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Spartacist, édition française, numéro 38

été 2008

A bas les postes exécutifs!

Nous reproduisons ci-dessous un extrait du document de la Cinquième Conférence internationale de la LCI, « Maintenir un programme révolutionnaire dans la période post-soviétique », février 2007.

Assimiler les leçons des batailles au sein du mouvement ouvrier international, en formant des cadres et en réexaminant d’un œil critique le travail de nos prédécesseurs révolutionnaires, est nécessaire au maintien de notre continuité révolutionnaire. C’est indispensable pour prendre position sur la manière de formuler notre programme pour le présent. Nous nous réclamons des quatre premiers congrès de l’Internationale communiste (IC). Mais nous avons certaines critiques à faire des débuts de l’IC et, dès les premières années de notre tendance, nous avons exprimé des réserves à propos des résolutions sur le « front unique anti-impérialiste » et le « gouvernement ouvrier » au Quatrième Congrès. Dans notre article « Le Comintern et l’Allemagne en 1923 : Critique trotskyste » (Spartacist édition française no 34, automne 2001), nous examinions les erreurs des directions du KPD et de l’IC qui menèrent à l’échec de la révolution allemande. Dans les Leçons d’Octobre, Trotsky montrait comment le Parti bolchévique, sous la direction de Lénine, avait vaincu la résistance des Kamenev, Zinoviev et Staline qui se dérobèrent à la tâche lorsque la question du pouvoir fut posée. Mais, en Allemagne, la politique de capitulation triompha et l’occasion révolutionnaire fut gâchée, avec de désastreuses conséquences. Il est possible que ce document de Trotsky ait été en partie une autocritique personnelle : Trotsky avait été partie prenante de la direction de l’IC qui avait eu sa part de responsabilité dans la débâcle allemande. Cependant, ni Trotsky ni ses partisans n’ont jamais entrepris de réexamen systématique et complet de l’intervention de l’IC et du KPD dans les événements d’Allemagne en 1923 ; pas plus qu’ils n’ont critiqué la résolution défectueuse sur les gouvernements ouvriers au Quatrième Congrès. Cette résolution laissait la porte ouverte à l’entrée du KPD dans les gouvernements régionaux de Saxe et de Thuringe en 1923, ce que Trotsky avait défendu à tort comme étant un « champ d’exercices » pour la révolution. Mais la manœuvre en Saxe et Thuringe n’a fait que renforcer les illusions répandues dans l’Etat bourgeois. Si ces gouvernements étaient des « gouvernements ouvriers », comme cela avait été dit aux masses, il n’y avait alors logiquement plus besoin de lutte révolutionnaire extraparlementaire, ni de former des conseils ouvriers et des milices ouvrières. Le fiasco de 1923 montre clairement que, lorsqu’on « arrondit les angles » du programme plutôt que de prendre une position léniniste claire sur l’Etat, cela aboutit au désastre.

La Quatrième Conférence de la LCI avait adopté la position que les communistes pouvaient se présenter à des postes exécutifs comme celui de président ou de maire, s’ils déclaraient ouvertement qu’ils n’avaient pas l’intention d’exercer ces fonctions. Le camarade Robertson a mis en question cette ligne à la conférence de la SL/U.S. de 2004. Il a fait remarquer qu’il y avait une contradiction entre notre refus de principe de nous présenter pour le poste de shérif de comté aux USA et le fait que nous puissions nous présenter au poste de shérif de l’impérialisme US. Notre attitude devrait être « A bas les postes exécutifs ! » Se présenter à des postes exécutifs est en contradiction avec la conception léniniste de l’Etat. Dans la discussion sur les postes exécutifs, nous devons réexaminer de façon critique la pratique de l’IC à ses débuts, lorsque ses sections présentaient des candidats à des postes exécutifs et assumaient régulièrement des postes de maires dans les municipalités ou, dans le cas de l’Allemagne, avaient même eu des ministres dans des gouvernements bourgeois régionaux. Nous ne voyons aucune différence de principe entre les gouvernements capitalistes locaux, régionaux ou nationaux – les municipalités bourgeoises font partie des mécanismes de l’Etat capitaliste qu’il faut détruire et remplacer par des organes du pouvoir ouvrier, c’est-à-dire des soviets.

