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Le Bolchévik nº 196 |
Juin 2011 |
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A bas la loi raciste contre la burqa !
18 avril Une nouvelle loi montre de façon flagrante le mépris de la bourgeoisie envers tous ceux qui sont jugés insuffisamment « assimilés » dans la société française (blanche et catholique) : elle rend illégal pour les femmes de paraître dans tout lieu public en portant le voile musulman intégral burqa ou niqab. Avec cette loi, la classe capitaliste française au pouvoir essaie frauduleusement de se faire passer pour le grand protecteur et libérateur des femmes musulmanes. Mais cette loi n’est nullement dirigée contre l’oppression des femmes ; c’est une attaque antidémocratique scandaleuse qui incite au harcèlement, à l’arrestation et à d’autres atrocités à l’encontre des femmes portant le voile intégral. En les empêchant de paraître dans les lieux publics, cette loi équivaut à une version française de la purdah (réclusion à domicile).
La nouvelle loi évite soigneusement de mentionner nommément le voile islamique, stipulant simplement que : « Nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage. » Mais tout le monde appelle cette loi par son vrai nom : la loi anti-burqa. Déjà à ce jour, une semaine après l’entrée en application de la loi le 11 avril, quatre femmes dans la région parisienne ont dû payer une amende.
Le vote de la loi a eu lieu l’automne dernier quasiment sans aucune opposition. Alors que le gouvernement de Nicolas Sarkozy préparait des attaques massives contre les retraites des travailleurs, la campagne raciste contre le voile a clairement servi à diviser et affaiblir la classe ouvrière multiethnique. Et en votant pour le projet de loi ou en s’abstenant, les partis ouvriers réformistes le Parti socialiste, le Parti communiste et le Parti de gauche ont démontré qu’ils ne se mettraient pas en travers du chemin de Sarkozy.
Comme nous le notions en juin 2010, « les réformistes français se mettent au garde-à-vous même face au gouvernement dès que celui-ci invoque la “laïcité” dans ses campagnes racistes contre la population d’origine immigrée musulmane » (le Bolchévik n° 192, juin 2010). Cet article observait que la gauche avait capitulé à la campagne du gouvernement en 2003 contre le voile, qui avait été lancée pour détourner la lutte des enseignants en défense des retraites, sachant que pour ceux-ci « la laïcité » est un principe sacré. La persécution par l’Etat des femmes musulmanes, qui sont parmi les personnes les plus opprimées dans la société, est un poison pour les luttes ouvrières et elle doit être combattue par le mouvement ouvrier.
Le gouvernement Sarkozy a lancé une grande offensive de propagande contre le nombre infime de femmes en France, estimé à seulement 2 000, qui portent le voile intégral. Quelque 100 000 affiches et 400 000 tracts ont été imprimés pour être distribués dans les lieux publics et les écoles, ainsi que dans les aéroports et autres points d’entrée dans le pays. Un nouveau site internet, « visage-découvert.gouv.fr », a été créé et des circulaires du gouvernement expliquent avec force détails la nécessité de « réaffirmer solennellement les valeurs de la République et les exigences du vivre ensemble ». Les travailleurs du secteur public, par exemple, ont pour instruction de ne pas servir les femmes intégralement voilées et d’exiger soit qu’elles se dévoilent, soit qu’elles quittent les lieux. Et ils doivent appeler la police si ces femmes refusent d’obtempérer.
En matière de « dissimulation du visage », les bandages et casques de moto sont acceptés mais, au même titre que la burqa et le niqab, les capuches, les masques et à peu près tout ce qui empêche de voir facilement le visage sont strictement interdits. Bien entendu cette loi ne sera pas utilisée contre les skieurs emmitouflés des Alpes françaises, les pères Noël dans la rue ou les personnes se rendant à des bals masqués. Elle vise d’abord et avant tout les femmes musulmanes, mais aussi leurs maris, frères et fils, implicitement dépeints comme des fanatiques anti-femmes. Alors que les femmes risquent une amende de 150 euros maximum et parfois un stage obligatoire de « citoyenneté », ceux dont on suppose qu’ils ont « forcé » une personne à dissimuler son visage peuvent être condamnés à de lourdes amendes de 30 000 à 60 000 euros.
De plus, en interdisant les capuches, cette loi donne le feu vert et une couverture légale à une amplification du harcèlement et des attaques de la police contre les jeunes des banlieues qui portent couramment des sweat-shirts à capuche. Porter un masque dans une manifestation politique comme celui représentant le visage de Sarkozy, chose assez courante aujourd’hui pourrait bien aussi exposer les militants à la répression policière.
Nous sommes des marxistes qui luttent pour la libération des femmes et nous nous opposons au voile, que ce soit le niqab intégral ou simplement le foulard, symbole et instrument d’oppression des femmes. Nous sommes solidaires des femmes qui luttent pour échapper à la tyrannie de cette « tradition » oppressive et de toute autre forme de traditionalisme religieux réactionnaire, du prix de l’épousée aux mariages arrangés en passant par les mutilations sexuelles. Mais l’interdiction par le gouvernement français du niqab et de la burqa dans les lieux publics, tout comme sa précédente loi pour l’interdiction du foulard et du hidjeb à l’école, n’a rien à voir avec l’égalité des sexes ou l’intégration des femmes musulmanes dans la société. En France et ailleurs en Europe, la minorité musulmane opprimée subit les humiliations quotidiennes du racisme, de la discrimination et de la violence policière. Les lois diverses et variées ciblant les femmes musulmanes en sont l’expression. Nous nous opposons clairement à ces lois racistes et discriminatoires qui, par exemple, excluent de l’école des femmes et des filles musulmanes et les chassent de leur lieu de travail, les isolant ainsi davantage de la société et aggravant leur oppression.
