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Le Bolchévik nº 197 |
Septembre 2011 |
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Lutte ouvrière et le protectionnisme Menaces de fermeture sur l’usine PSA d’Aulnay-sous-Bois
Lutte ouvrière, contrairement à ses concurrents sociaux-démocrates, est capable de déclarer que le protectionnisme est nocif. Elle l’a fait dans son document annuel de conférence (« l’avenir démontrera de nouveau, de façon plus ou moins grave, qu’un retour au protectionnisme généralisé serait une catastrophe » Lutte de classe, décembre 2010-janvier 2011) et elle le fait parfois lors du Discours de Pentecôte de sa porte-parole au moment de sa fête annuelle : « Les travailleurs n’ont rien à gagner à un éclatement de l’euro. Ce serait un recul. [
] Ce serait le retour du protectionnisme et un facteur d’aggravation de la crise » (Lutte Ouvrière, fin mai 2010 par contre, il n’y a rien dans le discours de cette année).
Il y a une raison bien matérielle au silence relatif de LO sur le protectionnisme : c’est l’ascension des militants de LO dans la bureaucratie syndicale réformiste. Ses militants occupent nombre de postes dirigeants dans les syndicats CGT des principales usines automobiles du pays, notamment à PSA-Aulnay (mais aussi à Renault-Flins, Toyota Onnaing-Valenciennes, etc.)
A peine quelques jours avant la fête annuelle de LO en juin dernier, la CGT de PSA-Aulnay révélait des documents secrets de la direction visant à fermer l’usine d’Aulnay ainsi que celles de Sevelnord près de Valenciennes et de Madrid en Espagne. Les capitalistes envisagent de transférer la production de certains véhicules d’Aulnay sur l’usine de Poissy en ajoutant des équipes de nuit ou de week-end pour réduire, à production équivalente, la valeur du capital fixe investi en terrains et machines par rapport au capital variable (les salaires). Une autre manière de contrecarrer la baisse tendancielle du taux de profit, c’est de réduire les salaires soit en arrachant des concessions aux travailleurs des usines touchées, soit en réinvestissant les profits dans des usines à l’étranger où les salaires sont nettement moins élevés. C’est effectivement ce que prévoit PSA dans ses documents secrets, ce qu’ils appellent des pays « low cost » (à bas coûts de main-d’uvre) : ils envisagent d’ouvrir une usine à la périphérie de l’UE, éventuellement en Turquie.
Il faut combattre les licenciements qui menacent dans ces usines. L’usine d’Aulnay est la plus grosse entreprise métallurgique du 9-3, un département à forte proportion d’ouvriers et d’immigrés où avait éclaté la révolte des banlieues en 2005. La classe ouvrière doit lutter pied à pied pour défendre ses acquis en revendiquant le partage du travail entre toutes les mains, avec réduction du temps de travail correspondante sans perte de salaire. Il faut lutter pour l’embauche en CDI de tous les intérimaires et autres contrats précaires, et pour des salaires égaux à travail égal y compris dans les autres pays comme par exemple l’Espagne ; cela pose la nécessité d’une perspective internationaliste. Toutes ces attaques montrent combien sont réversibles toutes les concessions que la classe ouvrière peut arracher à l’ennemi bourgeois. En dernier ressort, il n’y a pas de solution pour les travailleurs sous le capitalisme : il faut le renverser par une révolution ouvrière.
Lutte ouvrière offre les travailleurs de Madrid à Peugeot pour sauver sa base syndicale
Les secrets révélés par la CGT posaient d’emblée la question d’une propagande internationaliste face au piège transparent tendu par les patrons d’accepter la fermeture de Madrid pour sauver des emplois « français ». Les fascistes du FN y ont tout de suite vu une opportunité en essayant de tracter devant l’usine d’Aulnay le 27 juin ; cette racaille a heureusement été chassée sur-le-champ par les travailleurs, dont des militants de gauche de l’usine, mais LO est incapable de contrer idéologiquement l’offensive protectionniste car elle partage la vision étroite et chauvine de la bureaucratie syndicale.