Ce qui différencie le réformisme de la politique révolutionnaire, c’est l’attitude vis-à-vis de l’Etat bourgeois. Autrement dit, le point de vue réformiste qu’il est possible de s’emparer de l’appareil d’Etat existant et de le gérer dans l’intérêt des ouvriers est à l’opposé de la conception léniniste, à savoir que l’appareil d’Etat capitaliste doit être détruit par la révolution prolétarienne. Le problème qu’il y a à se présenter à des postes exécutifs, c’est que cela donne de la légitimité aux conceptions réformistes dominantes de l’Etat. L’histoire regorge d’exemples sordides de réformistes sociaux-démocrates et staliniens gérant l’Etat dans l’intérêt du capitalisme. Le pouvoir exécutif commande les « détachements d’hommes armés » qui sont le noyau de l’appareil d’Etat ; la destruction révolutionnaire de cet Etat implique nécessairement une confrontation avec l’exécutif. Même dans les grandes révolutions bourgeoises en Angleterre et en France, les cromwelliens et les jacobins qui établirent une base au Parlement durent se débarrasser du roi et mettre en place un nouvel organe exécutif.

L’Affaire Dreyfus dans les années 1890 avait provoqué une grave crise sociale en France. Elle avait également profondément divisé le mouvement ouvrier français, certains socialistes ne comprenant pas la nécessité de défendre l’officier juif Dreyfus contre la réaction et l’antisémitisme bourgeois. Pour désamorcer la crise sociale et liquider l’affaire Dreyfus, le nouveau président du Conseil avait demandé au socialiste Alexandre Millerand de participer au gouvernement des radicaux et des républicains bourgeois, dans lequel le général Galliffet, le boucher de la Commune de Paris, était ministre de la Guerre. Millerand accepta et entra dans le gouvernement Waldeck-Rousseau comme ministre du Commerce et de l’Industrie en 1899. La trahison de Millerand, défendue par Jean Jaurès, divisa les socialistes français. La Deuxième Internationale donna une réponse typiquement ambiguë au ministérialisme. Au congrès de Paris de 1900, une motion de compromis présentée par Kautsky l’emporta. Cette motion critiquait le millerandisme… sauf lorsque c’était une question de survie nationale : « L’entrée d’un socialiste isolé dans un gouvernement bourgeois ne peut pas être considérée comme le commencement normal de la conquête du pouvoir politique, mais seulement comme un expédient forcé, transitoire et exceptionnel. Si dans un cas particulier, la situation politique nécessite cette expérience dangereuse, c’est là une question de tactique et non de principe. » Un amendement déposé par Guesde qui cherchait à interdire la participation en toutes circonstances fut repoussé. L’aile révolutionnaire de la social-démocratie, dont faisaient partie Lénine et Luxemburg, s’opposa avec véhémence au millerandisme. Luxemburg écrivait : « L’entrée des socialistes dans un gouvernement bourgeois n’est donc pas, comme on le croit, une conquête partielle de l’Etat bourgeois par les socialistes, mais une conquête partielle du parti socialiste par l’Etat bourgeois. »

Le Parti socialiste américain n’avait à ses débuts aucune compréhension de l’importance de la question de l’Etat. L’aile réformiste, y compris de vulgaires chauvins tels que Victor Berger, s’adonnait à la pratique de gérer les municipalités, ce que d’autres socialistes plus radicaux critiquaient et appelaient le « socialisme des égouts ». Bien que plus à gauche, Eugene Debs s’imaginait qu’on pouvait utiliser l’Etat capitaliste existant pour faire avancer la cause du prolétariat, et il argumentait que la tâche du Parti socialiste était « de vaincre le capitalisme sur le champ de bataille politique, prendre le contrôle du gouvernement et, au moyen des pouvoirs publics, prendre possession des moyens de production de la richesse, abolir l’esclavage salarié et émanciper tous les ouvriers » (« Le parti socialiste et la classe ouvrière »). Les campagnes de Debs pour la présidence américaine ont établi un précédent qui fut plus tard suivi par les communistes américains et les trotskystes de Cannon.

