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Le Bolchévik nº 190

Décembre 2009

Leçons de l’effondrement du stalinisme

1989-1990: La lutte de la LCI contre la réunification capitaliste de l’Allemagne

Nous reproduisons ci-après le texte, revu et abrégé pour publication, d’une présentation faite lors du meeting de la LTF à Paris le 12 novembre dernier.

* * *

Dans un numéro de l’Humanité publié le 2 novembre, Jacques Fath, responsable du secteur relations internationales au PCF, fait la déclaration suivante à propos du 20e anniversaire de la chute du mur de Berlin :

« L’essentiel du débat politique a été structuré par deux thèses plutôt issues du “bagage” idéologique du néoconservatisme américain : la Fin de l’histoire… (Francis Fukuyama) et le Choc des civilisations… (Samuel Huntington). Cela en dit beaucoup sur l’impuissance des progressistes, des communistes et de la gauche en général à redéfinir alors les fondements d’une alternative. »

Cela montre effectivement la faillite des réformistes, y compris le PCF : ayant soutenu la contre-révolution capitaliste, ils n’avaient rien à opposer au triomphalisme bourgeois qui a suivi l’écroulement de l’URSS et des Etats ouvriers déformés d’Europe de l’Est. En fait, ils ont été le vecteur de ce triomphalisme bourgeois à l’intérieur de la classe ouvrière.

Mais la bourgeoisie est bien consciente qu’elle doit poursuivre la lutte pour éradiquer toute espérance que le capitalisme peut être renversé par une révolution ouvrière et remplacé par un système plus rationnel où l’économie est collectivisée et planifiée internationalement ; la Révolution russe avait été la première qui mette l’humanité sur cette voie, et la bourgeoisie du monde entier n’a eu de cesse depuis de détruire l’Union soviétique. Même après l’usurpation du pouvoir politique par une bureaucratie stalinienne à partir de 1924, les fondements socialistes de l’économie demeuraient et c’est ce qui explique les acquis sociaux qui existaient dans ce pays pour les travailleurs ; dans le monde capitaliste à l’Ouest, face aux luttes ouvrières, les capitalistes avaient été forcés de lâcher des concessions qu’aujourd’hui ils s’acharnent à détruire, maintenant qu’ils n’ont plus l’URSS qui renvoie l’image d’une société où le sort des travailleurs était meilleur. L’Etat ouvrier dégénéré soviétique n’a été détruit qu’en 1991-1992 après la prise du pouvoir par Boris Eltsine.

D’où la pluie de livres, d’articles et d’émissions de télévision pour proclamer la « mort du communisme », la victoire de la « démocratie » sur l’hydre à deux têtes du totalitarisme (fascisme et communisme, qui sont ainsi mis faussement sur un pied d’égalité). C’est du recyclage de la thèse centrale du Livre noir du communisme. En fait le fascisme est l’une des formes de la dictature du capital ; la démocratie bourgeoise est la forme la plus commode pour la bourgeoisie pour masquer sa domination implacable, mais en cas de danger pour leur domination de classe, messieurs les capitalistes démocrates auront recours à la pire des racailles pour noyer dans le sang le danger d’une révolution communiste. Ainsi les capitalistes allemands ont financé les nazis et organisé leur prise du pouvoir pour écraser le mouvement ouvrier allemand. Le fascisme hitlérien était l’expression la plus extrême de la lutte implacable de la bourgeoisie contre le communisme.

Même si l’idée d’une révolution socialiste paraît aujourd’hui une fantasmagorie de retardés d’un autre siècle, le système d’exploitation capitaliste lui-même, avec ses attaques incessantes contre la classe ouvrière, prépare les conditions d’une riposte tôt ou tard des ouvriers. Notre tâche est de réimplanter le marxisme dans la classe ouvrière pour préparer ces explosions futures de lutte de classe et les mener à la victoire, c’est-à-dire le renversement du capitalisme, son remplacement par un régime de conseils ouvriers, la dictature du prolétariat.

On nous bombarde en permanence avec des histoires que le 9 novembre 1989 le mur de Berlin est tombé, et avec lui le communisme pour toujours, car les Allemands de l’Est voulaient inconditionnellement l’unification avec l’Ouest capitaliste. Ce n’était certainement pas ce que l’immense majorité des manifestants pensait à l’époque. On peut trouver dans la presse quelques reportages, comme par exemple dans l’Humanité du 3 novembre dernier sur la ville d’Eberswalde, au nord-est de Berlin, où « tous les acteurs du soulèvement pacifique rencontrés dans la ville nous tiendront le même discours : “Nous voulions tous une meilleure RDA, plus démocratique, plus efficace sur le plan économique.” »

Ce que la bourgeoisie veut faire disparaître, c’est qu’en 1989-1990 la question posée était : révolution ou contre-révolution. C’était une situation pré-révolutionnaire ; les masses est-allemandes ne voulaient plus être gouvernées comme avant, et les bureaucrates staliniens ne pouvaient plus gouverner comme avant. En octobre 1989 la caste bureaucratique au pouvoir a commencé à se fracturer. Cela allait déboucher soit sur une révolution politique prolétarienne, où la classe ouvrière allait renverser la bureaucratie et prendre le pouvoir politique dans ses propres mains, soit sur une contre-révolution capitaliste, c’est-à-dire l’annexion de la RDA (l’Allemagne de l’Est) par la bourgeoisie allemande.

Le mur de Berlin est tombé du fait du développement d’une situation pré-révolutionnaire en RDA et non pas du fait d’une offensive contre-révolutionnaire. Cela nous a donné une occasion, que nous avons su saisir, pour lutter pour une révolution politique prolétarienne, son extension à l’Union soviétique, et une réunification révolutionnaire de l’Allemagne. Tout le monde savait à l’époque que l’on vivait un prélude à la bataille décisive où allait se jouer le sort de la patrie de la Révolution russe, en Union soviétique même. Mais Gorbatchev a bradé la RDA à l’impérialisme. Il pensait que l’aumône de quelques milliards de deutschemarks (la monnaie ouest-allemande) qu’il a obtenue en paiement de sa trahison lui permettrait de préserver encore un peu le « socialisme dans un seul pays » en URSS. En fait il a ouvert les portes de la contre-révolution jusqu’à Moscou.

La révolution d’Octobre et le Thermidor stalinien

Pour comprendre tout cela il faut remonter en arrière jusqu’à la Révolution russe de 1917. Si l’on excepte l’éphémère Commune de Paris, c’est la première fois (et jusqu’à présent la dernière) qu’une révolution ouvrière renversait le capitalisme. Les travailleurs ont instauré un nouveau pouvoir d’Etat basé sur des conseils d’ouvriers et de soldats, ou soviets. Ayant détruit l’ancien Etat bourgeois, ils ont consolidé la dictature du prolétariat en remportant une guerre civile acharnée où les contre-révolutionnaires étaient soutenus par les impérialistes du monde entier. L’Armée rouge, dirigée par Léon Trotsky, a vaincu, avec l’aide de la classe ouvrière des pays dont les armées capitalistes avaient envahi la Russie.

La Révolution russe était un phare pour les opprimés dans le monde entier. A la fin de la Première Guerre mondiale, avec ses millions de morts dans les tranchées, une vague de soulèvements révolutionnaires a balayé l’Europe. Mais les partis sociaux-démocrates, partout en Europe, ont tout fait pour sauver la domination de la bourgeoisie contre les ouvriers. Les nouveaux partis communistes avaient trop peu de maturité et d’expérience pour conduire des révolutions à la victoire. Le SPD allemand noya la révolution de 1918-1919 dans le sang. Le jeune Parti communiste d’Allemagne (le KPD) fut décapité par l’assassinat de Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg.

