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Spartacist, édition française, numéro 38

été 2008

Cinquième Conférence internationale de la LCI

Maintenir un programme révolutionnaire dans la période postsoviétique

L’article suivant est traduit de Spartacist (édition anglaise) no 60, mais contient des corrections factuelles mineures.

Début 2007 la Ligue communiste internationale (quatrième-internationaliste) a tenu sa Cinquième Conférence internationale en Europe. La conférence est l’organe le plus élevé de notre tendance internationale régie par le centralisme démocratique. A ce titre, elle avait pour tâche de faire un bilan de notre travail dans la période écoulée depuis la précédente conférence, fin 2003, et de baliser la voie pour la période à venir en tranchant les divergences politiques non résolues et en élisant un nouveau Comité exécutif international (CEI) pour diriger notre organisation jusqu’à la prochaine conférence. Cette conférence avait été précédée de trois mois de discussion de préconférence animée, durant laquelle nous avons produit dix bulletins intérieurs contenant les contributions de camarades de toute l’organisation. L’élection des délégués à la conférence, sur la base de positions politiques, s’est tenue dans toutes les sections nationales de la LCI. Les délégués ont débattu, amendé et adopté le document principal de la conférence « Maintenir un programme révolutionnaire dans la période postsoviétique ».

Tout en prenant sobrement acte des tensions et des pressions qui affectent notre petite avant-garde marxiste dans cette période généralement réactionnaire, la conférence a pris note d’un certain nombre de pas en avant importants. Parmi ceux-ci figurait notamment la décision de reconstituer le Groupe spartaciste de Pologne, dissous en 2001, comme section sympathisante de la LCI. La conférence a noté une amélioration significative, en quantité et en qualité, de notre propagande consacrée à l’Etat ouvrier déformé chinois, ainsi que de nos efforts redoublés, au niveau international, pour obtenir la libération de Mumia Abu-Jamal, prisonnier politique dans le couloir de la mort aux Etats-Unis. Notre précédente conférence avait décidé de mettre en chantier une nouvelle évaluation, plus complète, de notre intervention dans le début de révolution politique en Allemagne de l’Est (RDA) en 1989-1990. Un point entier de l’ordre du jour a été consacré à ce sujet.

La décision la plus importante a été de reconsidérer la pratique, qui était jusque-là celle du mouvement marxiste, de présenter des candidats pour des postes exécutifs comme celui de maire ou de président, ce qui n’est pas du tout la même chose que présenter des candidats aux élections législatives ou parlementaires. La conférence a adopté la résolution que nous sommes catégoriquement opposés à nous présenter à des postes exécutifs dans l’Etat capitaliste. Les discussions extrêmement riches sur cette question, avant et pendant la conférence, ont fait clairement apparaître que ce n’est pas simplement un problème de tactique électorale, mais que cela touche aux fondements de la conception marxiste de l’Etat bourgeois comme instrument d’oppression de classe. Comme l’affirme le passage à ce propos dans le document de la conférence, reproduit dans ce numéro : « En adoptant cette position contre présenter des candidats à des postes exécutifs, nous reconnaissons et codifions ce qu’il faut voir comme le corollaire de l’Etat et la révolution et de la Révolution prolétarienne et le renégat Kautsky de Lénine, qui sont en fait les documents fondateurs de la Troisième Internationale. […] Ainsi, nous continuons à compléter le travail programmatique et théorique des quatre premiers congrès de l’IC [Internationale communiste] » (« A bas les postes exécutifs ! », page 22).

La conception selon laquelle le prolétariat ne peut pas s’emparer de l’Etat capitaliste et s’en servir pour ses propres intérêts de classe est la ligne de partage entre réformisme et marxisme ; c’est d’autant plus le cas aujourd’hui où la majeure partie de la gauche réformiste ne prétend guère, même pour la forme, se donner pour but le socialisme ou le communisme, et où la pression pour se conformer à l’idéologie bourgeoise libérale est omniprésente et intense. La question de la nature de classe de l’Etat était, en fait, un leitmotiv de beaucoup de discussions à la conférence, notamment à propos de notre perspective de mobilisations de masse centrées sur la classe ouvrière pour libérer Mumia Abu-Jamal, alors que les libéraux et les militants de gauche opposent à cette perspective la confiance dans la prétendue justice des tribunaux capitalistes. Cette question figurait aussi de façon centrale dans le réexamen de la lutte que nous avions menée contre la contre-révolution capitaliste et pour la défense des Etats ouvriers d’Union soviétique et de RDA, ainsi que dans la clarification des divergences concernant notre programme de défense militaire inconditionnelle et de révolution politique prolétarienne en Chine. Réaffirmer la conception marxiste de l’Etat est crucial pour préserver les repères de notre programme dans cette période de réaction postsoviétique.

Déprédations impérialistes, luttes défensives

Le document de la conférence analyse le contexte politique international dans lequel nous luttons et intervenons comme groupe de propagande révolutionnaire. Ce contexte continue d’être défini par l’impact de la contre-révolution capitaliste de 1991-1992 qui a détruit l’Union soviétique, la patrie de la Révolution d’octobre 1917. La destruction de l’URSS, après des décennies de pouvoir bureaucratique stalinien, a été une défaite sans équivalent pour les travailleurs du monde entier ; elle a altéré de façon décisive le paysage politique de la planète. Elle a bénéficié à la puissance impérialiste la plus forte et la plus dangereuse, les Etats-Unis, en lui permettant de renforcer son influence dominante sur le monde. En collaboration avec le Japon, les impérialistes américains ont édifié une forte présence militaire dans la région du Pacifique qui menace en premier lieu les Etats ouvriers bureaucratiquement déformés chinois et nord-coréen. Cela rend d’autant plus urgent notre appel à la défense militaire inconditionnelle de ces Etats et des Etats ouvriers déformés vietnamien et cubain. Il est aussi nécessaire de mobiliser le prolétariat au niveau international contre l’occupation de l’Irak et de l’Afghanistan par les Etats-Unis et leurs alliés, et contre les autres déprédations impérialistes.

Mais à la différence de 2003, quand l’administration Bush se gargarisait de sa victoire facile contre le régime de Saddam Hussein, l’impérialisme US se trouve aujourd’hui embourbé dans une occupation de l’Irak immensément impopulaire et meurtrière. En outre, comme nous l’avons noté, « L’hégémonie militaire planétaire incontestée des Etats-Unis est en contradiction flagrante avec leur base économique en déclin. La tendance de l’administration Bush, et derrière elle de larges secteurs de la bourgeoisie américaine, à voir le monde à travers le prisme théologique de l’Apocalypse, a sa source dans cette contradiction objective » (« Défense de la Chine et de la Corée du Nord ! USA, bas les pattes devant le monde ! », Workers Vanguard no 843, 4 mars 2005). Plus généralement, le document faisait remarquer que l’avenir de l’économie mondiale est incertain et sombre ; il y a de nombreux signes que nous sommes au bord d’une dépression ou d’une récession majeure.

La guerre en Irak a fait apparaître au grand jour des fractures entre les Etats-Unis et leurs rivaux européens beaucoup plus faibles militairement, en particulier la France et l’Allemagne. Cherchant à améliorer leur compétitivité, les impérialistes européens prennent pour cible l’« Etat-providence » qu’ils considèrent comme économiquement coûteux et politiquement superflu dans le monde postsoviétique. Les travailleurs d’Europe de l’Ouest résistent à ces attaques en menant d’importantes luttes défensives ; la France connaît des mobilisations massives d’étudiants et de jeunes opprimés faisant partie des minorités originaires de l’Afrique du Nord et de l’Ouest. Le document de la conférence souligne la nécessité de combattre le protectionnisme économique et le chauvinisme anti-immigrés dans les pays impérialistes.

En Amérique latine, le mécontentement face à une paupérisation accélérée, aux privatisations, à l’esclavage de la dette et aux autres ravages de l’impérialisme, venant s’ajouter aux difficultés de Washington en Irak, provoque une importante poussée de nationalisme populiste, dont les figures marquantes sont le régime de Chávez au Venezuela et, au Mexique, le Parti de la révolution démocratique (PRD), le parti nationaliste bourgeois de López Obrador. Le Mexique a connu une série de longues grèves très dures et de manifestations massives, dont un énorme soulèvement populaire contre l’augmentation des prix des produits alimentaires de base. Cette crise atteignait son point culminant au moment même où notre conférence se réunissait. Les délégués ont voté d’aider nos camarades au Mexique à intervenir dans les luttes sociales explosives qui éclataient dans le pays, avec comme objectif d’arracher les travailleurs et la jeunesse radicale à leurs illusions dans le PRD et autres nationalistes populistes.

Nager contre le courant de la réaction postsoviétique

La question, pour paraphraser Marx, n’est pas simplement d’interpréter le monde, mais de le changer ; et pour accomplir un changement révolutionnaire, il faut forger une direction révolutionnaire. L’attention des délégués à la conférence s’est donc nécessairement tournée principalement sur l’état de notre propre organisation, qui représente le noyau du parti d’avant-garde léniniste nécessaire pour diriger le prolétariat dans la lutte pour le pouvoir d’Etat et l’instauration d’une société communiste égalitaire à l’échelle mondiale. Notre dernière conférence internationale s’était tenue en plein milieu d’une crise de la LCI (voir « La lutte pour la continuité révolutionnaire dans le monde postsoviétique », Spartacist édition française no 36, été 2004). La raison de cette crise, c’est que nous n’avions pas pleinement assimilé l’impact matériel et idéologique de la contre-révolution capitaliste. Comme l’expliquait notre article sur la Quatrième Conférence internationale :

« A l’heure cruciale, et contrairement à presque toute la gauche, la LCI était à son poste et a défendu les acquis de la Révolution d’octobre 1917. Pourtant le poids de cette défaite historique mondiale nous a affectés aussi et a eu un effet érosif sur la conscience que nous avons de nos objectifs révolutionnaires dans la lutte pour de nouvelles révolutions d’Octobre. »

Les idéologues de la bourgeoisie se sont emparés de l’effondrement de l’Union soviétique pour proclamer la « mort du communisme » et pour déclarer que le marxisme est une « expérience qui a échoué ». Les ex-bureaucrates staliniens, dont les trahisons et l’incompétence ont pavé la voie à la restauration du capitalisme, ont servilement repris ces mensonges, et les nombreux groupes d’« extrême gauche » réformistes qui, à l’Ouest, avaient aidé et encouragé les menées des impérialistes pour favoriser la contre-révolution, ont fait de même. Cette défaite historique d’ampleur mondiale a conduit à une régression profonde du niveau de conscience prolétarienne, quoique celle-ci soit inégale en termes d’impact dans les différentes parties du monde : aujourd’hui, même les travailleurs politiquement plus conscients dans les pays capitalistes n’identifient plus, dans l’ensemble, leurs luttes avec l’objectif ultime d’instaurer une société socialiste. Même un des principaux porte-parole du Socialist Workers Party (SWP) britannique, qui avait très bruyamment applaudi l’« effondrement du communisme » en 1991, a dû récemment admettre dans un bulletin intérieur du SWP que cette organisation avait mésestimé les « effets de l’effondrement du stalinisme » et qu’en réalité « il a été perçu par des millions, en fait des centaines de millions de personnes, comme la défaite du socialisme » (John Molyneux, « Pourquoi j’ai l’intention de me présenter », publié dans Weekly Worker, 5 janvier 2006).

