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Le Bolchévik nº 229

Septembre 2019

Il y a 30 ans tombait le mur de Berlin

RDA : D’une révolution politique prolétarienne naissante à l’annexion capitaliste

La contre-révolution capitaliste en République démocratique allemande (RDA) en 1990, puis en Union soviétique en 1991-1992, a représenté une énorme défaite pour les travailleurs du monde entier. Elle a renforcé l’impérialisme et d’abord l’impérialisme allemand, jetant les bases de l’Union européenne. Les conditions de vie ont horriblement empiré pour la classe ouvrière dans toute l’Allemagne et au-delà, et toute l’Europe de l’Est a été livrée au retour de l’exploitation capitaliste.

Aujourd’hui, la bourgeoisie voudrait faire croire que la chute du mur de Berlin montrait l’aspiration de la population est-allemande à un retour au capitalisme. Mais en réalité c’était un début de révolution politique prolétarienne contre la bureaucratie stalinienne. À partir de début octobre 1989 se succédèrent des manifestations de plus en plus massives. Le 4 novembre, un million de personnes manifestaient à Berlin-Est derrière des banderoles prosocialistes comme « Pour des idéaux communistes » et « Créons des conseils ouvriers ». Le mur tombait le 9.

Le capitalisme avait été renversé en Allemagne de l’Est suite à l’écrasement des nazis par l’Armée rouge soviétique ; la RDA était un État ouvrier et nous, les trotskystes, l’avons défendu militairement, de façon inconditionnelle, contre l’impérialisme et la contre-révolution interne, même si l’État ouvrier était bureaucratiquement déformé par le règne d’une bureaucratie stalinienne parasitaire. Celle-ci avait un programme, non de révolution prolétarienne internationale, mais de construire le « socialisme dans un seul pays », et donc de coexistence pacifique avec l’impérialisme, et elle était hostile à toute expression politique indépendante de la part de la classe ouvrière.

L’alternative en RDA en 1989, c’était soit une révolution politique prolétarienne, où la classe ouvrière renverserait la bureaucratie et prendrait elle-même le pouvoir politique, soit la contre-révolution capitaliste. La LCI a mis toutes ses forces avec sa section allemande, la TLD (Trotzkistische Liga Deutschlands, qui a fusionné en janvier 1990 avec les Spartakist-Gruppen pour former le Spartakist-Arbeiterpartei Deutschlands), dans la lutte pour la révolution politique en RDA et la révolution socialiste en Allemagne de l’Ouest : pour une Allemagne rouge des conseils ouvriers, partie intégrante d’une Europe socialiste.

L’impact de notre programme trouva son expression le 3 janvier 1990, lorsque 250 000 personnes participèrent à une manifestation à l’initiative de nos camarades, à laquelle se joignit le SED (le parti dirigeant en RDA). C’était une protestation contre la profanation par des fascistes du monument, dans le parc de Treptow à Berlin, érigé en l’honneur des soldats soviétiques tombés pendant la Deuxième Guerre mondiale. Malgré une claque stalinienne qui essayait de couvrir son intervention, notre camarade Renate Dahlhaus a pris la parole lors du rassemblement. Nous la reproduisons ci-après, dans une traduction légèrement remaniée par rapport à celle originellement publiée dans Le Bolchévik n° 98 (janvier 1990).

Treptow posait la perspective d’une résistance ouvrière organisée, de la part de la base ouvrière du SED-PDS, à la réunification capitaliste. L’impérialisme allemand et ses agents sociauxdémocrates ont réagi par une campagne anticommuniste furieuse pour briser l’autorité du SED-PDS. Les staliniens ont rapidement cédé à l’offensive contre-révolutionnaire. Fin janvier, le dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev annonçait que l’Union soviétique accepterait la dissolution de la RDA au sein d’une Allemagne capitaliste unifiée. Cela provoqua la démoralisation dans les rangs des ouvriers et des intellectuels qui avaient espéré une société socialiste revitalisée. Lors des élections du 18 mars 1990, nous étions les seuls à lutter contre la réunification capitaliste, et celle-ci était consommée peu après.

Mais l’impact de notre intervention en RDA témoigne de la puissance de notre programme trotskyste. Notre prise de parole à Treptow montre concrètement la lutte entre notre programme et celui du régime stalinien démissionnaire : un affrontement, marqué toutefois par la disproportion des forces, entre le programme de la LCI pour la révolution politique et le programme stalinien de capitulation et de contre-révolution.

* * *

Camarades, antifascistes,

Nous n’oublierons jamais que vingt millions de citoyens soviétiques ont donné leur vie pour écraser le fascisme de Hitler. Ils ne doivent pas être morts en vain.