En 1923, une formidable crise révolutionnaire fut causée par l’occupation de la Ruhr (le cœur de l’industrie allemande) par les troupes françaises qui plongea l’économie dans le chaos et l’hyperinflation. Les ouvriers allemands se tournèrent vers le KPD, mais la direction de celui-ci attendait de l’aile gauche du SPD qu’elle fasse la révolution, et il s’allia même à elle dans une coalition gouvernementale bourgeoise. Le KPD ayant laissé passer l’occasion révolutionnaire en Allemagne, cela provoqua en Union soviétique une vague de démoralisation parmi les ouvriers car cela voulait dire que la Russie soviétique allait encore rester isolée. Au début de 1924 une caste bureaucratique conservatrice sous la direction de Staline usurpa le pouvoir politique. Alors changèrent ceux qui gouvernaient l’URSS, la façon dont l’URSS était gouvernée et les buts dans lesquels l’URSS était gouvernée.

C’était une contre-révolution politique, mais pas une contre-révolution sociale. La bureaucratie se basait sur l’économie collectivisée, dont elle tirait ses privilèges. Mais elle ne possédait pas les moyens de production, qui restaient collectivisés ; elle ne pouvait pas les transmettre à ses enfants. Ce n’était pas une classe dirigeante, c’était une caste bureaucratique instable. Cette bureaucratie avait une double nature : elle était hostile à la classe ouvrière, dans la mesure où elle avait à défendre ses privilèges et sa domination contre les ouvriers ; en même temps, ses privilèges provenaient de l’économie planifiée issue de la Révolution russe victorieuse. La bourgeoisie mondiale était hostile à la bureaucratie soviétique et irrémédiablement déterminée à détruire l’Union soviétique.

Staline proclama en octobre 1924 le dogme réactionnaire de la « construction du socialisme dans un seul pays ». C’était diamétralement opposé à l’internationalisme prolétarien qui avait inspiré la révolution d’Octobre. La Troisième Internationale, instrument de la révolution mondiale, devint un obstacle à la révolution. Elle ne se donnait plus pour tâche de mener les ouvriers au pouvoir, elle cherchait simplement à amadouer les bourgeoisies impérialistes afin qu’elles n’attaquent pas l’Union soviétique et qu’on puisse y construire le « socialisme dans un seul pays ». Trotsky dirigea alors l’Opposition de gauche pour lutter contre la dégénérescence bureaucratique de l’URSS et de l’Internationale communiste, et il défendit la continuité du programme bolchévique contre les staliniens.

La dégénérescence de l’URSS pava la voie à la victoire de Hitler en 1933 pratiquement sans coup férir, le KPD stalinisé refusant de lutter pour un front unique ouvrier des travailleurs communistes et sociaux-démocrates pour écraser les nazis et ouvrir ainsi la voie à la révolution prolétarienne. Cette trahison ne provoqua aucune réaction dans l’Internationale communiste ; cela voulait dire qu’elle était finie pour la révolution, qu’il fallait une nouvelle Internationale. C’est à la construction de la Quatrième Internationale que s’attela alors Trotsky jusqu’à son assassinat en 1940 par un tueur stalinien. La Quatrième Internationale luttait pour la défense militaire inconditionnelle de l’URSS contre l’impérialisme et la contre-révolution, et pour une révolution politique ouvrière qui renverse la bureaucratie stalinienne et instaure un régime politique basé sur des conseils ouvriers élus démocratiquement, comme dans les premières années du pouvoir soviétique.

Finalement c’est l’Armée rouge soviétique, malgré Staline, qui a écrasé le régime nazi. Les staliniens ont ensuite exproprié le capitalisme en Allemagne de l’Est et en Europe de l’Est, pour leurs propres raisons et avec leurs propres méthodes bureaucratiques. Ces transformations n’étaient pas des actes conscients du prolétariat comme cela avait été le cas avec la Révolution russe. Elles ont été faites d’en haut, par des moyens bureaucratiques et militaires, après que les Etats capitalistes avaient été détruits au cours de la guerre. Des réformistes comme Lutte ouvrière (LO) en tirent prétexte pour dire que ces pays demeuraient capitalistes puisque il n’y avait pas eu de révolution ouvrière comme en Russie. Mais à partir de 1945 le pouvoir en Europe de l’Est reposait au fond sur l’armée soviétique, et du moment que celle-ci s’était décidée à consolider son pouvoir sur place, inévitablement cela allait conduire à l’instauration d’Etats ouvriers, mais qui étaient bureaucratiquement déformés dès le départ. Ces régimes étaient qualitativement semblables à celui de l’URSS. L’expropriation des capitalistes dans ces pays (et de même encore aujourd’hui en Chine, à Cuba, au Vietnam et en Corée du Nord) est une mesure progressiste que nous défendons. Mais, comme Trotsky l’expliqua quand l’Armée rouge entra en Pologne en 1939, ces expropriations ne sont pas le critère politique déterminant si un changement dans les rapports de propriété ne conduit pas à une élévation du niveau de conscience et d’organisation du prolétariat. De ce point de vue décisif, disait Trotsky, « la politique de Moscou, considérée globalement, conserve entièrement son caractère réactionnaire et demeure le principal obstacle sur la voie de la révolution internationale. »

Le retour de la guerre froide à la fin des années 1970

Pendant des années il y eut un taux de croissance considérable de l’économie des pays de l’Est avec des acquis considérables pour les travailleurs. Je n’ai pas le temps ici de m’y attarder donc je vais passer directement à la période qui a précédé l’effondrement du stalinisme en Europe de l’Est. Après la défaite américaine au Vietnam, dès l’arrivée au pouvoir du démocrate Carter en 1977 aux Etats-Unis, la guerre froide recommença pour « refouler le communisme » ; cette guerre n’avait jamais cessé depuis 1917 mais elle prit un nouveau tournant agressif sous Carter (et en France sous Mitterrand), tant au niveau de la pression militaire que de la pression économique, que les impérialistes utilisent conjointement ou alternativement contre les Etats ouvriers. A la fin des années 1970 un réactionnaire anticommuniste polonais fut nommé à la tête du Vatican, et les services secrets américains et saoudiens commencèrent à financer une insurrection réactionnaire en Afghanistan contre le régime républicain local, allié diplomatique de l’URSS.

Je ne vais pas parler longuement de l’Afghanistan parce qu’on y revient dans plusieurs articles dans le numéro actuel du Bolchévik que vous avez tous dû lire ces dernières semaines. Je parlerai un peu plus de la Pologne qui est aussi en ce moment sur le devant de la scène commémorative. Dans le Figaro Magazine du 31 octobre ils se félicitent que les dirigeants de la grève de Gdansk en 1980, d’où était issue l’organisation Solidarnosc, allaient à la messe tous les matins ; Lech Walesa, le dirigeant de Solidarnosc à l’époque, déclare que pour la contre-révolution dans le bloc soviétique « la date clé, c’est 1980 à Gdansk ! ». On nous a resservi la même fable le 9 novembre dernier à Berlin avec Walesa qui fait tomber le premier des blocs en polystyrène érigés à l’occasion de la commémoration,pour symboliser la revanche des impérialistes et leur « théorie des dominos » selon laquelle le monde était menacé de tomber morceau par morceau dans l’orbite communiste.