La plus grande partie de la soi-disant « extrême gauche », qui accepte la thèse de la « mort du communisme » proclamée par la bourgeoisie, ne considère plus le socialisme comme possible, et propose à la place la démocratie bourgeoise libérale et l’« Etat-providence » comme but de la lutte sociale. Il y a un gouffre entre des ennemis du marxisme révolutionnaire de ce genre (ainsi que les jeunes libéraux-radicaux qu’ils peuvent attirer) et notre programme de révolution prolétarienne. Le document principal de la Quatrième Conférence de la LCI affirmait : « Le fait de ne pas comprendre la période dans laquelle nous sommes, ni le rapport qu’il y a forcément entre notre petite avant-garde révolutionnaire et le prolétariat, ajouté à la disparition de l’Union soviétique en tant qu’élément actif et déterminant dans la vie politique, nous a désorientés. La frustration et l’impatience provoquées par la disparité entre d’une part notre petite taille et nos racines peu profondes dans la classe ouvrière, et d’autre part notre but internationaliste prolétarien, ont conduit à des poussées d’opportunisme ainsi qu’à du moralisme sectaire. »

La crise de 2003 a nécessité une âpre bataille pour préserver et défendre l’intégrité de notre programme, c’est-à-dire notre continuité révolutionnaire avec le bolchévisme de Lénine et Trotsky. Reconquérir et maintenir une boussole marxiste dans cette période réactionnaire n’a pas été quelque chose d’automatique ni d’uniforme. La conférence de 2003 a résolu de poursuivre la réévaluation et le réexamen de questions non résolues et du travail passé et présent du parti, afin de mieux appréhender ce qui était à la racine de notre désorientation politique. Grâce à ces réévaluations, ainsi qu’à des débats internes au fur et à mesure que surgissent les controverses, nous avons restauré et renforcé les mécanismes internes de correction qui sont l’essence de notre pratique centraliste démocratique. Les camarades ont été amenés à comprendre, comme l’affirme le document de la Cinquième Conférence, que « La pression centrale opérant sur notre parti, surtout dans cette période de réaction postsoviétique, c’est l’opportunisme menchévique, c’est-à-dire social-démocrate, et non le sectarisme ultragauche. Et, dans la période actuelle, l’essence du menchévisme est la capitulation au libéralisme bourgeois. »

Dans un texte de 1937, Trotsky insistait que, dans une période réactionnaire, « la tâche de l’avant-garde est avant tout de ne pas se laisser entraîner par ce reflux : elle doit aller contre le courant. Si un rapport de forces défavorable ne permet pas de conserver des positions politiques précédemment conquises, elle doit au moins se maintenir sur les positions idéologiques car c’est en elles que se concentre l’expérience chèrement payée du passé » (« Bolchévisme et stalinisme », août 1937). Lorsque nous nous référons à cette lutte d’une importance capitale pour le maintien de notre continuité révolutionnaire, nous disons que nous sommes une « opération de maintien programmatique », c’est-à-dire que pour nous il s’agit de tenir bon au niveau du programme. Comme l’explique le document de la Cinquième Conférence, « le programme est décisif. Sans l’intégrité de notre programme, notre intervention dans le monde ne peut être que révisionniste. »

Mais défendre notre programme signifie aussi déterminer comment étendre son application à de nouvelles situations, le tester en engageant activement la polémique et en intervenant avec des actions qui donnent l’exemple. Il ne peut pas y avoir de « programme achevé une fois pour toutes » pour un parti qui vit et qui se bat. Reconsidérer notre attitude sur le fait de se présenter aux élections pour des postes exécutifs en est un exemple. Notre objectif central, dans ce genre de discussion, est d’armer notre parti pour intervenir plus efficacement dans les luttes de classe et autres luttes sociales qui se présentent. Comme nous le disions dans une résolution adoptée récemment par notre section mexicaine, et approuvée par la conférence :

« L’attitude la plus fondamentale des communistes c’est de lutter, aujourd’hui même, comme nous le faisions hier et le ferons demain. Bien que nous vivions une période réactionnaire depuis la chute de l’Union soviétique, une période caractérisée par un recul général du niveau de conscience, nous sommes un groupe de propagande de combat. Pour garder la boussole de notre programme, il est crucial que nous intervenions dans les luttes existantes, avec un programme qui soit le nôtre. »

Le combat pour la réorientation du parti continue

La discussion sur le document principal de la conférence a été introduite par les rapports de deux camarades du Secrétariat international (SI) sortant ; le SI est le sous-comité du CEI résidant dans notre centre international. Le camarade J. Blumenfeld a dressé un bilan de la bataille pour réorienter la LCI dans les années écoulées depuis notre dernière conférence. Il a abordé des questions auxquelles nous avons apporté des correctifs substantiels, et attiré l’attention sur des domaines où un réexamen du travail passé est en cours ou demeure nécessaire. Il faut en permanence, pour une avant-garde léniniste, combattre la pression de l’idéologie bourgeoise quand elle se manifeste ; nos sections deviennent d’autant plus perméables à ce genre de pression qu’elles ne revoient et ne tranchent pas des questions restées non résolues. Le deuxième rapporteur, J. Bride, a consacré une grande partie de ses remarques à un important débat portant sur notre position sur l’Etat ouvrier déformé chinois aujourd’hui, question qu’il a liée aux leçons de notre combat pour la révolution politique prolétarienne et contre la contre-révolution capitaliste en RDA en 1989-1990 ; il a aussi parlé des tâches qui se posaient à nous pour intervenir dans les luttes sociales en cours au Mexique. Dans leurs remarques, ces deux camarades ont évoqué l’importance du changement de ligne proposé sur la candidature aux postes exécutifs ; cette question a été traitée séparément et plus à fond dans un autre point de l’ordre du jour de la conférence.

Le camarade Blumenfeld notait que « le gouffre qui nous sépare, nous et notre programme, du programme de nos opposants, représente une pression majeure sur la direction de notre parti ». Dans la période récente, l’une des batailles les plus cruciales pour réorienter la LCI a porté sur notre attitude envers le Forum social mondial et ses émanations régionales, en Europe et ailleurs, qui sont soutenues par beaucoup de formations réformistes, dont le SWP britannique et les pseudo-trotskystes du « Secrétariat unifié de la Quatrième Internationale » (SU). Cette bataille cruciale nous a permis de mieux comprendre que, particulièrement dans cette période, l’adaptation au menchévisme est le danger principal qui guette notre parti. Jusqu’en 2005, nous n’avions pas caractérisé les forums sociaux, dirigés par des libéraux bourgeois et des sociaux-démocrates procapitalistes, et directement financés par des gouvernements et des institutions capitalistes, comme des alliances front-populistes – c’est-à-dire de collaboration de classes.

Un mémorandum adopté par le CEI cette année-là avait corrigé cette position en déclarant : « Nous ne donnons pas de soutien critique au front populaire et nous n’entrons pas dedans. Nous ne menons pas nos petites affaires à l’ombre du front populaire. Nous ne faisons donc pas partie et n’organisons pas d’activités sous les auspices de ces forums sociaux. » Nous avons clairement affirmé que nous devons mener nos interventions politiques dans ce genre de manifestations sur la base d’une opposition intransigeante et inconciliable. A la suite de cette discussion clarificatrice, la Spartacist League/Britain [notre section britannique] a produit un article polémique tranchant dans Workers Hammer (no 191, été 2005), « L’escroquerie des forums sociaux », qui a été traduit et reproduit dans d’autres publications de la LCI.

Le rapporteur a abordé un débat sur des formulations dans notre presse qui donnaient à entendre que la régression du niveau de conscience politique que nous constatons aujourd’hui serait le produit d’un processus plus ou moins continu remontant à la fin des années 1970. Par exemple, notre polémique dans Spartacist contre les idéologues « altermondialistes » Michael Hardt et Antonio Negri affirmait : « Hardt et Negri sont représentatifs de ce que nous avons décrit comme une profonde régression de la conscience politique – particulièrement prononcée dans l’intelligentsia de gauche – qui a pavé la voie à la liquidation finale de la révolution d’Octobre et qui a été par la suite encore plus accentuée par celle-ci et par le triomphalisme des impérialistes célébrant la soi-disant “mort du communisme” » (« La démence sénile du postmarxisme », Spartacist édition française no 37, été 2006). Cette affirmation, qui contredit le sens général de l’article lui-même, minimise grandement l’impact de la contre-révolution. L’article aggravait les choses en citant avec approbation un argument de l’historien britannique Eric Hobsbawm contre l’idéalisme postmoderniste :

« La plupart des intellectuels qui embrassèrent le marxisme à partir des années 1880 – dont les historiens – le firent parce qu’ils voulaient changer le monde, en collaboration avec les mouvements ouvrier et socialiste […].

« Cette résurgence culmina dans les années 1970, peu avant qu’une réaction de masse ne s’amorce contre le marxisme – encore une fois pour des raisons essentiellement politiques. Cette réaction a eu pour principal effet d’anéantir […] l’idée que l’on puisse prédire, avec le soutien de l’analyse historique, la réussite d’une façon particulière d’organiser la société humaine. »

le Monde diplomatique, décembre 2004

Il y a effectivement eu, à partir des années 1970, un glissement à droite dont l’une des manifestations était l’avènement de l’eurocommunisme qui représentait un rejet par certains partis communistes d’Europe de l’Ouest de toute allégeance, même formelle, envers l’Union soviétique. L’article de Spartacist omettait de noter que Hobsbawm lui-même avait soutenu les eurocommunistes regroupés autour du journal Marxism Today [le marxisme aujourd’hui] en Grande-Bretagne et que ce journal avait justifié le cassage de la grève des mineurs britanniques de 1984-1985 par Neil Kinnock, le chef du Parti travailliste de l’époque. Mais des changements idéologiques de ce genre à la fin des années 1970 étaient d’ordre quantitatif et auraient pu être remis en cause si, par exemple, les mineurs britanniques étaient sortis victorieux de leur grève acharnée qui avait duré un an, ou encore, plus fondamentalement bien sûr, si nous avions réussi à diriger une révolution politique en RDA. La fin de l’Union soviétique a eu des conséquences immensément plus grandes. Un camarade argumentait ainsi que « Le renversement d’Octobre a transformé la quantité en qualité, pas seulement sur le plan idéologique, mais aussi sur le plan matériel, militaire et politique. » Le camarade Blumenfeld notait, à titre d’exemple, que « L’Union soviétique était vraiment, au niveau économique, le bastion de l’Europe de l’Est, mais elle avait aussi rendu possible la formation et l’existence d’un Etat ouvrier déformé à Cuba. Aujourd’hui ce n’est plus dans ce monde-là que nous vivons. »

Le document de la conférence notait que, avant la contre-révolution de 1991-1992 en Union soviétique, l’autre point nodal historique après la révolution d’Octobre avait été l’échec de la Révolution allemande de 1923. Cet échec « a marqué la fin de la vague révolutionnaire qui avait suivi la Première Guerre mondiale, et a signifié une stabilisation temporaire du régime capitaliste. Cela a assuré, pour la période qui a suivi, l’isolement de l’Etat ouvrier soviétique, encerclé et économiquement appauvri, et a conduit les ouvriers soviétiques à désespérer de la révolution prolétarienne internationale. Cela a permis l’ascension de la caste bureaucratique stalinienne, dont la politique a profondément sapé la conscience du prolétariat pendant les décennies qui ont suivi. Au milieu des années 1930 [quand le Comintern a ouvertement adopté le front populaire] les partis staliniens au niveau international étaient devenus des piliers réformistes de l’ordre bourgeois. C’était qualitativement plus important que le phénomène de l’eurocommunisme des années 1970. » Il convient toutefois de répéter que la période réactionnaire actuelle est inégale et ne durera pas éternellement ; le fonctionnement du capitalisme fait continuellement surgir des luttes de classe et d’autres luttes sociales, et conduira à de nouvelles éruptions révolutionnaires.