La Deuxième Internationale ne pouvait pas résoudre la question des postes exécutifs car elle n’était pas révolutionnaire. Le Parti bolchévique de Lénine, en s’opposant irréconciliablement au gouvernement provisoire de front populaire, a démontré son hostilité totale au ministérialisme. Cependant, Lénine faisait une distinction très nette entre assumer un poste exécutif, ce qui signifie automatiquement gérer le capitalisme et constitue donc une trahison de classe, et l’utilisation révolutionnaire du parlement. Faisant référence au travail des bolchéviks dans la Douma tsariste, Lénine faisait remarquer : « A une époque où presque tous les députés “socialistes” (que l’on nous pardonne de profaner ce mot !) d’Europe sont apparus comme des chauvins ou comme les valets des chauvins, à une époque où ce fameux “esprit européen” qui séduisait nos libéraux et nos liquidateurs s’est révélé une accoutumance stupide à une servile légalité, il s’est trouvé en Russie un parti ouvrier dont les députés n’avaient pas leurs “entrées” dans les salons bourgeois et intellectuels, ne brillaient pas par leur rhétorique, par les finesses de l’avocat ou du parlementaire “européen”, mais par leur liaison avec les masses ouvrières, par leur travail dévoué au sein de ces masses, par des fonctions modestes, effacées, pénibles, ingrates et particulièrement dangereuses du propagandiste et de l’organisateur clandestin » (« Qu’a prouvé le procès de la fraction ouvrière social-démocrate de Russie ? »).

Cependant, le Comintern n’a jamais mené la question du millerandisme à une conclusion satisfaisante. Les thèses « Le Parti communiste et le parlementarisme » du Deuxième Congrès contiennent des formulations contradictoires sur la question de savoir s’il est approprié ou non pour des communistes de diriger des municipalités. La thèse 5 note que « [les institutions municipales] font aussi partie du mécanisme gouvernemental de la bourgeoisie : elles doivent être détruites par le prolétariat révolutionnaire et remplacées par les soviets de députés ouvriers » (Manifestes, thèses et résolutions des quatre premiers congrès mondiaux de l’Internationale communiste, 1919-1923). Ce qui est correct. Mais la thèse 13 déclare que les communistes qui « obtiennent la majorité dans les municipalités » doivent « former une opposition révolutionnaire à l’égard du pouvoir central de la bourgeoisie ». Cette disposition était proposée notamment en rapport avec le « modèle » des communistes bulgares, et elle a servi de justification à la pratique de gérer des municipalités. Historiquement, la pratique de gérer des municipalités a été utilisée par la bourgeoisie comme mécanisme pour coopter les partis réformistes au sein du régime capitaliste, comme cela a été le cas avec le Parti communiste en Italie après la Deuxième Guerre mondiale. Nous nous opposons à nous présenter à un poste exécutif, ainsi qu’à l’assumer, et cela s’applique tant au niveau local que national. Certains dirigeants du communisme américain à ses débuts faisaient la distinction entre se présenter à des postes législatifs et se présenter à des postes exécutifs, mais, après la formation du Parti communiste unifié en 1920, cette distinction disparut. En 1921, les communistes firent campagne pour la mairie de New York, et à partir de 1924 ils présentèrent un candidat à chaque élection présidentielle. A partir de 1948, le Socialist Workers Party [SWP, le parti trotskyste américain à l’époque] présenta des candidats aux présidentielles. Le PCF présenta un candidat aux présidentielles de 1924 et à d’innombrables élections municipales pour le poste de maire. En Allemagne, le KPD présenta Ernst Thälmann comme candidat aux présidentielles de 1925 et encore en 1932. La campagne électorale du KPD pour les présidentielles de 1932, ainsi que ses campagnes pour le Reichstag (Parlement) au début des années 1930, ne fut pas, en dépit de toute la phraséologie ultragauche de la « troisième période », un terrain d’entraînement pour la lutte extraparlementaire. Le KPD faisait surtout beaucoup de bruit pour camoufler sa banqueroute et celle de l’IC, dont la politique était de refuser de faire des fronts uniques avec les sociaux-démocrates et de mobiliser des milices ouvrières pour écraser les nazis. Lorsque les nazis attaquèrent le quartier général du KPD à Berlin le 22 janvier 1933, par exemple, les dirigeants communistes refusèrent de façon méprisable de mobiliser les ouvriers pour défendre la Maison Karl Liebknecht, leur disant au lieu de cela de faire appel à la police prussienne et leur demandant de voter pour le KPD aux élections au Reichstag prévues en mars. Mais en mars, le KPD avait été interdit par Hitler. Hitler put prendre le pouvoir sans qu’un seul coup de feu ne soit tiré. Quand le Comintern s’embarqua dans le front populaire deux ans plus tard, cela mit un terme à ce qui restait de ses prétentions à avoir une ligne léniniste sur la question de l’Etat.

