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Le Bolchévik nº 225

Septembre 2018

A bas l’Union européenne!

Populisme et réaction en Italie

Cet article, écrit par nos camarades de la Lega trotskista d’Italia (Ltd’I), est d’abord paru en anglais dans Workers Vanguard, 23 mars. La Ligue de Matteo Salvini et le Mouvement cinq étoiles (M5S) ont finalement constitué un gouvernement le 31 mai.

***

Milan – Les résultats des élections italiennes du 4 mars ont créé une nouvelle fois une situation problématique pour la bourgeoisie italienne et les euro-impérialistes. Les élections ont abouti à un parlement sans majorité, dominé par des forces qui sont hors du système bourgeois établi et qui se sont parfois opposées à l’Union européenne, même si elles ont clairement indiqué, lors de cette campagne électorale, qu’elles étaient prêtes à soutenir l’UE.

Dégoûtés par une décennie de paupérisation et d’austérité, les électeurs de la classe ouvrière et de la petite bourgeoisie ont rejeté les principaux partis bourgeois – le Parti démocrate (PD) et Forza Italia, la formation de Silvio Berlusconi – et ont massivement voté pour des formations populistes bourgeoises prétendant défendre les « petites gens » : la Ligue (ex-Ligue du Nord), un parti raciste d’extrême droite, et les nationalistes du Mouvement cinq étoiles. Ces deux partis avançaient des programmes chauvins ayant pour leitmotiv « les Italiens d’abord ».

Alors que le PD promettait de poursuivre la politique d’austérité, la mesure phare proposée par la Ligue était l’instauration d’un impôt à « taux unique », qui bénéficierait aux entrepreneurs du Nord, et l’abaissement de l’âge de la retraite. La popularité du M5S reposait sur des diatribes contre la corruption et sur la proposition d’un revenu mensuel minimum, qui obligerait les bénéficiaires à accepter les emplois proposés par l’Etat et dont seraient exclus tous les non-Italiens non ressortissants d’un pays de l’UE. La proposition d’un revenu minimum est notamment très populaire dans le Sud, la région la plus pauvre d’Italie. Le M5S est maintenant le premier parti au parlement, avec près de 36 % des sièges, et il domine dans le Sud où il a obtenu entre 40 et 60 % des voix. La Ligue, qui a abandonné son étiquette « nordiste » historique pour séduire les électeurs de droite dans toute l’Italie, a obtenu 19 % des sièges, avec plus de 30 % des voix en Vénétie et dans la région de Milan.

Le succès de la Ligue et du M5S est de mauvais augure pour la classe ouvrière, les deux partis prônant le racisme anti-immigrés, l’antisyndicalisme et le chauvinisme. Mais les travailleurs qui ont une conscience de classe ne doivent pas pleurer l’effondrement du PD, qui a obtenu moins de 19 % des voix. Ce parti, au centre des coalitions gouvernementales depuis 2011, a été formé en 2007 par la fusion entre des vestiges sociaux-démocrates de l’ancien Parti communiste et des éléments de la démocratie chrétienne ainsi que d’autres politiciens bourgeois. Depuis sa création, il est capitaliste de par sa composition sociale et son programme.

Aucune coalition n’a obtenu la majorité absolue, et à l’heure actuelle on ne sait pas ce qui sortira du maquignonnage parlementaire. La seule certitude c’est que, quel que soit le gouvernement qui sera formé, il bénéficiera à la classe capitaliste, ennemie des travailleurs et de tous les opprimés. La Ltd’I a publié un tract appelant à refuser de voter pour aucun des partis en présence dans ces élections, y compris les listes de gauche qui se présentaient contre le PD, la Ligue et le M5S ; aucune ne représentait même de façon déformée une expression de l’indépendance de la classe ouvrière.

Il y a un besoin criant d’un parti révolutionnaire pour diriger les masses travailleuses dans leur action pour repousser les attaques capitalistes et ouvrir la voie à un avenir socialiste. La Ltd’I combat pour construire un parti révolutionnaire du prolétariat multiethnique, section d’une Quatrième Internationale reforgée, sur un programme de prise du pouvoir par les ouvriers en Italie et au niveau international.

