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Le Bolchévik nº 224

Juin 2018

Front populaire et parti : la faillite de LO en Mai 68

Lutte ouvrière profite du cinquantième anniversaire de Mai 68 pour réitérer qu’on était alors « très loin d’une situation révolutionnaire » (Lutte de classe, avril). Nous avons quant à nous toujours affirmé que Mai 68 était une situation prérévolutionnaire où la classe ouvrière a paralysé le pays et fait trembler la bourgeoisie. Ce qui a alors manqué, c’était « un parti révolutionnaire, capable d’arracher les ouvriers à leurs dirigeants traîtres, essentiellement du PC qui dirigeait la CGT, et capable d’élever suffisamment le niveau de conscience de la classe ouvrière pour qu’elle puisse comprendre son rôle historique pour le renversement du capitalisme » (le Bolchévik n° 185, septembre 2008).

LO fustige aujourd’hui tous ces cadres lambertistes de l’OCI ou pablistes de la JCR (ancêtres respectivement des POI/POID et du NPA) qui virèrent leur cuti et qui dans les années 1980 « rompirent dans cette période avec le trotskysme pour se fondre dans le Parti socialiste ». Comme si les lambertistes et les pablistes avaient été alors « trotskystes », ayant par exemple (comme du reste LO) voté Mitterrand en 1974 et en 1981. Les cadres de LO n’ont, pour leur part, peut-être pas tant changé, mais rien n’est plus faux que de penser que LO (Voix ouvrière à l’époque) se serait battue pour le programme trotskyste en Mai 68.

Dès le début de la grève générale, Voix ouvrière avait mis sur pied un comité de liaison avec les deux organisations pablistes, la JCR et la TMR-IV (le groupe de Michel Pablo avec lequel le reste des pablistes avait rompu). Ses revendications étaient essentiellement économiques, avec des augmentations de salaires plus élevées que celles des accords de Grenelle assorties d’une échelle mobile pour compenser l’inflation à venir. C’est logique pour des gens qui pensent qu’il était impossible de lutter à ce moment-là pour des conseils ouvriers (soviets) et la révolution socialiste.

Le comité de liaison appela d’abord toutes les organisations se réclamant du trotskysme « à s’associer à cette initiative ». En signant cette déclaration, VO indiquait qu’elle était prête à s’allier aux liquidateurs de la IVe Internationale en subordonnant les divergences politiques à l’unité organisationnelle. Puis VO étendit aux staliniens maoïstes et aux anarchistes son appel à un regroupement de tous les « révolutionnaires ». Dans son dernier Lutte de classe, LO admet pudiquement que cela n’a rien à voir avec le bolchévisme : « En raison de l’hétérogénéité de ses composantes, un tel cadre aurait été certes éloigné du type de parti nécessaire, sur les bases programmatiques et organisationnelles du bolchévisme. » LO était en fait en train de construire un « nouveau parti anticapitaliste » avant l’heure, c’est-à-dire non pas l’embryon d’un parti bolchévique mais un obstacle menchévique.

Sur quel programme ? LO porte aux nues le meeting du stade Charléty le 27 mai 1968. Or à Charléty était scandé par les participants le nom de l’ex-politicien radical et dirigeant du Parti socialiste unifié Pierre Mendès France, qui était présent. Ce meeting était un tremplin pour un « front populaire », c’est-à-dire un gouvernement capitaliste incluant des forces ouvertement bourgeoises et des partis ouvriers réformistes (cette fois-ci sans le PCF, qui n’avait pas été invité). Le but d’une telle alliance avec la bourgeoisie ne pouvait être que de saboter la grève générale. Trotsky, opposant farouche du front populaire, parlait là dans les années 1930 du « meilleur critère pour la différence entre bolchevisme et menchevisme ».

L’apparition de Mendès était certes, selon LO, un « mauvais présage ». LO dit pourtant que Charléty « fut peut-être l’une des occasions manquées, ou peut-être même la seule [!!], de ce printemps 1968 » (Lutte ouvrière n° 2, 3 juillet 1968). LO déclarait que l’unification des « révolutionnaires » pouvait se faire « par la force des choses » si « leur volonté de lutte les unit », comme à Charléty. La base politique du parti envisagé par VO/LO ne pouvait effectivement être que Charléty, c’est-à-dire la perspective d’un gouvernement capitaliste Mendès France-Mitterrand !

Le parti bolchévique qui a cruellement manqué à la classe ouvrière de France en Mai 68 n’aurait pu se construire qu’en opposition à toute perspective de collaboration de classe, que ce soit la version front-populiste du PCF (un « gouvernement populaire ») ou celle de Charléty (la version Mendès France-Mitterrand). L’embryon d’un tel parti aurait réellement mis en avant le Programme de transition de Trotsky, dans la perspective de reforger la IVe Internationale. C’est pour un tel parti que nous luttons.

 

Le Bolchévik nº 224

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