Les années 1960 et le début des années 1970 avaient vu plusieurs crises révolutionnaires prolétariennes – notamment la grève générale de Mai 68 en France – et une radicalisation internationale, particulièrement dans la jeunesse étudiante petite-bourgeoise, qui a permis à la plus grande partie de la gauche de se développer considérablement. Cette radicalisation s’est rapidement dissipée avec la fin de la guerre du Vietnam qui a été suivie, sous le démocrate Jimmy Carter, par la campagne de Washington pour le réarmement au nom des « droits de l’homme » contre l’Union soviétique. Pendant la période suivante, un grand nombre des « enfants de 68 », autrefois gauchistes, sont devenus des sociaux-démocrates anticommunistes qui ont activement soutenu la contre-révolution capitaliste en URSS et en Europe de l’Est. Dans les années 1960 et au début des années 1970, les pseudo-trotskystes du SU, alors dirigé par Ernest Mandel, argumentaient de façon impressionniste que la marche vers le socialisme était irréversible, et dépeignaient les « universités rouges » comme des bastions révolutionnaires tout en découvrant de multiples « nouvelles avant-gardes de masse » qui devaient rendre caduque la nécessité d’un parti léniniste-trotskyste. Aujourd’hui, le SU et consorts sont d’abjects réformistes qui agissent comme si c’est le capitalisme qui était irréversible.

Le document de la conférence cite un document de la Spartacist League/U.S. écrit en 2000 pour accompagner sa déclaration programmatique ; ce document décrivait succinctement nos concurrents de gauche actuels comme des « opposants au mouvement ouvrier internationaliste révolutionnaire » :

« Toute l’activité de notre parti vise à organiser, à éduquer et à endurcir le parti d’avant-garde prolétarien nécessaire à la conquête du pouvoir d’Etat. La politique des réformistes et des centristes consiste, au contraire, en une politique d’opposition qui reste totalement dans le cadre de la société bourgeoise. Trotsky avait une caractérisation tranchante pour cela et l’appelait “l’éducation des masses dans l’idée de l’inébranlabilité de l’Etat bourgeois”. Le fait de s’accommoder ainsi de la domination de la classe capitaliste, venant d’organisations qui prétendent adhérer au marxisme, est sans doute un phénomène beaucoup plus prononcé aujourd’hui, dans un monde défini par la liquidation finale de la Révolution russe et la proclamation triomphale par les bourgeoisies impérialistes que “le communisme est mort”. »

Pour la révolution socialiste dans le bastion de l’impérialisme mondial !, brochure de la Spartacist League (novembre 2000)

La vision du monde prédominante chez les militants politiques d’aujourd’hui – de la soi-disant « extrême gauche » au milieu altermondialiste – c’est l’idéologie libérale bourgeoise. Mais dans notre travail envers nos opposants, nous n’avons pas systématiquement pris en considération les implications qui en découlent clairement, et parfois nous n’en avons pas tenu compte du tout. Les délégués à la conférence ont réexaminé en particulier notre travail dans les milieux de la jeunesse anarchisante, qui se sont considérablement développés à partir de la fin des années 1990. Nous avions prédit que les tendances anarchistes connaîtraient une recrudescence dans la période postsoviétique, étant donné l’omniprésence de l’idéologie de la « mort du communisme », et nous avions raison. Mais nous avons fini par conférer à ces libéraux radicaux un caractère de gauche qu’ils n’ont pas, tombant ainsi dans une attitude de conciliation opportuniste. Ceci s’est manifesté avec le plus de netteté dans notre propagande autour des manifestations contre le sommet impérialiste du G8 à Gênes en 2001. Contrairement à la plupart de nos opposants pseudo-trotskystes, nous avons défendu les anarchistes combatifs du Black Block contre la persécution féroce de l’Etat. Mais en même temps que nous défendions ces militants attaqués par l’Etat, ce qui est un acte élémentaire, nous avons conféré à leur politique des qualités qu’elle n’a pas.

Nous écrivions qu’il y avait « une claire division entre la gauche et la droite – tracée dans le sang – au sein du mouvement “antimondialisation”. Cette division ne porte pas fondamentalement sur les tactiques de protestation, ou sur l’opposition entre “violence” et “non-violence”. Ce qui est en jeu, au fond, c’est la question de la légitimité “démocratique” des gouvernements capitalistes existants. Sur cette question, nous sommes avec les anarchistes contre les sociaux-démocrates de gauche, y compris ceux qui à l’occasion se font passer pour marxistes ou trotskystes » (le Bolchévik no 157, automne 2001). Affirmer que les anarchistes d’aujourd’hui rejettent la légitimité de l’ordre bourgeois est de la pure invention. Aux Etats-Unis, par exemple, la plupart de ceux qui se disent anarchistes se joignent à la foule des « tout sauf Bush » et votent pour les Démocrates ou les Verts bourgeois lors des élections.

La marque politique des anarchistes d’aujourd’hui, c’est l’anticommunisme pur et simple : ils ont tous acclamé le triomphe de la contre-révolution en Union soviétique et en Europe de l’Est. La conférence a pris note du fait que notre brochure de 2001 Marxisme contre anarchisme, qui constitue par ailleurs un excellent exposé historique, n’abordait guère la révolution d’Octobre, ni le tapage que font les anarchistes à propos de la répression, qui était nécessaire, de la mutinerie de Cronstadt en 1921 et du mouvement contre-révolutionnaire de Makhno. (Pour en savoir plus sur cette question, voir « Cronstadt, 1921 : bolchévisme ou contre-révolution », Spartacist édition française no 37, été 2006.) Dans le feu de l’expérience de la Révolution russe, les meilleurs d’entre les anarchistes et syndicalistes révolutionnaires, en Russie et ailleurs, ont rejoint le camp des bolchéviks. Par contre une multitude d’anarchistes libéraux à l’esprit confus ont choisi de s’allier aux monarchistes, impérialistes et autres forces peu ragoûtantes contre la révolution. Notre propagande aurait dû explicitement faire la distinction entre les anarchistes passionnément anticommunistes d’aujourd’hui et les anarcho-syndicalistes qui s’étaient solidarisés avec la Révolution russe.

Nous devons nous garder de toute tendance à embellir la démocratie bourgeoise, comme le font systématiquement nos opposants. Comme ils acceptent le mensonge que le communisme est l’incarnation de la brutalité totalitaire, ils se tournent vers les bourgeoisies impérialistes rapaces, maculées de sang, pour leur demander de se conformer à l’idéal trompeur de la démocratie bourgeoise. L’utilisation fréquente par les libéraux et les militants de gauche du terme « goulag » pour décrire ce qu’ils considèrent comme des « excès » de la répression et de la torture par des Etats capitalistes en est un exemple. Ce terme – qui fait référence aux camps de travail soviétiques de l’époque stalinienne – est depuis longtemps un cri de ralliement anticommuniste de la guerre froide. Le fait que ce mot se soit retrouvé dans un article de Workers Vanguard (no 842, 18 février 2005) défendant les victimes de la « guerre contre le terrorisme » menée par les Etats-Unis était un signe que nous devions être extrêmement vigilants si nous ne voulions pas nous laisser contaminer par l’omniprésente idéologie de la « mort du communisme ». Ayant reconnu notre erreur, nous avons écrit la chose suivante dans une polémique contre les libéraux et les militants de gauche pour qui l’anticommunisme est monnaie courante :

« L’Union soviétique a peut-être disparu – mais la nécessité de défendre la Révolution russe est plus vitale que jamais. Les impérialistes et leurs porte-flambeaux libéraux cherchent à réécrire l’histoire afin de s’assurer que la domination du capital ne sera jamais plus remise en cause. Ils aimeraient effacer de la conscience du prolétariat et des opprimés tout attachement au programme ou aux idéaux du communisme. »

– « La machine de torture US », Workers Vanguard no 863, 3 février 2006

A bas les postes exécutifs de l’Etat capitaliste !

Dans son rapport, le camarade Bride a commencé par souligner à quel point il était important de mener la discussion sur la question, pour des communistes, de se présenter à des postes exécutifs : « La question fondamentale qui est posée ici, c’est la ligne de démarcation entre réforme et révolution, entre la stratégie réformiste qui consiste à prendre le contrôle de l’appareil d’Etat bourgeois et l’administrer, et la stratégie révolutionnaire qui veut dire détruire les organes d’Etat existants et les remplacer par des organes du pouvoir ouvrier. Les communistes ne prennent pas part à la gestion de l’Etat bourgeois, ne le soutiennent pas, n’en assument pas la responsabilité. Et quand vous vous présentez à un poste exécutif, tout comme quand vous l’occupez, vous légitimez exactement cela – l’autorité exécutive. »

La position que les communistes ne doivent, en aucune circonstance, se présenter à des postes exécutifs de l’Etat bourgeois, approfondit la critique que nous faisons depuis longtemps de l’entrée du Parti communiste allemand (KPD) dans les gouvernements régionaux de Saxe et de Thuringe en octobre 1923, avec l’appui du Comintern. Le soutien du KPD à ces gouvernements bourgeois dirigés par des sociaux-démocrates « de gauche » – d’abord de l’extérieur du gouvernement, puis de l’intérieur – a aidé à faire dérailler une situation révolutionnaire (voir « Le Comintern et l’Allemagne en 1923 : Critique trotskyste », Spartacist édition française no 34, automne 2001). Notre nouvelle ligne clarifie une confusion qui existe dans le mouvement communiste depuis le Deuxième Congrès de l’IC en 1920. Comme le notait le rapporteur : « Nous essayons de faire ce que, dans les grandes lignes, la Troisième Internationale a fait, à savoir faire le ménage dans la doctrine de la Deuxième Internationale sur la question de l’Etat ; simplement, l’IC n’avait pas terminé le travail parce que, au moment où ils ont eu cette discussion lors du Deuxième Congrès, ils étaient en pleine bataille avec les bordiguistes et les ultragauches, qui par principe ne voulaient pas se présenter aux élections. Mais aucune distinction n’a été faite entre se présenter au parlement et se présenter à des postes exécutifs. »

Nous avions jusque-là la ligne, affirmée par la Quatrième Conférence de la LCI en 2003, que les marxistes pouvaient se présenter à des postes exécutifs tant qu’ils déclaraient clairement, à l’avance, qu’ils n’occuperaient pas le poste s’ils étaient élus. Le camarade Bride notait que cette question avait été soulevée à l’intérieur du parti pour la première fois en 1999, quand le parti était profondément désorienté, et qu’elle avait été soulevée de nouveau après la conférence de 2003, ce qui a amené à rouvrir la discussion. Il ajoutait : « Je pense que si nous avons été si lents à traiter cette question, cela a beaucoup à voir avec l’état du parti et avec la conception qui, en fait, dominait à l’époque, à savoir que le problème majeur, c’était le sectarisme et non le menchévisme. » Les batailles et les discussions qui ont eu lieu ensuite pour réorienter la LCI ont considérablement renforcé notre capacité à aborder ce genre de questions, en tirant des leçons cruciales de l’histoire du mouvement ouvrier pour les appliquer à notre travail.

