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Le Bolchévik nº 197

Septembre 2011

Le capitalisme pille les richesses créées par les travailleurs

Les villes anglaises explosent contre un meurtre policier raciste et contre l’austérité

Libération de toutes les personnes arrêtées pour « pillage » !

Nous reproduisons ci-après un article écrit par nos camarades britanniques et paru dans Workers Vanguard n° 985, 2 septembre.

* * *

Londres – Le 4 août, les flics tuaient un jeune homme noir, Mark Duggan, à Tottenham dans le nord de Londres. Contrairement aux mensonges diffusés sur le moment par la police, Mark Duggan n’avait pas tiré le moindre coup de feu. Mais cela n’a pas empêché la presse de le cataloguer comme « membre d’un gang » tué lors d’un « échange de tirs » avec la police. La famille de Mark Duggan, qui était père de quatre enfants, n’a reçu pratiquement aucune information sur sa mort. On lui a dit d’attendre les résultats d’une enquête de la « Commission indépendante pour les plaintes vis-à-vis de la police », connue parmi les Noirs comme une commission qui couvre la police. Deux jours après le meurtre de Duggan, les membres de sa famille prenaient part à une manifestation de 300 personnes devant le commissariat de Tottenham pour réclamer des informations, sans succès. D’après des témoins, les policiers ont agressé une jeune manifestante et l’ont brutalement jetée à terre.

Il y a une limite à la patience des jeunes issus des minorités ; ils se font traiter comme des criminels dès l’âge de marcher. Dans ce pays, les jeunes Noirs ou originaires du sous-continent indien sont victimes d’humiliations calculées de la part des flics, comme les arrestations et les fouilles incessantes ; le message : vous n’avez aucun droit. Le meurtre de Mark Duggan était une horreur de trop. La colère a explosé. Tottenham s’est enflammé, avec des scènes d’émeutes qui rappelaient celles du quartier de Broadwater Farm dans la même ville en 1985, suite au meurtre par la police d’une mère de famille noire.

Rien de substantiel n’a changé depuis dans la vie des Noirs. Cette fois-ci, le feu qui couvait tout en bas de la société capitaliste britannique s’est embrasé avec la révolte de Tottenham. Les émeutes se sont propagées comme un feu de paille à d’autres quartiers de Londres, Manchester, Birmingham et Liverpool. Les jeunes, noirs, asiatiques [terme qui en Grande-Bretagne désigne les communautés originaires du sous-continent indien] et blancs sont descendus dans la rue pour faire un doigt d’honneur à la police, au gouvernement et à une société qui visiblement n’a rien à leur offrir. Quatre jours durant, des émeutes de pauvres et de miséreux ont fait rage dans les villes. La Grande-Bretagne est apparue aux yeux du monde entier pour ce qu’elle est : un enfer raciste divisé en classes.

Débordant d’arrogance, les dirigeants du capitalisme britannique en déclin considèrent depuis longtemps les travailleurs et les pauvres, et notamment ceux qui sont noirs ou asiatiques, comme simplement une « classe dangereuse » qui n’est digne de recevoir ni éducation ni formation et ne mérite que la répression. David Cameron, le Premier Ministre conservateur (Tory), cherchant à nier que la cause des émeutes est à chercher dans les difficultés économiques profondes exacerbées par les féroces coupes budgétaires décrétées par son gouvernement, a martelé que les émeutes étaient dues à un « effondrement moral » et à de la « criminalité pure et simple », et n’avaient « rien à voir avec la pauvreté ». S’engageant à pourchasser et à emprisonner les « suspects », Cameron en a profité pour renforcer massivement les pouvoirs répressifs de l’Etat. De vastes rafles policières ont abouti jusqu’à présent à l’arrestation de 2 000 personnes sous divers prétextes, à partir d’informations glanées sur les réseaux sociaux d’Internet et par les caméras de surveillance (et bien sûr par des écoutes téléphoniques). Les informations télévisées ont montré d’innombrables images de bandes de flics enfonçant sauvagement les portes des immeubles pour arrêter des « suspects ».

