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Le Bolchévik nº 217

Septembre 2016

Campagne de calomnies contre Corbyn dans le Parti travailliste britannique

Impérialisme, sionisme et racisme anti-Juifs

L’article que nous reproduisons ci-dessous a été écrit par nos camarades de la Spartacist League/Britain ; il a été publié d’abord dans Workers Vanguard (n° 1091), puis dans Workers Hammer, le journal de la SL/B (n° 235).

* * *

31 mai – Juste avant les élections du 5 mai aux parlements gallois et écossais, Jeremy Corbyn, secrétaire général du Parti travailliste et chef de file de son aile gauche, a été victime d’une violente campagne de calomnies lancée par l’aile droite du parti, appuyée par les Conservateurs et la presse capitaliste. Corbyn a été élu à la tête du Parti travailliste en septembre 2015 parce qu’il parlait de socialisme, des droits des syndicats et des immigrés ; il défend aussi les droits des Palestiniens. A en croire la cabale anti-Corbyn, qui va de l’éditorialiste sioniste du New York Times Roger Cohen au chef de l’opposition israélienne Isaac Herzog, le Parti travailliste serait devenu, sous la direction de Corbyn, un repaire d’« antisémites de gauche ». Entendre des pourritures du Parti conservateur comme David Cameron, le Premier Ministre, ou Boris Johnson (à l’époque encore maire de Londres) donner des leçons de morale sur le racisme dans le Parti travailliste était franchement écœurant.

L’aile droite travailliste, les héritiers de l’ex-Premier Ministre Tony Blair, sont à la manœuvre pour chasser Corbyn. Ils s’apprêtaient à se débarrasser de lui en cas de défaite électorale du Parti travailliste aux dernières élections [aux parlements gallois et écossais]. Mais en fait, le Parti travailliste a réalisé un score honorable. Les « révélations » de nouveaux cas d’« antisémitisme » ont cessé avant même que les résultats du scrutin ne soient annoncés, ce qui montre bien le cynisme de cette chasse aux sorcières. Un nouveau « scandale » a immédiatement suivi : le Parti travailliste de Corbyn serait un nid de misogynes. Cette nouvelle calomnie se basait sur le prétexte (qui s’est rapidement révélé infondé) que parmi les 35 000 signataires d’une pétition demandant à la BBC le limogeage de Laura Kuenssberg, la responsable de son service politique, beaucoup auraient fait des commentaires misogynes. Laura Kuenssberg voue une hostilité particulière à Corbyn, parce qu’elle voit en lui un représentant des masses laborieuses que l’establishment déteste tant.

Les prétendues preuves de racisme anti-Juifs sont ou bien ridicules ou bien inventées de toutes pièces. Elles proviennent en grande partie du blogueur réactionnaire et colporteur de ragots qui se fait appeler « Guido Fawkes », et elles remontent à bien avant l’élection de Corbyn comme secrétaire général en septembre de l’année dernière. Sadiq Khan, le candidat travailliste musulman qui a remporté la mairie de Londres, s’est joint à cette chasse aux sorcières – alors qu’il a lui-même été cloué au pilori par les Conservateurs pour avoir prétendument entretenu des relations avec des « musulmans extrémistes ». Corbyn a vigoureusement réfuté les accusations que le Parti travailliste était infesté de racistes, mais il a accepté de suspendre un certain nombre de militants du parti. Pire encore, son principal lieutenant, John McDonnell, appuie avec enthousiasme la croisade contre les « antisémites » à l’intérieur du parti. Parmi les militants suspendus figurent la députée musulmane Naz Shah, qui a été contrainte de démissionner de son poste de secrétaire parlementaire de McDonnell, ainsi que Ken Livingstone, membre de la gauche travailliste à ses heures. Ces suspensions devraient être annulées immédiatement.

