Le Bolchévik nº 225

Septembre 2018

 

Grèce

Victoire aux dockers de COSCO!

L’article ci-dessous a été écrit par nos camarades du Groupe trotskyste de Grèce.

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Athènes, 23 juillet – Fin mai-début juin, des centaines de dockers du port du Pirée ont mené une série d’actions contre les conditions de travail abominables sur les terminaux à conteneurs de leur employeur COSCO, une entreprise d’Etat chinoise et l’un des géants du secteur. Le 30 mai, une journée de grève générale était organisée dans toute la Grèce contre la dernière bordée de mesures d’austérité exigées par l’Union européenne (UE) et imposées par le gouvernement Syriza-ANEL. Les dockers de COSCO, derrière leur syndicat l’ENEDEP, se sont joints à ce mouvement malgré la menace de leur employeur de les faire arrêter s’ils participaient à cette grève. Ils ont fait grève deux jours de plus, revendiquant des CDI à plein temps, le renforcement des équipes, une convention collective et des mesures concernant la santé et la sécurité au travail, ainsi qu’une augmentation de leurs salaires de misère. Du fait de la forte dangerosité des conditions de travail sur le port, il y a de nombreux accidents qui ont fait beaucoup de blessés, et un mort l’année dernière parmi les dockers.

Plusieurs milliers d’autres travailleurs ont pris part à un rassemblement organisé par les grévistes devant le siège de COSCO. Etaient notamment présents des dockers membres d’un autre syndicat, le Syndicat des dockers-Port du Pirée, qui ont fait grève pendant deux jours pour les salaires et une convention collective. Ce rassemblement était également soutenu par le syndicat des marins et par le Centre ouvrier [sorte de Bourse du travail à l’ancienne] du Pirée dominé par PAME, organisation syndicale liée au Parti communiste (KKE). Des piquets de grève organisés conjointement par les différents syndicats ont réussi à bloquer totalement COSCO, pour la première fois depuis que cette entreprise a pris le contrôle du port du Pirée, et à repousser les tentatives des patrons pour briser la grève en faisant appel à des jaunes (dont des fascistes d’Aube dorée) et aux tribunaux.

La grève a été suspendue en assemblée générale le 1er juin, mais les employés de COSCO ont débrayé à nouveau cinq jours plus tard. Jusqu’ici, ils ont arraché une concession – leurs emplois seront intégrés à la liste des emplois officiellement reconnus comme « pénibles et insalubres », ce qui leur donnera droit à une meilleure retraite. Le syndicat a annoncé qu’il organiserait d’autres débrayages si COSCO n’accepte pas d’ouvrir des négociations. Mais les grèves ont été suspendues après l’annonce par le syndicat, le 11 juillet, qu’il était parvenu à un « accord oral » qui, d’après lui, satisferait les revendications des dockers en matière de stabilité de l’emploi et de renforcement des équipes.

La lutte des salariés de COSCO a eu un grand retentissement dans tout le secteur maritime, dont le poids est très important en Grèce. Une issue victorieuse serait un immense encouragement pour la classe ouvrière grecque, qui a pris des coups mais n’a pas été brisée par une décennie d’austérité capitaliste féroce. Elle pourrait aussi servir d’exemple aux travailleurs qui, ailleurs en Europe, sont confrontés à des attaques contre l’emploi et les salaires. Victoire aux dockers de COSCO !

Le parti au pouvoir, Syriza, a déclaré à propos de la grève que les problèmes des dockers étaient dus au fait que COSCO opère « exclusivement par l’intermédiaire de sous-traitants et maximise ainsi ses profits tout en se dérobant à ses responsabilités en tant que véritable employeur » (kathimerini.gr, 2 juin). C’est un comble d’hypocrisie venant de Syriza qui, en dépit de son étiquette « gauche radicale », est un parti bourgeois. En 2015, Syriza n’avait tenu aucun compte de la victoire écrasante du « non » lors du référendum sur l’austérité de l’UE. Aujourd’hui, il continue à exécuter les basses œuvres des banquiers de Francfort et des armateurs grecs.

