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Le Bolchévik nº 229 |
Septembre 2019 |
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À bas la répression contre les Kabyles !
Six mois de protestation en Algérie
Pour la révolution permanente ! Pour un parti trotskyste !
22 août – Cela fait maintenant six mois que la population algérienne proteste par centaines de milliers, par millions, contre le gouvernement. Les manifestations ont commencé contre la tentative d’Abdelaziz Bouteflika de se représenter pour un cinquième mandat présidentiel. Bouteflika a sauté depuis longtemps, des dizaines de personnages symboliques de son régime sont en prison, mais sur le fond rien n’a changé. Le pouvoir politique reste comme au premier jour entre les mains de l’armée, et la situation des masses frappées par le chômage et la misère capitalistes n’a pas changé d’un iota.
À notre connaissance, le trust pétrolier français Total et l’américain Chevron se battent toujours entre eux pour mettre la main sur les actifs d’Anadarko en Algérie, soit le quart de la production nationale d’hydrocarbures dont dépend toute l’économie ; la seule marge de manœuvre du gouvernement algérien c’est d’essayer de peser pour que ce soit l’un ou l’autre de ces trusts impérialistes qui pillent les ressources du pays. Même si elle a héroïquement arraché son indépendance au colonialisme français en 1962, l’Algérie demeure un pays opprimé par l’impérialisme. Sa propre classe capitaliste, particulièrement vénale, aux crochets des impérialistes, se recrute en bonne partie chez les spécialistes de l’import-export, qui se sont d’abord enrichis comme intermédiaires des grosses entreprises françaises, italiennes ou autres.
La population algérienne continue à se mobiliser en masse et avec courage contre « le système », mais ce dernier ne lâche rien, à part de temps en temps un emprisonnement supplémentaire, au fur et à mesure des règlements de compte entre cliques au sommet du pouvoir. Et pour cause. Il manque de façon criante un parti ouvrier révolutionnaire internationaliste qui puisse donner une perspective victorieuse à la lutte : celle d’un gouvernement ouvrier et paysan pour exproprier la classe capitaliste, briser le joug impérialiste et lutter pour étendre la révolution socialiste jusqu’à Paris et aux autres capitales impérialistes. C’est la perspective trotskyste de la révolution permanente, et nous luttons pour construire le parti qui puisse ancrer cette perspective dans la classe ouvrière.
La gauche algérienne (PT lambertiste, PST lié au NPA français) a montré sa banqueroute complète. Tout ce qu’elle a mis en avant depuis six mois, c’est l’exigence d’une assemblée constituante (éventuellement « souveraine »). Mais une assemblée constituante est par nature un parlement bourgeois, destiné à produire une constitution garantissant le maintien du système d’exploitation capitaliste – qui veut dire pour l’Algérie la misère et la domination impérialiste. C’est demander la perpétuation du système inique en place aujourd’hui, en l’enrobant avec des phrases ronflantes sur la démocratie !
Le PST a profité du soulèvement pour mettre les points sur les « i » qu’il n’a rien à voir avec le trotskysme. L’un de ses dirigeants, Hocine Bellaoufi, a déclaré que la bourgeoisie algérienne, bien que « classe dominante », « ne tient pas encore les appareils d’État » (comme si l’armée algérienne n’était pas là pour garantir le règne du capitalisme). Sa conclusion, c’est que l’instauration d’un régime démocratique bourgeois serait « également profitable au prolétariat » (l’Anticapitaliste mensuel, été 2019). Il cite en exemple la Tunisie, où pourtant le gouvernement est aujourd’hui, huit ans après le soulèvement populaire de 2011, entre les mains d’anciens lieutenants du général Ben Ali (avec des strapontins pour les islamistes réactionnaires d’Ennahdha), administrant l’austérité imposée par l’Union européenne !
Pour le PST, le mouvement en Algérie est un processus « appelé à passer par des phases », dont la première serait idéalement une assemblée constituante bourgeoise. Ce charabia est une espèce de très pâle copie sociale-démocrate des théories révisionnistes de Staline sur la révolution « par étapes », dont le but était d’enterrer la lutte pour la révolution prolétarienne en la reportant aux calendes grecques.