Quand les fascistes ont perpétré leur perfide attentat ici, la Trotzkistische Liga et les Spartakist-Gruppen ont immédiatement pris l’initiative de la manifestation d’aujourd’hui. Les fascistes relèvent la tête ici en RDA, à Erfurt, Dresde, Görlitz, Halle. Ce qu’il faut de toute urgence, c’est la mobilisation combative des travailleurs, y compris des travailleurs immigrés, des camarades originaires du Vietnam, de Pologne et du Mozambique, pour stopper et écraser la bête immonde fasciste tant qu’elle est encore petite.

Le front unique léniniste, le front unique ouvrier pour lequel Trotsky s’est battu au début des années 1930, était nécessaire alors et il l’est aujourd’hui pour stopper les nazis.

Si les fascistes sont écrasés, ils ne pourront pas tenter de prendre le pouvoir. Mais cela signifie que la classe ouvrière doit être organisée et être forte, et prétendre au pouvoir. La forme la plus élevée du front unique dans une situation révolutionnaire comme celle que nous traversons aujourd’hui, c’est le soviet d’ouvriers et de soldats.

Tant que le capitalisme existe, il y a un cycle de luttes qui se répètent sans arrêt. Il y a une base matérielle moindre pour le fascisme dans la RDA, car la base naturelle du fascisme, le capitalisme, n’existe pas ici aujourd’hui. Une révolution politique a éclaté et se développe chez nous, et nous devons la défendre.

Le pillage économique et l’incorporation politique par étapes – que cherche à effectuer l’impérialisme de la RFA avec l’aide du SPD – peut transformer cette révolution politique en contre-révolution sociale. Cela ne doit pas se produire ! Il est nécessaire de se battre contre ça !

C’est vrai, stoppons les nazis au moyen d’un front unique ouvrier ! Nous devons penser plus loin. Notre économie souffre du gaspillage et de l’obsolescence. La dictature du parti SED a montré qu’il est incapable de s’y attaquer. L’Allemagne de l’Est a besoin [d’une modernisation] sélective… [Interruptions] Camarades, apprenez ce que cela veut dire un front unique.

Ce qu’il faut de façon urgente, c’est une modernisation sélective de l’industrie existante. Chez nous, en RDA, les choses sont encore différentes des pays, les autres pays « socialistes » qui adhérent à la conception de Staline de construire le « socialisme dans un seul pays » ; elles montrent que c’est une stupidité évidente. Nous avons des choix difficiles à faire – nous devons comprendre le danger de tomber à la merci du marché mondial.

Camarades, lutter contre le bradage de la RDA signifie avoir bien en tête que nous n’allons pas tomber à la merci du marché mondial contrôlé par les impérialistes et la Deutsche Bank. Le moyen pour brader la RDA, c’est la social-démocratie – il vaut mieux que nous le sachions tous.

Il ne faut pas se faire d’illusions : la menace militaire de l’impérialisme, qui continue à être organisé surtout par la classe dirigeante américaine, existe toujours. Hier, aujourd’hui et demain ils utiliseront la violence militaire directe ou indirecte pour réaliser leur objectif.

Sont visés particulièrement l’Union soviétique et partout où les capitalistes ont été éliminés en tant que classe, ou là où l’impérialisme espère qu’il a une chance. L’Union soviétique pratique sa forme à elle d’autarcie économique, ce qui n’est pas particulièrement avantageux et qui a conduit l’Union soviétique à de graves difficultés économiques.

Lénine disait que « la politique c’est de l’économie concentrée ». La lutte pour le pouvoir, pour prendre ces décisions et diriger ce pays doit être entre les mains de conseils ouvriers, afin que l’on puisse prendre des décisions rationnelles et raisonnables, satisfaisantes pour la majorité. Ceci ne peut être obtenu qu’à travers des débats ouverts et parfois douloureux devant le peuple tout entier. Peut-être que notre exemple encouragera l’Union soviétique à prendre la même voie. [Interruptions.]

Camarades, écoutez et apprenez que c’est seulement à travers des débats ouverts et douloureux que la voie du socialisme peut être ouverte.

L’Union soviétique suivra sûrement la même voie, et cela nous aiderait aussi à résoudre conjointement les problèmes économiques et politiques, et à défendre nos États, nos États ouvriers qui sont actuellement transitoires, ayant rompu avec le capitalisme mais pas encore socialistes.

Camarades, comme tout le monde le sait, le pouvoir… [Interruptions] Camarades, comme vous le savez, le monopole du pouvoir du SED est brisé. Les masses sont libres de dire ce qu’elles pensent. Apprenez à les écouter. C’est possible seulement grâce à la pression bienveillante de l’Armée soviétique. Ce qui manque ici, ce sont de vrais partis politiques organisés et ayant des désaccords, une condition préalable à une vraie démocratie ouvrière.

Ce sont là des préoccupations et des objectifs auxquels nous essayons de répondre en combattant pour forger un nouveau parti ouvrier – avec égalité des droits et des devoirs – dans l’esprit de Lénine, Liebknecht et Luxemburg. Stoppons les nazis par des actions de front unique ouvrier ! Des soviets d’ouvriers et de soldats au pouvoir ! Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !

 

Le Bolchévik nº 229

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