La question des postes exécutifs a fait l’objet d’un débat substantiel pendant la préparation de la Cinquième Conférence ; de nombreux camarades y ont apporté une contribution dans les réunions de préconférence et les bulletins intérieurs. Plusieurs documents de recherche ont été produits, qui examinaient diverses situations historiques, entre autres le ministérialisme (l’occupation d’un poste dans un gouvernement bourgeois) de la Deuxième Internationale, le travail électoral du Parti bolchévique et son attitude envers les administrations municipales bourgeoises pendant la période de double pouvoir de 1917, le travail des socialistes « étroits » bulgares avant et après la Révolution russe, et celui des partis communistes des premières années en France, au Mexique et ailleurs. Des recherches historiques plus approfondies restent à mener, dans l’objectif de publier à l’avenir de la propagande plus détaillée sur cette question cruciale.

Notre changement de ligne a suscité la controverse jusqu’à la veille de la conférence. Certains camarades argumentaient initialement pour se présenter à la présidence dans des circonstances « exceptionnelles », afin de donner une audience plus large aux idées marxistes. Un autre camarade, faisant référence à la pratique qu’avaient certains partis communistes dans les premières années de diriger des municipalités, avait même écrit que si nous gagnions la majorité dans un conseil municipal, nous devrions assumer ce poste sous peine d’être considérés comme « abstentionnistes ». Un camarade a rétorqué avec tranchant : « Notre position n’est pas l’abstention, comme le suggèrent certains, c’est l’opposition. S’il vous plaît, soyons très clairs, nous ne sommes pas neutres, nous sommes opposés à l’exécutif de l’Etat capitaliste. » Les camarades qui avaient initialement argumenté contre un changement de ligne ont finalement vu que leur argumentation flirtait dangereusement avec le réformisme, et en fin de compte la nouvelle position a été votée à l’unanimité par la conférence.

Une récente polémique de l’Internationalist Group (IG) reprend crûment les pires arguments en faveur de se présenter à des postes exécutifs. L’article de l’IG, « France : la droite dure au gouvernail » (l’Internationaliste, mai 2007), porte sur les récentes élections présidentielles en France, où la LCR, le groupe phare du SU, avait présenté un candidat. Après que celui-ci avait été éliminé au premier tour, la LCR avait appelé à élire la candidate du Parti socialiste procapitaliste. Sous le prétexte de « battre la droite », les mandéliens avaient même en 2002 appelé à réélire le président bourgeois de droite Jacques Chirac contre son adversaire, le fasciste Jean-Marie Le Pen. Citant notre nouvelle position, telle qu’elle avait été résumée dans un article sur les élections françaises (le Bolchévik no 179, mars 2007), l’IG affirmait sans craindre le ridicule que notre refus de nous présenter à la présidence ou à d’autres postes exécutifs « révèle un crétinisme parlementaire semblable aux prétendus trotskystes mandéliens » – parce que nous reconnaissons qu’il y a une différence entre être élu au parlement ou à des postes exécutifs !

L’IG montre une foi touchante dans l’Etat capitaliste et son décorum démocratique. Les marxistes ont toujours fait la distinction entre les postes exécutifs, comme président ou maire, qui par définition impliquent d’administrer l’Etat bourgeois, et les charges législatives comme celle de député, que les communistes peuvent utiliser comme tribune pour aider à rallier les masses contre l’ordre bourgeois. Rien de tel chez l’IG : il escamote cette distinction en faveur de celle entre institutions bourgeoises « démocratiques » et « antidémocratiques ». L’IG écrit : « Nous nous opposons aussi à l’existence d’une deuxième chambre législative supérieure pour être foncièrement antidémocratique [sic]. Devrions-nous alors refuser de présenter des candidats aussi au sénat ? » Baser la participation aux élections sur le caractère plus ou moins démocratique des façades institutionnelles de l’Etat capitaliste, c’est vraiment du crétinisme parlementaire. L’IG pense-t-il que la chambre basse dans une république parlementaire bourgeoise est vraiment une institution démocratique ? Si l’IG pense que le Sénat français est non démocratique, il devrait regarder la Douma tsariste russe que les bolchéviks avaient efficacement utilisée pour propager leur programme révolutionnaire. L’opinion de l’IG, c’est que les communistes peuvent se présenter « à n’importe quel poste ». Celui de juge ? de shérif ? En effet, s’il n’y a rien de mal à se présenter au poste de commandant en chef de l’armée impérialiste, pourquoi pas à celui de shérif local ?

Comme le dit notre document de conférence : « Le problème qu’il y a à se présenter à des postes exécutifs, c’est que cela donne de la légitimité aux conceptions réformistes dominantes de l’Etat. » Si on se présente à ce genre de poste, les travailleurs en déduiront inévitablement que l’on aspire à administrer l’Etat capitaliste. Pour l’IG, présenter des candidats au poste de président ou de maire « n’implique en rien qu’ils pensent occuper ces postes dans le cadre de l’Etat bourgeois ». Après tout, « Si – cas extraordinaire – un candidat révolutionnaire avait eu suffisamment d’influence pour pouvoir être élu, c’est que le parti trotskyste aurait déjà commencé la construction de conseils ouvriers et d’autres organes de caractère soviétique. Et il insisterait que, s’ils étaient élus, ses candidats se baseraient sur ces organes de pouvoir ouvrier et non sur des institutions de l’Etat bourgeois. » Avec cette ligne, l’IG laisse ouverte, et bien sûr ne désavoue pas, la possibilité non seulement de se présenter à des postes exécutifs, mais aussi d’occuper de tels postes dans une situation révolutionnaire, comme dans les gouvernements bourgeois de Saxe et de Thuringe en 1923. Et si un « candidat révolutionnaire » remportait un poste municipal comme celui de maire dans un bastion local du parti, en l’absence d’une crise sociale d’ampleur nationale qui pose la question du pouvoir prolétarien ? C’était loin d’être un cas exceptionnel pour, entre autres, les partis communistes bulgare et français des premières années qui contrôlaient des centaines de municipalités de ce genre. L’IG ne pipe mot sur ce que son candidat victorieux devrait faire dans de telles circonstances.

L’IG ne défend pas la tradition de Lénine mais celle de Karl Kautsky. En plein milieu du soulèvement révolutionnaire qui secoua l’Allemagne à la fin de la Première Guerre mondiale, les kautskystes prétendirent soutenir à la fois les conseils ouvriers et le gouvernement provisoire bourgeois, le Conseil des représentants du peuple, dans lequel ils étaient entrés en novembre 1918. Ils jouèrent ainsi un rôle clé pour récupérer et faire échouer le soulèvement révolutionnaire. C’est précisément dans les époques révolutionnaires que les illusions dans l’Etat capitaliste sont les plus dangereuses. Quand Lénine exposa la perspective marxiste du renversement révolutionnaire de l’Etat bourgeois dans l’Etat et la révolution (1917), il fut l’objet d’attaques déchaînées des sociaux-démocrates qui l’accusèrent de verser dans l’anarchisme.

Les dirigeants principaux de l’IG ont fait défection de notre organisation trotskyste en 1996, pour poursuivre une orientation opportuniste en direction de divers milieux staliniens, nationalistes latino-américains et autres milieux petits-bourgeois. Ils voient dans notre nouvelle position une preuve supplémentaire de notre rupture avec « la continuité du trotskysme authentique ». Ce que l’IG entend par là, sans le dire, c’est qu’en 1985 nous avions présenté Marjorie Stamberg, qui aujourd’hui soutient l’IG, comme candidate spartaciste à la mairie de New York (voir, par exemple, « Votez spartaciste ! », Workers Vanguard no 390, 1er novembre 1985). Nous avons fait remarquer dans un article polémique que la ligne de l’IG, selon laquelle il pourrait accepter des postes exécutifs dans certains cas « extraordinaires », « n’est pas dans la “continuité” de notre ancienne position, à savoir “être candidat mais ne pas occuper le poste”. C’est au contraire une façon droitière […] de résoudre la contradiction inhérente à cette ligne » (« L’IG et les postes exécutifs : le centrisme des égouts », le Bolchévik no 181, septembre 2007).

Dans un document écrit pendant la discussion de préconférence, un camarade a fait une analogie utile entre la pratique passée des marxistes de se présenter à des postes exécutifs et le mot d’ordre de « dictature démocratique révolutionnaire du prolétariat et de la paysannerie » (DDRPP) qu’avait Lénine avant 1917 pour la Russie tsariste. Ce document faisait remarquer que « certaines politiques peuvent servir longtemps aux révolutionnaires avant qu’elles ne finissent par s’avérer inadéquates au cours du développement de la lutte de classes ». Il ajoutait :

« Lénine n’était pas un traître quand il utilisait ce mot d’ordre défectueux contre les menchéviks et les libéraux. Et Trotsky, Cannon ou nous-mêmes n’avons pas davantage franchi la ligne de classe en cherchant à nous opposer au menchévisme avec une politique qui présentait des défauts latents.

« Mais après la victoire de la Révolution de 1917 et l’étranglement de la Révolution chinoise en 1927, le caractère défectueux auparavant “latent” de la formule de DDRPP de Lénine est devenu manifeste ; elle était maintenant appliquée de façon consciente dans un but tout à fait différent. Défendre cette formule à ce moment-là contre le programme de révolution permanente de Trotsky était une trahison. Et on peut dire la même chose si on s’accroche à une pratique passée, héritée de nos prédécesseurs, qui n’avait pas encore révélé ses vices de conception. Nous avions la responsabilité de tirer des leçons des conséquences désastreuses de l’échec allemand (et bulgare) de 1923, et nous avons aujourd’hui l’avantage de l’avoir fait. Il y a un lien entre le fait que le Comintern n’avait pas complètement rompu avec un ministérialisme social-démocrate qui était évident en Bulgarie et en Allemagne en 1923, et le fait que le CEIC [Comité exécutif de l’Internationale communiste] poussait en même temps à faire campagne pour des postes exécutifs ; nier ce lien, ce serait s’aveugler à dessein. »

Ou, dans le cas de l’IG, semer à dessein la confusion centriste.

Historiquement parlant, l’idée que les communistes doivent faire campagne pour des positions administratives dans l’Etat de la bourgeoisie qu’ils veulent renverser est grotesque. Le fait que cette idée soit défendue dans le mouvement ouvrier aujourd’hui permet de mesurer le succès de l’hypocrisie démocratique, et montre directement la force politique de l’ordre capitaliste. L’histoire est jonchée d’exemples de gens se déclarant marxistes qui sont passés du côté de l’administration directe de l’Etat capitaliste contre les travailleurs et les opprimés. Ainsi, les travaillistes britanniques de la Militant Tendency (aujourd’hui le Socialist Party) étaient les employeurs de quelque 30 000 travailleurs municipaux à Liverpool, quand ils y contrôlaient le conseil municipal au milieu des années 1980. Un jour, ces patrons « socialistes » avaient en fait menacé de licencier tous les employés municipaux, en prétendant que c’était une « tactique » face à des réductions budgétaires imposées par le gouvernement central (conservateur). Plus récemment, un dirigeant du groupe brésilien du SU a accepté le portefeuille de ministre du Développement agraire dans le gouvernement bourgeois de Lula, assumant ainsi la responsabilité directe de l’expulsion de militants du Mouvement des paysans sans terre.

