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Le Bolchévik nº 213

Septembre 2015

La bataille pour la direction du Parti travailliste agite la Grande-Bretagne

Jeremy Corbyn : le cauchemar de Tony Blair !

Londres – Un changement saisissant a frappé la scène politique britannique cet été. Après la défaite du Parti travailliste aux élections législatives de mai dernier, le chef de file du parti, Ed Milliband, a démissionné et son successeur doit être désigné par une élection interne. Jeremy Corbyn, député travailliste de longue date, est entré en lice sur un programme pro-classe ouvrière et anti-austérité, et il a rapidement distancé les autres candidats. Les militants ont commencé à voter (par courrier ou Internet) et le résultat sera annoncé le 12 septembre.

Trois des quatre candidats (Andy Burnham, Yvette Cooper et Liz Kendall) se placent dans la tradition anti-ouvrière du « Nouveau Parti travailliste » de Tony Blair. Jeremy Corbyn est un pilier de l’aile gauche du « Parti travailliste à l’ancienne » d’avant Blair. Député depuis 32 ans, Corbyn a voté environ 500 fois en opposition aux consignes de son groupe parlementaire depuis 2001. Il avait toutefois réussi à ne pas trop se faire remarquer et à éviter les déclarations fracassantes.

La progression fulgurante de Corbyn pour prendre la direction du Parti travailliste a été un choc pour pratiquement tout le monde – y compris lui-même – et elle fait souffler un vent de panique sur l’establishment travailliste. Aux quatre coins du pays, les travailleurs et les jeunes se pressent dans les meetings pour venir applaudir Corbyn. Depuis le mois de mai, le Parti travailliste a triplé le nombre de ses adhérents, qui sont maintenant environ 600 000 ; des centaines de milliers de gens ont adhéré au parti ou ont payé 3 livres sterlings pour s’enregistrer comme sympathisants afin de pouvoir voter pour Corbyn. Horrifiés par cet afflux de partisans de Corbyn, les dirigeants travaillistes ont lancé une campagne hystérique en forme de chasse aux sorcières antirouge contre ses partisans ; ils crient que le parti est en train de se faire infiltrer par des « trotskards » et autres engeances malfaisantes. Des dirigeants travaillistes d’hier et d’aujourd’hui gémissent qu’une victoire de Corbyn rendrait le Parti « inéligible ». L’appareil du parti est frénétiquement en train de passer au crible la liste des nouveaux adhérents et il a déjà déclaré nuls plus de 50 000 votes.

Corbyn n’est pas et ne se prétend pas marxiste. Mais sa campagne représente une opposition, basée sur la classe ouvrière, à l’aile droite blairiste qui dirige actuellement le Parti travailliste. Dans leur tract du 12 août que nous reproduisons ci-dessous, nos camarades de la Spartacist League/Britain saluent la campagne de Corbyn en notant qu’elle aborde des questions qui concernent les intérêts des travailleurs. En même temps, si les principales revendications de Corbyn sont dignes de soutien, les questions fondamentales auxquelles sont confrontés les exploités et les opprimés ne peuvent être résolues dans le cadre du réformisme parlementaire travailliste à l’ancienne de Corbyn ; ce réformisme parlementaire a toujours soutenu le système capitaliste.

Le Parti travailliste avait été créé au début du XXe siècle par la bureaucratie syndicale, qui voulait ainsi avoir sa voix au parlement. Le vieux Parti travailliste était un exemple classique de ce que Lénine, le dirigeant de la Révolution russe, appelait un parti ouvrier-bourgeois : une base ouvrière encombrée d’une direction et d’un programme procapitalistes. Ce qui donnait son caractère distinctif à ce parti, c’étaient ses liens organiques avec les syndicats. Les syndicats faisaient partie intégrante de la structure du parti – les adhérents aux syndicats affiliés devenaient plus ou moins automatiquement membres du parti et les cotisations syndicales constituaient sa principale source de financement.