La police, jetant aux orties toute prétention à « respecter les droits des citoyens », met les suspects en examen avant d’avoir rassemblé des preuves et s’oppose à la libération sous caution de la majorité des prisonniers. Des infractions mineures, qui normalement donneraient lieu à un simple « rappel à la loi » et ne devraient même pas aller jusqu’au tribunal correctionnel, sont renvoyées devant les « tribunaux de la Couronne » pouvant infliger des peines plus lourdes. L’immense majorité des personnes arrêtées sont condamnées à de la prison ferme, quel que soit le délit dont ils sont accusés ou leur casier judiciaire. Cette politique d’incarcération systématique va accroître considérablement le nombre de personnes ayant un casier judiciaire, ce qui pour beaucoup de jeunes, quand ils sont noirs ou asiatiques, est suffisant pour les empêcher à jamais de trouver un travail.

Les mesures draconiennes qui sont mises en place à la suite des émeutes constituent une escalade par rapport à la répression déjà sévère qu’avaient subie l’année dernière les étudiants qui manifestaient contre les coupes budgétaires dans l’enseignement. Le message du pouvoir capitaliste à la classe ouvrière et aux opprimés est clair : acceptez gentiment les attaques incessantes contre l’emploi et le niveau de vie, sinon gare à vous ! Il est dans l’intérêt direct de la classe ouvrière, notamment des syndicats, de s’opposer à ces mesures dignes d’un Etat policier et d’exiger l’abandon de toutes les poursuites contre ceux qui ont été arrêtés. Libération immédiate de tous ceux qui ont été arrêtés et emprisonnés pour « pillage » !

Des politiciens connus appellent à faire usage de balles en caoutchouc et autres armes que l’Etat britannique a utilisées historiquement contre les catholiques opprimés d’Irlande du Nord. La même classe capitaliste qui sévit brutalement ici contre toute dissidence et toute opposition impose son joug impérialiste à l’étranger. Sous le gouvernement travailliste, les forces armées impérialistes britanniques étaient en première ligne lors de l’occupation néocoloniale sanglante de l’Afghanistan et de l’Irak. Sous le gouvernement conservateur-libéral actuel, l’impérialisme britannique joue un rôle déterminant dans la campagne de bombardements terroristes de l’OTAN contre la Libye riche en pétrole. Le ministre adjoint aux Affaires étrangères de Kadhafi ironisait sur l’affirmation mensongère de Cameron que les bombes de l’OTAN « protègent les civils » et défendent la « démocratie », et l’enjoignait de démissionner car « la violente répression policière contre des manifestants pacifiques » montre que « Cameron et son gouvernement ont perdu toute légitimité » (Daily Telegraph, 11 août). Dès le début des bombardements, la Ligue communiste internationale (quatrième-internationaliste) a publié une déclaration [reproduite dans le Bolchévik n° 196, juin] appelant les travailleurs du monde entier à prendre position pour la défense militaire du pays semi-colonial qu’est la Libye contre l’attaque impérialiste.

Les flammes qui ont embrasé les villes anglaises ont jeté une lumière crue sur les inégalités de classe et l’oppression raciste terribles qui sont inhérentes au capitalisme britannique. Les porte-parole conservateurs et travaillistes vénaux peuvent toujours s’égosiller contre les « pillages », tout le monde sait que ce sont les capitalistes qui sont coupables de piller les richesses de ce pays. La City de Londres est une citadelle internationale du capital financier. Ses tours de bureaux en verre représentent l’opulence créée par l’exploitation impitoyable des travailleurs. Non loin de la City se trouvent certains des quartiers les plus pauvres de Londres, où est concentrée une forte proportion de gens appartenant aux minorités ethniques. Quand la croissance s’est transformée en récession, les banques ont bénéficié d’un plan de sauvetage (et les énormes primes des banquiers ont été protégées) dont le coût a été énorme pour les contribuables. A l’instigation de Cameron, les conseils municipaux ont maintenant commencé à expulser des logements sociaux les familles d’« émeutiers », tandis que Iain Duncan Smith, ministre du Travail et des Retraites, a proposé de supprimer les prestations sociales aux personnes condamnées.