La classe ouvrière a beaucoup de choses à reprocher à Ken Livingstone. Quand il était maire de Londres, il servait loyalement les banquiers de la City ; il a incité les employés du métro à traverser les piquets de grève du syndicat des transports ; et en 2005 il a défendu les policiers qui avaient exécuté de sang-froid Jean Charles de Menezes, un ouvrier électricien brésilien. Comme le disait un panneau de la Spartacist League lors du défilé du Premier Mai à Londres : « L’ex-maire Livingstone : pro-City, pro-police, anti-syndicats, mais PAS anti-Juifs ! » Un deuxième panneau disait : « Pas une voix pour Sadiq Khan, l’homme de paille blairiste ! »

Mais Livingstone, il faut le reconnaître, a déclaré : « En fait, ce n’est pas d’antisémitisme dans le Parti travailliste qu’il s’agit […]. Tout cela fait partie de la bataille que mènent les vieux députés blairistes aigris pour se débarrasser de Jeremy Corbyn » (BBC News online, 30 avril). C’est ce qu’a d’ailleurs reconnu un porte-parole de l’organisation sioniste BICOM (Britain Israel Communications and Research Center) quand il s’est exclamé : « C’est Corbyn qui doit rester l’homme à abattre. »

Comme nous l’avons expliqué dans notre article « Grande-Bretagne : une monarchie bananière » (Workers Hammer n° 234, printemps 2016), les Conservateurs, les blairistes et les médias bourgeois (notamment le quotidien de centre-gauche The Guardian) mènent une guerre de classe sans répit pour éliminer Corbyn depuis le jour de son élection. Quelques jours à peine après sa prise de fonctions comme secrétaire général du Parti travailliste, le Sunday Times (20 septembre 2015) publiait la mise en garde anonyme d’un « général d’active occupant un poste de haut niveau » qui affirmait que Corbyn serait confronté à une « mutinerie » s’il essayait de tenir sa promesse de supprimer le système de missiles nucléaires des sous-marins Trident, ou de sortir de l’OTAN. Cette menace de coup d’Etat a été réitérée deux mois plus tard quand le chef des forces armées, le général Nicholas Houghton, s’est présenté en grand uniforme devant les caméras de télévision pour déclarer que l’opposition de Corbyn aux armes nucléaires le disqualifiait pour occuper le poste de Premier Ministre. Houghton a immédiatement reçu le soutien de la blairiste Maria Eagle, secrétaire d’Etat à la défense du cabinet fantôme de Corbyn. Il ne se passe pratiquement pas une semaine sans que les comploteurs blairistes n’attaquent ouvertement Corbyn. Mais comme le montre le dénouement de la dernière vendetta en date, tous les complots pour le démettre se sont heurtés à un fait têtu : Corbyn est plus populaire que jamais parmi les militants du parti, qui sont deux fois plus nombreux depuis sa campagne pour devenir secrétaire général.

Corbyn est tout sauf un révolutionnaire. C’est un partisan convaincu de la voie parlementaire vers ce qui serait en fait une nouvelle version de l’« Etat-providence » travailliste. Mais son élection a été un choc désagréable pour l’establishment bourgeois, et en particulier pour l’aile droite du Parti travailliste. Sa campagne a déclenché un processus de restauration des liens historiques entre le parti et sa base ouvrière, renversant ainsi le cours suivi par les blairistes qui conduisait à transformer le Parti travailliste en un parti ouvertement capitaliste. Comme nous l’écrivions dans « Grande-Bretagne : une monarchie bananière » :

« Toute initiative qui affaiblira l’emprise des blairistes sur le parti va dans l’intérêt de la classe ouvrière dans ses luttes contre la classe capitaliste. Comme l’a expliqué dès le début la Spartacist League/Britain, nous choisissons notre camp dans la guerre de classe qui fait rage dans le Parti travailliste. Contre les tentatives de l’aile droite pour le chasser, nous disons : Il faut défendre le droit de Jeremy Corbyn à diriger le Parti travailliste, et à le faire comme il l’entend ! »

Les Juifs n’ont rien de bon à attendre du sionisme

August Bebel, dirigeant social-démocrate allemand d’avant la Première Guerre mondiale, avait cette formule lapidaire pour qualifier le racisme anti-Juifs, qui livrait les « banquiers juifs » à la vindicte populaire : c’est le « socialisme des imbéciles ». Mais ceux qui aujourd’hui balancent à tort et à travers des accusations non fondées d’antisémitisme cherchent à s’en prendre à tous ceux qui se solidarisent avec le peuple palestinien, ainsi qu’à la gauche et au mouvement ouvrier dans son ensemble. Cette campagne qui vise à neutraliser et bâillonner la solidarité internationale avec le peuple palestinien opprimé est orchestrée au plus haut niveau de l’Etat israélien, avec le soutien de ses parrains impérialistes en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et en Allemagne.

