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Le Bolchévik nº 201

Septembre 2012

Débat à la fête de LO

Guerre d’Algérie : Voix ouvrière et la lutte pour l’indépendance

Lutte ouvrière (LO) avait décidé cette année, à l’occasion du 50e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, de mettre l’accent lors de sa fête sur cet anniversaire. Elle avait invité plusieurs auteurs de livres et elle a organisé la projection de films importants sur la guerre d’Algérie, y compris le précieux film de Jacques Panijel sur le massacre des Algériens à Paris le 17 octobre 1961. De plus, LO a publié une nouvelle brochure spéciale de plus de 100 pages, un recueil de textes qu’elle avait publiés à l’époque.

L’un des principaux meetings de la fête, avec quelques centaines de personnes, était également consacré à la guerre d’Algérie. L’une des porte-parole de LO, Farida Megdoud, a introduit le débat en présentant longuement la position de l’Internationale communiste (IC), du temps de Lénine et de Trotsky, sur la question coloniale. Elle a particulièrement insisté sur le devoir pour le prolétariat des pays colonisateurs de soutenir inconditionnellement, un mot qu’elle a abondamment souligné avec une certaine solennité, la lutte des peuples coloniaux pour leur émancipation contre le joug colonial. Elle a bien sûr aussi mentionné, à juste titre également, la nécessité pour les communistes de préserver leur indépendance politique par rapport à la bourgeoisie ou à la petite bourgeoisie des pays coloniaux. Elle est revenue sur la lutte de l’Internationale communiste de Lénine et Trotsky pour forger la jeune section française de l’Internationale communiste (« la SFIC, pas le “PCF” », a-t-elle précisé) contre le chauvinisme colonial de la vieille SFIO, la social-démocratie de Jean Jaurès.

Megdoud a parlé de la lutte contre la guerre du Rif au Maroc au milieu des années 1920 et elle a mis en relief le soutien apporté par le PCF/SFIC à Abd el-Krim, le dirigeant de la lutte anticoloniale. Elle a dressé le contraste frappant entre cette politique et celle du PCF pendant la guerre d’Algérie : alors que certains de ses militants s’étaient mobilisés en soutien à la lutte pour l’indépendance, le PCF a trahi cette lutte, votant y compris les pouvoirs spéciaux pour la répression coloniale sous l’égide du gouvernement SFIO.

Megdoud tenait là des propos remarquables et dans l’ensemble très justes – mais qui n’ont rien à voir avec les positions réelles de Voix ouvrière (predécesseur de LO) à l’époque ni de Lutte ouvrière aujourd’hui. Il suffit de relever l’absence complète de LO l’année dernière de toute les manifestations parisiennes contre l’agression coloniale de l’impérialisme français pour déposer le président ivoirien Laurent Gbagbo et le remplacer par un laquais plus docile. LO craignait de se retrouver côte à côte dans la rue avec des militants nationalistes bourgeois pro-Gbagbo, ce qui montre que son « soutien inconditionnel » à la lutte des peuples coloniaux n’est qu’un sermon pour le dimanche de Pentecôte, pendant que le reste de l’année LO fait exactement le contraire.

A peine quelques minutes avant le discours de Farida Megdoud s’était en fait tenu un meeting de Lutte ouvrière sur les interventions françaises en Côte d’Ivoire, en Libye et en Afghanistan. Nous étions intervenus pour expliquer la position marxiste notamment en Libye : nous avions dans un premier temps dénoncé tant le gouvernement capitaliste sanglant de Kadhafi que les rebelles pro-impérialistes et tout aussi réactionnaires du « Conseil national de transition » (CNT), alors que ces derniers étaient promus par le NPA de Besancenot et ses multiples factions « oppositionnelles » ainsi que par Bernard-Henri Lévy, le « philosophe » impérialiste ami de Sarkozy. Mais lorsque la France et l’OTAN avaient commencé à bombarder la Libye, nous avions évidemment pris la défense de la Libye néocoloniale contre l’agression impérialiste, sans donner le moindre soutien politique à Kadhafi.