Sauf que ce n’est que l’année suivante, en 1981, que la direction réactionnaire de Solidarnosc a vraiment consolidé cette organisation, issue à l’origine d’une grève ouvrière, comme un groupe contre-révolutionnaire. De plus le régime stalinien de Jaruzelski a alors stoppé la tentative de coup d’Etat de Solidarnosc en décembre 1981. Nous nous sommes placés du côté de Jaruzelski contre la contre-révolution capitaliste ; nous disions que Solidarnosc n’avait rien d’un syndicat ; c’est pourquoi il était soutenu par les impérialistes, y compris Thatcher et Reagan qui s’attachaient à démolir les syndicats dans leur propre pays. Pour les trotskystes la lutte pour des syndicats indépendants de la bureaucratie doit se baser sur la défense inconditionnelle de la propriété collectivisée et de l’Etat ouvrier contre l’impérialisme et la contre-révolution, autrement c’est un mot d’ordre pour la restauration capitaliste sous couvert « démocratique ».En même temps nous disions qu’avoir stoppé Solidarnosc donnait un répit mais ne réglait rien : les staliniens polonais, qui avaient hypothéqué le pays aux banquiers impérialistes et fait pendant des années des concessions à l’Eglise catholique, bastion en Pologne de la réaction anti-femmes, antisémite et anticommuniste, étaient incapables de vaincre politiquement les contre-révolutionnaires de Solidarnosc. Début 1989, le même Jaruzelski remettait le pouvoir au même Walesa.

Vous allez dire, pas étonnant que le Figaro Magazine soutienne Solidarnosc. Mais la soi-disant gauche de la gauche, qui encore il y a quelque temps se réclamait à l’occasion du trotskysme, fait de même. Ainsi le journal mensuel du NPA d’Olivier Besancenot (Tout est à nous, septembre) consacre une page entière à un de ses militants polonais qui était dans la direction de Solidarnosc en 1981 et qui raconte des fables sur le caractère soi-disant socialiste et « autogestionnaire » des décisions de son congrès en septembre 1981. En fait ils avaient invité à ce congrès certains des agents les plus notoires de la CIA dans le mouvement ouvrier international, comme Irving Brown qui était déjà à l’origine de la scission anticommuniste de la CGT en 1947 et qui après la guerre était en Allemagne pour reconstituer le SPD et empêcher la classe ouvrière allemande de se tourner vers le communisme. Solidarnosc annonçait vouloir remettre le pouvoir à un gouvernement de Solidarnosc, du Vatican et de quelques communistes « modérés ». C’est-à-dire un gouvernement capitaliste. On l’a vu plus tard quand ils ont pris le pouvoir. Mais le parti de Besancenot masque sa trahison de l’époque en disant que ce serait seulement plus tard, dans les mystères de la clandestinité, que Walesa et la direction de Solidarnosc seraient devenus contre-révolutionnaires. Apparemment quand Reagan, Thatcher et Mitterrand, et Le Pen, soutenaient déjà Solidarnosc en 1981, ils avaient des lubies. Etrangement elles sont devenues plus tard réalité.

Les problèmes économiques de la RDA et de l’URSS

A partir du milieu des années 1970, le Kremlin multiplia par cinq le prix de ses livraisons de pétrole à ses partenaires d’Europe de l’Est, tout en diminuant les volumes livrés afin de pouvoir exporter davantage lui-même sur les marchés occidentaux. D’un autre côté, pour maintenir la paix sociale, les régimes staliniens d’Europe de l’Est continuaient d’augmenter le niveau de consommation, assorti de la garantie de l’emploi. Inévitablement cette politique conduisit à des déficits commerciaux croissants, ce qui obligea les bureaucrates à hypothéquer leur pays aux impérialistes occidentaux. Ainsi commencèrent à se combiner la pression des banquiers occidentaux et un nouveau doublement du prix du pétrole soviétique.

L’URSS elle-même était contrainte à de considérables dépenses militaires face au projet de « guerre des étoiles » de l’administration Reagan, en fait un projet de première frappe nucléaire impérialiste, et au conflit afghan où elle devait lutter contre les mollahs antisoviétiques de la CIA. Pour en même temps maintenir le niveau de vie des travailleurs, le Kremlin, comme ailleurs dans le bloc soviétique, dut drastiquement limiter les investissements, ce qui conduisait inévitablement à une obsolescence croissante de l’appareil productif face à l’Ouest.

En RDA on pouvait le voir avec leurs voitures, les Trabant et les Wartburg, qui dans les années 1960 avaient été modernes. Mais la pénurie et l’obsolescence n’étaient pas l’expression d’un défaut inhérent à l’économie planifiée. Elles résultaient de l’impossibilité de construire le « socialisme dans un seul pays », une utopie stalinienne. Le gaspillage bureaucratique et la démobilisation, du fait de la censure politique frappant les travailleurs, étaient un obstacle à l’élévation de la productivité. Il était impossible de réaliser dans un cadre national la spécialisation basée sur la division internationale du travail que pouvaient mettre en œuvre les nations capitalistes dominantes, qui justement contrôlaient et dominaient le marché mondial.

Cette poignée de nations impérialistes, les USA, le Japon, l’Allemagne, mais aussi la France, pillent les pays néocoloniaux et le reste du monde avec leurs crédits, leurs brevets, leurs traités commerciaux inégaux, etc. Elles essaient de noyer dans le sang toute résistance, que ce soit par des invasions pures et simples (avec leur propre armée ou sous couverture de l’ONU) ou avec des dictatures militaires ou policières sanglantes qu’elles arment jusqu’aux dents. Il y a une concurrence aiguë entre ces grands bandits pour contrôler les sphères d’influence et d’exploitation, une concurrence qui en dernier ressort se règle par des guerres. 20 ans après la chute du mur, l’Europe capitaliste unie est toujours un mythe, les différentes nations capitalistes du continent ne pouvant s’entendre entre elles que sur comment faire face à leurs rivales américaine et japonaise et sur comment accroître l’oppression des travailleurs immigrés. D’où le regain de chauvinisme et de protectionnisme diffusé jusque dans la classe ouvrière par les bureaucraties syndicales.

D’ailleurs initialement la Communauté économique européenne n’était que la feuille de vigne de l’OTAN avec ses milliers de chars et de bombes atomiques tournés contre le bloc de Varsovie ; il s’agissait de souder suffisamment entre elles les économies capitalistes d’Europe de l’Ouest pour qu’elles présentent un front uni contre le bloc soviétique. Les impérialistes essayaient de mettre à genoux les Etats ouvriers en utilisant les prix des matières premières, les droits de douane et l’embargo économique, et en combinant cette pression économique avec les menaces militaires. C’était le cas pour le bloc soviétique, et ça l’est aujourd’hui pour la Chine malgré son intégration plus importante dans l’économie mondiale.

La RDA produisait environ 50 % de tous les types de machines qu’il y avait à l’époque dans le monde. Il fallait pour cela d’énormes dépenses de recherche et développement que la RDA ne pouvait amortir que sur de petites séries. Tant que les impérialistes contrôlent le marché mondial, on ne peut rien changer de fondamental à ce problème, mais s’il y avait eu une planification unifiée de Berlin-Est à Hanoï il aurait été possible de desserrer un peu le carcan de la domination impérialiste et la RDA aurait pu devenir un moteur économique et scientifique du bloc de l’Est. Mais les bureaucraties staliniennes, qui toutes prétendaient vouloir construire le « socialisme » dans leur propre pays, étaient un obstacle à une telle unification internationale de la planification. La seule perspective réaliste à long terme, c’était, en 1989 comme aujourd’hui, la victoire de la révolution socialiste dans les pays capitalistes principaux. Alors seulement on aura une planification internationale de la production selon les besoins humains et non pour le profit.

