors du cadre du Parti du congrès ; ils déclarèrent que c’était là une attaque contre l’unité du Congrès, en tant que seule « organisation de la lutte révolutionnaire nationale » (cité dans Communism and Nationalism in India).

Roy avait espéré qu’en 1935, après le Septième Congrès de l’IC qui proclama la ligne des « fronts populaires », il regagnerait, vu la constance de ses positions droitières, les faveurs de Staline contre le PCI. Mais Staline n’était pas si enclin au pardon. En tout cas les prétentions de Roy au communisme étaient usées jusqu’à la corde. Lorsqu’il fut libéré de prison en 1936, après y avoir passé plus de cinq ans pour sédition, pour des faits remontant au début des années 1920, il s’empressa de rencontrer Nehru, le chef du Parti du congrès, pour essayer de le convaincre de mettre en sourdine ses grands discours socialistes. Roy déclara dans une interview : « Mon message au peuple est de se rallier par millions sous le drapeau du Parti du congrès national et de lutter pour la liberté. Ni le socialisme ni le communisme ne sont aujourd’hui à l’ordre du jour, et les socialistes et les communistes doivent réaliser que l’objectif immédiat, c’est l’indépendance nationale » (cité ibid.).

Moins de trois ans plus tard, Roy exhortait les masses indiennes à se rallier sous la bannière de l’impérialisme britannique. Après s’être d’abord déclaré en faveur d’une politique de neutralité dans la Deuxième Guerre mondiale, Roy appela, à peine quelques mois plus tard, à collaborer inconditionnellement à l’effort de guerre britannique. En octobre 1940, alors que les staliniens prirent temporairement une posture anti-impérialiste combative étant donné le pacte Hitler-Staline, les partisans de Roy déclarèrent que les « convictions antifascistes » étaient « incompatibles » avec l’appartenance au Parti du congrès et ils scissionnèrent pour former le Parti du peuple démocratique et radical (cité ibid.). Roy ne fut pas le seul ancien membre de l’Opposition de droite à devenir un vil apologiste et agent de l’impérialisme « démocratique ». Aux Etats-Unis, Jay Lovestone utilisa son soutien à la guerre « antifasciste » comme tremplin pour rassembler une équipe de cadres contre-révolutionnaires prêts à être déployés par la CIA et la bureaucratie syndicale américaine pro-impérialiste dans la guerre froide contre le communisme à la fin des années 1940.

Seul le Parti bolchévique-léniniste d’Inde (BLPI), créé en 1942, apporta au prolétariat indien la voix de l’internationalisme révolutionnaire. Le BLPI appelait au défaitisme révolutionnaire envers les deux camps impérialistes en guerre tout en prônant la défense militaire inconditionnelle de l’Etat ouvrier dégénéré soviétique. Les modestes forces trotskystes en Inde s’opposèrent aux staliniens et aux partisans de Roy qui tous deux brisaient les grèves, et elles firent tout leur possible pour mobiliser le prolétariat indépendamment et sur une base de classe dans la lutte pour l’indépendance nationale et la révolution socialiste. Ce que déclarait le BLPI en 1945 serait une épitaphe parfaite pour celui que Revolutionary History présente comme « M.N. Roy, marxiste indien négligé » :

« Le stalinisme et le “royisme” s’accordent à être hostiles au mouvement et à la lutte des masses, et à soutenir l’impérialisme et la guerre impérialiste. Ils s’accordent aussi pour soutenir la bureaucratie soviétique – à une différence près : alors que les staliniens viennent au soutien à l’impérialisme à partir du soutien à la bureaucratie soviétique, les partisans de Roy viennent au soutien à la bureaucratie soviétique à partir du soutien aux impérialistes. »

– « Pour un front de gauche anti-impérialiste : appel aux forces de gauche du pays », 20 mai 1945 

 

Spartacist édition française nº 40

SpF nº 40

Automne 2011

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