En 2011, le gouvernement israélien du Premier ministre Benyamin Nétanyahou a fait adopter une loi qui rend illégal d’appeler au boycott d’Israël. Et le 28 mars dernier, lors d’une conférence organisée à Jérusalem pour définir une stratégie contre le mouvement BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions), le ministre israélien du Renseignement Yisrael Katz a appelé à l’« élimination civile ciblée » des « dirigeants » de BDS. Venant de la part d’un gouvernement qui a tué environ 200 Palestiniens rien que depuis octobre 2015, et en a massacré plus de 2 300 pendant son offensive meurtrière à Gaza en juillet 2014, ce n’est pas une menace à prendre à la légère.

Au sein du Parti travailliste, il y a de nombreux chevauchements entre les Labour Friends of Israel [Amis travaillistes d’Israël] et Progress, le groupement blairiste. Richard Angell, dirigeant de Progress, a publié début avril un « plan d’action » invitant le Jewish Labour Movement [Mouvement travailliste juif] à s’occuper de « l’antisémitisme dans la base [du Parti travailliste] » (mirror.co.uk, 5 avril). Le Jewish Labour Movement n’est pas seulement affilié au Parti travailliste, il est aussi rattaché à l’Organisation sioniste mondiale, qui finance l’expansion des colonies israéliennes en Cisjordanie occupée.

C’est dans ce contexte que s’inscrit la récente bordée d’accusations d’« antisémitisme » en Grande-Bretagne. Alex Chalmers, alors stagiaire au BICOM, a accusé en février dernier le Club travailliste de l’université d’Oxford d’avoir « comme un problème avec les Juifs » parce que ce club avait voté une motion de soutien à une « semaine contre l’apartheid en Israël » sur ce campus. Quand Malia Bouattia, une musulmane d’origine algérienne qui soutient la cause palestinienne, a été élue à la présidence de la National Union of Students, elle a, elle aussi, été accusée d’hostilité envers les Juifs. Vicki Kirby, candidate travailliste dans la ville de Woking [dans la banlieue de Londres], a été suspendue pour un tweet qu’elle avait diffusé en 2011 et que Guido Fawkes a exhumé et trafiqué pour donner l’impression qu’elle défendait des caricatures antijuives racistes. L’écrivain juif David Baddiel affirme pourtant qu’elle n’avait fait que citer des passages de son film comique de 2010 The Infidel.

Fawkes a aussi « révélé » que Naz Shah avait posté sur son compte Facebook en 2014 (avant de devenir députée) une carte d’Israël surimposée à une carte des Etats-Unis. Notons que ceux qui lui reprochent d’être pour le transfert forcé de la population juive d’Israël sont aussi ceux qui défendent le gouvernement israélien qui compte en son sein de nombreux partisans du transfert forcé de la population palestinienne hors des frontières du « Grand Israël ». Il s’est avéré que cette carte avait initialement été publiée par l’universitaire juif américain Norman Finkelstein, qui a fait remarquer l’humour noir évident qu’elle suggérait : « Il y a cette blague : Pourquoi Israël ne devient pas le 51e Etat ? Réponse : parce qu’alors il n’aurait que deux sénateurs » (opendemocracy.net). Finkelstein, fils de rescapés des camps de concentration, est détesté des sionistes, notamment parce qu’il fustige la manière dont ceux-ci utilisent cyniquement le génocide des Juifs perpétré par les nazis comme argument pour faire taire ceux qui dénoncent les atrocités commises par les Israéliens.