« Il n’y a rien pour nous ici »

Si les émeutes se sont étendues d’une façon si spectaculaire, c’est parce que, après des décennies de misère qui touchent les Blancs comme les Noirs et les Asiatiques, les travailleurs se font maintenant dépouiller pour payer la crise économique. Près d’un million de jeunes de 16 à 24 ans sont au chômage. Le chômage des jeunes a dans l’ensemble augmenté de près de 20 %, et de 50 % pour les jeunes Noirs. Selon les statistiques officielles des quartiers touchés par les émeutes, comme Hackney ou plus largement East London, 44 % des enfants y vivent dans la pauvreté.

Un nombre croissant de jeunes sont exclus de la vie économique productive ; on les appelle les Neets (« ni salarié, ni étudiant, ni en formation »). Le gouvernement a triplé les droits d’inscription dans l’enseignement supérieur et supprimé les bourses de maintien dans le système éducatif, une petite subvention qui permettait à des jeunes de familles modestes d’aller à l’université, ce qui avait provoqué des manifestations étudiantes combatives en décembre dernier. Le conseil municipal de Haringey (dont dépend le quartier de Tottenham), confronté à une réduction de 75 % de son budget, a fermé la plupart de ses maisons de jeunes. Comme l’expliquait un jeune : « Au moins on avait quelque part où aller. Maintenant on marche dans la rue, on se fait arrêter par la police. Il n’y a rien pour nous ici » (Guardian de Londres, 29 juillet).

Il n’y a pas de justice dans les tribunaux capitalistes !

Quand on jette un œil sur le système de la « justice » britannique aujourd’hui, on n’a pas besoin d’être marxiste pour voir quelle classe il sert. Personne ne s’est fait arrêter dans la Police métropolitaine – qui est vraiment l’une des bandes armées les plus dangereuses de Londres – alors qu’ont paru des révélations d’après lesquelles la bande de Rupert Murdoch et Cie lui avait donné de fortes sommes en espèces, dans des sacs en plastique. Les politiciens conservateurs et travaillistes, qui sont intimement liés à ces bandes, dénoncent à cor et à cri le comportement « criminel » de ceux qui se sont emparés d’une paire de baskets ou d’une bouteille d’eau. Comme cette hypocrisie leur va bien, après le scandale récent où des députés faisaient payer par le contribuable l’entretien de leur résidence secondaire, quand ce n’était pas l’aménagement d’une « île aux canards » ou le curage des douves de leur château de campagne !

Les personnes accusées d’avoir été mêlées aux « émeutes » sont jetées en prison pour des motifs d’inculpation ridiculement insignifiants. Deux jeunes Blancs ont été condamnés à quatre ans de prison pour avoir proposé, pour rire, à des amis sur Facebook de participer à une « émeute » qui n’a jamais eu lieu. A Brixton, un quartier noir du sud de Londres, quelqu’un a pris six mois pour avoir volé la valeur de 3,5 livres (4 euros) en bouteilles d’eau. A Manchester, un alcoolique qui venait juste de sortir de prison et n’avait que 4 livres en poche, a pris 16 mois pour avoir emporté une boîte de beignets de chez Krispy Kreme. La vérité, c’est que dans des quartiers pauvres comme Tottenham, il n’y a pas grand-chose à voler.

Le parti pris de classe flagrant de la « justice » capitaliste britannique d’aujourd’hui rappelle le poème anglais contre l’« enclosure » (délimitation par des clôtures, c’est-à-dire le vol) des terres communales qui étaient privatisées par la bourgeoisie montante :

« On va pendre l’homme, on va fouetter la femme
Qui volent une oie sur les terres communales,
Mais on laisse libres les coquins plus infâmes
Qui dérobent à l’oie les terres communales. »

Ou encore, comme Friedrich Engels, auteur avec Karl Marx du Manifeste du Parti communiste, l’écrivait dans son ouvrage de 1845 la Situation de la classe laborieuse en Angleterre, la plupart des délits contre la propriété proviennent d’une forme ou d’une autre de pénurie, car « ce qu’on possède, on ne le vole pas ». Les masses sont poussées à l’émeute par les conditions de vie de plus en plus abjectes qu’elles subissent ; dans ces conditions, la Spartacist League/Britain (SL/B) propose une mesure immédiate : que le gouvernement donne aux « pillards » 10 000 livres chacun et les laisse repartir !