LO a eu une position inverse : d’abord la sympathie pour les rebelles islamistes contre le méchant dictateur Kadhafi, puis une neutralité à peine déguisée par des discours platoniques contre les bombardements impérialistes : LO a refusé de soutenir la Libye, « inconditionnellement » ou pas, contre les bombardements de Sarkozy. Roland Szpirko, l’un des principaux cadres de LO, a rappelé cette position de LO en réponse à notre intervention dans ce meeting. Szpirko faisait ainsi fi du rectificatif adopté subrepticement par LO lors de son congrès de décembre 2011 : LO, sans doute embarrassée d’avoir été prise la main dans le sac à exhiber de la sympathie pour le CNT, ce ramassis de réactionnaires islamistes anti-femmes, de racistes anti-Noirs, de monarchistes et d’agents impérialistes, avait adopté une résolution soulignant que « les aspects tribaux » dominaient dès le début les affrontements en Libye (Lutte de classe n° 140).

Pour en revenir au meeting sur la guerre d’Algérie, un camarade de la Ligue trotskyste est intervenu en ouvrant le débat :

« Le prolétariat a toutes raisons de saluer la défaite qu’a subie l’impérialisme français en Algérie il y a 50 ans. Il fallait soutenir la lutte pour l’indépendance sans donner le moindre soutien politique au FLN petit-bourgeois.
« La théorie de la révolution permanente, c’est la perspective d’une révolution ouvrière : seul un gouvernement ouvrier et paysan en Algérie peut véritablement lutter pour éradiquer l’oppression coloniale du pays et lutter pour l’extension de la révolution socialiste à la métropole impérialiste.
« Lutte ouvrière distribue donc une nouvelle brochure avec des dizaines de textes sur la guerre d’Algérie et les positions qu’avait Voix ouvrière. Je conseille vivement à tout le monde de la lire, car cela donne un tableau très révélateur de la politique de LO, à l’époque et aujourd’hui, à la fois pour ce qu’il y a dans la brochure et pour ce qui n’y figure pas.
« VO se contentait de revendiquer la fin de la guerre en disant qu’elle coûtait cher aux ouvriers français ; ils parlaient du rationnement de l’essence pour les ouvriers français, etc. VO n’a commencé à revendiquer explicitement l’indépendance qu’en septembre 1958, le mois où de Gaulle s’était prononcé pour l’autodétermination ! La première fois que VO mentionnait la torture c’était en mai 1959, plus de quatre ans après le début de la guerre.
« C’est toute la méthodologie économiste de LO qui s’exprimait pendant la guerre. VO refusait de soutenir activement la grève de huit jours des travailleurs algériens en 1957 pour l’indépendance (c’est là-dessus que commence la brochure), mais par contre elle pensait que la lutte économique des travailleurs contre le coût de la guerre allait transformer par elle-même la conscience des ouvriers. Il n’était donc nul besoin d’avancer un programme trotskyste révolutionnaire. Tout au plus VO pouvait-elle ainsi jeter les travailleurs dans les bras du défaitisme bourgeois représenté en fin de compte par de Gaulle qui a été finalement obligé d’organiser le retrait français d’Algérie.
« Lénine expliquait déjà en 1902 dans Que faire ? que l’économisme, c’est la politique bourgeoise de la classe ouvrière, c’était un pendant russe du réformisme graduel de Bernstein en Allemagne. Nous nous plaçons au contraire dans la tradition de Lénine et cherchons à construire un parti révolutionnaire d’avant-garde, un parti léniniste. Dès ses origines VO était au contraire sur une voie de garage opposée à la lutte pour la Quatrième Internationale. Celle-ci sera reforgée contre le réformisme syndical et municipaliste à la LO. C’est la perspective de la Ligue communiste internationale, qui en France publie le Bolchévik. »

La réponse de Megdoud à cette intervention, évitant soigneusement de répondre à nos critiques sur l’appel à l’indépendance et sur la question de la torture, n’a fait que confirmer la justesse de nos critiques. Elle a d’abord expliqué que leur brochure était un recueil de positions prises à chaud sur le vif en cherchant à s’adresser aux travailleurs alors que VO était encore une petite organisation avec moins de 30 camarades – comme si la faible taille de l’organisation avait été une excuse pour le fait que Voix ouvrière avait refusé de se prononcer pour l’indépendance. Ensuite elle a dit que dès 1945 VO se prononçait contre la répression (il faut remarquer à ce sujet que le groupe de Barta qui existait à l’époque, antécédent de Lutte ouvrière et autodissous en 1947, s’était prononcé pour l’indépendance de l’Algérie, une position que précisément n’avait pas reprise le groupe VO refondé par Robert Barcia au milieu des années 1950).