Pour LO c’est la lutte économique qui par elle-même peut faire changer la conscience des travailleurs ce qui est une justification pour s’adapter au niveau de conscience actuel au lieu de lutter avec intransigeance contre toutes les formes d’arriération, de chauvinisme et de nationalisme que distille constamment la bourgeoisie parmi les travailleurs, ce qui exige de forger un parti ouvrier d’avant-garde. Comme l’écrivait Lénine (Que faire ?) :
« Tout culte de la spontanéité du mouvement ouvrier, tout amoindrissement du rôle de “l’élément conscient”, du rôle de la social-démocratie [comme Lénine appelait encore les marxistes révolutionnaires] signifie par là même qu’on le veuille ou non, cela n’y fait absolument rien un renforcement de l’influence de l’idéologie bourgeoise sur les ouvriers. »
LO organisait spécialement un meeting à sa fête annuelle sur PSA-Aulnay. L’un de nos camarades est intervenu en disant notamment :
« J’interviens pour la Ligue trotskyste. Les travailleurs d’Aulnay nous connaissent puisque nous vendons régulièrement le Bolchévik devant l’usine. Pour lutter contre la menace de fermeture de l’usine il est fondamental pour les travailleurs d’avoir une perspective d’internationalisme prolétarien. Peu importe où les capitalistes réinvestissent leurs profits, il faut se battre pour une lutte de classe commune en défendant les emplois et les acquis des travailleurs dans tous les pays. Le protectionnisme est une option viable pour la bourgeoisie, mais c’est un poison mortel pour la classe ouvrière car il fait croire aux ouvriers que l’ennemi c’est leurs frères de classe des autres pays où sont délocalisées les usines [
]. »
Un autre intervenant posait la question des contacts entre les syndicats PSA d’Aulnay et de Madrid. Philippe Julien, dirigeant de la CGT PSA-Aulnay et militant LO bien connu, a reconnu que « le problème de la liaison se pose », que la classe ouvrière est internationale et qu’il ne faut pas tomber dans les oppositions entre sites. Ceci dit, il ne pouvait qu’avouer qu’il n’y a « pas de liens directs avec les syndicats espagnols », mais que LO allait corriger cela dès la semaine suivante à l’occasion d’un comité de groupe européen, qui serait une occasion d’« établir des liens ».
Quelques jours plus tard, Jean-Pierre Mercier, un autre dirigeant de la CGT et de LO, se faisait interviewer justement lors de la réunion du Comité central d’entreprise du 23 juin, et à nouveau la question de Madrid lui a été posée (voir sur http://www.youtube.com/watch?v=ZvOdXm0vaX4 ; cette interview a même été mise en ligne sur le blog des élus LO de Bagnolet, parmi lesquels compte Mercier). En guise de « réponse », Mercier a déclaré que « le sujet essentiel a été le site de PSA-Aulnay » ! Pas étonnant qu’ils n’aient pas de « liens directs » avec Madrid ! Mercier a aussi souligné qu’il était scandaleux de dire que le travail ne rapportait pas assez en France et il a rappelé les engagements pris par PSA lorsque le gouvernement Sarkozy lui avait prêté des milliards au début de la crise économique. L’année dernière, l’un de nos camarades était déjà intervenu là-dessus lors d’un forum de LO sur l’automobile à la fête de LO :
« Les directions syndicales partagent complètement la politique protectionniste qui vise à défendre les emplois pour les Français contre ceux pour les ouvriers d’autres pays. Ainsi, elles ont pris part aux états généraux de l’industrie française décrétés par Sarkozy qui promettait des milliards aux grosses entreprises françaises à condition qu’elles ne ferment pas d’usines en France mais seulement à l’étranger éventuellement. LO a écrit à l’époque plusieurs articles sur ces états généraux mais pas un seul ne s’est opposé à ce poison chauvin qui pénètre ainsi dans les consciences des ouvriers, en particulier de l’automobile. Si aujourd’hui LO critique Sarkozy sur les subventions faites aux entreprises françaises comme n’ayant aucun effet sur la sauvegarde des emplois en général, elle continue de ne pas dire un mot sur ces campagnes protectionnistes. En fait, c’est pour mieux défendre la politique de ses propres camarades dans les directions syndicales qui servent au final la politique de la bourgeoisie. »
Et maintenant, Jean-Pierre Mercier se revendique de l’accord entre Sarkozy et les capitalistes de l’automobile pour ne pas fermer d’usine en France ! Mercier déclarait ainsi le 23 juin :
« PSA s’était engagé la main sur le cur, au moment où il obtenait le prêt de trois milliards, à ne pas fermer de site en France. Alors la France d’en bas, ceux qui se lèvent tôt, comme disait le président de la République, est-ce que le gouvernement va laisser faire PSA pour fermer cette usine d’Aulnay-sous-Bois ? [
] Alors nous posons la question concrètement au gouvernement : est-ce qu’il va laisser faire PSA, ou est-ce qu’il va demander lui aussi des engagements écrits de PSA pour qu’il s’engage à garantir l’ensemble des emplois et un nouveau véhicule sur le site d’Aulnay-sous-Bois ? »
La revendication avancée par Mercier était la répartition de la production entre les usines de Poissy, Mulhouse et Aulnay-sous-Bois, offrant implicitement en sacrifice aux capitalistes les travailleurs de Madrid (voir aussi l’article publié dans Lutte Ouvrière du 1er juillet) !