Pendant notre discussion sur les postes exécutifs, un camarade a fait remarquer une distinction cruciale entre le capitalisme et les sociétés de classe précédentes, comme le féodalisme. Ces sociétés étaient marquées par des rapports de classe et de caste clairs qui définissaient la place de chacun dans l’ordre social. Le capitalisme masque la nature de son exploitation de classe derrière des concepts tels que « le marché », « l’offre et la demande » et, particulièrement dans le monde industriel le plus avancé, les atours de la « démocratie » qui offre soi-disant des chances et des droits égaux aux exploiteurs et aux exploités. Notre tâche, en tant que communistes, est de mettre à nu la réalité d’un système social brutal qui n’est rien d’autre que la dictature de la bourgeoisie.

Leçons de la RDA, 1989-1990…

La conférence a consacré un point de son ordre du jour au bilan de notre intervention dans le début de révolution politique en Allemagne de l’Est en 1989-1990, dans le cadre d’une évaluation plus complète de cette intervention, qui a été la plus importante et la plus longue de toute l’histoire de notre tendance. Les deux rapporteurs étaient le camarade F. Zahl, un dirigeant de longue date du Spartakist-Arbeiterpartei Deutschlands (SpAD), section allemande de la LCI, et R. Henry, du SI sortant. Faisant référence à la révolution en Espagne dans les années 1930, la camarade Henry a cité un texte de Trotsky réfutant en 1931 l’idée défaitiste que la victoire était impossible sans l’existence préalable d’un parti révolutionnaire de masse : « Mais l’avantage d’une situation révolutionnaire consiste précisément en ce qu’un groupe, même peu nombreux, peut, dans un court laps de temps, devenir une grande force à condition de savoir formuler des pronostics exacts et lancer à temps des mots d’ordre justes » (« Pour un manifeste de l’Opposition sur la révolution espagnole », 18 juin 1931, la Révolution espagnole). Henry ajoutait : « Ce que je veux dire, c’est que nous étions cette organisation-là. Nous avions le programme correct pour intervenir en RDA. »

Nous nous sommes opposés inconditionnellement à la réunification capitaliste avec l’Allemagne de l’Ouest impérialiste, et nous avons appelé à la révolution politique prolétarienne à l’Est et à la révolution socialiste à l’Ouest, avec comme objectif une Allemagne rouge des soviets dans des Etats-Unis socialistes d’Europe. Notre programme a montré toute sa puissance dans la manifestation du 3 janvier 1990, qui a rassemblé au parc de Treptow 250 000 personnes contre la profanation par des fascistes d’un monument en l’honneur des soldats soviétiques morts pour libérer l’Allemagne du fléau nazi en 1945. Nous étions à l’initiative de cette mobilisation. Les staliniens du parti au pouvoir, le SED/PDS (Parti de l’unité socialiste/Parti du socialisme démocratique), s’y sont joints plus tard parce qu’ils constataient avec inquiétude à quel point notre programme trouvait un écho parmi les travailleurs de Berlin-Est, et qu’ils se sont sentis obligés de mobiliser leur base. Comme l’affirmait le document principal de notre Deuxième Conférence internationale, en 1992 :

« Mais comme l’a montré par la suite Treptow, nous étions dès le début en lutte avec le régime stalinien démissionnaire sur la question de l’avenir de la RDA. Alors que nous appelions à un gouvernement des conseils ouvriers, les staliniens travaillaient consciemment à empêcher une insurrection ouvrière, en démobilisant toutes les unités de l’armée qui avaient formé des conseils de soldats sous l’effet de notre propagande des mois précédents. Il y eut en fait un affrontement, marqué toutefois par la disproportion des forces, entre le programme de la révolution politique de la LCI et le programme stalinien de capitulation et de contre-révolution. »

– « Pour le communisme de Lénine et Trotsky ! », Spartacist édition française no 27, été 1993

C’est cela le plus important, malgré les nombreux problèmes et difficultés que nous avons rencontrés pour mettre en œuvre notre programme à l’époque, dont beaucoup sont abordés avec franchise dans le document de 1992. Ainsi, c’est avec retard que nous avions mis en place des Spartakist-Gruppen (groupes spartacistes) locaux comme organisations transitoires pour les nombreux militants politiques qui, dans toute la RDA, se reconnaissaient dans notre programme et voulaient diffuser Arbeiterpressekorrespondenz (Arprekorr – Correspondance ouvrière), notre journal trotskyste publié quasi-quotidiennement en décembre 1989, puis une ou deux fois par semaine jusqu’à début avril 1990.

Nous maintenons notre évaluation de 1992, et nous cherchons à approfondir notre compréhension de ces événements, à la lumière de nouveaux ouvrages historiques et de mémoires publiés depuis lors. Pour ce faire, nous avons produit, avant la conférence, six nouveaux bulletins intérieurs sur notre intervention en RDA. L’un d’eux reproduisait, en anglais, les 30 numéros d’Arprekorr. Les autres bulletins contenaient huit documents de recherche écrits par plusieurs camarades sur la base de nos archives de l’époque et de documents récemment publiés, sur des sujets comme l’évolution du SED/PDS stalinien en train d’abdiquer, notre travail politique dans différentes usines, nos efforts en direction des soldats soviétiques et de ceux de la NVA (l’armée est-allemande), et la campagne électorale cruciale de mars 1990, où nous avons présenté la seule liste qui s’opposait sans ambiguïté à la réunification capitaliste. Nous avons sous-estimé, dans notre travail sur le terrain, l’importance des milices d’usine (Betriebskampfgruppen), qui auraient pu constituer le point de ralliement politico-militaire d’une révolution politique prolétarienne. Suite à ce débat, plusieurs documents de recherche supplémentaires ont été sollicités.

Les camarades faisaient des évaluations assez inégales de notre impact en RDA et ce n’est pas surprenant ; cette discussion est encore en chantier, et certaines questions n’ont pas encore été tranchées. Notre objectif est d’approfondir la compréhension qu’ont nos propres camarades des événements de 1989-1990, ainsi que de produire de la propagande pour un futur numéro de Spartacist. Afin de motiver ce réexamen, le document de la conférence notait que :

« En Allemagne, la lutte de la LCI pour une révolution politique ouvrière et pour une réunification révolutionnaire de l’Allemagne était un défi direct, et il a été le seul, au bradage de la RDA par les staliniens de Moscou et de Berlin-Est au profit de l’impérialisme ouest-allemand. Mais si, en tant que communistes, nous voulons tirer des leçons de l’histoire – y compris la nôtre –, nous devons comprendre que pour cela il faut pouvoir faire une évaluation critique des forces et faiblesses de notre intervention en tant que révolutionnaires. »

… et la lutte pour une révolution politique en Chine

Le bilan de notre intervention en RDA n’est pas simplement une question d’intérêt historique ; il touche aussi directement à nos tâches présentes et futures. C’est ce qu’une controverse aiguë a mis en lumière lors de la discussion sur les rapports principaux de la conférence, plus en amont dans l’ordre du jour. Les divergences qu’a soulevées un camarade sur notre programme de défense militaire inconditionnelle et de révolution politique prolétarienne en Chine ont été au centre d’une bonne partie des débats lors du premier tour de la discussion. Ce camarade avait déjà soulevé ses divergences un an plus tôt, suscitant alors une volumineuse discussion écrite. Quelque temps avant la conférence, il avait présenté un deuxième document faisant un lien entre ses positions sur la Chine et son appréciation des leçons de la défaite en RDA et en Union soviétique. Ce camarade, qui n’avait pas été élu délégué, s’est toutefois vu accorder par la conférence un temps de parole pour défendre ses positions, afin qu’on puisse parvenir à la plus grande clarté possible sur les questions controversées. A la fin de la discussion, il a déclaré qu’il reconsidérait ses positions à la lumière des arguments échangés.

Dans son document, ce camarade citait notre article « Comment l’Etat ouvrier soviétique a été étranglé » (le Bolchévik no 122, janvier-février 1993), dans lequel nous accusions la bureaucratie stalinienne d’avoir, avec ses mensonges, son bureaucratisme et son nationalisme, corrompu la conscience de classe du prolétariat soviétique. Dans cet article, nous faisions remarquer que la classe ouvrière soviétique ne s’était pas mobilisée pour défendre l’Etat ouvrier parce qu’elle était politiquement atomisée. Cela s’exprimait dans l’absence de direction anticapitaliste. La classe ouvrière n’avait pas de conscience de classe socialiste cohérente et conséquente ; elle était en particulier profondément pessimiste sur les possibilités de lutte révolutionnaire dans les pays capitalistes avancés. Le camarade s’était emparé de cette remarque pour argumenter qu’aujourd’hui en Chine, comme auparavant en RDA et en Union soviétique, la classe ouvrière ne comprend pas du tout qu’il faut qu’elle défende les acquis sociaux incarnés dans l’Etat ouvrier. Partant de là, il argumentait que, puisque les travailleurs ne comprennent pas cette nécessité, la bureaucratie stalinienne restait la seule force consciente défendant l’Etat ouvrier, ne serait-ce qu’afin de défendre son propre pouvoir et ses propres privilèges. Avec cette logique, appeler à une révolution politique prolétarienne reviendrait à appeler à renverser le seul facteur conscient restant qui défende l’Etat ouvrier !

Trotsky avait fait remarquer, dans les années 1930, que ce n’était plus parce qu’elle s’identifiait subjectivement au socialisme que la bureaucratie stalinienne – une caste parasitaire reposant sur les formes de propriété collectivisées – défendait l’Union soviétique, mais qu’elle ne le faisait que dans la mesure où elle avait peur du prolétariat. En fin de compte, loin de défendre la propriété collectivisée, les staliniens ont bradé les Etats ouvriers. En RDA, la bureaucratie stalinienne s’est désintégrée face à une révolution politique. Lorsque la bureaucratie soviétique, dirigée par Mikhaïl Gorbatchev, a donné le feu vert à l’annexion de la RDA par l’Allemagne de l’Ouest, les staliniens est-allemands y ont consenti.

D’une manière quelque peu confuse, ce camarade affirmait aussi, s’appuyant sur notre expérience en RDA et en Union soviétique, que dans une révolution politique, l’appel à la défense militaire inconditionnelle de l’Etat ouvrier chinois, quelles que soient ses déformations bureaucratiques, n’était pas applicable. Une révolution politique détruirait cet Etat, ajoutait-il, argumentant que « au fond, ce que nous défendons, ce ne sont pas les “détachements spéciaux d’hommes armés, etc.”, mais la structure sociale de ces sociétés », autrement dit, la propriété collectivisée. Ceci établit une fausse distinction entre les détachements d’hommes armés défendant l’Etat ouvrier et les formes de propriété collectivisées sur lesquelles repose cet Etat. Au fond, cet argument nie l’importance centrale de la conquête du pouvoir d’Etat par le prolétariat, c’est-à-dire la nécessité pour la classe ouvrière d’instaurer sa propre dictature de classe. De plus, il contredit notre propre expérience en RDA, où notre propagande a eu un immense impact sur les soldats est-allemands et soviétiques, dont beaucoup étaient très conscients qu’ils étaient la première ligne de défense des Etats ouvriers face aux troupes de l’OTAN, de l’autre côté de la frontière avec l’Allemagne de l’Ouest.