Ken Livingstone a été accusé de propos antijuifs parce qu’il a pris la défense de Naz Shah et eu l’audace de faire remarquer que quand « Hitler a gagné les élections en 1932, sa politique était alors que les Juifs devaient être envoyés en Israël. Il soutenait le sionisme. C’était avant qu’il devienne cinglé et finisse par tuer six millions de Juifs. » Plusieurs critiques lui ont reproché d’avoir déformé les faits (Hitler n’a jamais gagné d’élections, etc., etc.). Bien qu’il présente l’Holocauste comme simplement le produit de la folie de Hitler, Livingstone a raison en ce qui concerne la collaboration entre les sionistes et les nazis. Il cite à ce sujet le livre de Lenni Brenner Zionism in the Age of the Dictators (1983), un ouvrage sur lequel la Spartacist League/Britain s’est appuyée pour écrire « Le grand mensonge sioniste s’en prend à Perdition », un article publié dans Workers Hammer n° 88 (mai 1987). Les sionistes avaient empêché les représentations londoniennes de Perdition, une pièce écrite par Jim Allen et mise en scène par Ken Loach, parce qu’elle était basée sur l’histoire vraie de la collaboration entre les sionistes et les nazis pour faciliter la déportation vers les camps de la mort de plus de 400 000 Juifs hongrois en 1944.

Le but ultime d’Hitler était l’extermination de tous les Juifs, sionistes ou non. Mais dans les premières années de son existence, le Troisième Reich accepta fréquemment l’assistance offerte par les sionistes pour rendre l’Allemagne « Judenfrei » (débarrassée des Juifs). L’historienne Lucy Dawidowicz, de la Yeshiva University, a montré dans son livre la Guerre contre les Juifs 1933-1945 (1975) que, quelques mois seulement après l’arrivée au pouvoir de Hitler, la Fédération sioniste d’Allemagne (ZvfD) proposa « que “le nouvel Etat allemand” reconnaisse le mouvement sioniste comme le groupe juif le plus apte à négocier dans la nouvelle Allemagne » et que, « puisque l’émigration apportait une solution à la question juive, le gouvernement devait bien l’encourager ». Le ZvfD s’était réjoui des « fondements du nouvel Etat, qui repose sur le principe de la race ». Deux mois plus tard, l’Agence juive signait avec le régime hitlérien l’accord secret d’Ha’avara (Transfert) d’août 1933, qui autorisait les Juifs allemands fortunés à émigrer vers la Palestine (et seulement vers la Palestine) avec une partie de leurs capitaux, de manière à créer un débouché pour les exportations allemandes.

En retour, l’Etat nazi accordait un statut spécial au mouvement sioniste, qui était beaucoup plus petit que les organisations juives non sionistes. En janvier 1935, le responsable nazi Reinhard Heydrich, chef de la Gestapo et numéro deux de la SS, déclarait aux agents de la police politique de Bavière que « l’activité des organisations de jeunes d’obédience sioniste […] profite aux intérêts des autorités supérieures de l’Etat national-socialiste », parce que ces organisations préparaient les Juifs à émigrer en Palestine (cité par Dawidowicz). Alors que les militants socialistes et communistes étaient enfermés à Dachau, les sionistes furent pendant quelques années le seul groupe politique non nazi autorisé à opérer légalement, et le drapeau sioniste était le seul drapeau autorisé à flotter sur le sol allemand en plus du drapeau nazi.

