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Le Bolchévik nº 213

Septembre 2015

Autant dire « le communisme est plus que mort, il n’a jamais existé »

La Résistance bourgeoise au Panthéon de Hollande

François Hollande a présidé le 27 mai une cérémonie solennelle au Panthéon pour procéder à la déification républicaine de Pierre Brossolette, Germaine Tillion, Geneviève de Gaulle-Anthonioz et Jean Zay. Hollande a effectué un savant dosage pour mettre en avant un social-démocrate réputé pour son anticommunisme fanatique (Pierre Brossolette), un symbole du catholicisme social (Geneviève de Gaulle-Anthonioz, impliquée après la guerre dans l’association humanitaire ATD Quart Monde), une partisane d’un colonialisme à visage humain en Algérie (Germaine Tillion), et le symbole, avec l’archicolonialiste Jules Ferry, de l’école républicaine laïque française (Jean Zay).

Soit encore liberté, égalité, fraternité, laïcité, le tout accompagné d’un savant dosage de « politiquement correct » avec un quota de 50 % de femmes ; de plus Jean Zay faisait office de « Juif de service » pour témoigner de la soi-disant lutte de la bourgeoisie française contre le racisme antijuif (Jean Zay, ayant été emprisonné dès août 1940 par le gouvernement de Vichy, n’a en fait jamais pu être à proprement parler « résistant »).

Hollande a donc insisté sur la diversité de la résistance à l’occupation nazie en France pendant la Deuxième Guerre mondiale, pour faire passer le message que des composantes multiples de la société bourgeoise française auraient activement résisté à l’occupation. Rien n’est plus éloigné de la vérité. En fait, l’immense majorité de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie françaises ont été initialement pétainistes (d’ailleurs la majorité des députés socialistes avaient voté les pleins pouvoirs à Pétain en juillet 1940). Après la grande peur d’une révolution ouvrière qu’avait provoquée la grève générale de Juin 36 (une grève sabotée par le PCF dont le chef, Maurice Thorez, avait alors proclamé « il faut savoir terminer une grève »), la bourgeoisie française avait en effet adhéré à la « Révolution nationale » de Vichy.

Il n’y eut que quelques exceptions, telles un Charles de Gaulle qui lui-même partageait largement la vision du monde réactionnaire de son ancien chef Pétain – de Gaulle s’opposait simplement à la subordination de l’impérialisme français à son rival allemand. Le conflit entre pétainistes et gaullistes (qui ne fut sanglant que pour la domination coloniale de la Syrie en juin-juillet 1941) portait au fond sur comment mieux préserver l’empire colonial de la France et sa stature de puissance impérialiste à un moment où l’Allemagne dominait le continent européen.

Mais l’opération de Hollande n’avait rien à voir avec la vérité historique. En proclamant l’attachement de la bourgeoisie française aux valeurs de la Résistance, Hollande perpétue le mythe auquel ont contribué gaullistes et tant d’autres dans un bel unanimisme depuis des décennies : que « la France » (sa bourgeoisie capitaliste) n’avait rien à voir avec le régime policier antijuif de Vichy, et que le fascisme serait une notion soi-disant incompatible avec le « pays des droits de l’homme ».

En fait, la « Résistance » de la bourgeoisie, dans la mesure où elle a existé, a été en grande partie composée d’ultra-nationalistes anti-allemands, et/ou d’ex-pétainistes comme Mitterrand ou le futur fondateur du Monde Hubert Beuve-Méry – pour ne pas parler d’un Maurice Papon. Celui-ci, secrétaire général de la préfecture de la Gironde de 1942 à 1944, fut le responsable direct de la déportation de 1 800 Juifs bordelais vers les camps de la mort nazis; il fut ensuite reconnu comme « résistant » et put alors comme haut fonctionnaire commettre de nouveaux crimes de masse, notamment à Constantine et Paris contre les résistants algériens au colonialisme français.

Tous ces gens se sont progressivement détournés de Pétain à mesure que l’Armée rouge soviétique infligeait des défaites aux armées du Reich nazi. La bataille héroïque de Stalingrad, terminée fin janvier 1943, fut ainsi un tournant pour beaucoup de ces retourne-veste, préoccupés de comment sauver le capitalisme français en cas d’effondrement de l’impérialisme allemand. D’ailleurs il y avait aussi dans la Résistance des gens comme le colonel fasciste de La Rocque, chef des Croix de Feu dans les années 1930.