C’est là l’enjeu de l’appel des réformistes à une assemblée constituante, et c’est cela qui explique que l’ex-général Mediène, dit « Toufik », puisse être pour « une Constituante et une période transitoire et non pas une rapide élection présidentielle », selon le Figaro (1er août). Mediène est l’ancien chef honni des renseignements militaires, l’homme fort du régime qui avait mené la sanglante guerre civile des années 1990 (cent ou deux cent mille morts).
La dirigeante du PT, Louisa Hanoune, l’a fort logiquement rencontré le 27 mars, avec Saïd Bouteflika (Informations ouvrières, 1-7 août), manifestement pour discuter de perspectives politiques communes ! Aujourd’hui elle est en prison, moins pour ses compromissions avec le clan Bouteflika que parce qu’elle est la seule figure en vue d’un parti se revendiquant de la classe ouvrière en Algérie (le Front des forces socialistes, malgré son nom, est un parti nationaliste bourgeois algérien, essentiellement basé en Kabylie). C’est une sinistre menace contre toute mobilisation de la classe ouvrière indépendamment de la bourgeoisie, et c’est pour cela que nous exigeons sa libération immédiate.
Ce dont la classe ouvrière a besoin, c’est de lutter pour ses propres intérêts de classe, en rompant avec toutes les ailes et tous les partis de la bourgeoisie. Loin d’une assemblée constituante, ce qu’il lui faudrait, c’est de lutter pour ses propres organes de classe, conseils ouvriers (soviets) basés sur la mobilisation des travailleurs dans les usines et autres unités de production. C’est la seule voie pour aller de l’avant.
Droit d’autodétermination pour la Kabylie !
La première victime de la répression cette année, c’est Kamel Eddine Fekhar, mort en prison des suites d’une grève de la faim. Fekhar militait pour les droits des Mozabites, une population berbérophone concentrée dans quelques oasis au Sud du pays. Depuis le début, le gouvernement a cherché à attiser le chauvinisme arabe contre les Berbères et surtout contre les Kabyles.
Le 19 juin, le général Gaïd Salah, chef du gouvernement, a interdit les drapeaux berbères qui jusqu’alors côtoyaient sans problème, par milliers, les drapeaux algériens dans les manifestations à Alger et ailleurs. Des dizaines de personnes ont été jetées en prison pour port de ce drapeau. Deux des entraîneurs de l’équipe féminine algérienne de karaté ont été sanctionnés parce qu’une des championnes avait brandi un drapeau berbère lors de la remise de son prix, après avoir brandi le drapeau algérien ! Libération immédiate de tous les manifestants arrêtés !
Les drapeaux berbères se font maintenant plus rares dans les manifestations, mais l’oppression que subissent les Kabyles et autres Berbères dans leur propre pays n’a pas disparu pour autant.
Agiter le chauvinisme arabe antikabyle est une tactique depuis longtemps éventée du pouvoir algérien, mais elle fait toujours recette car la gauche algérienne refuse obstinément de lutter pour le droit d’autodétermination de la Kabylie, c’est-à-dire le droit des Kabyles de former leur propre État séparé s’ils le désirent. Comme nous l’écrivions dans notre article « Algérie : Pour la révolution permanente ! » (Le Bolchévik, juin – la traduction en arabe de cet article est reproduite ici, en dernière page) : « Cette revendication est cruciale pour l’unité du prolétariat arabe et amazigh [berbérophone] contre le pouvoir capitaliste algérien. » Autrement dit, elle est cruciale à toute possibilité d’une révolution socialiste, à laquelle elle peut même servir de force motrice.
Cela pose la nécessité d’un parti ouvrier révolutionnaire internationaliste qui inscrive ce mot d’ordre sur son drapeau. Nous luttons pour construire un tel parti, section algérienne d’une Quatrième Internationale reforgée.
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