Il y a là bien plus qu’une Realpolitik sioniste face à la terrible répression nazie, comme le prétendent les défenseurs contemporains de cette stratégie. Quand le mouvement ouvrier révolutionnaire s’est développé vers la fin du XIXe siècle, cela s’est accompagné d’une montée du racisme anti-Juifs. Dans leur immense majorité, les ouvriers juifs, ainsi qu’une bonne partie de l’intelligentsia juive, cherchaient le salut dans la lutte pour la révolution socialiste, aux côtés des travailleurs non juifs. C’est pour contrer ce mouvement et pour inciter aux pogromes que la police secrète tsariste diffusa les Protocoles des sages de Sion, un faux grossier qui avait inventé un complot juif international pour dominer le monde. Mais quand la rumeur d’un pogrome se répandit à Saint-Pétersbourg en plein milieu de la Révolution de 1905, le soviet ouvrier mobilisa 12 000 travailleurs en armes pour s’opposer aux réactionnaires ; de même à Varsovie, où des groupes de défense ouvriers juifs et non juifs furent mis en place pour patrouiller dans les quartiers juifs et les défendre contre les bandes de pogromistes (voir « Révolution, contre-révolution et question juive », Spartacist édition française n° 28, hiver 1994-1995).

Dans son essai de 1958 « Le Juif non-croyant » (publié dans le recueil Essais sur le problème juif, 1969), l’historien marxiste Isaac Deutscher expliquait pourquoi les Juifs avaient joué un rôle disproportionné dans le mouvement socialiste :

« Ils étaient a priori exceptionnels en ceci que, Juifs, ils vivaient au carrefour de civilisations, de religions et de cultures nationales diverses. Ils étaient nés, ils avaient été élevés sur la ligne de démarcation qui séparait des époques différentes. Leur esprit avait mûri dans un terrain où les influences culturelles les plus diverses s’entrecroisaient et se fertilisaient mutuellement. […]
« Comme Marx, Rosa Luxemburg et Trotsky luttaient, avec leurs camarades non-juifs, pour des solutions universelles et non particularistes, internationales et non nationalistes aux problèmes de leur temps. »

Theodor Herzl (1860-1904), le père fondateur du sionisme, avait un profond mépris pour le prolétariat juif assimilationniste et pro-socialiste. Plutôt que de lutter contre la haine et la répression à l’encontre des Juifs, Herzl et les autres sionistes s’en servaient comme argument pour séparer les Juifs d’Europe de leurs compatriotes et forger avec eux une nation qui aurait son propre territoire, en Palestine. Le sionisme, qui s’était formé idéologiquement dans le milieu du « réveil » allemand, adhérait aux idéaux réactionnaires du Blut (sang) et du Volk (nation). Né longtemps après la fin du rôle historiquement progressiste de l’Etat-nation bourgeois, à l’époque de la consolidation du capitalisme, le sionisme représentait une variété de nationalisme particulièrement vénale et raciste. Les dirigeants sionistes avaient pour cri de guerre « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre » – sachant pertinemment que pour faire de la Palestine une terre sans peuple il faudrait expulser la plus grande partie de sa population arabe.

Le projet sioniste ne pouvait se réaliser sans le soutien de puissants protecteurs impérialistes – que ce soit la Russie tsariste, l’Allemagne impériale (ou nazie), la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis. Pour diffuser leur camelote, les sionistes promettaient qu’ils pourraient décourager les Juifs de soutenir le mouvement socialiste révolutionnaire. Winston Churchill déclara plus tard que les sionistes pouvaient aider à vaincre la « sinistre confédération » des « Juifs internationaux » qui conspiraient « pour renverser la civilisation » (« Sionisme contre bolchévisme, un combat pour l’âme du peuple juif », Illustrated Sunday Herald, 8 février 1920). Tandis que le dirigeant sioniste Chaim Weizmann se tournait vers les impérialistes britanniques ou américains, l’aile droite révisionniste inspirée par Vladimir Jabotinsky regardait du côté de l’Italie de Mussolini ou même de l’Allemagne de Hitler. En 1941 encore, un groupe révisionniste dissident qui s’appelait l’Organisation militaire nationale (OMN), plus connue sous le nom de Groupe Stern, en appelait en ces termes au Troisième Reich :

« Il pourrait y avoir des intérêts communs entre l’instauration d’un Ordre nouveau en Europe, en conformité avec le concept allemand, et les aspirations nationales authentiques du peuple juif, telles qu’elles sont incarnées par l’OMN. »