Mais l’émeute ne peut rien pour éliminer la misère de la classe ouvrière de Grande-Bretagne. En 1992, la ville de Los Angeles avait explosé suite à l’acquittement des flics qui avaient tabassé presque à mort Rodney King, un automobiliste noir. La Spartacist League/U.S. avait alors écrit que le pillage était « bien compréhensible, mais cela ne servira à rien pour éliminer la pauvreté enracinée dans les centres urbains des Etats-Unis […]. La question n’est pas de mettre la main sur des articles de consommation, mais d’exproprier les moyens de production. Et cela exige un saut dans le niveau de conscience et d’organisation afin d’en finir avec l’ordre capitaliste » (Workers Vanguard n° 551, 15 mai 1992).

Le Socialist Workers Party (SWP), partisan de feu Tony Cliff, tire sans craindre le ridicule un trait d’égalité entre le pillage et l’expropriation des moyens de production – c’est-à-dire la saisie et la collectivisation par le prolétariat de l’industrie, des banques, etc. Le SWP écrit : « Karl Marx avait absolument raison quand il parlait de l’expropriation des expropriateurs, de reprendre ce qu’ils nous ont pris. C’est cela que représente le pillage par les travailleurs pauvres, et en ce sens il s’agit d’une action profondément politique » (Socialist Worker, 13 août). Le SWP pense que le pillage offre une solution à la misère, au racisme et à l’oppression qui pèsent sur les communautés noire et asiatique ; cela montre qu’il est capable d’applaudir sans réfléchir tout ce qui bouge, même si c’est à des années-lumière d’un niveau de conscience socialiste. Mais au fond, la ligne de ces réformistes c’est de redorer le blason du Parti travailliste, ce qu’ils font en lançant des appels comme « Emprisonnez les Tories [la droite], pas les jeunes » (Socialist Worker, 20 août) et en saluant ce qu’ils appellent un « soulèvement contre la Grande-Bretagne Tory » (Socialist Worker, 13 août).

Les émeutes sont une expression de désespoir, et elles comprennent souvent des incidents abominables où des personnes sont victimes d’agressions indiscriminées. La mort de trois jeunes Asiatiques à Birmingham, écrasés délibérément par une voiture, est un crime odieux. Les tensions raciales entre Noirs et Asiatiques pendant les émeutes étaient une conséquence du « diviser pour régner » qu’appliquent les dirigeants britanniques pour diviser le prolétariat et affaiblir ses luttes, comme ils l’ont fait dans le passé pour préserver leur empire. Tariq Jahan, le père de l’une des victimes, a essayé de dissiper ces tensions en appelant avec courage au calme et en déclarant : « J’ai perdu mon fils. Noirs, Asiatiques, Blancs, nous vivons tous dans la même communauté. » Il ajoutait : « Allez-y si vous voulez perdre vos fils. Sinon, calmez-vous et rentrez chez vous, je vous en supplie. »

Il est nécessaire et urgent que la classe ouvrière et les opprimés luttent contre les attaques incessantes visant leurs conditions d’existence. La question, c’est comment. La profonde crise économique actuelle fait partie intégrante du fonctionnement normal du système capitaliste. La misère, la pauvreté et la répression que subit la vaste majorité de la population n’auront pas de fin à moins qu’une révolution ne renverse l’ordre capitaliste et que la classe ouvrière instaure son propre pouvoir. La SL/B travaille à forger un parti ouvrier révolutionnaire multiracial, un parti léniniste-trotskyste, basé sur le programme de la révolution socialiste internationale.

Mobilisons la puissance sociale de la classe ouvrière !

La Grande-Bretagne est le dernier pays d’Europe à connaître une agitation sociale de masse reflétant l’exaspération de la classe ouvrière contre les attaques incessantes visant ses conditions d’existence. C’est ainsi qu’en Grèce, tout particulièrement, la classe ouvrière a mené ces dernières années de grandes batailles de classe, dont plusieurs grèves générales, mais l’impact de ces luttes a été émoussé par les dirigeants traîtres de la classe ouvrière qui acceptent la nécessité de l’austérité comme solution à la crise économique. En Grande-Bretagne, le fait que la colère accumulée envers les attaques du gouvernement contre la classe ouvrière se dissipe dans une explosion d’émeutes montre le bas niveau de la lutte de classe dans ce pays depuis plus de 20 ans. Cela vient en bonne partie de ce que la bureaucratie syndicale n’a organisé aucune lutte efficace contre l’austérité et les licenciements, ce qui a permis aux capitalistes d’imposer leurs diktats aux travailleurs.