Dans son rapport sur le document de la conférence, le camarade Bride rappelait l’expression de Lénine : « la politique est de l’économie concentrée », ce qui signifie que les questions économiques sont subordonnées aux questions politiques. Il ajoutait : « La question politique qui se pose c’est : quelle classe a le pouvoir, autrement dit de quelle classe est-ce l’Etat ? Ce n’est pas de savoir quelle proportion de la propriété est entre les mains du gouvernement à un moment donné. » La Révolution d’octobre 1917 avait créé un Etat ouvrier, mais ce n’est que plus tard que la bourgeoisie a été expropriée au niveau économique. Comme l’expliquait Trotsky, « La victoire qu’une classe remporte sur une autre vise précisément à reconstruire l’économie dans le sens des intérêts de celle qui a gagné » (« Un Etat non ouvrier et non bourgeois ? », novembre 1937).

Pour réfuter l’idée que le prolétariat de RDA n’avait pas une conscience de classe suffisante pour entrer en action en défense de son Etat ouvrier, les camarades ont souligné l’affluence massive au rassemblement prosoviétique de Treptow, l’énorme écho que notre propagande suscitait auprès de milliers et de milliers de travailleurs et de jeunes, l’apparition de conseils de soldats dans différentes unités de la NVA sous l’impact de nos mots d’ordre. De plus, les travailleurs de Chine, à la différence de ceux de la RDA, ont déjà une assez bonne idée de ce à quoi ressembleront leurs futurs maîtres capitalistes en cas de contre-révolution sociale. Il y a eu ces dernières années en Chine des grèves très combatives et des manifestations de grande ampleur ; les ouvriers, paysans et autres se battent pour se défendre contre les ravages que provoquent les incursions du marché capitaliste et les inégalités qu’elles engendrent. La « conscience de classe » n’est pas quelque chose de statique et de permanent. On ne peut pas séparer la question de la conscience prolétarienne de la question d’un parti ouvrier léniniste-trotskyste qui est l’expression la plus consciente des aspirations socialistes de la classe ouvrière. C’est sur la base de notre programme que le prolétariat pourra rompre avec le dogme stalinien du « socialisme dans un seul pays » et être gagné à la conscience internationaliste et révolutionnaire.

Cette bataille a confirmé de manière éclatante combien il est dangereux pour notre programme de regarder les événements en RDA à travers le prisme rétrospectif du déterminisme : puisque nous avons été vaincus, la défaite était la seule issue possible. Comme l’a souligné le camarade Bride, accepter l’idée que les travailleurs du bloc soviétique ne pouvaient pas avoir une conscience de classe suffisante pour défendre les Etats ouvriers, c’est faire écho aux mensonges concoctés dans les années 1950 par des idéologues anticommunistes comme Hannah Arendt : d’après ces derniers, les travailleurs du bloc soviétique n’étaient que les victimes du « totalitarisme » stalinien qui avait fait d’eux de simples esclaves sans esprit et sans âme, à jamais incapables de lutter. C’est fondamentalement la position de la mal nommée Bolshevik Tendency qui argumentait en 1990 qu’il n’y avait jamais réellement eu la moindre possibilité de révolution politique prolétarienne en RDA. Dans sa conclusion, le camarade Bride citait Trotsky qui, dans les Leçons d’Octobre (1924), faisait remarquer que si les bolchéviks n’avaient pas réussi à mener la classe ouvrière au pouvoir en 1917, des monceaux de livres auraient été écrits pour dire qu’il était de toute façon impossible que les travailleurs russes prennent le pouvoir. Comme nous l’écrivons dans notre document de conférence :

« Nous avons jeté nos petites forces révolutionnaires dans la lutte pour le pouvoir. Nous avons perdu, mais nous nous sommes battus. Ce qui est crucial, c’est d’apprendre à en appliquer les leçons dans les luttes à venir. »

Comme l’indique la partie du document de la Cinquième Conférence consacrée à la Chine (voir « La Chine et la question russe », page 25), la controverse qui a eu lieu lors de cette conférence s’inscrivait dans une série de batailles et de discussions internes sur cette question ces dernières années. C’est seulement par le débat interne, et par le réexamen permanent de la situation réelle, que nous pouvons clarifier et affiner notre compréhension de la situation actuelle, profondément contradictoire, de l’Etat ouvrier déformé chinois. La cause de beaucoup de ces batailles était une tendance à trop condenser les processus en cours en Chine, à faire l’erreur de considérer que les « réformes de marché » introduites par la bureaucratie de Pékin conduisent à une restauration capitaliste imminente. Avec ce genre de conception, on entre dans la logique de nos opposants réformistes qui ont en grande partie tiré un trait sur une Chine qu’ils considèrent comme déjà capitaliste afin de justifier leur refus d’appeler à sa défense militaire inconditionnelle contre les agressions impérialistes et la contre-révolution intérieure.

En juin 2000 déjà, nous avions reconnu, dans une motion du SI, qu’une tendance à baser nos conclusions exclusivement sur les actes et les intentions de la bureaucratie « relègue le prolétariat en Chine à un rôle de simple objet passif, soit de la bureaucratie stalinienne, soit de la bourgeoisie impérialiste, au lieu de le considérer comme une force capable d’agir par elle-même, de façon indépendante ». Les réformes de marché renforcent et enhardissent les forces de la contre-révolution capitaliste, mais elles contribuent aussi à une croissance économique significative entraînant un développement numérique important du prolétariat industriel, ce qui exacerbe donc les contradictions en Chine. Il y a bien une classe capitaliste embryonnaire en Chine continentale, mais ce n’est pas une classe politiquement consciente, avec son propre parti politique ou quelque chose d’équivalent. Tôt ou tard, les tensions sociales explosives feront voler en éclats la structure politique de la caste bureaucratique au pouvoir. L’alternative sera alors sans appel : ce sera soit la restauration capitaliste, soit une révolution politique prolétarienne sous la direction d’un parti léniniste-trotskyste, section d’une Quatrième Internationale reforgée.

Le Mexique et la lutte contre le populisme bourgeois

La période actuelle est réactionnaire, mais cela ne signifie pas qu’il n’y a aucune occasion d’intervenir dans des luttes sociales. Il n’y a pas de répression intense ou d’anticommunisme effréné qui nous isole de couches que nous pourrions toucher ; dans tous les pays où nous avons des sections, des luttes défensives nous donnent des ouvertures pour avancer notre propagande communiste et, occasionnellement, entreprendre des actions exemplaires. En fait, il est important pour un groupe de propagande de combat d’être à la recherche d’occasions de ce genre. Le document de la conférence mentionnait notre mobilisation au niveau international pour aider notre section française en 2006, pendant les manifestations massives qui étaient parties des étudiants contre une tentative du gouvernement de rogner un peu plus les droits des jeunes travailleurs [le CPE]. Plus généralement, le document soulignait la nécessité pour nos sections de relancer et de renforcer les groupes de travail jeunesse du parti, dont la tâche est de mener un travail suivi à l’université.

Le document de la conférence notait comment la situation au Mexique, en particulier, est explosive depuis plusieurs années. Une commission spéciale, à laquelle participaient des délégués du Grupo Espartaquista de México (GEM) et d’autres camarades familiers avec ce pays, s’est réunie pour discuter de notre intervention. Cette discussion a ensuite été rapportée à la conférence tout entière.

L’augmentation considérable des prix des produits alimentaires a provoqué des manifestations massives, auxquelles ont succédé d’autres luttes, contre la misère causée par l’impérialisme US et la bourgeoisie mexicaine. Le Sud rural est en ébullition, comme on a pu le constater avec l’occupation, pendant plusieurs mois, de la ville d’Oaxaca par des enseignants en grève, des paysans et des étudiants. Il y a eu d’importantes luttes ouvrières, et la défaite du candidat du PRD López Obrador lors des élections présidentielles de 2006 a été suivie d’immenses manifestations de ses partisans contre la fraude électorale du parti de droite au pouvoir. Comme le faisait remarquer un délégué, la politique de l’administration Bush et du gouvernement mexicain a eu pour effet de souder le prolétariat, les pauvres des villes et la paysannerie dans la lutte. Toutes proportions gardées, il y a au Mexique une certaine radicalisation, avec des flux et reflux, qui remonte à la grève étudiante de 1999 à l’UNAM, une université de Mexico.

Cependant, ce sont des populistes nationalistes petits-bourgeois, comme les zapatistes et l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca (APPO) qui sont perçus comme l’aile radicale des luttes récentes. La plupart des groupes de gauche mexicains sont à leur traîne. Comme le notait le document de la conférence : « L’idée maîtresse du populisme de gauche, c’est de liquider la centralité stratégique de la classe ouvrière, et de dissoudre le prolétariat dans le “peuple”, afin de le subordonner à la bourgeoisie. » Un article écrit par le GEM explique :

« Les populistes limitent leur programme à des réformes démocratiques, dans un cadre étroitement capitaliste et nationaliste. Quelles que soient leur combativité et leurs intentions, les populistes “radicaux” comme l’EZLN [les zapatistes] et l’APPO finissent dans l’orbite du PRD, et essaient de faire pression sur lui. »

– « Pour des mobilisations ouvrières contre la politique de famine et la répression ! », Espartaco no 27, printemps 2007 (traduit dans le Bolchévik no 180, juin 2007)

Quant à des organisations comme l’IG ou les morénistes de la LTS, elles gravitent, elles, autour des forces petites-bourgeoises « radicales » qu’attire le PRD. Le document de conférence notait que les récentes polémiques du GEM contre les zapatistes « corrigent dans les faits la surestimation du niveau de conscience du mouvement zapatiste que nous avions faite dans l’article “Grondements dans le nouveau désordre mondial” publié en 1994 dans Spartacist [édition anglaise, no 49-50, hiver 1993-1994]. Cet article glorifiait la lutte zapatiste comme si elle réfutait la soi-disant “mort du communisme” proclamée par la bourgeoisie, sans mentionner le fait que les zapatistes rejettent consciemment tout programme de révolution prolétarienne. »

Les réformistes se mettent à la remorque d’un populisme bourgeois qui connaît actuellement un nouvel essor dans une bonne partie de l’Amérique latine. La LCI au contraire lutte pour la perspective trotskyste de la révolution permanente. Comme l’expliquait Trotsky au cours d’une discussion en 1938 : « La classe ouvrière au Mexique participe et ne peut que participer au mouvement, à la lutte pour l’indépendance du pays, pour la démocratisation des relations agraires, etc. […] Il faut diriger, guider les travailleurs – en partant des tâches démocratiques pour arriver à la prise du pouvoir » (« Discussion sur l’Amérique latine », novembre 1938). Cette perspective est nécessairement liée à la lutte pour la révolution prolétarienne aux Etats-Unis et dans les autres centres impérialistes, qui est la seule garantie en fin de compte d’avancer dans la voie du socialisme. Afin d’aider le GEM à s’adresser aux jeunes militants dans le Mexique d’aujourd’hui, la conférence a voté d’écrire un article expliquant comment Trotsky a développé la théorie de la révolution permanente.

La lutte contre le protectionnisme et le chauvinisme anti-immigrés

Certaines questions qui se posent à notre organisation, qu’elles soient controversées ou importantes à un autre titre, ont d’abord été discutées dans des commissions désignées par la conférence puis présentées devant l’ensemble des délégués. Une des commissions a étudié la situation et les luttes des ouvrières en Chine dans le but de guider notre future propagande. Une autre a examiné le travail de la LCI en Pologne et les discussions récentes qui ont conduit à la décision de reconstituer une section polonaise de la LCI (voir « Refondation du Groupe spartaciste de Pologne », page 2). Dans une troisième commission, sur le travail de défense lutte de classe, nous avons essentiellement parlé de notre activité au niveau international pour donner un axe prolétarien à la lutte pour libérer Mumia Abu-Jamal. Une autre commission était consacrée au travail de ceux qui soutiennent notre programme dans les syndicats dans nos différentes sections. Une réunion des comités de rédaction des éditions en quatre langues de Spartacist a également eu lieu pour planifier les prochains numéros.