Trotsky critiquait bien sûr fortement la politique de front populaire, mais il ne s’opposait pas à présenter des candidats à des postes exécutifs. En 1940, s’inquiétant de ce que le SWP s’adaptait à la bureaucratie syndicale pro-Roosevelt, Trotsky lui proposa de lancer sa propre campagne avec un candidat aux présidentielles, ou de se battre pour que le mouvement ouvrier lance une telle campagne. Comme le SWP ne faisait rien pour mettre cela en application, il lui proposa d’envisager de donner un soutien critique au candidat du PC, Browder, dans le contexte du pacte Staline-Hitler où le PC s’était déclaré contre Roosevelt. Il nous faut réexaminer aussi notre propre passé, y compris le fait que nous avons présenté des candidats pour des postes municipaux comme celui de maire.

Lorsque nous argumentons contre présenter des candidats à des postes exécutifs, nous n’excluons pas par avance de donner un soutien critique à d’autres organisations ouvrières dans certaines situations, quand elles tracent en gros une ligne de classe. C’était le cas de la proposition de Trotsky par rapport à Browder. Quand une organisation léniniste donne un soutien électoral critique à un adversaire, il est clair que ce n’est pas parce que nous pensons qu’il va appliquer les mêmes principes que les nôtres. Si c’était le cas, on ne pourrait jamais donner de soutien critique à un parti réformiste de masse, parce que s’il gagne les élections il cherchera inévitablement à former un gouvernement, c’est-à-dire à gérer le capitalisme. Le but de ce soutien critique est de démontrer que malgré les prétentions de ces partis à représenter les intérêts des ouvriers, dans la pratique ils trahissent ces intérêts.

Cette discussion à la Cinquième Conférence de la LCI est extrêmement importante. En adoptant cette position contre présenter des candidats à des postes exécutifs, nous reconnaissons et codifions ce qu’il faut voir comme le corollaire de l’Etat et la révolution et de la Révolution prolétarienne et le renégat Kautsky de Lénine, qui sont en fait les documents fondateurs de la Troisième Internationale. Cette conception de l’Etat était déjà dégradée au Deuxième Congrès de l’IC, où la distinction ne fut pas faite, à propos de l’activité électorale, entre un poste exécutif et un poste parlementaire. Ainsi, nous continuons à compléter le travail programmatique et théorique des quatre premiers congrès de l’IC. Il est assez facile de promettre que vous n’allez pas accepter de poste exécutif quand les chances de gagner sont infimes. Mais la question est : que se passe-t-il lorsque vous gagnez ? Le SWP de Cannon ne s’est jamais vraiment adressé à cette question. Les enjeux sont élevés. Si nous n’arrivons pas à apporter une réponse correcte à la question des postes exécutifs, nous allons inévitablement pencher en direction du réformisme lorsque le problème se posera.

Notre pratique précédente était conforme à celle du Comintern et de la Quatrième Internationale. Ceci ne signifie pas que nous avons manqué de principes dans le passé : le principe n’avait jamais été reconnu comme tel, que ce soit par nos prédécesseurs ou par nous-mêmes. Le programme évolue au fur et à mesure que de nouvelles questions surgissent, et nous étudions scrupuleusement et de façon critique le travail de nos prédécesseurs révolutionnaires. C’est en particulier notre examen de ce qui s’est passé en Allemagne en 1923, ainsi que des défauts de la Politique militaire prolétarienne, qui nous a préparés à adopter la position que nous prenons ici. Cette position représente une compréhension plus profonde de l’attitude des communistes vis-à-vis de l’Etat bourgeois. Continuer à se présenter à des postes exécutifs comme nous l’avons fait dans le passé, maintenant que cela s’est révélé défectueux, serait de l’opportunisme.

Spartacist édition française nº 38

SpF nº 38

été 2008

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Cinquième Conférence internationale de la LCI

Maintenir un programme révolutionnaire dans la période postsoviétique

Extraits du document principal de la Cinquième Conférence de la LCI :

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Critique du livre de Bryan Palmer :

James P. Cannon et les origines de
la gauche révolutionnaire américaine, 1890-1928

Une biographie de James P. Cannon

James P. Cannon à Moscou, 1922:

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Refondation du Groupe spartaciste de Pologne

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Diana Kartsen, 1948–2007

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