En Grande-Bretagne, l’implantation syndicale est aujourd’hui concentrée parmi les travailleurs mal payés du secteur public, où les minorités sont fortement représentées. La base des syndicats de cheminots dans le métro londonien et les réseaux ferroviaires nationaux, ainsi que celle des syndicats des fonctionnaires et des postiers, est multiethnique. Ensemble, ces syndicats ont une puissance sociale considérable. Les travailleurs des transports de Londres, par exemple, ont la capacité de paralyser la ville, y compris son précieux quartier financier. Mais pour mobiliser cette puissance, il faut une lutte politique contre la bureaucratie syndicale réformiste, qui est liée au Parti travailliste et à l’ordre capitaliste raciste.

C’est grâce à l’intervention des marxistes dans les luttes de classe et les luttes sociales que l’on forgera un parti ouvrier révolutionnaire. Ce parti se fera le porte-parole des intérêts de tous les opprimés en luttant contre le racisme et les autres manifestations de chauvinisme. La lutte pour une direction lutte de classe des syndicats fait partie intégrante de la construction de ce parti. Aujourd’hui en Grande-Bretagne, une telle direction se tournerait vers les jeunes en colère en luttant pour des créations d’emploi avec des revendications comme le raccourcissement de la semaine de travail sans perte de salaire. Une direction lutte de classe exigerait le contrôle syndical sur l’embauche ainsi que sur la formation professionnelle et l’apprentissage pour intégrer des jeunes des minorités au monde du travail et les recruter aux syndicats. Le parti léniniste a pour tâche d’apporter le changement qu’il faut dans le niveau de conscience du prolétariat, pour le convaincre que l’on ne pourra aboutir à une société gérée dans l’intérêt des travailleurs – avec du travail pour tous et un niveau de vie décent – en restant dans le cadre du capitalisme.

Du point de vue de la classe ouvrière et des minorités opprimées en Grande-Bretagne, cela ne fait guère de différence si c’est un gouvernement conservateur ou travailliste ; les travaillistes ont historiquement été l’instrument social-démocrate grâce auquel la classe ouvrière a été enchaînée à l’ordre capitaliste. Lorsque les émeutes ont commencé, les deux partis (ainsi que les libéraux-démocrates) ont rivalisé en terme de défense de la police. Pas un seul député travailliste – ni les soi-disant travaillistes « de gauche », ni les quelques députés noirs – n’a condamné les flics qui ont tué Mark Duggan. Bien au contraire : les porte-parole travaillistes ont attaqué de la droite le gouvernement en dénonçant les coupes budgétaires dans la police. Ed Miliband, secrétaire général du Parti travailliste, a déclaré que « la police dans nos rues rend nos communautés plus sûres et fait que la population se sent plus en sûreté » (BBC, 11 août).

David Lammy, le député travailliste noir de Tottenham, s’est lâché dans la presse contre le comportement « totalement inacceptable » des émeutiers, tout en ne critiquant que de la manière la plus mesurée les flics qui avaient tué Mark Duggan. Ceci n’a pas empêché Lammy, qui symbolise la très mince couche de Noirs appartenant à la classe moyenne, d’être la cible d’une scandaleuse sortie raciste de l’historien réactionnaire David Starkey sur la chaîne BBC. Diane Abbott, députée noire de Hackney, autrefois considérée comme travailliste « de gauche », s’est jointe à la brigade « sécuritaire » en appelant à un couvre-feu pour aider à « reprendre le contrôle des rues ». Le soutien des travaillistes aux flics racistes n’est pas nouveau : lorsqu’il était maire travailliste de Londres, Ken Livingstone avait apporté un soutien sans faille à la police qui, en 2005, avait assassiné Jean Charles de Menezes, un électricien brésilien, considéré comme « suspect terroriste ». Mark Duggan a été tué dans le cadre de l’« opération Trident » de la Police métropolitaine, qui est censée viser la « criminalité avec armes à feu » parmi les Noirs. Cette opération avait démarré sous le ministre de l’Intérieur David Blunkett, en consultation avec William Bratton, ex-chef de la police de New York et d’autres grandes villes américaines, que David Cameron propose d’employer à Londres.