C’est dans la commission syndicale que les controverses les plus importantes ont eu lieu. La discussion de préconférence sur les plans de casse des syndicats de dockers en Europe avait été animée. Dans le cadre de ce « paquet portuaire », les patrons des ports proposent d’utiliser des marins, qui sont pour la plupart étrangers, pour charger et décharger les navires (ce qu’ils appellent l’« auto-assistance »). Le syndicat des dockers de Hambourg s’est opposé à cette mesure d’un point du vue protectionniste chauvin, en avançant le mot d’ordre corporatiste « le travail sur les docks aux dockers ».

La ligne de la bureaucratie syndicale a trouvé un écho dans la LCI, comme le montre un tract publié en janvier 2006 par la section allemande de la LCI, le SpAD, qui avait été écrit en collaboration avec des camarades dans notre centre international. Ce tract contenait deux positions contradictoires. Pour s’opposer aux tentatives de la bureaucratie syndicale d’exclure et mettre sur la touche les marins étrangers, le tract exigeait, comme il se doit, que le travail de chargement et de déchargement des navires soit payé au tarif syndical du port de Hambourg, quels que soient ceux qui l’accomplissent, ce qui ouvrait une perspective de collaboration internationale entre dockers allemands et marins étrangers. En même temps, le tract affirmait : « l’auto-assistance c’est la destruction des syndicats de dockers, et cela crée des conditions de travail encore pires pour les marins », ce qui signifiait que le travail dans les ports ne devait pas être accompli par des marins ! La conférence nationale du SpAD d’août 2006 avait voté de corriger cette adaptation au protectionnisme chauvin de la bureaucratie syndicale réformiste, mais la question n’a pas été résolue avant la discussion qui a accompagné la conférence internationale.

Le mot d’ordre « le travail sur les docks aux dockers » est nationaliste et protectionniste, et pas seulement de façon potentielle, comme nous le disions jusque-là dans notre propagande. Dans ce contexte, il signifie « le travail allemand pour les travailleurs allemands ». Comme l’a fait remarquer l’un des intervenants à la conférence, avoir une perspective internationaliste, cela veut dire prendre comme point de départ qu’on s’adresse aux marins en grande partie philippins avec un programme révolutionnaire, et qu’on cherche à les unir à leurs frères et sœurs de classe allemands dans la lutte contre les capitalistes. Le document de la conférence réaffirme notre opposition au protectionnisme dans les pays impérialistes : « Pour la bourgeoisie, le protectionnisme et le “libre-échange” sont des options à discuter. Pour le prolétariat, choisir le protectionnisme c’est rejeter le programme de l’internationalisme, c’est-à-dire renoncer à la révolution. La seule solution aux crises que produit le capitalisme, c’est une économie socialiste planifiée au niveau international. »

L’adaptation au protectionnisme sur la question du « paquet portuaire » de Hambourg était encore un exemple des pressions du libéralisme bourgeois qui s’exercent de plus en plus sur nous – réfracté ici à travers le prisme du réformisme syndical. La restauration capitaliste en Europe de l’Est et l’exploitation impérialiste intensifiée dans le monde semi-colonial ont provoqué de nouvelles vagues d’immigration vers les métropoles occidentales. Pour détourner le mécontentement causé par le chômage et la baisse du niveau de vie, certains secteurs de la bourgeoisie ainsi que les bureaucraties social-démocrates et syndicales prônent le nationalisme économique et attisent l’hostilité envers les travailleurs étrangers et les immigrés. En Allemagne, parmi ceux qui colportent le poison protectionniste figure notamment Oskar Lafontaine, dirigeant de l’Alternative électorale pour le travail et la justice sociale (WASG), une organisation social-démocrate de gauche qui a maintenant fusionné avec les sociaux-démocrates ex-staliniens du PDS pour former Die Linke (La gauche, appelé aussi Parti de la gauche). La WASG ainsi que son avatar Die Linke sont encensés par la plus grande partie de la gauche pseudo-trotskyste.

Nous, par contre, luttons pour un parti d’avant-garde internationaliste qui joue le rôle de « tribun du peuple », prenant la défense des immigrés et des minorités ethniques et nationales. Notre mot d’ordre « pleins droits de citoyenneté pour tous les immigrés » est essentiel pour défendre l’unité de la classe ouvrière et constitue une mesure de défense pour tous les travailleurs ; il va à l’encontre de la politique des capitalistes cherchant à soumettre les couches les plus vulnérables de la population à la surexploitation. Cependant la plus grande partie des populations qui composent les minorités ethniques et raciales en Europe ne sont pas des immigrés, mais les enfants et les petits-enfants de travailleurs immigrés qu’on avait fait venir pour pallier les pénuries de main-d’œuvre dues aux ravages de la Deuxième Guerre mondiale. Aujourd’hui, ces jeunes subissent de plein fouet le chômage et la répression policière raciste. De ce fait, pour combattre l’oppression des minorités ethniques, il ne s’agit pas seulement de lutter pour des droits démocratiques, mais aussi pour la survie économique sur la base du Programme de transition – comme par exemple pour la syndicalisation des non-syndiqués et pour des emplois décents pour tous grâce à une échelle mobile des salaires et des heures de travail – ce qui pose la question de lutter contre le système capitaliste lui-même.

Sans cette perspective révolutionnaire, on tombe dans une forme de réformisme par procuration, cherchant à répartir d’une façon ou d’une autre la misère que l’exploitation capitaliste inflige à ceux qui sont au bas de l’échelle sociale. On en a un exemple dans le débat qui traverse en ce moment le mouvement ouvrier américain : les travailleurs immigrés tirent-ils vers le bas les salaires d’autres secteurs mal payés et spécifiquement opprimés de la classe ouvrière, en particulier ceux des Noirs ? Comme le note le document principal de la conférence : « De notre point de vue, la question des droits des immigrés est une question politique et non économique. Nos revendications sont négatives ; elles s’incarnent dans notre mot d’ordre exigeant les pleins droits de citoyenneté pour quiconque a réussi à arriver dans ce pays ; elles s’opposent aux politiques de l’Etat bourgeois. Nous n’avons pas de programme positif. Autrement dit, nous n’avons pas de mesures différentes à proposer par rapport à l’immigration sous le capitalisme […]. Nous nous préoccuperons des aléas de l’économie mondiale lorsque nous la dirigerons. » Le document soulignait « le rôle progressiste que jouent les travailleurs étrangers en sortant le mouvement ouvrier de son insularité nationale ».

La campagne pour la libération de Mumia Abu-Jamal

Les discussions dans la commission de défense ont porté sur la nécessité urgente de redoubler nos efforts internationaux pour arracher la libération de Mumia Abu-Jamal, dont le dossier est maintenant engagé dans une dangereuse « procédure accélérée ». Mumia, partisan de l’organisation MOVE, était dans sa jeunesse un porte-parole du Black Panther Party, avant de devenir un éloquent journaliste prenant fait et cause pour les opprimés. Il a été victime d’une machination de la « justice » américaine raciste qui l’a accusé d’avoir tué, en décembre 1981, un policier de Philadelphie. La bourgeoisie américaine est déterminée à tuer Mumia ou à l’enterrer vivant en prison pour toujours, afin d’intimider quiconque oserait défier le système capitaliste.

Nous luttons pour une stratégie de défense lutte de classe. Nous cherchons pour cela à mobiliser la puissance sociale que la classe ouvrière est seule à avoir, et à faire comprendre aux travailleurs que le combat de Mumia est leur combat, et qu’il doit être un combat contre l’Etat capitaliste. Pour le gagner, il faut des mobilisations de masse centrées sur le mouvement ouvrier. Pour cela, il faut lutter contre les libéraux bourgeois et la gauche réformiste qui colportent des illusions dans les tribunaux capitalistes, et qui subordonnent la lutte pour la libération de Mumia à la revendication d’un « nouveau procès » qui serait octroyé par ce même système judiciaire qui l’a expédié dans le couloir de la mort. Cette revendication rompt délibérément avec ce qui s’est fait pendant des générations : dans le passé les manifestants demandaient : « Libérez Sacco et Vanzetti », « Libérez les Scottsboro Boys », « Libérez Angela Davis », etc. Beaucoup de ces mêmes groupes et individus cherchent à dénigrer et à faire disparaitre une preuve particulièrement flagrante de l’innocence de Mumia Abu-Jamal, le témoignage sous serment d’Arnold Beverly qui affirme que c’est lui, et non Mumia, qui a tué le policier de Philadelphie, et que Mumia n’avait rien à voir avec ce meurtre.

Les libéraux et leurs suivistes réformistes cherchent à redorer l’image du système judiciaire américain ; ils doivent par conséquent présenter la vendetta de l’Etat contre Mumia comme une aberration et une « erreur judiciaire ». Ils trouvent les aveux de Beverly « non crédibles » parce qu’ils ne veulent pas croire ce que des millions de personnes, dans le monde entier, n’ont aucun mal à comprendre : que Mumia a été la victime d’une machination gouvernementale concertée. Rien ne peut montrer plus clairement combien nos opposants réformistes sont devenus, dans la période actuelle, des apologistes de la démocratie bourgeoise qui s’efforcent de bloquer le développement de la conscience de classe anticapitaliste que les mobilisations pour libérer Mumia pourraient éveiller. En colportant l’illusion mortelle que les tribunaux capitalistes pourraient rendre la « justice », ces forces ont démobilisé un mouvement de protestation de masse qu’il faut maintenant ranimer.

Il était clair depuis au moins la fin des années 1990 que nous devions absolument mener un combat politique contre les libéraux et les réformistes qui étaient en train de démobiliser le mouvement. Mais il a fallu les batailles internes clarificatrices qui ont suivi la crise de notre parti en 2003 pour que nous soyons capables de vraiment nous y atteler. Pour revigorer notre campagne pour libérer Mumia, il a d’abord fallu revenir sur la tendance que nous avions eue à dénigrer le travail de défense comme s’il était d’une certaine manière intrinsèquement opportuniste. Comme le notait le document de la conférence, ceci « a requis un retour critique sur notre travail, depuis 1987, lorsque nous avons décidé de prendre la défense de Mumia à la conférence de la SL/U.S. [en 2004]. C’est nous, et nous seuls, qui avons fait de son cas une cause internationale, qui ne se limitait pas simplement à Mumia, mais s’attaquait aussi au caractère barbare de la peine de mort raciste aux USA. » Nos efforts pour entraîner des forces sociales bien plus importantes que les nôtres dans la lutte en défense de Mumia ont été couronnés de succès : il n’est pas exagéré de dire que c’est notre travail, y compris l’aide que nous avons apportée à d’autres individus et organisations qui ont pris fait et cause pour Mumia, qui a permis qu’il soit encore en vie.