Gorbatchev et la perestroïka

A la différence du système capitaliste, l’économie planifiée, même sous une direction bureaucratique stalinienne, ne cherche pas à faire un maximum de profits mais à produire un maximum. C’est pourquoi il n’y avait ni chômeurs ni SDF en RDA ou en URSS. Mais dans les années 1970 et 1980 il était devenu évident que les vieilles méthodes bureaucratiques d’investissement extensif de capital et d’emprunt de technologie, qui avaient donné de très bons résultats dans le passé, bien qu’à un coût économique et social élevé, avaient atteint leurs limites. L’URSS était en proie à une relative stagnation économique. Comme Trotsky l’observait en 1936 dans la Révolution trahie, « Dans l’économie nationalisée, la qualité suppose la démocratie des producteurs et des consommateurs, la liberté de critique et d’initiative, toutes choses incompatibles avec le régime totalitaire de la peur, du mensonge et de la louange. »

La crise a éclaté sous Gorbatchev au milieu des années 1980. Les réformes de marché, la perestroïka, ont désorganisé l’économie planifiée et donné une énorme ouverture aux forces de la contre-révolution. Nous expliquions dans une brochure, publiée en allemand à l’été 1989, que les régimes staliniens ont de façon inhérente tendance à faire appel aux mécanismes de marché pour augmenter la productivité des travailleurs. Le « socialisme de marché » veut dire abandonner la planification centralisée et introduire les mécanismes du marché capitaliste dans l’économie planifiée. Cela signifie dresser les usines et les branches industrielles les unes contre les autres. Elles se faisaient concurrence pour les matières premières et les clients au lieu que ces ressources soient allouées de façon centralisée selon des priorités démocratiquement établies. Cela poussait à produire non ce qui était nécessaire, mais ce qui rapportait. Cela a encouragé le nationalisme et le morcellement de l’URSS, dressé les régions industrielles les plus riches contre les régions plus retardataires et moins industrialisées. Ces « réformes » ont révélé d’une manière spectaculaire les aspirations d’une aile de la bureaucratie à consolider ses privilèges économiques précaires en dévorant l’Etat ouvrier morceau par morceau et en essayant de devenir elle-même une classe possédante.

En même temps, pour amadouer les impérialistes, Gorbatchev a retiré l’Armée rouge d’Afghanistan en 1988-1989, ce qui était une trahison. Nous avons proposé au gouvernement afghan d’organiser des brigades internationales pour lutter contre les mollahs de la CIA. Ils ont rejeté notre offre. Nous avons alors début 1989 collecté de l’argent pour la ville de Jalalabad assiégée par les moudjahidin. Nous disions à l’époque qu’il valait mieux combattre les impérialistes en Afghanistan que la contre-révolution à Moscou.

La chute du mur de Berlin

J’en viens à notre intervention proprement dite lors de la chute du mur de Berlin. Pour ceux qui veulent étudier cette question je vous renvoie au Spartacist que nous avons publié en 1993 avec le document de notre conférence internationale faisant le bilan de notre intervention. Je vous renvoie aussi à la brochure que nous avons publiée en 2000, contenant une longue présentation faite par un camarade de notre section allemande à l’occasion du dixième anniversaire de la chute du mur, et dont je me suis inspiré pour cette présentation. Nous avons fait pas mal de recherches sur la base de toute la documentation qui a été publiée ces dernières années. Fondamentalement elles ont confirmé la justesse de notre intervention trotskyste, et de l’analyse que nous en avons faite.

A l’été 1989 il était évident que la crise couvait en RDA. Au printemps le gouvernement avait dû truquer les résultats d’élections pourtant étroitement sous contrôle. Il y avait eu à Pékin le soulèvement de Tiananmen, qui pouvait déboucher sur une révolution politique prolétarienne en Chine, et qui avait eu un impact en RDA. Et il y avait de nombreuses illusions dans la politique de Gorbatchev à laquelle s’opposait le régime sclérosé de Honecker. L’opposition montait contre le régime en place. A Varsovie un régime contre-révolutionnaire avait pris le pouvoir, que lui avait transféré pacifiquement la bureaucratie stalinienne qui venait d’abdiquer. Pendant l’été, des milliers d’Allemands de l’Est commencèrent à passer à l’Ouest via la Hongrie, qui avait ouvert ses frontières au transit des citoyens est-allemands en échange de quelques millions de deutschemarks. Economiquement la situation était bien pire que ne le croyaient même des membres du gouvernement.

La RDA ne pouvait pas continuer comme avant. Début octobre 1989 il y eut des manifestations qui croissaient de semaine en semaine. Honecker voulut utiliser l’armée contre les manifestants mais Gorbatchev et le commandement militaire soviétique stationné en RDA s’y opposèrent. Honecker fut remplacé fin octobre par un autre bureaucrate. Le 4 novembre il y eut une manifestation d’un million de personnes à Berlin-Est, avec des revendications démocratiques-bourgeoises, pour la liberté de voyager, contre les staliniens, mais aussi de nombreux mots d’ordre et banderoles prosocialistes comme « Pour des idéaux communistes », « Contre les privilèges », « Créons des conseils ouvriers », etc. Cinq jours plus tard, le mur tombait.

Intervention de la LCI dans une situation prérévolutionnaire

Littéralement dans les 24 heures se retrouvaient à Londres des camarades de notre comité exécutif international, et nous avons mis en place l’intervention de nos camarades de par le monde. Dès le 15 novembre nous avions un tract dont nous avons diffusé 100 000 exemplaires dans la semaine qui a suivi. Le tiers de toute notre internationale est allé à un moment ou un autre pendant ces mois cruciaux pour soutenir nos camarades allemands dans leur intervention. Nous luttions pour une Allemagne rouge des conseils ouvriers, une réunification révolutionnaire de l’Allemagne par une révolution politique prolétarienne chassant la bureaucratie stalinienne à l’Est et une révolution socialiste renversant la bourgeoisie à l’Ouest. L’Allemagne était divisée par une ligne de classe. Nous nous sommes opposés à une réunification capitaliste de l’Allemagne.

Le 7 décembre nous avions le premier numéro de notre journal quotidien, Arbeiterpressekorrespondenz (Arprekorr, correspondance de presse ouvrière). Arprekorr eut un énorme succès : on nous l’arrachait pratiquement des mains. En moyenne on vendait plus de 10 000 Arprekorr par jour. Dans de nombreuses villes de RDA ont surgi des groupes de jeunes ou d’ouvriers qui diffusaient Arprekorr parce qu’ils étaient d’accord d’une manière ou d’une autre avec le but de notre lutte. Nous les avons organisés dans les Spartakist-Gruppen : il s’agissait d’organiser ceux qui diffusaient le journal, établir des communications avec ces groupes, les former politiquement ; c’était le moyen pour construire le parti révolutionnaire. Il s’agissait de traduire la force de notre programme en une forte organisation pour diriger la domination de la classe ouvrière dans la société et le pouvoir d’Etat. Le premier Spartakist-Gruppe a été fondé le 16 décembre 1989 à Berlin.

Nous avons reçu en quatre mois plus de 500 lettres de lecteurs, avec un maximum en janvier où nous avons reçu 180 lettres. Mais cela ne veut pas dire qu’ils partageaient notre vision du monde. Leur conscience était marquée par les tromperies et les mensonges du stalinisme. Nous avons rencontré dans nos discussions, dans ces lettres, des formes contradictoires de fausse conscience. Les gens parlaient de « peuples progressistes » et d’« ailes progressistes » de l’impérialisme, à l’opposé d’une vision révolutionnaire basée sur une perspective de lutte de classe.

Il y avait un « patriotisme de la RDA », vue comme un havre socialiste entouré d’un monde capitaliste hostile, essentiellement immuable et sans contradictions de classe. Il était très difficile pour ces travailleurs d’imaginer qu’il puisse y avoir une révolution socialiste à l’Ouest, qui serait déclenchée par exemple par une révolution politique prolétarienne à l’Est. Pourtant début 1990 la bourgeoisie a dû accorder d’énormes augmentations de salaires aux métallos ouest-allemands pour éviter une grève dans ce secteur clé de l’industrie. Une telle grève aurait pu faire voler en éclats le mythe selon lequel en Allemagne de l’Ouest la révolution était impossible et qu’il n’y avait pas de contradictions de classe.

Et en RDA il y avait eu un début de révolution politique prolétarienne en juin 1953 ; pour la première fois les travailleurs s’étaient soulevés contre le régime du prédécesseur de Honecker. Mais là aussi la mémoire de cette révolte prolétarienne avait été pervertie par les staliniens qui présentaient toute opposition à leur mainmise bureaucratique sur l’Etat ouvrier comme inévitablement contre-révolutionnaire capitaliste.