Les dockers qui travaillent pour COSCO sont effectivement pour beaucoup embauchés par des officines qui leur imposent des contrats « flexibles », sans garantie d’un emploi stable ni des droits les plus élémentaires. Ces dockers dénoncent l’absence de formation adéquate et le climat d’intimidation qui règne sur le port, avec des « gros bras au look de videurs de boîte de nuit » embauchés pour maintenir la discipline. Il est vital que les syndicats luttent pour chasser ces parasites de la sous-traitance et pour l’embauche immédiate de tous les employés à plein temps et en CDI, avec des conditions de travail et des salaires décents. Pour le contrôle syndical sur l’embauche et sur la sécurité au travail !

Les conditions de travail épouvantables imposées aux dockers de COSCO et aux autres travailleurs grecs sont le résultat direct des mesures d’austérité, y compris la privatisation des ports et d’autres grandes infrastructures, imposées par l’UE et le FMI en échange d’un « plan de sauvetage » de la Grèce. En fait, ce « plan de sauvetage » était fait pour les banques allemandes et françaises qui avaient prêté l’argent, mais ce sont les travailleurs qui en paient les frais. La paupérisation et l’humiliation des travailleurs grecs est une version extrême de ce qui arrive aux travailleurs dans toute l’Europe, les patrons des pays de l’UE cherchant à intensifier l’exploitation de leurs esclaves salariés. Un article du magazine américain The Nation (« Le principal port grec, révélateur des périls de la privatisation », 1er juin) cite ainsi un docker : « Nous savons que nous autres en Grèce faisons partie d’une expérimentation néolibérale particulièrement cruelle, mais ce n’est qu’un début. Aujourd’hui la Grèce, demain l’Europe. Tout le système salarial tend vers des systèmes d’emploi plus flexibles. »

L’UE est un instrument au moyen duquel les puissances capitalistes européennes – avec l’impérialisme allemand dans le siège du conducteur – cherchent à sabrer les salaires et les conditions de vie des travailleurs, y compris dans les économies les plus fortes comme l’Allemagne elle-même. Les travailleurs du secteur maritime en Europe ont eu à combattre ce type d’attaques sous la forme des « paquets portuaires » antisyndicaux. En janvier 2006, une grève contre le Paquet portuaire n° 2 a bloqué le port de Hambourg, en Allemagne, et elle a été suivie par des grèves dans d’autres pays européens. L’année dernière, les dockers espagnols se sont mobilisés contre l’application des règlements de l’UE imposant la « liberté d’entreprise », c’est-à-dire le cassage des syndicats. Le consortium de l’UE a dévasté les pays européens les plus faibles, comme la Grèce, l’Espagne et le Portugal, tout en formant un bloc commercial contre les rivaux impérialistes américain et japonais. La Grèce hors de l’UE et de l’euro ! Pour des Etats-Unis socialistes d’Europe !

La Chine n’est pas capitaliste

COSCO (China Ocean Shipping Company) gère les quais II et III du port de marchandises du Pirée depuis octobre 2009. En 2016, le gouvernement Syriza a cédé à COSCO 67 % des actions du Port du Pirée, dans le cadre du bradage des actifs de l’Etat pour payer la dette écrasant la Grèce. A l’époque, les dockers s’étaient opposés avec raison à cette privatisation, car ils voyaient bien que cette vente à prix cassés serait accompagnée d’attaques contre les salaires, les conditions de travail et les droits syndicaux.

Dans leur juste lutte, les dockers du Pirée font face à COSCO, une entreprise d’Etat chinoise. COSCO n’est pas un employeur capitaliste ; elle fait partie intégrante de l’économie collectivisée de la République populaire de Chine, un Etat ouvrier déformé où le pouvoir politique est entre les mains de la bureaucratie privilégiée du Parti communiste chinois (PCC). Les activités économiques du régime du PCC à l’étranger comportent souvent des attaques contre les salaires et les conditions de travail. Ces attaques contre les travailleurs ne sont pas inévitables, comme c’est le cas avec les entreprises capitalistes, mais s’inscrivent dans le cadre d’une politique qui reflète les intérêts conservateurs et étroitement nationalistes de la bureaucratie. Au Pirée, cette politique la conduit à travailler main dans la main avec les maîtres de l’UE pour saigner à blanc les travailleurs.