Les minorités et la grève des mineurs de 1984-1985

Si le lien entre la lutte de classe contre l’Etat capitaliste et la lutte contre l’oppression raciale paraît ténu aujourd’hui, il n’en a pas toujours été ainsi. Ce n’est pas un hasard si la dernière attaque à grande échelle menée par l’Etat contre les quartiers des centres-villes habités principalement par des Noirs et des Asiatiques a eu lieu en 1985, l’année de la défaite de l’héroïque grève des mineurs. Une guerre de classe acharnée avait duré plus d’un an ; les mineurs et leurs familles s’étaient défendus contre une armée de flics que le gouvernement conservateur de Margaret Thatcher avait envoyé occuper les mines de charbon. Des liens profonds s’étaient forgés pendant la grève entre le syndicat des mineurs (NUM) et les minorités noire et asiatique. Les Noirs et les Asiatiques voyaient dans le syndicat des mineurs (qui était majoritairement blanc) une force puissante en lutte contre l’Etat ; ils s’étaient mis à soutenir la grève avec enthousiasme, et certains mineurs s’étaient convaincus de l’importance de lutter contre l’oppression raciale.

La défaite du NUM porta un coup sévère au mouvement ouvrier de Grande-Bretagne. Ses effets se font encore sentir aujourd’hui, depuis la désindustrialisation accélérée jusqu’à l’effondrement des syndicats. La défaite de la grève eut aussi de graves implications pour les communautés minoritaires. En l’espace de quelques semaines, les flics se livrèrent à des provocations racistes qui déclenchèrent des explosions de colère dans d’importants quartiers noirs et asiatiques. En septembre 1985, une provocation policière dans le quartier de Handsworth, à Birmingham, fut suivie quelques semaines plus tard à Brixton par le meurtre par la police de Cherry Groce, une femme noire, ce qui déclencha une révolte dans ce quartier. Peu après, le quartier de Toxteth explosait à Liverpool. La police envahit Broadwater Farm le 7 octobre 1985, après le meurtre raciste par des flics de Cynthia Jarret – et elle reçut un accueil auquel elle ne s’attendait pas. Les habitants défendirent leur communauté ; la bataille fit rage pendant plusieurs jours, et un flic fut tué. Trois jeunes innocents, issus des minorités, Winston Silcott, Engin Raghip et Mark Braithwaite, ont fait des années de prison suite à un coup monté de la police.

Dans un article publié après les révoltes de Handsworth et Brixton, la SL/B faisait remarquer qu’au lendemain de la grève des mineurs, Thatcher avait l’intention de donner une leçon sanglante à la population noire et asiatique qui avait chaudement soutenu les mineurs. La SL/B mettait en garde que les attaques racistes allaient se multiplier. L’article ajoutait :

« La Spartacist League se bat pour tirer parti du sentiment d’unité entre les minorités et les militants syndicaux qui s’est développé pendant la grève des mineurs. Cela fait partie de notre perspective de construire le parti ouvrier révolutionnaire qui sera un tribun de tous les opprimés. Nous avons lutté pour mobiliser le mouvement ouvrier de Birmingham, qui est racialement intégré, afin qu’il défende la communauté de Handsworth contre la terreur des flics. C’est ce qu’il faut aussi à Brixton et ailleurs. Par exemple, une grève de protestation des travailleurs du métro et des bus londoniens, dont beaucoup sont noirs ou asiatiques, pourrait forcer les patrons racistes à mettre fin à la terreur qu’ils font régner à Brixton. Mais il faut pour cela une lutte politique contre les dirigeants syndicaux traîtres, qui sont racistes et procapitalistes. »

Workers Hammer n° 73, octobre 1985

Ce n’est pas la répression du gouvernement Thatcher, farouchement hostile aux syndicats, qui a causé la défaite des mineurs. La direction du Parti travailliste, derrière Neil Kinnock, et la bureaucratie du Trade Union Congress [Confédération des syndicats] étaient ouvertement hostiles à la grève. Les dirigeants syndicaux « de gauche » qui n’ont pas fait grève avec les mineurs portent une responsabilité particulière dans la défaite. Parmi eux figuraient les dirigeants du syndicat des dockers, qui à deux reprises pendant la grève des mineurs firent reprendre le travail à leur base. Quelques années plus tard, le syndicat des dockers fut lui-même décimé. La « gauche » syndicale était totalement fidèle au Parti travailliste, au « changement progressif » par le Parlement, et donc à l’ordre capitaliste.