Devenu chef de file du Parti travailliste, Tony Blair avait engagé sa « modernisation ». Il y a vingt ans de cela, il avait proclamé son intention de couper le lien avec les syndicats et de transformer ainsi le Parti travailliste en un parti ouvertement capitaliste, comme le Parti démocrate aux Etats-Unis. Ce « projet Blair » a été une entreprise de longue haleine, notamment parce que les chefs travaillistes voulaient conserver les contributions des syndicats, qui demeurent la principale source de financement du parti. De son côté, la direction procapitaliste des syndicats continuait à s’accrocher au Parti travailliste, alors même que ce parti était devenu un repoussoir pour les syndiqués de base. Depuis des années, le Parti travailliste est moribond en tant que parti réformiste de la classe ouvrière. Finalement, en mars 2014, une conférence extraordinaire du Parti travailliste a voté la « désaffiliation » des syndicats au terme d’une période de cinq ans. Par une délicieuse ironie de l’histoire, si les nouveaux adhérents qui affluent pour soutenir Corbyn ont aujourd’hui le droit de voter pour désigner le chef du parti c’est grâce aux nouvelles règles adoptées à cette même conférence qui a décidé la désaffiliation des syndicats.

Corbyn répète que, s’il est élu, il cherchera à préserver l’unité avec l’aile droite du parti. Mais il est clair que deux classes opposées sont en train de s’affronter à l’intérieur du même parti : d’un côté les blairistes, avec derrière eux la majorité des députés travaillistes, qui font ouvertement allégeance aux banquiers de la City de Londres et veulent rompre tout lien avec les syndicats ; de l’autre Corbyn qui veut ressouder les liens avec les syndicats, qui eux-mêmes le soutiennent dans leur écrasante majorité. Lors d’un meeting à Glasgow, les mille personnes présentes ont bruyamment acclamé Corbyn quand celui-ci a déclaré qu’il n’avait pas honte des liens entre son parti et les syndicats : il en était fier. Il est extrêmement populaire auprès des ouvriers britanniques, qui subissent depuis des dizaines d’années les effets de graves défaites – et à qui on dit depuis plus longtemps encore de rester « à leur place ».

Après 18 ans de gouvernement conservateur (sous Margaret Thatcher et son successeur), les gouvernements travaillistes de Tony Blair puis de Gordon Brown avaient poursuivi les attaques thatchériennes contre les syndicats, les travailleurs et les minorités. Une affaire qui heurte particulièrement la classe ouvrière est la privatisation par morceaux du National Health Service, le service de santé publique garantissant des soins médicaux gratuits pour tous. Mais le crime pour lequel Blair est le plus haï est d’avoir entraîné la Grande-Bretagne dans la guerre en Irak aux côtés des Etats-Unis. Quand Jeremy Corbyn a annoncé récemment que s’il était élu il présenterait des excuses pour le rôle joué par la Grande-Bretagne dans cette guerre, c’était un missile dirigé contre les blairistes.

La presse bourgeoise a comparé la campagne de Corbyn à celle aux Etats-Unis du sénateur du Vermont Bernie Sanders, qui est aujourd’hui la coqueluche d’une partie de la gauche américaine. Il y a cependant une différence fondamentale entre les deux : Corbyn cherche à recréer un parti réformiste « travailliste à l’ancienne », tandis que Sanders est candidat à l’investiture du Parti démocrate, un parti bourgeois. Même s’il cherche à se faire passer pour un « socialiste », Sanders est un politicien capitaliste.

De plus, il y a entre Corbyn et Sanders des divergences politiques substantielles. Sanders a soutenu les interventions militaires américaines à l’étranger (y compris en Irak et en Afghanistan), il a approuvé la « guerre contre le crime » (lire : contre les Noirs) et il a voté pour une résolution du Sénat soutenant le massacre par Israël des Palestiniens à Gaza en 2014. Pour sa part, Corbyn a voté au parlement contre l’invasion de l’Irak et contre les mesures de répression intérieure introduites au nom de la « guerre contre le terrorisme » et visant principalement les musulmans. Lors d’un meeting dans l’Est de Londres, il a condamné sous un tonnerre d’applaudissements les répugnantes déclarations racistes du Premier Ministre David Cameron qui avait évoqué « une nuée » d’immigrés. Il n’est pas surprenant que Corbyn ait un important soutien parmi les minorités noires et asiatiques du pays.