Hollande escamote les communistes

La liste des héros de Hollande est surtout remarquable par l’absence de la composante principale, et de loin, de la résistance en France contre l’oppression nazie : les militants et sympathisants du Parti communiste. Hollande complète ici en quelque sorte sa prise de position électorale de 2012, lorsqu’il avait déclaré au Guardian de la City de Londres qu’« il n’y a plus de communistes en France ». Hollande veut faire croire maintenant que les communistes n’ont tout simplement jamais existé, et donc aussi que la vision qui animait de nombreux militants communistes à l’époque – une société socialiste d’égalité et d’abondance, débarrassée de l’exploitation et de l’oppression capitalistes – n’est qu’une vue de l’esprit.

Cet escamotage des communistes a provoqué un certain malaise au PCF. Mais cela n’a pas empêché pour autant ce parti de soutenir la panthéonade de Hollande – y compris la déification de Pierre Brossolette, qui était entré en conflit aigu avec Jean Moulin auquel il reprochait de faire la part trop belle aux communistes dans son projet de Conseil national de la Résistance (CNR).

Avec ce soutien à l’opération de Hollande, le PCF a fait étalage de sa continuité politique avec la ligne qu’il avait à l’époque : il avait alors contribué à subordonner la Résistance au général de Gaulle et à un projet de reconstruction capitaliste de la France après la guerre, une perspective incarnée par le CNR.

Cette politique était poussée par Staline à Moscou : celui-ci était prêt à sacrifier toute opportunité révolutionnaire à l’alliance avec les impérialistes britanniques et américains, qui luttaient contre l’impérialisme allemand pour préserver ou renforcer leur propre suprématie mondiale. Pour les trotskystes, cette guerre était réactionnaire des deux côtés impérialistes, y compris celui de l’impérialisme français incarné par de Gaulle. Par contre, la guerre de l’Union soviétique contre les nazis était progressiste car en dépit de Staline, défendre l’Etat ouvrier dégénéré soviétique c’était défendre les formes de propriété collectivisées issues de la révolution d’Octobre.

Mais la politique de « front national » du PCF pendant la Résistance ne correspondait pas seulement aux impératifs diplomatiques et militaires de Staline, c’était aussi une stratégie propre du PCF, qui depuis le milieu des années 1930 avait adopté la politique du « front populaire » – incluant les communistes, les socialistes et une aile soi-disant « progressiste » de la bourgeoisie. C’est au nom de cette alliance de collaboration entre classes sociales antagoniques que le PCF avait trahi la possibilité d’une révolution ouvrière en Juin 36 – et qu’il le fit à nouveau lors de la Libération en 1944-1945.

Le PCF n’a toutefoispas pu éviter de critiquer Hollande pour l’absence de héros communiste à faire entrer au panthéon de la bourgeoisie française. Le PCF pense en effet qu’il a bien mérité de la patrie capitaliste, et qu’il a toute sa place au firmament des symboles de la bourgeoisie française !

Le PCF a donc fort logiquement proposé quelques noms qui à ses yeux auraient pu être patriotiquement déifiés au côté de Pierre Brossolette. Il a notamment mentionné Missak Manouchian, le chef du réseau FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans – Main-d’œuvre immigrée) en région parisienne, assassiné par les nazis en février 1944.

C’est une insulte à la mémoire de Manouchian : il n’a rien à faire au milieu des héros de la bourgeoisie française, dont l’Etat dirigé par Hollande est le continuateur direct de l’ « Etat français » antijuif de Vichy ! Manouchian était un militant communiste d’origine arménienne. Nous l’avons expliqué dans un article en hommage aux militants FTP-MOI paru il y a trente ans dans le Bolchévik (n° 57, septembre 1985) :

« [Ils] ne sont pas rentrés dans la guerre pour rehausser la gloire de la France capitaliste. Ces hommes et ces femmes ont lutté parce qu’ils étaient fidèles à leurs origines communistes et se consumaient de haine contre le fascisme hitlérien, et ils croyaient (pour détourner une vieille formule anarcho-syndicaliste) mourir pour défendre le pays de la révolution d’Octobre. »

Comme nous le faisions remarquer dans notre article, ces militants internationalistes convaincus refusèrent bien souvent de faire leur la ligne chauvine anti-allemande du PCF : ils rechignaient aux consignes de s’en prendre à tout soldat allemand, car celui-ci pouvait très bien s’avérer être un ouvrier communiste anti-hitlérien de Hambourg. Ils ne parlaient pas de « Boches » mais de nazis, et s’ils moururent « sans haine en moi pour le peuple allemand », ce n’est pas « pour la France » qu’ils se sacrifièrent comme le prétendit Aragon dans son poème l’Affiche rouge.

N’en déplaise aux chauvins français du PCF, Manouchian et ses camarades n’ont rien à faire au panthéon de la bourgeoisie française ! Ils n’ont peut-être pas trouvé le chemin de la Quatrième Internationale, mais ils représentent tout de même aussi un morceau de notre histoire. Honneur aux résistants internationalistes !

 

Le Bolchévik nº 213

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