Bernie Grant, le dirigeant travailliste noir du conseil municipal de Haringey, a été dénoncé à droite et à gauche, y compris par la direction du Parti travailliste, pour avoir dit que les flics qui avaient envahi Broadwater Farm avaient reçu « une bonne correction » – ce qui n’était que la stricte vérité. Même si Grant a ensuite présenté ses excuses, il est resté populaire parmi les Noirs jusqu’à sa mort en 2000. La direction du Parti travailliste le considérait comme un trublion, mais il était utile aux travaillistes, notamment lorsqu’il a contribué en 1993 à empêcher qu’une explosion de colère ne « dérape » après la mort de Joy Gardner, tuée par des flics qui l’avaient arrêtée pour l’expulser du pays. Surtout, Grant jouait son rôle en alimentant les illusions dans le Parti travailliste parmi les jeunes Noirs, alors que ce parti avait, lorsqu’il était au pouvoir entre 1974 et 1979, introduit des tests de virginité racistes pour les femmes asiatiques qui entraient en Grande-Bretagne.

Le boom débridé du secteur financier qui a caractérisé les années Thatcher s’est accompagné de la destruction de l’emploi industriel, qui s’est poursuivie pendant les années de gouvernement travailliste. Parmi ceux qui se sont retrouvés au chômage figuraient les descendants des immigrés venus des anciennes colonies des Caraïbes et de l’Inde qu’on avait fait venir pour occuper les emplois mal payés en un temps de pénurie de main-d’œuvre, notamment après la Deuxième Guerre mondiale. Non seulement les anciennes régions charbonnières et sidérurgiques, mais aussi les villes textiles d’Oldham et Bradford, qui employaient des milliers de travailleurs asiatiques, sont devenues des déserts où règnent chômage chronique et pauvreté.

Pour un parti ouvrier révolutionnaire !

Aujourd’hui le Parti travailliste dérive vers le populisme de droite, qui est par nature raciste. Il fait concurrence aux fascistes de l’English Defence League (EDL) pour séduire les ouvriers blancs arriérés. Les dirigeants travaillistes et les bureaucrates syndicaux ont adopté ces dernières années le mot d’ordre « les emplois britanniques pour les travailleurs britanniques » ; ce mot d’ordre, historiquement un cri de ralliement des fascistes, a été beaucoup entendu pendant des grèves réactionnaires contre les travailleurs étrangers sur des chantiers industriels en 2009. Ces grèves ont reçu le soutien enthousiaste des réformistes du Socialist Party (SP), section du Comité pour une internationale ouvrière de Peter Taaffe [dont la section française, la Gauche révolutionnaire, est affiliée au Nouveau parti anticapitaliste d’Olivier Besancenot]. Nous avons catégoriquement dénoncé ces actions et insisté qu’il fallait défendre les travailleurs immigrés. Nous affirmions qu’une direction lutte de classe dans les syndicats prendrait comme point de départ l’internationalisme et organiserait les travailleurs immigrés dans les syndicats, en collaborant avec les travailleurs par-delà les frontières nationales.

Le SP a une longue histoire de soutien à la police et aux gardiens de prison. Fidèle à cette tradition, il s’est retrouvé à l’unisson avec des dirigeants travaillistes dans la même dénonciation hystérique des émeutes, citant notamment avec approbation un porte-parole de la Metropolitan Police Federation qui se plaignait de la démoralisation régnant chez les flics à cause des coupes budgétaires prévues par le gouvernement (socialist-party.org.uk, 8 août). Le harcèlement par les flics (que le SP présente mensongèrement comme des travailleurs) atteint maintenant un point tel que les Noirs ont 26 fois plus de chances de se faire arrêter et fouiller par la police que les Blancs en Angleterre et au Pays de Galles, selon une étude menée entre autres par la London School of Economics.