Retour de bâton populiste réactionnaire contre l’austérité

La Ligue et le M5S attisent le racisme anti-immigrés dans le but de canaliser le mécontentement, face à la pauvreté et au chômage, contre les couches les plus vulnérables de la population, et de le détourner des capitalistes et de leur gouvernement. La Ligue appelle à « défendre la race blanche » et réclame l’« arrêt » de la soi-disant « invasion » des réfugiés (Berlusconi promettait d’expulser 600 000 « clandestins » accusés de vivre de larcins). Le M5S est aussi raciste, nationaliste et anti-classe ouvrière. Beppe Grillo, le gourou du M5S, fulmine tout comme Matteo Salvini, le chef de la Ligue, contre les « camps de Roms » qu’il veut fermer, et il promet de « rapatrier immédiatement tous les immigrés illégaux ».

En Italie comme dans d’autres pays d’Europe, la montée de la droite est le résultat des gouvernements réformistes et libéraux de « gauche » qui administrent l’austérité meurtrière de l’UE. Le PD prétend avoir créé un million d’emplois, mais c’était dans leur très grande majorité des emplois à temps partiel et autres formes d’emplois précaires. Les gouvernements du PD ont supervisé le saccage de la production industrielle du pays, qui était en 2015 inférieure de 31 % à son niveau d’avant la crise économique de 2008. Banques en faillite, compagnies aériennes démantelées, emplois industriels détruits : voilà l’héritage politique du PD. Le PD a porté un coup aux conquêtes passées du mouvement ouvrier, symbolisées par l’Article 18 du Code du travail qui protégeait les ouvriers des grandes sociétés contre les licenciements individuels. La « Loi travail » de 2014-2015 a supprimé ces protections et instauré une exploitation débridée. Ces mesures ont été étendues aux étudiants qui, désormais, sont forcés de travailler comme stagiaires non rémunérés. Les gouvernements dirigés par le PD ont repoussé l’âge de la retraite à presque 70 ans, si bien que beaucoup d’ouvriers meurent avant d’avoir pris leur retraite ou juste après.

C’est l’acquiescement des bureaucrates syndicaux qui a permis à ces gouvernements de poursuivre leur politique d’austérité anti-ouvrière : ils ont laissé passer toutes ces attaques sans même les habituelles grèves symboliques. Pour revitaliser les syndicats, il faut une lutte de classe fondée sur la notion que les intérêts des travailleurs sont opposés à ceux de leurs patrons. Il faut une nouvelle direction des syndicats, construite au cours de la lutte pour un parti ouvrier révolutionnaire multiethnique.

Pleins droits de citoyenneté pour tous les immigrés !

Les gouvernements dirigés par le PD sont responsables de la mort de milliers d’immigrés avec leur politique de refoulement en mer, leurs camps de détention et leurs interventions militaires en Libye et au Niger. Tout cela vise à empêcher des gens désespérés de fuir la dévastation impérialiste. Le PD a maintenu la loi Bossi-Fini qui subordonne la délivrance d’un permis de séjour à un contrat de travail, ainsi que les lois racistes basées sur le « droit du sang » qui refusent la citoyenneté aux 800 000 jeunes nés en Italie de parents non italiens.

Les patrons utilisent le racisme anti-immigrés afin de diviser pour régner sur leurs esclaves salariés. Mais les immigrés ne sont pas seulement des victimes. Ils constituent une partie fondamentale de la classe ouvrière italienne et de ses syndicats, et ils amènent souvent avec eux une conscience plus claire du pillage impérialiste dans le monde néocolonial. En fait, les quelques victoires syndicales des dix dernières années ont presque toutes été remportées par des travailleurs immigrés, en particulier dans le secteur logistique, après une lutte acharnée contre les patrons, la police et même les bureaucraties syndicales qui sabotaient leurs efforts.

Tous ceux qui arrivent dans ce pays doivent obtenir les pleins droits de citoyenneté ! Les syndicats doivent s’opposer aux expulsions et à la ségrégation raciste des réfugiés dans les centres de détention où ils sont traités comme des animaux. Le mouvement ouvrier doit syndiquer à grande échelle tous les travailleurs non syndiqués, depuis les coopératives du Nord jusqu’aux champs de tomates du Sud ! Troupes italiennes, hors de Libye et du Niger !