Avec une incroyable arrogance, le gouvernement Sarkozy se prétend le meilleur défenseur de la laïcité et de la séparation de l’Eglise, ou de la mosquée, et de l’Etat. Le principe de la laïcité, tel qu’il a émergé de la Révolution française, résultait de la lutte pour arracher la société bourgeoise émergente à l’oppression de l’Eglise catholique. La présente croisade raciste contre les femmes musulmanes n’a absolument rien à voir avec la séparation de l’Eglise et de l’Etat, que les marxistes soutiennent. Le fait est que l’Etat français est très loin d’être laïc : un cinquième de l’ensemble de l’enseignement primaire et secondaire, financé par l’Etat, est traditionnellement sous la coupe des prêtres catholiques. Nous sommes pour la séparation authentique de l’Eglise, ou de la mosquée, et de l’Etat, et nous nous opposons donc à ces subventions de l’Etat aux églises, mosquées, etc. et à tout financement public des écoles religieuses, ainsi qu’aux cours de religion dans les écoles publiques.
Les réformistes de Lutte Ouvrière (LO), s’opposent au port du voile par les femmes en acceptant les « valeurs » de la bourgeoisie française et en agitant le drapeau de la « laïcité » bourgeoise. En effet, LO était au premier rang de la campagne de 2003 contre Alma et Lila Lévy, les deux lycéennes qui furent expulsées de leur lycée en banlieue parisienne pour avoir porté le foulard. Ces expulsions ont pavé la voie à la loi Chirac de 2004 qui interdit d’école les jeunes femmes portant le foulard, loi dont LO s’est réjouie.
Plus récemment, LO s’est empressée de saluer la commission constituée à l’initiative du député communiste André Gérin qui a proposé le nouveau projet de loi anti-voile. LO faisait remarquer : « Et de fait, cela ne semble pas une mesure extraordinaire que de demander à quelqu’un d’entrer dans des services publics à visage découvert. Même les banques obligent leurs clients à le faire ! » (Lutte Ouvrière, 29 janvier 2010). Quelques mois plus tard, Lutte Ouvrière (9 juillet 2010) se plaignait de « l’hypocrisie » du gouvernement à cause de sa « politique de concessions vis-à-vis de préjugés sécuritaires et antimusulmans » tout en réaffirmant son soutien à la loi contre le foulard à l’école. Question « sécuritaire », LO a été élue sur la liste de Gérin en 2008 pour constituer la majorité du conseil municipal de Vénissieux, près de Lyon, où elle vote régulièrement le budget municipal, y compris le financement de la police municipale !
Le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) réformiste, pour sa part, s’est opposé à la nouvelle loi contre la burqa, mais l’un de ses principaux dirigeants nationaux, Pierre-François Grond, est l’un des enseignants qui avaient dirigé la campagne réactionnaire pour expulser Alma et Lila Lévy de leur école. Par ailleurs, lors des élections régionales de 2010, le NPA a présenté une femme voilée sur l’une de ses listes, en contradiction flagrante avec l’obligation faite aux marxistes de combattre l’arriération religieuse. Ces opportunistes patentés, prêts à se mettre à la remorque de n’importe quoi, se déchirent actuellement pour savoir s’il faut capituler devant la « laïcité républicaine » bourgeoise ou devant la religion. Jusqu’ici ils font les deux.
La loi contre la burqa fait partie d’une offensive plus large de la bourgeoisie contre les immigrés et leurs descendants, en particulier les musulmans qui font face au harcèlement quotidien de la police, à la menace de se voir retirer leur citoyenneté française ou à la déportation. L’automne dernier, les Roms (Tsiganes) ont été jetés dans des avions et déportés en Roumanie. Plus récemment le gouvernement français et le gouvernements italien se sont engagés dans une compétition raciste pour savoir qui réussira le mieux à empêcher les immigrés tunisiens d’entrer dans son pays. L’hystérie « antiterroriste » et anti-musulmans lancée par le gouvernement et soutenue par son « opposition » de gauche alimente la réaction raciste et encourage les fascistes du Front national entre autres. Le FN, qui représente un danger mortel pour la classe ouvrière multiethnique, a enregistré des gains significatifs en pourcentage de voix aux récentes élections cantonales. Les travailleurs doivent lutter pour l’unité de classe, s’opposer à toutes les lois racistes visant les immigrés et lutter pour les pleins droits de citoyenneté pour tous.
Les capitalistes veulent nous faire croire qu’une minuscule minorité musulmane vulnérable représente la menace principale contre les droits des femmes. En réalité, c’est le pouvoir de la bourgeoisie qui maintient l’institution réactionnaire qu’est la famille, la principale force qui opprime les femmes à travers le monde. La famille est le véhicule pour transmettre la propriété d’une génération à l’autre et le mécanisme pour former de nouvelles générations de travailleurs. La législation bourgeoise de la famille est ainsi étroitement liée à la défense de la propriété privée, et l’inégalité des femmes se reflète toujours dans les codes sociaux et légaux de toute société capitaliste. On ne peut jamais combattre l’idéologie réactionnaire et l’obscurantisme religieux avec des lois bourgeoises réactionnaires. L’oppression des femmes a pour origine la société de classe et elle ne pourra être éradiquée qu’avec la destruction de l’ordre capitaliste, qui jettera les bases pour le remplacement du rôle de la famille par la socialisation de l’éducation des enfants et des tâches ménagères dans une société socialiste égalitaire.
Pour atteindre ce but, il faut construire un parti ouvrier révolutionnaire qui se battra pour la libération des femmes par la révolution socialiste !
— Traduit de Workers Vanguard n° 979, 29 avril
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