Un nombre effarant de personnes, notamment des Noirs, décèdent en garde à vue. En mars, Smiley Culture (David Emmanuel) mourait lors d’une descente de police dans sa maison du Surrey. Les flics prétendront de façon absurde qu’il s’était tué en se poignardant lui-même. Le même mois, Kingsley Burrell Brown mourrait des suites de blessures reçues pendant que la police de Birmingham le conduisait à l’hôpital en application de la « loi sur la santé mentale ». Le mois dernier, Demettre Fraser, âgé de 21 ans, se serait « suicidé » en se jetant du onzième étage d’un immeuble à Birmingham lors d’une intervention de la police. En une seule semaine au mois d’août, trois personnes sont mortes entre les mains de la police : Dale Burns, âgé de 27 ans, est mort à Cumbria après que la police l’avait soumis aux chocs électriques d’un Taser et aspergé de gaz lacrymogène ; Jacob Michael, un Noir de 25 ans, est mort en ayant reçu du gaz lacrymogène dans le Cheshire ; Philip Hulmes, âgé de 53 ans, est mort en garde à vue à Bolton.

La campagne raciste contre les « pillards » a encouragé l’EDL, qui y a vu l’occasion de mobiliser des « groupes de défense » dans certains quartiers touchés par les émeutes. Sous les précédents gouvernements travaillistes, l’EDL s’était renforcée grâce à la « guerre contre le terrorisme » qui visait en premier lieu les musulmans, ainsi que grâce aux incessantes campagnes anti-immigrés. L’EDL est une menace mortelle pour les Noirs ainsi que pour les Asiatiques, contre lesquels elle a perpétré dans le passé de nombreuses provocations racistes ; elle a l’intention de le faire à nouveau le 3 septembre dans l’est de Londres. Qu’on ne s’y trompe pas : ces fascistes sont une menace directe pour la classe ouvrière tout entière ; ce sont des troupes de choc potentielles qui pourraient être déployées contre une montée de la lutte de classe. C’est la tâche du mouvement ouvrier de les stopper dans l’œuf.

Contrairement aux libéraux et aux réformistes qui dirigent Unite Against Fascism [Unissez-vous contre le fascisme], nous nous opposons aux appels à ce que l’Etat capitaliste « interdise les fascistes ». Il n’est pas difficile de voir pourquoi. En réponse à la manifestation annoncée de l’EDL dans East London et à une contre-manifestation antifasciste, la ministre de l’Intérieur Theresa May a interdit toutes les manifestations dans cinq quartiers de Londres pendant 30 jours. Comme nous l’écrivions dans Workers Hammer n° 209 (hiver 2009-2010), il faut répondre aux provocations de l’EDL « avec de grandes manifestations centrées sur les syndicats, mobilisés en défense des musulmans, des immigrés et de toutes les victimes désignées de la racaille de l’EDL ». L’article poursuivait :

« Il est dans l’intérêt de la classe ouvrière multiethnique dans son ensemble de combattre ces terroristes racistes. Nous appelons à des mobilisations des syndicats et des minorités pour stopper les provocations fascistes. En même temps, nous sommes marxistes et nous disons clairement que le système capitaliste décadent crée les conditions sociales où prolifèrent les fascistes et que, pour cette raison, la lutte contre le fascisme est inséparable de la lutte pour la révolution socialiste. »

C’est des luttes sociales que les travailleurs et les minorités mèneront inévitablement qu’émergera une nouvelle génération de dirigeants combatifs. Ce qu’il faut, c’est un parti dédié à la tâche de transformer la classe ouvrière en nouvelle classe dirigeante. Ceci requiert une révolution socialiste pour renverser l’ordre capitaliste tout entier. Seule la lutte de classe internationaliste révolutionnaire, en détruisant tout l’édifice du capitalisme dans le monde entier, peut créer un changement fondamental qui soit dans l’intérêt des travailleurs. La révolution socialiste jettera les bases pour une économie rationnellement planifiée ; on produira selon les besoins, non pour le profit, et dans l’optique de développer qualitativement les forces productives. Cela ouvrira la voie à l’élimination de la pauvreté et à la création d’une société socialiste égalitaire.

 

Le Bolchévik nº 197

Le Bolchévik nº 197

Septembre 2011

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