Encouragées par la montée des grands partis de droite, les organisations fascistes telles que CasaPound et Forza Nuova ont perpétré de nombreuses attaques et provocations contre des immigrés et des militants de gauche. Avec comme point culminant un attentat terroriste dans la ville de Macerata, où huit personnes ont été blessées par un ancien candidat de la Ligue qui circulait en voiture en tirant à vue sur les Noirs et qui, quand il a été arrêté, a fait le salut fasciste en brandissant le drapeau italien.

L’objectif ultime des fascistes est la destruction des organisations du mouvement ouvrier – des syndicats à l’extrême gauche – et le génocide racial. Dans beaucoup de villes, des jeunes antifascistes ont essayé d’arrêter Forza Nuova et CasaPound ; ils se sont heurtés à une masse de flics déployés par le gouvernement du PD. Les antifascistes ont été dénoncés par la presse bourgeoise, arrêtés et poursuivis en justice. Nous les défendons contre la répression et exigeons leur libération immédiate. Mais la tâche à l’ordre du jour est la mobilisation de la classe ouvrière, qui, parce qu’elle est suffisamment nombreuse et organisée collectivement, a la puissance sociale nécessaire pour stopper les fascistes.

La gauche réformiste prêche la confiance dans la police et dans les juges pour dissoudre les organisations fascistes. La vérité, c’est que la police et les fascistes sont au service des mêmes maîtres : la classe dirigeante capitaliste. Nous sommes opposés à toute mesure qui renforcerait les pouvoirs de l’Etat : même les lois soi-disant dirigées contre les fascistes sont et seront en fin de compte utilisées contre les travailleurs et les opprimés.

Populisme bourgeois contre internationalisme prolétarien

Dans toute l’Europe, les ravages de la crise économique et des diktats de l’UE ont conduit à des appels au « peuple » pour que celui-ci se rassemble derrière les intérêts de la nation, c’est-à-dire ceux de la classe dirigeante capitaliste. Le populisme bourgeois n’est pas par essence de gauche : les appels « au peuple » sont typiques chez des réactionnaires, depuis Donald Trump aux Etats-Unis jusqu’aux fascistes avérés en passant par la Ligue en Italie. Pour essayer de faire concurrence aux populistes de droite, il y a eu une prolifération de populismes « de gauche », avec notamment Syriza en Grèce, Podemos en Espagne et la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon. Toutes ces organisations sont bourgeoises : elles n’ont aucun lien organique avec la classe ouvrière et sont attachées aux institutions impérialistes comme l’UE.

La nouvelle tentative italienne de créer une force populiste bourgeoise de gauche est « Potere al Popolo » (PaP – le pouvoir au peuple), un conglomérat de groupes réformistes et de politiciens bourgeois autour de Rifondazione comunista et du centre social « Je so Pazzo » de Naples. PaP a été créé en opposition explicite à une perspective de classe prolétarienne, comme l’explique sa porte-parole Viola Carofalo : « Le mot “peuple” évoque les classes défavorisées, les gens qui ne sont pas normalement pris en compte dans les décisions affectant leur existence. Et quand quelqu’un vient ici, il ne se sent pas repoussé par le mot “peuple”, ce qui serait par contre le cas si nous utilisions le mot “prolétariat” » (Internazionale, 18 janvier).

Des groupes réformistes qui, dans le passé, se réclamaient (hypocritement) du communisme, tels que Rifondazione comunista, les staliniens de Rete dei comunisti et d’autres, ont jeté aux orties le drapeau rouge pour rejoindre PaP. Réfutant le mythe que le changement social serait réalisé par « le peuple », Karl Marx et Friedrich Engels écrivaient dans le Manifeste du Parti communiste :

« De toutes les classes qui, à l’heure actuelle, s’opposent à la bourgeoisie, le prolétariat seul est une classe vraiment révolutionnaire. […] Les classes moyennes, petits fabricants, détaillants, artisans, paysans, tous combattent la bourgeoisie parce qu’elle est une menace pour leur existence en tant que classes moyennes. Elles ne sont donc pas révolutionnaires, mais conservatrices ; bien plus, elles sont réactionnaires : elles cherchent à faire tourner à l’envers la roue de l’histoire. Si elles sont révolutionnaires, c’est en considération de leur passage imminent au prolétariat : elles défendent alors leurs intérêts futurs et non leurs intérêts actuels ; elles abandonnent leur propre point de vue pour adopter celui du prolétariat. »