– cité dans Zionism in the Age of the Dictators

Ce furent des « intérêts communs » comme ceux-là qui amenèrent Herzl et ses partisans à trouver des alliés parmi les éléments les plus réactionnaires de la bourgeoisie, qui voulaient se débarrasser de « leurs » Juifs. Weizmann réussit à obtenir la déclaration Balfour de 1917, qui promettait en termes vagues un « foyer national » juif en Palestine. Les impérialistes britanniques cherchaient ainsi à établir dans la région un bastion qui leur serait favorable, en dressant les Juifs contre les Palestiniens. Ils espéraient aussi entamer la popularité des bolchéviks parmi les Juifs, à la veille de la victoire de la révolution d’Octobre en Russie, qui était alors alliée à la Grande-Bretagne pendant la Première Guerre mondiale.

Ce dernier objectif, ils ne réussirent pas à l’atteindre. Pendant la Révolution russe et la guerre civile contre les forces impérialistes et celles de la contre-révolution intérieure (qui perpétraient des pogromes contre les Juifs et les rouges partout où elles allaient), les masses juives déshéritées se rassemblèrent sous le drapeau des bolchéviks. Les groupes juifs nationalistes et pro-sionistes en Russie et en Ukraine devinrent des coquilles vides. Comme le déclara la Troisième conférence panrusse des sections communistes juives en 1920 :

« Les travailleurs juifs et la partie la plus pauvre de la population juive comprennent parfaitement que seul l’ordre communiste mettra fin à tous les pogromes, éradiquera tous les préjugés nationalistes, éliminera toutes les restrictions nationales et instaurera dans le monde entier une authentique fraternité des peuples. »

News of Central Bureau of the Jewish Sections (octobre 1920)

La Révolution bolchévique et l’Etat soviétique des premières années, sous la direction de Lénine et Trotsky, étaient une inspiration pour les travailleurs et les opprimés du monde entier, y compris les masses arabes du Proche-Orient qui subissaient le joug de l’impérialisme britannique et la barbarie de la « civilisation » capitaliste. Le renversement du capitalisme et l’instauration d’une économie collectivisée et planifiée ouvraient la voie de la libération et du développement pour les nombreux peuples d’Union soviétique. Même après l’usurpation du pouvoir politique de la classe ouvrière par la bureaucratie stalinienne réactionnaire et nationaliste, c’est sa nature de classe prolétarienne qui permit à l’Union soviétique de sauver plus de deux millions de Juifs fuyant la machine de mort nazie et d’écraser le Troisième Reich hitlérien. Par contre, les « démocraties » impérialistes tournèrent le dos à l’immense majorité des réfugiés juifs. Beaucoup de ceux qui furent autorisés à s’installer en Grande-Bretagne furent emprisonnés comme « citoyens d’une puissance ennemie » pendant la Deuxième Guerre mondiale ; plusieurs milliers furent expulsés. Une des affaires les plus connues fut celle du Dunera, un navire où 2 000 réfugiés en majorité juifs et 450 prisonniers de guerre italiens et allemands furent entassés pour un voyage de deux mois à destination de l’Australie.

Pour une fédération socialiste du Proche-Orient !

Les jeunes militants qui se rallient à la cause du peuple palestinien face à la terreur d’Etat israélienne gagneraient à étudier ce que disaient les communistes juifs en 1920. L’internationalisme prolétarien révolutionnaire est la seule voie pour l’émancipation nationale et sociale du peuple palestinien. Cela peut sembler irréaliste à une époque où l’« extrême gauche » opportuniste n’a que mépris pour l’objectif marxiste d’un ordre communiste international égalitaire, et où même la lutte des classes semble appartenir au passé. Mais si la dernière décennie a démontré quelque chose, c’est que les crises catastrophiques sont inhérentes au système du profit capitaliste. Ceci vaut aussi pour la lutte de classe entre le prolétariat et la bourgeoisie, comme le démontrent la vague de grèves actuelle en France et les années de manifestations et de grèves en Grèce, malgré la mainmise des bureaucraties syndicales réformistes et procapitalistes.