Corbyn s’est fait brocarder par les chefs du Parti travailliste, par les conservateurs et par la presse de droite, qui pensent tous que le type de socialisme qu’il incarne ne devrait plus exister. L’humoriste écossais Frankie Boyle a récemment épinglé les lords qui critiquaient Corbyn : « J’adore quand les lords conservateurs traitent Corbyn de “passéiste”. Un gars avec une perruque en crin et une houppelande, qui a un boulot à vie parce que son arrière-arrière-arrière-grand-père était doué pour choisir les esclaves les plus vigoureux ? »

Pourquoi Corbyn, à 66 ans, est-il si populaire parmi les jeunes ? Voici ce qu’en pense un de ses partisans interrogé par le journaliste Seumas Milnes : « Les gens disent que c’est un vieux gauchiste ou un vieux marxiste, mais pour ma génération ses idées paraissent tout à fait nouvelles » (Guardian, 5 août). Le réformisme « travailliste à l’ancienne » de Corbyn repose sur l’illusion qu’on pourrait transformer le capitalisme britannique pour satisfaire les besoins des travailleurs en faisant passer des lois au parlement et en nationalisant l’industrie.

Corbyn argumente en faveur d’une réindustrialisation de la Grande-Bretagne, qui est effectivement nécessaire, de même qu’il est nécessaire de rénover complètement ses infrastructures, de reconstruire sa base industrielle déliquescente et de redonner à sa classe ouvrière un travail productif. Mais les capitalistes de la finance ne vont pas faire le choix de lâcher les millions faciles qu’ils se font avec les tripotages bancaires et de se lancer dans des investissements à la rentabilité incertaine pour réindustrialiser le Nord de l’Angleterre. Pour les capitalistes, la règle d’or c’est d’investir là où le taux de rentabilité est le plus élevé, et on ne peut pas changer cela en faisant passer des lois au parlement. Le parti dont la classe ouvrière a besoin n’est pas une nouvelle version du « Parti travailliste à l’ancienne », mais un parti révolutionnaire qui mènera la lutte pour la révolution socialiste.

Traduit de Workers Vangard n° 1073, 4 septembre

* * *

« Il est possible que Corbyn perde, qu’il soit déposé, qu’il parte en vrille, mais j’aime tant ce son si doux, si merveilleux de Tony Blair qui sanglote. »

– Derek Wall, « socialiste vert »

12 août – La campagne de Jeremy Corbyn pour le poste de chef de file du Parti travailliste fait écumer de rage la droite, depuis le Daily Mail et la presse de Rupert Murdoch jusqu’à Tony Blair et ses successeurs. Corbyn a le soutien enthousiaste des jeunes, des travailleurs et des minorités qui en ont ras-le-bol de l’austérité, du racisme et des guerres que leur administrent depuis des années gouvernements conservateurs et gouvernements travaillistes. Pour la première fois depuis une éternité, voilà une campagne s’adressant aux besoins que ressentent les travailleurs.

Corbyn dénonce les attaques du gouvernement conservateur contre les prestations sociales et le NHS [le système de santé publique britannique] ; il est pour des retraites et des salaires décents dans le secteur public. Il est pour renationaliser les services privatisés (chemins de fer, poste, énergie). Tous les grands syndicats le soutiennent, notamment parce qu’il veut supprimer les lois antisyndicales. Il réclame des logements abordables – un besoin urgent pour les millions de personnes confrontées aux prix de l’immobilier et aux loyers exorbitants. Parmi ses propositions figurent l’abolition des droits d’inscription à l’université et le rétablissement des bourses d’études. Corbyn s’oppose à la « guerre contre le terrorisme » menée par le gouvernement et dont les musulmans sont la cible. Et on doit mettre à son crédit d’avoir dénoncé la manière dont la direction travailliste caressait dans le sens du poil le racisme anti-immigrés de l’UKIP [Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni, extrême droite] pendant la dernière campagne pour les législatives.

