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Le Bolchévik nº 229 |
Septembre 2019 |
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À bas lUnion européenne !
Les trotskystes britanniques disent : Brexit tout de suite !
Nous reproduisons ci-dessous un article de nos camarades de la Spartacist League/Britain, paru dans leur journal Workers Hammer, été 2019.
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Au mépris du vote majoritaire dans la population il y a trois ans pour sortir de l’Union européenne (UE), la classe dirigeante britannique siège toujours à ce cartel des banquiers et des patrons. La date butoir du Brexit est maintenant repoussée à octobre et les secteurs dominants de la bourgeoisie, centrés sur la City de Londres, exigent de continuer d’avoir accès au marché unique et au reste des prébendes de l’UE. La démission de Theresa May a déclenché une campagne interne dans le Parti conservateur pour désigner un nouveau Premier Ministre. Une aile du parti, encouragée par le président américain Donald Trump, veut davantage d’indépendance par rapport aux traités de l’UE dans l’espoir de pouvoir mieux faire concurrence aux impérialistes allemands et français (elle songe sans doute aussi à sa propre fortune politique).
À l’opposé, toute la direction du Parti travailliste porte l’étendard de la City de Londres en soutenant l’UE. L’organisation Momentum, le secrétaire général adjoint du parti Tom Watson et les blairistes accusent tous avec véhémence Corbyn de ne pas être assez pour l’UE. Mais l’« ambiguïté constructive » de Corbyn sur le Brexit est calculée pour lui permettre de défendre un programme pro-UE tout en gardant le soutien de la base ouvrière du Parti travailliste, qui en a assez de l’impact dévastateur de l’UE sur son niveau de vie et ses conditions de travail. L’absence d’opposition ouvrière organisée à l’UE a gonflé les voiles des démagogues racistes d’extrême droite comme Nigel Farage et des fascistes purs et durs.
Corbyn a trahi sa base ouvrière en faisant campagne pour rester dans l’UE lors du référendum de 2016 ; il est pour que la Grande-Bretagne reste dans une union douanière permanente et s’aligne complètement sur le marché unique – autrement dit, pas de Brexit ; et il a clairement pris position en faveur d’un deuxième référendum, pour annuler le résultat du premier. Non à un deuxième référendum ! La Grande-Bretagne doit sortir immédiatement !
L’UE est une série de traités visant à maximiser les profits en aggravant l’exploitation des travailleurs dans toute l’Europe. Pour les impérialistes européens, principalement l’Allemagne et la France ainsi que (jusqu’à maintenant) la Grande-Bretagne, cette alliance instable qu’est l’UE est un instrument pour accroître leur compétitivité face à leurs rivaux impérialistes, les États-Unis et le Japon, et pour asservir davantage encore les pays plus faibles. En même temps, l’UE sert d’appendice à l’OTAN et elle est source de profits considérables pour la bourgeoisie impérialiste américaine. Les intérêts nationaux conflictuels des impérialistes menacent en permanence de faire éclater cette alliance.
La nature de l’UE, on l’a vue avec le viol de la Grèce, dont la souveraineté nationale est aujourd’hui plus restreinte que celle du Mexique néocolonial. On l’a vue avec les ravages qu’a subis l’économie de l’Irlande après la crise financière de 2008-2009. On l’a vue avec la transformation de la Pologne et autres pays d’Europe de l’Est en réservoir de main-d’œuvre surexploitée, et avec la chute du niveau de vie des travailleurs dans les centres impérialistes, y compris en Allemagne et en Grande-Bretagne.
Quand nous avons appelé à voter pour le Brexit en 2016, nous écrivions : « Dans le chaos croissant qui menace l’UE, un Brexit porterait un grand coup à ce conglomérat dominé par les impérialistes ; cela le déstabiliserait encore plus et créerait des conditions plus favorables aux luttes de la classe ouvrière partout en Europe, notamment en Grande-Bretagne contre un gouvernement conservateur affaibli et discrédité » (Le Bolchévik n° 216, juin 2016). La crise prolongée du gouvernement conservateur a créé une situation favorable à des luttes de la classe ouvrière, qui pourraient aussi pousser la Grande-Bretagne hors de l’UE. Mais au lieu de profiter de cette occasion de faire avancer la cause des opprimés et des exploités, les dirigeants traîtres du prolétariat qui sont à la tête du Parti travailliste et des syndicats rendent au contraire un service inestimable à la bourgeoisie britannique en colportant des illusions dans l’UE, tout en isolant et démobilisant les grèves.