Ce genre de déclaration montre d’ailleurs tout le cynisme de Lutte ouvrière quand elle proclame que « faire croire que les gouvernements peuvent imposer au patronat la moindre politique en faveur de l’emploi serait ridicule si cela ne semait pas des illusions » (Exposé du Cercle Léon Trotsky n° 121, 15 octobre 2010, « Les syndicats hier et aujourd’hui »). Le gouvernement n’est en effet rien d’autre que le comité exécutif de la bourgeoisie. Mais précisément c’est LO qui fait croire ici que le gouvernement est susceptible d’imposer aux capitalistes des choix en faveur des travailleurs de PSA.
La CGT de PSA-Aulnay, fermement contrôlée par LO, est apparemment allée jusqu’à traîner devant les tribunaux capitalistes le syndicat SUD ! Il est criminel de faire appel à l’ennemi de classe, l’Etat bourgeois, pour traiter des querelles internes au mouvement ouvrier et cela ne peut résulter que dans l’affaiblissement général des organisations ouvrières face aux attaques capitalistes. La CGT a finalement annoncé fin juin qu’elle retirait sa plainte au vu de la menace de fermeture de l’usine.
C’est le propre du réformisme de faire croire qu’il suffit de prendre l’appareil d’Etat bourgeois tel qu’il est et de s’en servir pour gérer l’économie selon les besoins des travailleurs. Comme l’a montré toute l’histoire de la lutte de classe depuis 150 ans (voir page 5 notre article sur la Commune de Paris) le prolétariat doit créer ses propres organes de pouvoir en s’appuyant sur ses propres milices ouvrières, détruisant l’Etat bourgeois.
Nous nous occuperons de gérer, ou plutôt de réorganiser de fond en comble, l’économie lorsque le prolétariat aura établi son propre pouvoir d’Etat. LO, elle, a approuvé Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, quand il a dit que « les représentants des salariés doivent pouvoir intervenir sur les modalités de la création de richesses. Il s’agit d’influer sur les décisions, de contrôler leur exécution, de faire prendre en compte les exigences sociales ». LO ajoutait : « Les révolutionnaires que nous sommes pourraient presque signer cette phrase tant nous sommes convaincus que les travailleurs doivent se mêler de la marche de l’économie et contrôler à tous les niveaux les comptes et les décisions des entreprises » (ibidem). Leur seul regret, c’est que Thibault ne prenne pas au sérieux ses propres « phrases radicales » (!) et se contente de s’aligner derrière la bourgeoisie !
Le capitalisme lui-même est incapable de répondre à l’ensemble des besoins pressants de la classe ouvrière. Comme l’écrivait Trotsky dans le Programme de transition :
« Il ne s’agit pas du heurt “normal” d’intérêts matériels opposés. Il s’agit de préserver le prolétariat de la déchéance, de la démoralisation et de la ruine. Il s’agit de la vie et de la mort de la seule classe créatrice et progressive et, par là même, de l’avenir de l’humanité. Si le capitalisme est incapable de satisfaire les revendications qui surgissent infailliblement des maux qu’il a lui-même engendrés, qu’il périsse ! La “possibilité” ou l’“impossibilité” de réaliser les revendications est, dans le cas présent, une question de rapport des forces, qui ne peut être résolue que par la lutte. Sur la base de cette lutte, quels que soient ses succès pratiques immédiats, les ouvriers comprendront mieux que tout la nécessité de liquider l’esclavage capitaliste. »
Cette perspective pose de façon urgente la nécessité d’un parti ouvrier révolutionnaire d’avant-garde, sachant être un tribun du peuple pour mobiliser la classe ouvrière et l’ensemble des opprimés derrière elle vers la prise du pouvoir. Nous luttons pour construire un tel parti.
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