Un autre aspect des déformations apportées par le stalinisme, c’est que, pour beaucoup de travailleurs, « trotskyste » voulait dire « traître social-démocrate ». Donc nous avons publié un numéro spécial de Spartacist en allemand, qui malheureusement n’existe pas en français, sur le trotskysme, avec pour titre « Le trotskysme : ce que ce n’est pas et ce que c’est », où nous expliquions les origines de la lutte de Trotsky pour la Quatrième Internationale, et aussi la politique des différents groupes renégats du trotskysme.

Nous avons appelé à créer des conseils d’ouvriers et de soldats, comme ceux qu’il y avait eu en Russie en 1917. Les ouvriers sont venus nous voir pour nous demander comment s’y prendre. Eh bien, dans votre usine élisez des délégués qui sont révocables, qui ne sont pas payés plus que l’ouvrier moyen, et qui ont la responsabilité de prendre les décisions politiques dans les conseils ouvriers, comme par exemple comment empêcher le bradage des usines qui commençait déjà (les directeurs d’usine se mettaient déjà en relation avec des firmes ouest-allemandes, souvent des capitalistes dont la famille avait possédé l’usine avant 1945). Il fallait décider comment arrêter les fascistes qui commençaient à pointer le nez, il fallait protéger les quartiers où vivaient les ouvriers étrangers. Fondamentalement, il fallait gouverner la société tout entière. Ces conseils devaient devenir les organes de la dictature du prolétariat, décidant quoi produire et en quelle quantité, etc.

En RDA il y avait des milices ou groupes de combat d’usines, les Betriebskampfgruppen. Elles avaient été créées à l’origine pour empêcher que se reproduise le début de révolution politique ouvrière de juin 1953. Pourtant ces milices se considéraient comme les défenseurs de l’Etat ouvrier dans les usines. Il y avait des détachements dans toutes les usines ; dans les plus grandes ils avaient accès à de l’artillerie et des blindés. En novembre 1989, les Betriebskampfgruppen pouvaient devenir un foyer de révolution politique prolétarienne, un solide appui militaire pour la dictature prolétarienne révolutionnaire. En fait dans de nombreux cas, quand les bureaucrates ont voulu les préparer à réprimer les manifestations en octobre 1989, juste avant la chute du mur, ils se sont rendu compte que ces troupes n’avaient pas l’intention de frapper les manifestants. Alors début décembre 1989 les staliniens ont décidé consciemment de dissoudre ces unités, désarmant ainsi la classe ouvrière.

Du fait de notre propagande, certaines unités de l’armée est-allemande créèrent des comités de soldats. Certains de ces comités diffusaient Arprekorr dans l’armée. Ce sont ces unités que les staliniens paniqués ont dissoutes en premier. Nous avons recruté des camarades qui avaient fait partie de ces comités de soldats en Allemagne de l’Est. C’est là qu’on peut voir un peu la différence entre un Etat ouvrier, même déformé, et un Etat capitaliste. Comme l’expliquait Engels, l’Etat, ce sont au fond des bandes d’hommes armés dédiées à la défense d’un certain ordre social, un certain mode de production et la classe sociale qui domine ces rapports de production. L’Etat, c’est la police, l’armée, les gardiens de prison. Dans les forces armées est-allemandes beaucoup de soldats et d’officiers croyaient qu’ils avaient pour mission de défendre le socialisme ; dans l’armée française au contraire les officiers comprennent parfaitement qu’ils sont le dernier rempart de l’ordre capitaliste ; ils le défendent à l’étranger contre d’autres impérialistes et contre les peuples néocoloniaux, en Afrique ou en Afghanistan ; en cas de guerre civile dans leur propre pays ils tueront les ouvriers révoltés.

Pour en revenir à la RDA, le parti stalinien dirigeant, le SED, a eu un congrès début décembre 1989 ; ils ont viré toute l’ancienne direction et ont ajouté à leur nom « parti du socialisme démocratique ». Cela a renforcé les illusions parmi beaucoup de travailleurs procommunistes et militants de base du SED que le SED-PDS, comme il s’appelait désormais, était réformable. D’ailleurs il s’est aussi constitué fin décembre une « plate-forme communiste » à l’intérieur du SED-PDS. Mais ce parti n’était pas réformable ; la nouvelle direction s’orientait sur les sociaux-démocrates Karl Kautsky et Eduard Bernstein, pas sur Lénine, Trotsky et Luxemburg. Kautsky et Bernstein avaient combattu la Révolution russe et ils avaient fait dérailler la révolution allemande en 1918-1919. Consciemment nous n’avons pas appelé à construire un nouveau KPD, qui aux yeux des travailleurs est-allemands voulait dire reconstruire le parti stalinien sclérosé d’Ernst Thälmann, celui qui avait fait faillite face à la montée du nazisme. Il fallait construire ce que nous appelions un parti léniniste-égalitaire ; égalitaire voulait dire que nous étions contre les privilèges des bureaucrates du SED.

Pour l’internationalisme prolétarien révolutionnaire

Nous avons aussi publié dans Arprekorr des salutations aux travailleurs vietnamiens, polonais et cubains, dans leur propre langue. Nous appelions aux pleins droits de citoyenneté pour tous les immigrés.C’était crucial quand on sait que ces travailleurs étaient des travailleurs sous contrat qui souvent vivaient dans des baraquements à part et ne touchaient pas l’intégralité de leur salaire, une partie étant versée directement au pays dont ils provenaient.Ces salutations en langue étrangère, avec bien sûr une traduction en allemand, étaient une manière de lutter concrètement pour l’internationalisme prolétarien : pour l’unité révolutionnaire des travailleurs en Allemagne, et pour étendre la révolution internationalement. D’ailleurs le régime de Castro a fait rapidement rapatrier la plus grande partie de ses ressortissants de peur d’une contamination révolutionnaire.

La question de la Pologne était particulièrement importante car comme je l’ai dit un régime contre-révolutionnaire venait d’être mis en place en Pologne et les staliniens est-allemands diffusaient le chauvinisme anti-polonais en présentant les travailleurs polonais comme des paresseux et c’est pourquoi leur économie avait fait faillite. Ces salutations ont été à l’origine de notre implantation en Pologne quand un groupe de jeunes staliniens dissidents en a pris connaissance, et notamment du fait que nous dénoncions le caractère contre-révolutionnaire de Solidarnosc.

Notre programme internationaliste révolutionnaire avait un impact à l’Ouest notamment parmi les travailleurs turcs et kurdes, qui forment une composante stratégique du prolétariat d’Allemagne. Ainsi un groupe turc et kurde de type maoïste, qu’on ne peut donc pas soupçonner de sympathies pour le trotskysme, nous a malgré tout prêté une partie de ses locaux qui nous ont servi de local public à Berlin-Ouest presque dès l’ouverture du mur : une réunification capitaliste serait de très mauvais augure pour les travailleurs immigrés en Allemagne, et aussi d’ailleurs pour les prolétaires en Turquie.