Farida Megdoud a aussi insisté qu’à l’époque il n’était pas si évident d’être pour l’indépendance dans la mesure où la cause algérienne était loin d’être populaire dans la classe ouvrière – encore une excuse pour la capitulation de LO face au chauvinisme présent parmi de nombreux travailleurs. Elle a insisté également sur l’atmosphère répressive de l’époque, l’hostilité du PCF – comme si cela justifiait de ne pas s’être opposé frontalement au sabotage par le PCF de la lutte pour l’indépendance. Elle est revenue une nouvelle fois sur l’insistance de l’IC à défendre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

La réponse de Megdoud était en train de se transformer involontairement en véritable réquisitoire contre les positions de VO pendant la guerre d’Algérie. Elle a essayé de se reprendre avec sa dernière planche de salut : l’ouvriérisme. Elle a déclaré que leurs positions étaient précieuses car ils étaient les seuls à s’adresser à la classe ouvrière. Quelle pirouette ridicule ! Toutes les organisations de la classe ouvrière se sont adressées sous de multiples aspects à la classe ouvrière à propos de la guerre d’Algérie à cette époque : la SFIO pour justifier la répression coloniale, le PCF pour excuser son propre rôle traître dans cette trahison (y compris le cassage des grèves contre la guerre en 1956 – voir notre article paru dans le Bolchévik n° 152, printemps 2000), les ancêtres du NPA de Besancenot pour soutenir politiquement les nationalistes petits-bourgeois du FLN, et ceux du POI de Gérard Schivardi et Daniel Gluckstein pour soutenir politiquement les nationalistes petits-bourgeois du MNA, rival du FLN.

La question n’est donc pas de se tourner vers la classe ouvrière, mais de le faire avec quel programme ? La conception qu’avait Lénine du parti révolutionnaire, et grâce à laquelle le parti bolchévique a pu mener les ouvriers russes à la victoire en Octobre 1917, c’est un parti ouvrier d’avant-garde présentant à la classe ouvrière un programme pour la mobiliser vers la lutte pour le pouvoir, et, s’adressant au-delà de la classe ouvrière aussi, présentant un programme pour l’émancipation de tous les opprimés sous le capitalisme. LO prétend au contraire qu’ils étaient trop petits à l’époque pour pouvoir dire la vérité aux travailleurs (et ils reprennent encore cet argument aujourd’hui à l’occasion quand ils disent que de toutes façons leur influence est marginale dans la classe ouvrière, comme si du coup ce qu’ils y font n’avait pas d’importance). En l’occurrence, il fallait mobiliser la classe ouvrière pour soutenir activement la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, dans le cadre d’un programme pour la révolution socialiste des deux côtés de la Méditerranée. C’est un tel parti que nous cherchons à construire.

VO, au contraire, s’adaptait à la conscience du moment des travailleurs, alors influencés par le stalinisme. Au lieu de chercher à mobiliser politiquement les travailleurs en solidarité avec le peuple algérien en lutte pour son indépendance, elle cherchait à ramener les travailleurs vers la lutte économique. Elle disait par exemple dans un éditorial du 24 avril 1957, typique de ses écrits d’alors : « Nous pouvons nous battre pour défendre notre niveau de vie. C’est seulement si nous nous laissons appauvrir que Mollet [le chef du gouvernement, SFIO] pourra continuer la guerre. C’est notre seul moyen de pression, mais c’est aussi le plus efficace : refuser de faire les frais de la guerre, refuser de payer. »

VO faisait croire que la lutte économique contre le coût de la guerre, contre son impact sur le panier de la ménagère, etc., ferait par elle-même progresser la compréhension politique des travailleurs. En escamotant la lutte dans la classe ouvrière française pour l’indépendance de l’Algérie, elle s’est retrouvée à la remorque du PCF à un moment où celui-ci trahissait cette lutte. LO est bien plus à droite aujourd’hui qu’à l’époque, elle participe même à des coalitions avec la bourgeoisie et le PCF pour gérer des municipalités capitalistes, mais elle n’a pas changé fondamentalement de méthode. Comme nous le disions dans le dernier numéro du Bolchévik, leur conception, c’est celle d’un parti anti-léniniste d’arrière-garde. C’est en détruisant l’influence politique de ces économistes, comme l’avait fait Lénine au début des années 1900, que l’on construira le parti ouvrier révolutionnaire dont ont besoin les travailleurs pour en finir une bonne fois pour toutes avec ce système capitaliste d’exploitation et d’oppression.

 

Le Bolchévik nº 201

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