Nous luttons pour forger une nouvelle direction dans les syndicats, une direction basée sur la conviction que les intérêts du travail et du capital sont fondamentalement opposés. Cette lutte est inséparable de la lutte pour un parti révolutionnaire, champion de tous ceux qu’écrase la bourgeoisie – en particulier les travailleurs issus de l’immigration et des minorités qui sont une des composantes les plus opprimées et les plus combatives du prolétariat.
Les marxistes sont contre l’UE parce que c’est une alliance des ennemis de notre classe. Son éclatement serait une défaite pour les dirigeants impérialistes. Notre soutien au Brexit découle de notre perspective de libérer l’humanité par une série de révolutions prolétariennes qui chasseront du pouvoir les capitalistes en Grande-Bretagne et au niveau international. Pour des États-Unis socialistes d’Europe, unis de leur plein gré !
Les « socialistes » de la City
Le Parti communiste (CPB), le Socialist Party de Peter Taaffe et le Socialist Workers Party prétendent tous être pour le Brexit. Mais leurs pratiques démentent constamment cette prétention. La position nominale de ces groupes pour un « Brexit de gauche » en 2016 était soigneusement calculée pour éviter une confrontation avec la campagne anti-Brexit du Parti travailliste. Tous ces groupes réclament aujourd’hui des législatives pour remplacer le gouvernement conservateur par un gouvernement Corbyn pro-UE. Tout comme les traîtres de la Deuxième Internationale qui s’étaient rangés derrière « leur » bourgeoisie au début de la Première Guerre mondiale, ces soi-disant socialistes ne sont rien d’autre que des sociaux-chauvins « qui aident “leur” bourgeoisie à piller les pays étrangers, à asservir d’autres nations » (Lénine, « L’opportunisme et la faillite de la IIe Internationale », janvier 1916).
En organisant des élections au « parlement » bidon de l’UE le 23 mai, la classe dirigeante a affiché ouvertement son mépris pour la population. Le CPB, reflétant le mécontentement provoqué par cette mascarade, a appelé à un « boycott populaire » de ces élections. Mais, de peur qu’on ne confonde ce « boycott populaire » avec une vraie opposition à l’UE, Robert Griffiths (secrétaire général du CPB) a mis les points sur les « i » : « Il n’est pas question de s’opposer par principe à la participation aux élections de l’UE » (Morning Star, 18 mai). Griffiths a défendu les campagnes précédentes de son parti pour les élections au « parlement » de l’UE, avec l’argument mensonger que c’était la même chose que de se présenter aux élections au vrai parlement de Westminster.
Le soi-disant « parlement » de l’UE n’est pas du tout un parlement. C’est un forum pour des manœuvres diplomatiques que les impérialistes européens utilisent pour présenter mensongèrement leur cartel comme une union démocratique qui transcenderait l’État-nation. Toute participation aux élections au « parlement » de l’UE est une trahison du principe de l’indépendance de classe prolétarienne. Une telle participation ne peut que signifier qu’on souhaite servir de représentant diplomatique à un État capitaliste et renforcer les illusions que les traités impérialistes refléteraient les intérêts de la population dans son ensemble (voir « À bas l’Union européenne ! Aucune participation à son pseudo-parlement ! », Le Bolchévik n° 228, juin).
Quand le CPB ne défend pas explicitement la participation aux instances de l’UE, son soutien au Brexit se réduit à une défense de la souveraineté britannique. Par exemple, Griffiths râle, dans le Morning Star (22 mars), contre « les gouvernements allemand et français qui nous disent quand nous pouvons sortir de l’UE et à quelles conditions », ce qu’il présente comme un exemple du « pouvoir de l’UE opposé à la souveraineté populaire ».
De toute évidence, si le gouvernement britannique le voulait, il pourrait sortir de l’UE demain. La Grande-Bretagne n’est pas un pays opprimé, contrairement à l’Irlande ou la Grèce qui sont dominées par les puissances impérialistes ; c’est une puissance impérialiste à part entière, quoique sénile et décrépite. Si la Grande-Bretagne reste dans l’UE, ce n’est pas par manque de souveraineté nationale, mais parce que les impérialistes britanniques veulent garder les doigts dans le pot de confiture.