La lutte pour renverser le capitalisme est une bataille, non pas entre le « peuple » et les « élites », mais entre les deux classes fondamentales et antagonistes sous le capitalisme : le prolétariat et la bourgeoisie. Le prolétariat doit chercher à gagner à ses côtés les couches opprimées de la petite bourgeoisie. Mais il ne peut le faire qu’en luttant pour une solution révolutionnaire à la crise capitaliste, en montrant que ce n’est qu’en portant la classe ouvrière au pouvoir et en expropriant la bourgeoisie que l’oppression des masses peut prendre fin.

Beaucoup de ceux qui se prétendent trotskystes se sont mis à la remorque du populisme pendant et après les élections. La succursale italienne du « Secrétariat unifié de la Quatrième Internationale » [avec lequel le NPA français a certains liens] a donné un soutien plein et entier à PaP. D’autres groupes, comme la section italienne de la Tendance marxiste internationale (TMI, qui en France publie Révolution) et le Partito comunista dei lavoratori ont présenté leur propre liste réformiste, « la Gauche révolutionnaire », qui a recueilli moins de 0,1 % des voix. S’étant mise à la remorque du M5S, la TMI a déclaré après les élections que la formation d’un gouvernement M5S était désormais « un passage obligé » pour que le peuple « mette à l’épreuve et démasque les équivoques trans-classes du M5S ».

L’Union européenne : un consortium impérialiste

La finance internationale et les gouvernements impérialistes craignent que les élections italiennes puissent déstabiliser l’UE, un bloc réactionnaire destiné à accroître la compétitivité des impérialistes européens face à leurs rivaux américains et japonais. La Ligue communiste internationale (quatrième-internationaliste) s’oppose depuis toujours à l’UE et à sa monnaie l’euro, instrument financier utilisé par l’impérialisme allemand et (dans une moindre mesure) les impérialistes italiens et français pour piller et asservir les pays plus faibles économiquement. Comme la Ltd’I l’écrivait l’an dernier dans un tract distribué lors des protestations contre le 60e anniversaire de la Communauté économique européenne, prédécesseur de l’UE :

« La classe ouvrière doit lutter pour exiger : Italie hors de l’UE et de l’euro. Une sortie italienne de l’UE pourrait précipiter son écroulement. Ce serait dans l’intérêt de tous les travailleurs et des opprimés, et ce serait un coup sérieux porté contre les patrons. La fin de l’UE ne signifierait pas la fin du capitalisme international, ni de l’exploitation et du racisme qui sont inhérents à ce système de production, mais elle faciliterait les luttes ouvrières dans toute l’Europe et montrerait plus clairement que l’ennemi principal à combattre est notre “propre” exploiteur national. »

– « L’Union européenne : ennemie des travailleurs et des immigrés », 25 mars 2017

Potere al Popolo soutient ouvertement l’UE. Les groupes associés à la « Gauche révolutionnaire » ont aussi prouvé leur soutien dans les faits à l’UE en s’opposant au Brexit. C’est aussi le cas pour l’Internationalist Group basé aux Etats-Unis. Ses sympathisants italiens ont publié récemment un supplément de huit pages sur les élections dans lequel les mots « Union européenne » n’apparaissaient même pas une seule fois !

Depuis plus d’un siècle, les marxistes expliquent que l’unification de l’Europe sous le capitalisme est destinée soit à rester une utopie, soit à prendre la forme d’une réalité réactionnaire, comme l’écrivait Lénine en août 1915 :

« Certes, des ententes provisoires sont possibles entre capitalistes et entre puissances. En ce sens, les Etats-Unis d’Europe sont également possibles, comme une entente des capitalistes européens… dans quel but ? Dans le seul but d’étouffer en commun le socialisme en Europe, de protéger en commun les colonies accaparées contre le Japon et l’Amérique ».

– Lénine, « A propos du mot d’ordre des Etats-Unis d’Europe »

Seule la révolution prolétarienne, avec l’expropriation des classes capitalistes au pouvoir dans tout le continent, peut constituer la base de vrais Etats-Unis socialistes volontaires d’Europe. C’est la perspective pour laquelle combattent la Ltd’I et la LCI.

 

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