En même temps, nous savions que ces autres forces étaient hostiles à notre politique communiste et à notre implication dans la défense de Mumia. Cependant, nous avons alors utilisé cela comme justification pour nous retirer du combat politique et polémique avec nos opposants réformistes sur la question de Mumia. Il y a quelque temps, un camarade évoquait un certain nombre d’exemples de ce type de retrait sectaire dans les années qui ont suivi la destruction de l’Union soviétique ; il a fait remarquer que le parti s’était « retiré dans son château fort pour s’isoler d’un monde qui lui était devenu étranger, remontant le pont-levis et se retranchant à l’intérieur ». Ensuite, observait ce camarade, il y a eu l’adaptation à l’opportunisme menchévique : nous avons « abaissé le pont-levis et nous nous sommes précipités à l’extérieur pour nous mêler à ceux qui étaient là, laissant notre drapeau dans le château ».

Nos récentes batailles internes ont politiquement réarmé le parti. Elles nous ont permis d’accomplir d’importants progrès dans la campagne pour libérer Mumia. Le Partisan Defense Committee et les autres organisations de défense associées aux sections de la LCI ont été à l’initiative de rassemblements pour libérer Mumia aux Etats-Unis, au Canada, en Grande-Bretagne, en Allemagne et dans d’autres pays, lors desquels un large éventail de personnalités venant du mouvement ouvrier et d’ailleurs ont pris la parole. Nous avons publié des brochures en anglais, en français et en allemand qui documentent l’innocence de Mumia et les années de combat pour sa libération, et qui incluent des polémiques contre la confiance de nos opposants dans l’Etat bourgeois ; des tracts sur le cas de Mumia ont été diffusés dans beaucoup de langues. Le PDC et les autres organisations de défense affiliées ont récolté des centaines et des centaines de signatures, notamment au sein du mouvement ouvrier, pour une déclaration lancée par le PDC dans laquelle il est dit : « Nous exigeons la libération immédiate de Mumia Abu-Jamal, qui est innocent. » Cette déclaration mentionne les aveux de Beverly ; elle a été reproduite dans des publicités parues dans des publications de gauche et des journaux noirs dans plusieurs pays. D’importantes organisations syndicales, comme le Congress of South African Trade Unions [COSATU – Congrès des syndicats sud-africains] et le Scottish Trades Union Congress [Congrès des syndicats écossais], ont adopté des résolutions affirmant haut et fort l’innocence de Mumia et exigeant sa libération.

Nous avons organisé des meetings pour expliquer comment la lutte pour la libération de Mumia fait partie intégrante du combat que nous menons pour la libération des Noirs par une révolution socialiste aux Etats-Unis. Le cas de Mumia est un concentré de tout ce que représente la domination de classe capitaliste et l’oppression des Noirs qui en est inséparable. Aux Etats-Unis, la peine de mort raciste est l’héritage barbare de l’esclavage, la corde à lyncher rendue légale. Mumia a été victime d’une machination et condamné à mort parce qu’il lutte contre l’injustice raciste et capitaliste depuis son adolescence, quand il était membre du Black Panther Party.

Les Black Panthers avaient attiré les meilleurs militants d’une génération de jeunes Noirs dégoûtés par le conciliationnisme servile des dirigeants pro-Parti démocrate du mouvement des droits civiques. Mais le nationalisme noir des Black Panthers, qui ne croyaient pas possible une lutte de classe racialement intégrée contre le capitalisme américain raciste, était tout autant une impasse que le rêve chimérique des libéraux que les Noirs pourraient conquérir l’égalité sociale dans les limites de la société capitaliste américaine.

Les Noirs aux Etats-Unis ne constituent pas une nation. C’est une caste opprimée de race/couleur : depuis les premiers jours du système esclavagiste, ils font partie intégrante de la société de classe américaine en bas de laquelle ils sont maintenus par la ségrégation. La voie de la libération des Noirs passe par la lutte pour l’intégrationnisme révolutionnaire – l’intégration complète des Noirs dans une Amérique socialiste égalitaire. Quarante ans après le mouvement des droits civiques, les Noirs aux Etats-Unis sont toujours confrontés à la misère et à un taux d’incarcération phénoménal ; la protection médicale se détériore et il y a de plus en plus de ségrégation dans les écoles. Mais les ouvriers noirs sont toujours une composante clé du prolétariat multiracial américain. Le combat pour la libération des Noirs est la question stratégique de la révolution prolétarienne américaine. Il ne pourra pas y avoir de révolution socialiste aux Etats-Unis si le prolétariat ne reprend pas à son compte le combat pour la libération des Noirs – en s’opposant à toutes les manifestations de répression et de discrimination racistes – et il ne pourra pas y avoir de libération des Noirs sans le renversement de ce système capitaliste raciste.

Le document de la conférence notait que notre lutte pour la libération de Mumia « est l’une de ces rares occasions qui se présentent où notre intervention peut changer le cours des événements sur une question où un grand nombre de personnes se sentent concernées ». La discussion pendant la conférence a souligné qu’il y a encore beaucoup plus à faire pour obtenir la libération de Mumia. Notre tâche centrale, dans ce travail, est de tirer les leçons politiques – depuis la nature de l’Etat capitaliste jusqu’à la question noire aux Etats-Unis – et de gagner des travailleurs, des membres des minorités et des jeunes à une perspective de défense lutte de classe et au programme plus large de la lutte pour la révolution socialiste, afin d’en finir avec le système capitaliste d’injustice et de répression.

La lutte pour la continuité révolutionnaire

La refondation de la section polonaise de la LCI a été un temps fort de la conférence. La section avait été dissoute en 2001, et pour reforger ce groupe il a été essentiel de corriger des positions erronées qu’avait adoptées la direction internationale à cette époque. Le plus important était de clarifier l’évolution du rôle de Solidarność après la restauration du capitalisme en Pologne : il s’agit à la fois d’une organisation politique de droite et d’un syndicat qui dirige des luttes économiques. Une autre discussion importante pour la consolidation de ce groupe portait sur la position trotskyste sur la Deuxième Guerre mondiale : défaitisme révolutionnaire vis-à-vis des belligérants impérialistes, et par extension vis-à-vis de la Pologne qui s’était rangée dans le camp allié, ainsi que défense militaire inconditionnelle de l’URSS. Avec la refondation de notre groupe polonais, nous avons maintenant une tête de pont en Europe de l’Est, qui compte énormément pour nous même si elle est ténue.

La conférence a réaffirmé que nous devons par-dessus tout défendre l’intégrité de notre programme marxiste – en intervenant dans le monde extérieur et à travers l’affrontement polémique, ainsi que la clarification et les batailles politiques internes. Il est aussi très important d’assurer systématiquement la formation des cadres afin qu’ils assimilent les leçons de l’expérience historique et les réexaminent d’un œil critique. Comme le notait le document principal : « Etant donné la nature et les difficultés de la période actuelle, nous ne pouvons pas nous attendre à une croissance substantielle pour l’instant. La LCI a une extension à la limite de ses capacités. » Il est pourtant important de maintenir notre extension géographique car il n’est pas possible de savoir où des éruptions de lutte de classe vont surgir. Cela signifie qu’il faut établir des priorités et s’y tenir. Pour cela, il est essentiel de maintenir le bimensuel Workers Vanguard, le journal de la Spartacist League/U.S., dont le rôle est important pour le maintien de la cohésion politique de la LCI dans son ensemble.

Une commission des nominations a été constituée pour examiner les propositions de la direction sortante ainsi que celles des délégués pour l’élection d’un nouveau CEI, lequel est chargé de diriger la LCI jusqu’à la prochaine conférence. Contrairement à la conférence de 2003, où la crise dans le parti avait conduit à un changement significatif de la composition du CEI, le CEI élu à cette conférence est marqué par une continuité beaucoup plus grande, ce qui reflète les progrès accomplis dans la reconstruction du parti et de sa direction. Le nouveau CEI a été élu à bulletin secret après une discussion lors de la dernière session de la conférence. Il comprend une couche de camarades plus jeunes, issus de différentes sections de la LCI.

Depuis la dernière conférence de la LCI, nous comprenons et combattons mieux les pressions qui nous poussent à nous adapter à la conscience libérale-bourgeoise. Nous appliquons également mieux les normes du centralisme démocratique à nos débats internes. Néanmoins, comme le notait sobrement le document principal, « nous devons beaucoup mieux faire pour ce qui est d’instiller le sens de pourquoi nous existons : nos faibles forces, par la puissance de notre programme, ont un impact sur les luttes sociales, et nous sommes les seuls à avoir un programme pour abolir le capitalisme qui est la source de l’exploitation, des guerres impérialistes, de la discrimination raciste et de l’oppression des femmes ». Nous avons passé plusieurs décennies à chercher des gens pensant comme nous parmi les tendances se réclamant du trotskysme, de la France au Sri Lanka en passant par la Grèce et d’autres pays. Mais en fin de compte, nous avons réalisé que nous sommes en substance la seule organisation trotskyste dans le monde.

Au niveau international, nous avons gagné beaucoup de cadres subjectivement révolutionnaires venant de différents groupes centristes et réformistes, ou de leur périphérie, ce qui a permis à notre tendance de sortir de son isolement national aux Etats-Unis ; nous avons recruté en Australie et en Europe, ensuite au Japon, en Afrique du Sud, au Mexique et ailleurs. L’extension internationale a été et demeure absolument cruciale pour permettre à la LCI de surmonter politiquement les pressions déformantes qui pèsent sur toute organisation politique nationalement limitée. Aujourd’hui, la LCI a des cadres internationaux, y compris une couche de dirigeants plus jeunes qui se sont mis en avant dans le processus de reconstruction du parti. Le défi est de transmettre à ceux qui dirigeront notre parti plus tard l’expérience programmatique accumulée des générations plus anciennes dans le parti. Ceci inclut la formation aux classiques du marxisme et l’étude de notre propre histoire ainsi qu’une lutte permanente pour aiguiser et développer notre programme marxiste dans cette période de réaction postsoviétique. Dans ce domaine, comme pour tout le travail de la LCI, nous nous sommes fixé pour but de reforger une Quatrième Internationale authentiquement trotskyste pour diriger le prolétariat dans de nouvelles révolutions d’Octobre qui balaieront la barbarie capitaliste dans le monde entier.


Commentaire

Après la Cinquième Conférence internationale de 2007, d’autres discussions ont eu lieu et nous avons réexaminé l’évaluation que nous avions faite à la conférence, à savoir que le Mexique avait connu « un énorme soulèvement populaire » contre l’augmentation du prix des produits alimentaires de base, comme il est mentionné dans l’article ci-dessus. Il y a effectivement eu de longues grèves très dures et des manifestations massives au Mexique dans l’année précédant la conférence de la LCI. Mais, comme nous l’avons noté lors d’un plénum du Comité exécutif international qui a eu lieu par la suite, la description de la réaction aux augmentations de prix était une « exagération impressionniste de l’évolution de la situation politique au Mexique ». En fait, il n’y a eu qu’une seule grande manifestation contre l’augmentation du prix des tortillas et la crise a été désamorcée.

Spartacist édition française nº 38

SpF nº 38

été 2008

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Cinquième Conférence internationale de la LCI

Maintenir un programme révolutionnaire dans la période postsoviétique

Extraits du document principal de la Cinquième Conférence de la LCI :

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Critique du livre de Bryan Palmer :

James P. Cannon et les origines de
la gauche révolutionnaire américaine, 1890-1928

Une biographie de James P. Cannon

James P. Cannon à Moscou, 1922:

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Refondation du Groupe spartaciste de Pologne

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Diana Kartsen, 1948–2007

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Gérard Le Méteil, 1959–2007

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Archives du marxisme: Discours de Léon Trotsky, 1924

Le communisme et les femmes en Orient

(Femmes et Révolution)