Cette analyse marxiste s’applique aussi à l’Etat capitaliste d’Israël. Même si la société juive israélienne a évolué vers la droite au cours des dernières décennies, les intérêts historiques de la classe ouvrière juive israélienne sont opposés à ceux de sa classe capitaliste exploiteuse. Tant que ce sont les divisions nationales et non les divisions de classe qui prédomineront, les Palestiniens seront perdants, du fait de l’écrasante supériorité militaire de l’Etat sioniste. La classe ouvrière d’Israël est la seule à avoir la capacité et l’intérêt historique de détruire l’Etat sioniste de l’intérieur. En luttant pour la création de partis ouvriers internationalistes révolutionnaires au Proche-Orient, nous nous battons pour arracher les travailleurs juifs israéliens à l’emprise de la bourgeoisie sioniste, pour les gagner à l’idée que leurs alliés de classe sont les travailleurs des pays arabes, et qu’ils doivent défendre les droits nationaux des Palestiniens. De même, nous voulons arracher les masses laborieuses arabes au nationalisme arabe et à la réaction islamique (voir « Défense des Palestiniens », Workers Vanguard n° 1089, 6 mai).

Les manifestations de 2011 en Egypte ont été suivies de manifestations de masse en Israël l’été de la même année, ce qui montre qu’il est possible de combattre la mentalité de forteresse assiégée, que la bourgeoisie sioniste inculque aux travailleurs juifs israéliens en leur expliquant qu’ils sont encerclés par une masse immense et hostile d’Arabes. Toutefois, le soulèvement égyptien n’a pas débouché sur une remise en cause du pouvoir capitaliste par le prolétariat ; il était au contraire dominé par des nationalistes bourgeois et par des islamistes. De son côté, le groupe égyptien Revolutionary Socialists (RS), lié au Socialist Workers Party (SWP) britannique, a simplement capitulé devant ces forces. RS a commencé par colporter des illusions dans l’armée, a ensuite soutenu les réactionnaires islamistes des Frères musulmans, pour finir par soutenir le coup d’Etat qui a ramené l’armée au pouvoir. A chaque épisode, RS a contribué à maintenir le prolétariat égyptien enchaîné à ses ennemis de classe.

En Grande-Bretagne, les réformistes du SWP prétendent que BDS, un mouvement libéral-bourgeois, représente « la remise en cause potentiellement la plus sérieuse de la position israélienne et de la continuation de la politique à long terme d’annexion progressive et de facto de la totalité de la Palestine » (Socialist Review, juillet/août 2013). La campagne BDS est basée sur la supposition erronée que ses bailleurs de fonds impérialistes « démocratiques » peuvent faire pression sur l’Etat israélien pour que celui-ci mette un terme à l’oppression du peuple palestinien. L’idée que c’est le « lobby sioniste » (aussi riche et influent soit-il) qui est responsable du soutien accordé par les impérialistes à Israël est ridicule. C’est pour défendre ses propres intérêts géopolitiques que l’impérialisme américain accorde chaque année environ 3 milliards de dollars d’aide militaire à son gendarme israélien.

Pour le Comité solidarité Palestine, la stratégie de boycott « exerce une pression morale sur le gouvernement britannique en donnant une expression au désir d’aller en direction d’une politique étrangère plus éthique ». La Grande-Bretagne « démocratique », autant sinon plus que tout autre pays, porte le poids de la responsabilité historique d’avoir fait du Proche-Orient le charnier qu’il est devenu aujourd’hui. Au début de la Première Guerre mondiale, la Grande-Bretagne avait cherché à encourager une révolte arabe contre l’Empire ottoman, alors ennemi de la Grande-Bretagne, avec la promesse que les Arabes se verraient accorder la liberté à la fin de la guerre. Deux ans plus tard, les impérialistes britanniques et leurs alliés français, par les accords secrets Sykes-Picot, se partageaient le Proche-Orient. Ce fut suivi par la déclaration Balfour favorable aux sionistes. Trente ans plus tard, le gouvernement travailliste de Clement Attlee organisait la partition meurtrière de la Palestine (et la partition bien plus meurtrière encore de l’Inde). Diviser pour régner – c’est cela la « moralité » de l’impérialisme britannique.