C’est la bourgeoisie de ce pays qui foule aux pieds les aspirations démocratiques de la population. Comme l’expliquait en 1919 la Plate-forme de l’Internationale communiste :
« “La volonté populaire” tant prônée est une fiction, comme l’unité du peuple. En fait, des classes existent dont les intérêts contraires sont irréductibles. Et comme la bourgeoisie n’est qu’une minorité insignifiante, elle utilise cette fiction, cette prétendue “volonté populaire”, afin d’affermir, à la faveur de belles phrases, sa domination sur la classe ouvrière, afin de lui imposer la volonté de sa classe. »
La crise du Brexit de Peter Taaffe
Le Socialist Party (SP) est l’héritier de la tendance Militant qui a passé des décennies enfouie dans le Parti travailliste [sa section française est la Gauche révolutionnaire, aujourd’hui dans La France insoumise, le parti bourgeois populiste de Jean-Luc Mélenchon]. Il appelle Jeremy Corbyn à mettre en œuvre un Brexit « socialiste » et « pour les travailleurs ». C’est évidemment absurde, étant donné que Corbyn soutient l’UE. En même temps, comme Corbyn, le SP s’oppose à un « Brexit conservateur nuisible ». Par exemple, l’éditorial de sa revue Socialism Today déclarait en mars 2018 que « le mouvement ouvrier doit maintenir une opposition de classe indépendante à un Brexit conservateur, qu’il soit “mou”, “dur” ou “sans accord” ». Ceci équivaut à s’opposer au Brexit quand la question est réellement posée. Pour paraphraser la Reine blanche de Lewis Carroll, c’est le Brexit demain et le Brexit hier, mais jamais le Brexit aujourd’hui. Pas étonnant de la part d’une organisation dont la section irlandaise a participé pendant des années au « parlement » frauduleux de l’UE !
Le SP contribue aussi à renforcer le soutien à l’UE lorsqu’il reprend à son compte les mises en garde apocalyptiques, sur les dangers d’« un Brexit chaotique “sans accord” », que font les partisans du maintien dans l’UE (voir par exemple l’éditorial du 10 avril de Socialist). Les traités de l’UE signifient dans toute l’Europe une austérité accablante pour les travailleurs. Leur abrogation serait un coup porté aux déprédations impérialistes. Et le SP ne se contente pas de semer la panique sur les conséquences économiques potentielles du Brexit. En Grande-Bretagne et en Irlande, les taaffistes attisent la peur que la sortie de l’UE aura comme conséquence une « frontière dure » sur le sol irlandais. Ils écrivent par exemple que « si d’une manière ou d’une autre une frontière physique est rétablie, cela attisera les tensions intercommunautaires » (Socialism Today, mai).
L’Irlande est divisée par une frontière depuis la partition de l’île par l’impérialisme britannique en 1921. Parler du « rétablissement » de cette frontière, c’est une absurdité réformiste, et c’est colporter la fable que l’UE aurait d’une manière ou d’une autre transcendé les divisions nationales entre États membres et apporté la paix. Les impérialistes britanniques contrôlent la frontière de l’Irlande du Nord, et la bourgeoisie de l’Irlande du Sud fait de même. Les gens qui ont la peau foncée et les militants républicains sont régulièrement victimes de harcèlement quand ils franchissent cette frontière. Pendant les négociations du Brexit, ce sont les impérialistes allemands qui ont exigé que la République d’Irlande joue le rôle de garde-frontière du marché unique – ils sont en concurrence avec les Britanniques pour asservir l’Irlande.
Comme l’avait prédit le révolutionnaire socialiste James Connolly, la partition de l’Irlande a provoqué une « débauche de réaction ». L’Irlande du Nord est depuis sa création un mini-État orangiste basé sur l’oppression de la minorité catholique, qui fait partie de la nation irlandaise. Les catholiques vivent toujours dans la peur constante des violences perpétrées par les nervis loyalistes et par le RUC/PSNI [la police en Irlande du Nord] soutenu par l’armée britannique. L’accord du Vendredi saint de 1998 reposait sur le maintien de la présence des troupes britanniques, la consécration des divisions intercommunautaires et l’oppression des catholiques, et il n’a rien apporté de bon non plus à la classe ouvrière protestante.
Nous sommes pour mobiliser la classe ouvrière – protestante et catholique – contre l’oppression des catholiques et contre l’impérialisme britannique, dans le cadre de la lutte du prolétariat pour se libérer du capitalisme. En même temps, nous savons que tant que le capitalisme n’aura pas été renversé, il ne pourra pas y avoir de solution équitable aux aspirations conflictuelles de la nation catholique irlandaise et de la communauté protestante. Notre perspective, c’est une république ouvrière irlandaise, partie intégrante d’une fédération volontaire des républiques ouvrières des Îles britanniques, ce qui laisse ouverte la question du devenir des protestants.