Et nous avons aussi publié des salutations en russe. Toute notre intervention était tournée vers l’Est, vers la jonction avec l’Union soviétique et une révolution politique qui s’étendrait jusqu’à Moscou. Le Spartacist que nous venions de publier sur le trotskysme, dont j’ai déjà parlé, était en partie bilingue : nous y publiions en russe notamment une partie du programme de fondation de la Quatrième Internationale, le Programme de transition ; il s’agit de la partie consacrée à l’Union soviétique où Trotsky expose de façon succincte le programme de la défense militaire inconditionnelle de l’URSS et pour la révolution politique prolétarienne contre la bureaucratie stalinienne. Avec ces textes en russe nous cherchions à toucher les soldats et officiers soviétiques qui montaient la garde contre l’OTAN en RDA (500 000 personnes en comptant les familles) pour pousser la diffusion de notre programme révolutionnaire internationaliste jusque dans la patrie de la révolution d’Octobre. On nous laissait d’habitude entrer dans les casernes et nous étions très bien accueillis dans les chambrées. Plus tard, jusqu’en 1992, nous avons pu faire plusieurs présentations de notre programme dans des casernes soviétiques devant un parterre d’officiers et de soldats. C’était là l’un des buts de notre intervention en RDA : diffuser le trotskysme en direction de l’Union soviétique, car nous savions que c’est là que tout allait se jouer. Il y avait de profonds sentiments prosoviétiques en RDA : l’Armée rouge avait écrasé le régime nazi et elle représentait une nécessité vitale pour défendre la RDA contre l’OTAN. Contrairement aux autres pays d’Europe de l’Est, un « communisme national » en RDA qui serait hostile à l’Union soviétique était une absurdité manifeste vu l’existence de l’Allemagne capitaliste voisine, à l’Ouest.

La manifestation de Treptow

Fin décembre des nazis ont profané le monument aux morts soviétiques tombés dans la lutte pour libérer l’Europe de la barbarie nazie. Ce monument se situe dans le parc de Treptow à Berlin-Est. Nous avons été à l’initiative d’une manifestation de front unique en protestation contre cette profanation. Au début le SED-PDS a refusé de se joindre à notre appel à la manifestation. Mais quand ils se sont rendu compte que les usines de Berlin-Est soutenaient notre appel, Lothar Bisky, l’un des dirigeants du SED-PDS, et aujourd’hui de Die Linke, nous a dit : « Vous avez les ouvriers avec vous », et le SED-PDS s’est senti forcé d’appeler, dans son quotidien et à la radio, à prendre part en masse à la manifestation.

Un quart de million de personnes a pris part à cette manifestation prosoviétique et prosocialiste qui représentait un pôle opposé aux manifestations nationalistes de décembre à Leipzig où le chancelier ouest-allemand Kohl s’était fait applaudir et où flottaient les drapeaux de l’impérialisme allemand. A Treptow, malgré une claque stalinienne qui essayait de couvrir l’intervention de notre camarade Renate Dahlhaus, ce quart de million de personnes a pu entendre la voix des trotskystes contre les staliniens, la Ligue communiste internationale (LCI) contre le SED-PDS. C’était la première fois, depuis que Trotsky avait été banni d’Union soviétique et que l’Opposition de gauche avait été détruite par Staline, que les trotskystes pouvaient s’adresser à une audience de masse dans un Etat ouvrier déformé. Je voudrais citer l’intervention de notre camarade Renate car cela donne une idée concrète de la politique que nous avancions à l’époque :

« Une révolution politique a éclaté et se développe chez nous, et nous devons la défendre.
« L’absorption économique et l’incorporation politique par étapes – que cherche à accomplir l’impérialisme ouest-allemand avec l’aide du SPD – peut transformer cette révolution politique en contre-révolution sociale. Il ne faut pas que cela se produise ! Il faut se battre contre ça !
« Oui, stoppons les nazis avec un front unique ouvrier ! Mais nous devons penser plus loin. Notre économie souffre du gaspillage et de l’obsolescence. La dictature du SED a montré son incapacité à combattre cela. […]
« Lénine disait que “la politique c’est de l’économie concentrée”. La lutte pour le pouvoir, pour prendre ces décisions et pour diriger le pays, doit être entre les mains de conseils ouvriers, afin que des décisions rationnelles et satisfaisantes pour la majorité puissent être prises. […]
« L’Union soviétique suivra sûrement la même voie, et ceci nous aiderait à résoudre conjointement des problèmes économiques et politiques, et à défendre nos Etats, nos Etats ouvriers qui sont actuellement transitoires, qui ont rompu avec le capitalisme mais qui ne sont pas encore socialistes. […]
« Nous combattons pour forger un nouveau parti ouvrier – avec égalité des droits et des devoirs – dans l’esprit de Lénine, Liebknecht et Luxemburg. Stoppons les nazis par des actions de front unique ! Les soviets d’ouvriers et de soldats au pouvoir ! Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »

Ce que craignaient le SED-PDS et Gorbatchev, c’était le spectre d’une révolution politique prolétarienne. Et ce spectre était incarné par Treptow. Ce qu’ils redoutaient le plus, c’était que la classe ouvrière soit au pouvoir politique en RDA. En réaction à Treptow, et à la contre-offensive impérialiste qui a suivi, ils ont changé de vitesse et se sont prononcés ouvertement pour l’annexion de la RDA par l’Ouest capitaliste.

Il y a dix ans, lors des cérémonies d’anniversaire d’alors, Gorbatchev avait déclaré la chose suivante à la télévision allemande : « Nous avons changé d’avis sur le processus de réunification de l’Allemagne sous l’impact des événements qui se sont déroulés en RDA. Une situation particulièrement critique s’est produite en janvier [1990]. Au fond, il s’est produit un effondrement des structures. Un danger a surgi, un danger de désorganisation, de déstabilisation importante. Cela a commencé le 3 janvier et cela a continué pratiquement chaque jour. » Le 3 janvier, c’est la manifestation de Treptow. Dix ans plus tard Gorbatchev a répété pratiquement la même chose, cette fois-ci dans une interview au Monde parue le 6 novembre dernier : « Une fois passées les fêtes de Noël et du Nouvel An, on voyait à travers toute l’Allemagne des manifestations de masse. Pour moi, c’était le signal qu’il était indispensable de changer de politique. »

Nous avons écrit la chose suivante en faisant le bilan de notre intervention en RDA, lors de notre conférence internationale de 1992 :

« Mais comme l’a montré par la suite Treptow, nous étions dès le début en lutte avec le régime stalinien démissionnaire sur la question de l’avenir de la RDA. Alors que nous appelions à un gouvernement des conseils ouvriers, les staliniens travaillaient consciemment à empêcher une insurrection ouvrière, en démobilisant toutes les unités de l’armée qui avaient formé des conseils de soldats sous l’effet de notre propagande des mois précédents. Il y eut en fait un affrontement, marqué toutefois par la disproportion des forces, entre le programme de la révolution politique de la LCI et le programme stalinien de capitulation et de contre-révolution. »

Et c’est cela qui s’est exprimé dans la confrontation des programmes à la tribune de Treptow. En dépit de la disproportion des forces, Gorbatchev sentait la pression qui s’exerçait des masses et à laquelle nous pouvions donner une expression politique. De l’autre côté, il faisait face à une offensive impérialiste sans précédent, en janvier, pour une réunification capitaliste de l’Allemagne. Gorbatchev a précipité les choses pour couper l’herbe sous le pied de l’élan révolutionnaire à un moment où nous n’avions pas encore eu le temps de consolider de fortes organisations dans les usines.

Il faut ajouter un mot concernant le rôle des sociaux-démocrates du SPD. Le SPD avait été reconstitué à la fin de la Deuxième Guerre mondiale par la CIA pour contrer la possibilité d’une nouvelle révolution allemande. Le KPD a même été interdit en Allemagne de l’Ouest dans les années 1950. Evidemment le SPD n’est pas resté une simple créature de la CIA américaine, c’était un parti avec une base ouvrière, mais fondamentalement dévoué à l’ordre bourgeois allemand. Il l’avait prouvé en 1914 en soutenant la guerre du Kaiser, et en 1918-1919 en noyant dans le sang l’insurrection spartakiste. Et il a continué à servir son maître fidèlement avec une obsession anticommuniste particulière. C’est pourquoi, dans notre appel à la manifestation de Treptow, nous appelions le SPD « le cheval de Troie de la contre-révolution ». Vous pouvez vous douter que les staliniens ont détesté cette formulation ; quand le SPD a lancé une chasse aux sorcières contre Treptow en agitant notamment notre tract d’appel, les staliniens ont capitulé. Leur programme c’était de devenir une opposition loyale dans un Quatrième Reich réunifié capitaliste ; ils ont maintenant atteint cette respectabilité avec Die Linke, le « parti de gauche » d’Oskar Lafontaine.