Nous défendons les militants de BDS quand ils sont attaqués par l’Etat, mais nous sommes opposés à leur stratégie, qui en appelle aux instincts « humanitaires » supposés des gouvernements capitalistes, des administrations universitaires et des grandes entreprises pour faire pression sur Israël. Les sanctions économiques permanentes ont surtout pour effet d’affaiblir les travailleurs et les opprimés du pays visé, pas leur gouvernement capitaliste. Les boycotts universitaires et culturels sont particulièrement odieux, parce qu’ils tirent un trait d’égalité entre la bourgeoisie sioniste chauvine et les universitaires et artistes israéliens, comme par exemple le West-Eastern Divan Orchestra, un orchestre intégré créé par l’universitaire palestinien Edward Saïd et le musicien juif Daniel Barenboïm. Pour nous marxistes, ce qu’il faut c’est la solidarité ouvrière internationale avec les Palestiniens. Un boycott permanent des livraisons d’armes à Israël par les dockers britanniques et américains, par exemple, serait un puissant coup porté contre la terreur d’Etat israélienne.

En tant que marxistes, nous rejetons l’idée très répandue dans la gauche qu’une nation qui en opprime une autre n’aurait plus le droit à l’autodétermination. C’est une variété de moralisme nationaliste, qui finit par reprendre à son compte l’assimilation mensongère entre sionisme et peuple juif. Comme nous l’écrivions dans notre article « La naissance de l’Etat sioniste : une analyse marxiste » (Workers Vanguard n° 45, 24 mai 1974) :

« Suite à la destruction des Juifs d’Europe par Hitler (sans l’aide de qui les sionistes auraient connu le sort des shakers et d’autres sectes religieuses utopistes) et aux dépens des Arabes palestiniens, une colonie de peuplement a été transformée en nation […].
« Cette nation hébraïque est venue au monde par la force et la violence, par la répression, l’expulsion et le génocide d’autres peuples. Les communistes doivent s’opposer à toute oppression nationale. Mais une fois que ce fait historique est accompli, nous devons assurément reconnaître le droit de cette nation à l’autodétermination, sauf à préférer l’alternative, à savoir le génocide national. »

Nous défendons le peuple palestinien contre l’Etat sioniste sans aucune restriction, même quand cela signifie que nous nous retrouvons militairement aux côtés d’intégristes islamiques comme le Hamas à Gaza. Mais nous reconnaissons le droit des Juifs israéliens tout autant que des Palestiniens à l’autodétermination nationale. Le conflit israélo-palestinien est fondamentalement une situation de peuples interpénétrés. Ces deux peuples revendiquent le même minuscule territoire. Sous le capitalisme, l’exercice du droit à l’autodétermination par l’un des deux camps s’effectue nécessairement aux dépens de l’autre. Il ne peut y avoir – et il n’y aura pas – de solution juste pour les droits nationaux conflictuels des peuples palestinien et juif israélien sans l’instauration d’une fédération socialiste du Proche-Orient, ce qui nécessite le renversement de tous les Etats bourgeois de la région par des révolutions prolétariennes.

Pour des révolutionnaires en Grande-Bretagne, la solidarité avec les opprimés des pays néocoloniaux doit commencer par l’opposition à « notre » propre bourgeoisie et par la lutte pour détruire l’impérialisme britannique par une révolution socialiste chez nous. Les jeunes militants de gauche qui sont à la recherche d’une authentique solidarité avec le peuple palestinien contre la terreur sioniste doivent étudier les leçons de la Révolution bolchévique, la plus grande victoire à ce jour pour la classe ouvrière et les opprimés. Sur la base de ces leçons, la Spartacist League/Britain, section de la Ligue communiste internationale, lutte pour créer un parti ouvrier révolutionnaire, partie intégrante d’une Quatrième Internationale trotskyste reforgée. C’est seulement avec la victoire mondiale du prolétariat socialiste que toutes les formes d’exploitation, d’oppression et de barbarie impérialiste seront éliminées.

Le Bolchévik nº 217

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