Les travaillistes impénitents du Socialist Party nient au contraire la menace que les forces de répression de l’impérialisme britannique représentent pour les travailleurs, et ils fustigent les républicains. Leurs camarades en Irlande du Nord déclarent dans un article publié sur Internet (« Le Brexit et la frontière irlandaise : un avertissement au mouvement ouvrier ») : « Des républicains dissidents vont chercher à exploiter les infrastructures qui seraient installées à la frontière, en prenant pour cible bâtiments et personnels aux frontières à coups de bombes et de balles » (socialistpartyni.org, 23 novembre). On dirait un communiqué de presse du ministère des Affaires étrangères britannique. Pour les marxistes, le point de départ doit être de s’opposer à leur propre classe dirigeante et à ses forces de répression, y compris le « personnel aux frontières ». Toutes les troupes et bases britanniques, hors d’Irlande du Nord !
Le SWP, apôtre d’un impérialisme « humanitaire »
Le Socialist Workers Party (SWP) présente mensongèrement comme « antiracistes » les accords sur l’immigration entre pays de l’UE et il demande que tout accord sur le Brexit préserve la « liberté de circulation » soi-disant garantie par l’UE. La « liberté de circulation » est un mythe qu’utilisent les agents de publicité de l’UE pour faire croire que les frontières n’existeraient plus à l’intérieur de l’UE, et que cette alliance impérialiste défendrait les immigrés.
Contrairement à ce qu’affirme le SWP, le contrôle des frontières est une prérogative fondamentale de l’État. Aucune classe capitaliste n’abandonnera de son plein gré le contrôle de ses frontières, et les États membres de l’UE ne l’ont pas fait. Les bourgeoisies individuelles affirment leur pouvoir, même si pour les pays plus faibles ce pouvoir est restreint par les impérialistes. Dans la mesure où une grande puissance peut obliger un État plus faible à ouvrir ses frontières, cela permet une pénétration accrue du capital impérialiste et supprime la souveraineté du pays plus faible, comme c’est le cas avec la Grèce et l’Europe de l’Est dans l’UE. Pour les milliers et les milliers de migrants qui croupissent dans des camps de concentration installés en Grèce et ailleurs pour le compte de l’Allemagne et des autres puissances impérialistes, l’idée que l’UE garantirait la « liberté de circulation » est une blague macabre.
Les marxistes n’ont pas de programme positif pour l’immigration dans le cadre du capitalisme, et encore moins un programme qui reprendrait certains aspects de l’UE dominée par l’impérialisme ! Pour renforcer l’unité et les capacités de lutte du prolétariat international, nous exigeons les pleins droits de citoyenneté pour tous ceux qui sont arrivés dans ce pays, et nous appelons les syndicats à intégrer dans leurs rangs les travailleurs d’origine étrangère sur une base complète et égalitaire. Non aux expulsions ! En même temps, la perspective communiste pour en finir avec la pauvreté, le chômage et la dévastation économique des pays opprimés n’est pas l’émigration vers les pays riches, mais la lutte contre l’oppression impérialiste qui ravage ces pays. Seule la révolution prolétarienne internationale peut jeter les bases de l’élimination de la pénurie et celle du dépérissement de l’État, et avec lui des frontières elles-mêmes.
Il y a une contradiction aiguë entre le marché mondial, créé par le capitalisme, et l’État-nation, grâce auquel le capitalisme s’est développé. Les États capitalistes individuels, dirigés chacun par une bourgeoisie nationale, sont depuis longtemps un obstacle au développement des forces productives. Cette contradiction ne peut pas être résolue sous le capitalisme. C’est seulement par une série de révolutions socialistes que le prolétariat pourra en finir avec le capitalisme et ouvrir la voie vers un monde sans exploitation ni oppression. La classe ouvrière au pouvoir développera une économie internationalement planifiée et collectivisée, qui permettra un accroissement massif de la productivité du travail et la fin de la pénurie matérielle.
L’instrument nécessaire pour mener la classe ouvrière au pouvoir, c’est un parti d’avant-garde léniniste réunissant les couches les plus dévouées et les plus conscientes du prolétariat, une section en Grande-Bretagne d’une Quatrième Internationale trotskyste reforgée. On ne peut construire un tel parti qu’en luttant de façon intransigeante contre tous les courants politiques qui cherchent à subordonner la classe ouvrière aux intérêts de ses exploiteurs capitalistes.
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