La contre-révolution en ascendance

Une fois que Moscou avait décidé de brader la RDA, ce qui a été formellement décidé fin janvier, cela a eu un effet dévastateur. Les ouvriers les plus conscients ont été terriblement démoralisés par ce coup de poignard. Le SED-PDS, en qui beaucoup avaient vu un rempart contre une annexion pure et simple de la RDA par l’impérialisme allemand, en venait maintenant à discuter les conditions de l’Anschluss (annexion en allemand, le mot est connu en français en référence à l’annexion de l’Autriche en 1938 par Hitler). De même, Lafontaine, à l’époque dirigeant du SPD à l’Ouest, était pour une réunification capitaliste, mais un peu plus lente et ordonnée.

En janvier 1990 l’Union soviétique annonça qu’elle n’allait vendre son pétrole et ses matières premières aux autres Etats ouvriers déformés qu’au prix et dans les monnaies du marché mondial. Cela achevait d’étrangler la RDA. Nous avons alors écrit : « L’application de la perestroïka au COMECON [le “marché commun” du bloc soviétique] est le coup économique le plus important que Gorbatchev pouvait porter à la défense de la propriété collectivisée dans les pays d’Europe de l’Est aux abois, et par-dessus tout à l’Allemagne de l’Est » (le Bolchévik, février 1990).

Kohl, Gorbatchev et les staliniens est-allemands ont arrangé des élections législatives anticipées au 18 mars, qui étaient en fait un plébiscite pour ou contre la réunification capitaliste. Nous avons alors axé notre propagande davantage sur la nécessité de résister à cette campagne concertée pour pousser les travailleurs dans les bras de la contre-révolution. Le mot d’ordre que nous répétions sans cesse, c’était « Non à la réunification capitaliste ! » Aux élections nous avons lutté pour présenter des candidats partout où nous pouvions. Nous disions que là où nous n’en avions pas nous appellerions à voter pour des candidats qui prendraient clairement position contre la réunification capitaliste ; en fait il n’y a eu personne pour le faire : ni le KPD, ni la Gauche unie, ni évidemment le PDS. Nous avons obtenu quelques milliers de voix, et les chrétiens-démocrates de Kohl ont raflé la mise. Le 1er juillet c’était la réunification monétaire de l’Allemagne, et trois mois plus tard l’Anschluss était consommé. Encore en décembre nous nous sommes présentés aux législatives pour une résistance ouvrière contre le Quatrième Reich. Mais la défaite avait sonné les travailleurs, et en un an toute l’industrie est-allemande a été dévastée et dépecée par les trusts capitalistes allemands.

En août 1991 Eltsine prenait le pouvoir à Moscou pour, dans l’année qui a suivi, restaurer le capitalisme en Russie. Là encore, nous étions les seuls à notre poste à lutter pour balayer les barricades d’Eltsine ; nous avons diffusé 100 000 tracts en russe afin de mobiliser les travailleurs pour « repousser la contre-révolution de Bush-Eltsine ». La LCR d’Alain Krivine (Besancenot était déjà membre) a pris ouvertement position pour Eltsine au nom de la « démocratie » ; dans son autobiographie Ca te passera avec l’âge, Krivine, dirigeant historique de la LCR, déclare : « Sa fin [de l’URSS] ne pouvait que nous réjouir. Et, sans la moindre hésitation, nous nous sommes effectivement réjouis. »

La contre-révolution en URSS a bouleversé le monde. Elle a ramené en arrière l’humanité à tous les niveaux. Fondamentalement cette régression s’est exprimée au niveau matériel avec une destruction inouïe des forces productives dans tout le bloc de l’Est comme on n’en avait jamais vu dans l’histoire, à part en cas de guerre. L’espérance de vie en Russie a été ramenée pratiquement au niveau de ce qu’elle était sous le tsarisme. Les Balkans ont sombré dans de sanglantes guerres civiles et sont maintenant occupés par des troupes impérialistes dont des milliers de soldats français. Pour fuir le chômage qui continue à ravager l’Allemagne de l’Est, l’émigration se poursuit encore aujourd’hui vers l’Ouest pour chercher un emploi à bas salaire, comme l’ont fait environ 1,8 million d’Allemands de l’Est depuis 1990 (soit plus de 10 % de la population d’avant la chute du mur) ; la population continue de diminuer en Allemagne de l’Est.

Mais dans les pays vainqueurs de la guerre froide il y a aussi une régression à tous les niveaux. Chacun peut voir que pour ses enfants tout s’annonce plus difficile que pour soi-même. Même avant que la dernière grande crise économique n’éclate il y a un an la précarité avait explosé, les retraites, la sécurité sociale avaient déjà été gravement remis en cause. Et cette régression matérielle s’est exprimée par un affaiblissement idéologique encore pire. Les ouvriers avancés ne croient plus que le socialisme soit une alternative réaliste au capitalisme. Les organisations ouvrières qui ont trahi, des partis communistes à un groupe comme Lutte ouvrière, sont mal en point. Nos opposants continuent d’évoluer vers la droite. L’organisation de Besancenot a ouvertement renoncé au trotskysme, au communisme et à la révolution.

Lutte ouvrière : prétentions communistes, pratiques anticommunistes

Seule Lutte ouvrière prétend encore à l’occasion se maintenir sur les traditions de Lénine mais eux aussi rapprochent de plus en plus leur pratique et même leur discours de ce qu’était le mouvement ouvrier français d’avant la Première Guerre mondiale. Ils participent maintenant directement à la gestion du capitalisme dans les municipalités dites « de gauche » (c’est-à-dire avec un maire PCF, PS ou chevènementiste comme à Belfort) ; nous avons montré dans notre article sur les postes exécutifs dans le nouveau Spartacist que c’est contraire à la ligne de Lénine. De plus en plus LO se prend pour les guesdistes d’aujourd’hui, sauf que premièrement les guesdistes avaient été incapables d’affronter victorieusement le ministérialisme bourgeois d’un Jaurès, et que deuxièmement là où Guesde et Lafargue péchaient par ignorance et manque d’expérience historique, nous avons derrière nous les leçons de la Révolution russe. En ce sens LO contribue elle-même, à sa propre échelle, à éradiquer ces leçons.

En 1989 on a pu voir comment leur « théorie » que la RDA était un Etat bourgeois a pris tout son sens contre-révolutionnaire : ils ont eu quelques semaines après la chute du mur de Berlin une conférence nationale où ils ont approuvé une position qu’ils n’avaient aucune raison de s’opposer à la réunification de l’Allemagne « même si cette réunification se fait entièrement sous l’égide du capitalisme ».

Et rétrospectivement ils continuent à s’acharner sur la mémoire des acquis qui étaient directement issus de l’extension du pouvoir soviétique après la Deuxième Guerre mondiale. Lutte Ouvrière consacre plus d’une page de son dernier numéro (6 novembre) à la chute du mur. Ils reproduisent tous les poncifs de la guerre froide, je cite : « ce Mur qui séparait Berlin en deux par 43 kilomètres de pierres, parpaings, barbelés, miradors, surveillé par des milliers de gardes-frontières, tirant sur quiconque tentait de le franchir, était l’odieuse concrétisation des 1 400 kilomètres de frontière entre la RFA et la RDA. […] La vie en RDA, même si le chômage et les sans-abri y étaient rares, se déroulait dans la grisaille et la hantise permanente d’une dénonciation et d’une arrestation par l’omniprésente Stasi. » Donc LO doit se réjouir de la fin de ce soi-disant cauchemar totalitaire.