La manière scandaleuse dont COSCO traite les travailleurs du Pirée, ce sont notamment des journées de travail de 12 heures pour un salaire de misère, souvent sans même avoir droit à une pause d’une demi-heure. Pour d’autres, il n’y a pas suffisamment de travail. Le directeur du port, Fu Chengqiu, surnommé « Capitaine Fu », est l’incarnation vivante du paternalisme répugnant du régime du PCC. Dans des propos rapportés par le site internet du Spiegel (4 septembre 2015), ce personnage déclarait que les syndicats étaient « superflus » et il fustigeait les dirigeants syndicaux qui promettent « plus d’argent pour moins de travail », avant d’ajouter : « Si vous voulez un meilleur salaire, vous devez commencer par travailler dur et non vous vautrer sur la plage en buvant de la bière. Prenez exemple sur les Allemands ! Travaillez dur, ne soyez jamais paresseux et travaillez toujours sérieusement. Travailler dur, c’est le secret du bonheur. » Cette hostilité envers les travailleurs va de pair avec le programme stalinien du « socialisme dans un seul pays » (ou du « socialisme avec des caractéristiques chinoises ») qui est hostile à l’internationalisme prolétarien et déconsidère le socialisme. Ce genre d’attitude peut aussi faire le jeu des anticommunistes qui cherchent à canaliser la colère provoquée par ces exactions pour alimenter la campagne impérialiste pour une contre-révolution capitaliste en Chine.

Nous, trotskystes, soutenons les travailleurs de COSCO en lutte pour leurs droits syndicaux et pour des salaires et des avantages sociaux décents. En même temps, nous combattons le travail de sape de ceux pour qui il ne faut pas défendre l’Etat ouvrier déformé chinois contre l’impérialisme. Le KKE, un parti réformiste stalinien, prétend comme beaucoup d’organisations ouvrières que la Chine « fait partie intégrante du système impérialiste mondial » (Kommounistiki Epitheorisi n° 6, 2010). Le KKE argumente que « la Chine, particulièrement depuis les années 1980, lie son économie au marché capitaliste international. C’est un fait qui n’est pas nié par la direction chinoise, mais dont au contraire elle s’enorgueillit. » Le fait que la Chine participe au commerce mondial n’en fait pas pour autant un pays capitaliste ou impérialiste.

La Révolution chinoise de 1949 a renversé la domination des capitalistes et des propriétaires fonciers ; elle a arraché le pays aux griffes des impérialistes qui le tenaient sous leur pouvoir. L’Etat bourgeois a été brisé par l’Armée populaire de libération de Mao Zedong, composée de paysans, et il a été remplacé par un Etat ouvrier qui a exproprié les exploiteurs. La création ultérieure d’une économie fondamentalement basée sur des formes de propriété collectivisées a jeté les bases d’un développement industriel et d’immenses acquis pour les masses ouvrières et paysannes.

L’instauration de l’Etat ouvrier déformé chinois a été un acquis historique pour la classe ouvrière internationale. Mais contrairement à l’Etat issu de la Révolution russe d’octobre 1917, dirigée par les bolchéviks de Lénine et Trotsky, l’Etat ouvrier chinois était déformé dès le début par la domination d’une bureaucratie nationaliste fondamentalement similaire à celle qui était arrivée au pouvoir en Union soviétique à l’issue d’une contre-révolution politique dirigée par Staline à partir de 1923-1924.

Deux ans après la mort de Mao en 1976, le PCC lança sous la direction de Deng Xiaoping un programme de « réformes de marché » assouplissant le contrôle de la production et du commerce par l’Etat et ouvrant le pays à des investissements capitalistes par des sociétés occidentales et japonaises ainsi que par la bourgeoisie chinoise de l’extérieur. Une classe capitaliste chinoise s’est développée aussi en Chine même ; toutefois, cette classe n’a pas le pouvoir politique. Les idéologues bourgeois (et une grande partie de la gauche) affirment volontiers que le capitalisme a été restauré en Chine, ou que sa restauration est un processus irréversible. Mais il faudrait que la contre-révolution capitaliste l’emporte au niveau politique, en brisant l’Etat ouvrier et en instaurant un régime anticommuniste soutenu par l’impérialisme. Ce serait un désastre pour le prolétariat mondial.

Malgré les « réformes de marché », le noyau de l’économie chinoise reste collectivisé. Les entreprises d’Etat dominent les secteurs industriels stratégiques, la nationalisation de la terre a empêché l’émergence d’une classe de grands propriétaires fonciers, et les banques d’Etat contrôlent le financement de l’économie. La croissance économique explosive que connaît la Chine depuis une vingtaine d’années est très supérieure à celle des pays impérialistes ainsi que des pays néocoloniaux « émergents » comme l’Inde.