La campagne de Corbyn se situe à la gauche des nationalistes bourgeois du SNP [Parti national écossais], qui avaient écrasé le Parti travailliste en Ecosse aux dernières élections. Contrairement au SNP, Corbyn est contre l’OTAN et pour la sortie de la Grande-Bretagne de cette alliance militaire impérialiste. Contrairement à une partie de la gauche qui a hurlé avec les loups impérialistes sur la question de l’Ukraine, Corbyn reconnaît au moins l’évidence : « Ce sont les efforts des Etats-Unis pour étendre leur influence à l’Est qui sont à la source de la crise dans cette ex-république soviétique » (édition en ligne du Morning Star, 17 avril 2014). Il est aussi opposé à la modernisation du système britannique de missiles nucléaires Trident, et il réclame depuis longtemps le retrait des troupes britanniques d’Afghanistan et d’Irak. Il critique l’Union européenne (UE) et demande l’annulation de la dette grecque qui affame le peuple grec. Cependant, alors que nous, marxistes révolutionnaires, sommes opposés par principe à cette alliance dominée par les impérialistes, Corbyn veut réformer l’UE – il veut une « meilleure Europe ».

Corbyn est un représentant honnête, avec des principes, de l’aile gauche du « Parti travailliste à l’ancienne », dans la tradition de Nye Bevan, Michael Foot et Tony Benn, et il est à ce titre un défenseur éloquent de la cause du « socialisme » parlementaire. Tous les gouvernements travaillistes à l’ancienne ont loyalement servi la classe capitaliste britannique en menant des attaques contre la classe ouvrière à l’intérieur du pays et en soutenant l’impérialisme britannique dans ses guerres à l’étranger. Le Parti travailliste avait soutenu l’impérialisme britannique pendant la Deuxième Guerre mondiale ; il avait présidé à la partition sanglante de l’Inde en 1949, et en 1969 il avait envoyé l’armée en Irlande du Nord. L’unité avec l’aile droite du Parti travailliste a toujours été sacro-sainte pour la gauche du Parti travailliste, y compris pour Benn et Corbyn – tandis que de leur côté les groupes réformistes comme le Socialist Workers Party et le Socialist Party s’accrochaient à la gauche travailliste.

Les revendications avancées par Corbyn pendant sa campagne sont dignes de soutien, mais elles ne sont pas réalisables au moyen du parlementarisme travailliste à l’ancienne. Même pour commencer à s’attaquer sérieusement à des questions comme le droit à l’emploi pour tous, à une éducation et à des soins médicaux gratuits et de qualité, il faut mobiliser les syndicats pour en faire des organisations de combat de la classe ouvrière avec à leur tête une nouvelle direction lutte de classe. Pour régénérer les anciennes régions industrielles et jeter les bases d’un niveau de vie décent pour tous, il faut renverser la domination capitaliste. La révolution socialiste brisera l’Etat capitaliste, expropriera la bourgeoisie et jettera les bases d’une économie planifiée et socialisée à l’échelle internationale.

Une révolution ouvrière victorieuse en Grande-Bretagne mettra fin au pouvoir capitaliste basé sur le parlement de Westminster : abolition de la monarchie, séparation de l’Eglise anglicane et de l’Etat, abolition de la Chambre des Lords ! Pour le droit à l’autodétermination de l’Ecosse et du Pays de Galles ! Pour une fédération librement consentie des républiques ouvrières des îles Britanniques ! Pour des Etats-Unis socialistes d’Europe !

La Spartacist League se bat pour construire le parti ouvrier révolutionnaire, section d’une Quatrième Internationale trotskyste reforgée, qui est l’outil nécessaire pour réaliser cette tâche.

 

Le Bolchévik nº 213

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