Nous disions dans le dernier numéro du Bolchévik que l’appareil de sécurité de la RDA était grotesquement surdimensionné du fait de la peur qu’entretenait la bureaucratie vis-à-vis de la classe ouvrière. Mais il fallait lutter contre l’espionnage impérialiste et la subversion contre-révolutionnaire. Le mur de Berlin était une mesure bureaucratique de défense face à la politique systématique de l’impérialisme de saigner l’économie collectivisée. C’est pourquoi nous avons défendu le mur contre l’impérialisme. LO au contraire a un article sous le titre « Combien reste-t-il de murs à abattre ? » où ils comparent le mur de Berlin avec celui que les Etats-Unis ont construit à leur frontière mexicaine, ou le mur d’apartheid qui enferme les Palestiniens, ou le mur de Ceuta et Melilla, des enclaves coloniales espagnoles au Maroc. LO confond ainsi délibérément « La protection des pays riches contre les immigrants venus du reste de la planète », comme ils le disent, avec la protection d’un Etat ouvrier en situation d’infériorité économique face à l’impérialisme.

LO dit que « le chômage et les sans-abris y étaient rares » (en RDA), mais pour eux apparemment cela n’est pas important au point qu’ils aient cherché à défendre ces acquis. Lors du dernier Cercle Léon Trotsky le mois dernier nous avons fait une intervention où nous avons notamment critiqué comme du réformisme utopique leur revendication d’interdiction des licenciements sous le capitalisme ; en réponse ils ont juré qu’en fait c’est incompatible avec le capitalisme et que c’est donc un mot d’ordre qui (soi-disant) figure dans le Programme de transition trotskyste. Sauf que pour eux dans la RDA « bourgeoise » il n’y avait pas de chômage. Comprenne qui pourra.

Défense de la Chine contre l’impérialisme et la contre-révolution ! Pour la révolution politique !

Pour conclure, quelles sont les leçons de tout cela pour aujourd’hui ? Au niveau le plus immédiat il y a les leçons à tirer concernant les Etats ouvriers qui demeurent : Cuba, le Vietnam, la Corée du Nord et, surtout, la Chine. Les bureaucrates staliniens de ces pays ont essayé de leur côté de tirer des leçons de la contre-révolution dans le bloc soviétique. Ils ne vont pas procéder à la glasnost, cette espèce de libéralisation politique qui avait accéléré la fragmentation de la bureaucratie stalinienne soviétique et jeté les bases pour le développement de forces ouvertement contre-révolutionnaires autour de Boris Eltsine.

Pourtant les contradictions qui s’accumulent dans ces pays, notamment en Chine, vont tôt ou tard conduire à l’éclatement du règne bureaucratique. Les mesures de marché dans ce pays ont alimenté des forces capitalistes plus importantes qu’elles ne l’avaient jamais été sous Gorbatchev en Union soviétique. Elles ont aussi contribué à la création de la classe ouvrière la plus nombreuse du monde. Nous ne pouvons pas savoir quand il y aura une explosion ; la question est de savoir comment s’y préparer et quel programme avancer pour cela. Nous avons régulièrement des articles sur la Chine dans le Bolchévik, ainsi que dans le nouveau numéro de Spartacist. Cette présentation est déjà trop longue pour que j’y revienne. Notre programme de défense militaire inconditionnelle de la Chine, et de révolution politique prolétarienne contre la bureaucratie stalinienne, est en droite ligne de ce pour quoi nous avons lutté il y a 20 ans en RDA et en Union soviétique. Et, il faut le dire, ce que racontent nos opposants est, à l’opposé, en droite ligne de la position contre-révolutionnaire qu’ils avaient alors avancée sur la RDA et l’URSS.

Je parlerai ici seulement du NPA. J’ai déjà mentionné leurs articles parus dans leur mensuel Tout est à nous. Il y a aussi le bimensuel Inprecor, le journal en français du soi-disant « Secrétariat unifié de la Quatrième Internationale », dont font encore partie à titre individuel certains cadres du NPA. Dans leur numéro de juillet-août ils offrent rien moins que 15 pages de leurs colonnes à un militant anticommuniste de Hongkong, un certain Au Loong-yu. Il considère la Chine comme capitaliste et il polémique contre la « nouvelle gauche » chinoise en attaquant son nationalisme mais aussi son « étatisme », et il proclame : « La Démocratie [avec majuscule] est la seule issue ». Il soutient les parties de la « Charte 08 » qui réclament des droits civiques fondamentaux en Chine. Je vous renvoie au numéro de juin dernier du Bolchévik concernant cette « Charte 08 » ; il y a une photo de deux des principaux partisans de cette charte en train de discuter avec George W. Bush. Les « droits de l’homme », en 1789, c’était l’étendard de la révolution bourgeoise ; aujourd’hui c’est celui de la contre-révolution bourgeoise. C’est fondamentalement le droit des capitalistes d’exploiter les ouvriers. Au Loong-yu appelle cela « les droits individuels, le pluralisme des partis politiques, la démocratie politique et économique et enfin l’internationalisme comme ses valeurs centrales ». Pas étonnant que Krivine et compagnie lui ouvrent leurs colonnes.

On voit bien que les Krivine-Besancenot n’ont rien appris et rien oublié de la contre-révolution capitaliste ; contre-révolutionnaires un jour, ils le resteront toujours. Le parti de la révolution socialiste internationale se construira dans une lutte intransigeante contre ces charlatans contre-révolutionnaires. La voie ne sera pas facile. Nos opposants portent une lourde responsabilité dans la régression idéologique qui affecte le prolétariat international. Mais je voudrais ici citer notre déclaration de principes internationale :

« Certes le climat idéologique de la “mort du communisme” affecte la conscience du prolétariat, mais dans beaucoup de pays du monde, des combats de classe acharnés constituent une base objective pour la régénération du marxisme en tant que théorie du socialisme scientifique et de la révolution prolétarienne. Ce n’est pas le communisme, mais sa parodie, le stalinisme, qui s’est montré sans issue. […]
« L’affirmation de Trotsky, dans le Programme de transition de 1938, selon laquelle “la situation politique mondiale dans son ensemble se caractérise avant tout par la crise historique de la direction du prolétariat” est antérieure à la profonde régression actuelle de la conscience prolétarienne. La réalité de cette période post-soviétique ajoute une dimension nouvelle à l’observation de Trotsky. Le seul moyen de surmonter cette régression et de permettre à la classe ouvrière de devenir une classe pour soi, c’est-à-dire qui combat pour la révolution socialiste, c’est de reforger un parti léniniste-trotskyste international comme direction de la classe ouvrière. Le marxisme doit regagner l’adhésion du prolétariat. »

Et c’est cela notre raison d’être. J’ai essayé de montrer aujourd’hui au travers de l’exemple crucial des événements d’il y a 20 ans en RDA et dans le bloc soviétique que notre banderole est sans tache. Quand nous disons que nous sommes le parti de la Révolution russe, c’est cela que nous voulons dire : nous avons maintenu la continuité du programme bolchévique de Lénine en cherchant à l’appliquer dans la lutte des classes. Notre but c’est de reforger la Quatrième Internationale, parti mondial de la révolution socialiste.

 

Le Bolchévik nº 190

Le Bolchévik nº 190

Décembre 2009

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Affaires Polanski, Mitterrand...

Juges, flics, curés, hors des chambres à coucher!

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Leçons de l'effondrement du stalinisme

1989-1990: La lutte de la LCI contre la réunification capitaliste de l'Allemagne

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Il faut rompre avec les démocrates - Pour un parti ouvrier! Pour la révolution ouvrière!

Le déclin du capitalisme américain

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Halte à la vendetta contre Roman Polanski!

Non à l'extradition!

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La tactique du front unique: son usage et ses abus

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A bas les lois contre le « détournement de mineur »! Gouvernement, hors des chambres à coucher!

Libération de Helen Goddard!

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