Nous soutenons le droit de la Chine à commercer pour obtenir ce dont elle a besoin pour le développement de l’Etat ouvrier. Les investissements des sociétés d’Etat chinoises à l’étranger ne sont pas gouvernés par la recherche du profit, comme c’est nécessairement le cas des entreprises capitalistes, mais par le besoin d’acquérir des matières premières et des technologies avancées pour ses industries collectivisées en Chine même, et pour faciliter son commerce international, y compris par la construction de lignes de chemin de fer, de routes et de ports. En même temps, nous savons que les investissements à l’étranger de la Chine ne sont pas déterminés par l’internationalisme prolétarien mais par la politique du régime du PCC, qui repose sur le dogme stalinien du « socialisme dans un seul pays » et de la « coexistence pacifique avec l’impérialisme ».

Les impérialistes qui ont « perdu la Chine » en 1949 sont déterminés à la soumettre à nouveau à une exploitation capitaliste débridée. Nous, Ligue communiste internationale, sommes en tant que trotskystes pour la défense militaire inconditionnelle de la Chine contre l’impérialisme et les tentatives de contre-révolution intérieure. Pour défendre et étendre les acquis de la Révolution chinoise, il faut une révolution politique prolétarienne qui chassera la bureaucratie du PCC et la remplacera par un régime de démocratie ouvrière déterminé à lutter pour le socialisme mondial.

Le gouvernement des conseils ouvriers et paysans qui héritera des filiales étrangères des entreprises d’Etat chinoises respectera les droits syndicaux et augmentera les salaires et les avantages sociaux au-dessus du niveau local. Ce régime expropriera aussi les éléments bourgeois qui ont fait leur apparition en Chine, ainsi que les milliardaires de Hong Kong. Et surtout, il suivra l’exemple de l’Etat ouvrier soviétique des premières années et s’efforcera d’encourager la révolution ouvrière dans le monde entier.

Pour une direction lutte de classe !

Les travailleurs grecs ont montré leur détermination à lutter contre les attaques des patrons, mais la direction actuelle de leurs syndicats est dévouée au système capitaliste et à la collaboration de classe. Il faut une nouvelle direction, une direction qui comprenne que les travailleurs n’ont pas d’intérêts en commun avec les patrons, et qui agisse en conséquence. Une telle direction lutterait pour ce dont les travailleurs ont besoin, pas pour ce que les patrons disent qu’ils peuvent se permettre. Ceci implique nécessairement l’opposition à l’UE et à son instrument monétaire l’euro, ainsi que la solidarité de classe avec les travailleurs au-delà des frontières.

Il faut employer les armes de la lutte de classe, comme des grèves défendues par des piquets de masse. Les fascistes d’Aube dorée se sont développés de façon menaçante à la faveur du désespoir causé par le capitalisme. Ils sont un danger mortel pour les immigrés et les autres minorités, pour la gauche et pour le mouvement ouvrier. La direction actuelle du mouvement ouvrier fait la plupart du temps semblant d’ignorer le danger fasciste, mais les piquets de masse qui ont empêché les jaunes et les fascistes d’entrer pendant la grève de COSCO ont montré que des actions ouvrières de masse pour écraser Aube dorée sont possibles.

Les souffrances des travailleurs grecs illustrent le fonctionnement brutal du système capitaliste, où la production est organisée non pas pour satisfaire les besoins vitaux des masses – un emploi décent, un logement, une retraite, des soins médicaux, etc. – mais pour produire des profits pour une poignée d’exploiteurs capitalistes super-riches. Les besoins essentiels de la population ne pourront être satisfaits tant que la classe ouvrière n’aura pas pris en main les richesses productives de la société. La classe ouvrière et ses alliés parmi les opprimés doivent lutter pour un gouvernement qui agira dans leur intérêt et qui sera sous leurs ordres. Un tel gouvernement ne pourra pas être mis en place dans un cadre parlementaire, mais seulement par une révolution prolétarienne qui brisera l’Etat capitaliste. Le Groupe trotskyste de Grèce, section de la Ligue communiste internationale (quatrième-internationaliste), s’est fixé pour tâche de forger le parti ouvrier révolutionnaire qui sera capable de diriger les travailleurs pour atteindre cet objectif.