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Le Bolchévik nº 186 |
Décembre 2008 |
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Mai 68 : une situation pré-révolutionnaire trahie par le PCF
(2e partie)
Nous reproduisons ci-dessous la suite et la fin d’une présentation, revue pour publication, de Xavier Brunoy, membre du comité central de la LTF, lors de la journée d’études de la LTF du 21 juin à Paris. La première partie a été publiée dans le numéro précédent du Bolchévik, n° 185 (septembre).
* * *
Questions vitales d’un programme transitoire : les immigrés, les femmes, la jeunesse
Dans le programme transitoire des révolutionnaires, d’autres questions étaient incontournables en 1968 et devaient être abordées : les immigrés, les femmes, les jeunes. Il y avait près de trois millions d’immigrés en 1968 en France, surtout italiens, espagnols, portugais et algériens. Sur les immigrés en 1968, je m’inspire ici de l’article de 1998 du Bolchévik (n° 147, automne 1998). A l’époque, ce sont beaucoup de jeunes travailleurs masculins, célibataires ou dont la famille est encore dans leur pays d’origine. Il n’y a pratiquement pas la couche que nous appelons aujourd’hui la deuxième génération. Ils vivent dans des conditions effroyables, dans des hôtels meublés ou des bidonvilles (il y en a encore 200), travaillent essentiellement dans le bâtiment et la métallurgie. Les travailleurs immigrés sont non qualifiés. Au total 85 % des immigrés n’ont aucune qualification professionnelle, beaucoup de professions qualifiées leur étant aussi interdites par la loi. Il y a environ 500 000 ouvriers immigrés dans le bâtiment, 370 000 dans la métallurgie et la sidérurgie, 260 000 dans l’agriculture. Les femmes sont souvent femmes de ménage. Les proportions d’immigrés sont très variables suivant les secteurs de la production.
En général l’activité politique est interdite pour les immigrés ; au niveau syndical ils ne peuvent être élus délégués syndicaux qu’après 6 à 24 mois d’ancienneté, or très souvent les ouvriers immigrés ont des contrats de travail de 6 mois seulement, ce qui les empêche d’être intégrés dans les syndicats. Les Portugais sont soumis depuis 35 ans à la dictature de Salazar ; en cas d’activité politique ils sont déportés et finissent dans les prisons du Portugal ou dans les colonies en Afrique. Plusieurs dizaines d’ouvriers portugais ont ainsi disparu après Mai 68, ceux qui avaient joué un rôle actif pendant la grève. Les ouvriers algériens sortent depuis peu d’une guerre de libération nationale victorieuse. Il semble qu’ils ont solidement fait grève depuis le premier jour. Ils se battaient maintenant, au côté des travailleurs français, contre la même classe capitaliste qui avait sauvagement massacré leurs frères pendant la guerre d’Algérie. Pour souder l’unité de classe il fallait revendiquer les pleins droits de citoyenneté pour tous ceux qui étaient en France, en luttant pour obtenir des droits politiques et sociaux égaux à ceux des travailleurs français et liquider toutes les discriminations au travail, dans l’attribution des logements, à l’école.
La bourgeoisie a longtemps dressé les diverses communautés les unes contre les autres. Mais dans le courant de Mai 68 s’effondre largement cette division du prolétariat entre ses différentes couches ethniques. Notamment dans le bâtiment, ce sont les immigrés qui sont à l’avant-garde, car les ouvriers français représentent l’aristocratie ouvrière qui ne veut pas faire grève pendant que les trois-quarts des manuvres dans le bâtiment sont immigrés. Si la présence de la CGT ou du PCF est souvent vue pendant cette période comme une protection contre les pires aspects du racisme, le chauvinisme du PCF à l’époque de mai-juin 1968 existait bien. Ainsi, quand des secours étaient versés aux grévistes en mai-juin 1968, les Algériens devaient se battre pour que le montant de l’aide tienne compte de leur famille restée en Algérie.
Après Mai 68 il y a eu les déportations d’immigrés (officiellement 215 jusqu’en décembre 1968), notamment des Espagnols (sous Franco), des Algériens connus comme opposants à Boumediène ; cela a entraîné des protestations assez importantes, relayées surtout par les pablistes de Krivine et les intellectuels libéraux comme Sartre, etc.
Il y a dix ans nous écrivions « Parmi tous les groupes “trotskystes” qui ont gâché du papier pour répandre des inepties sur Mai 68 récemment, pas un seul n’a même mentionné la question des ouvriers immigrés. Or cette question était déjà à cette époque stratégique » (le Bolchévik n° 147, automne 1998). C’est toujours valable. Pour le quarantième anniversaire, ils n’ont toujours pas parlé du rôle des ouvriers immigrés. Notre conclusion d’il y a dix ans sur ce sujet est elle aussi toujours valable : « Le fait que la question immigrés ait été peu ou pas soulevée en Mai 68 par l’extrême gauche représente une capitulation au social-chauvinisme et à sa propre bourgeoisie. Dans un pays qui sortait d’une sale guerre coloniale [la guerre d’Algérie] dans laquelle les directions réformistes de la classe ouvrière, sous couvert “des valeurs de la République”, défendaient leur propre impérialisme, cette question était clé pour l’unité du prolétariat nécessaire au renversement de la bourgeoisie. »
Seuls les révolutionnaires sont capables d’expliquer aux ouvriers que c’est la société capitaliste qui utilise l’oppression raciste comme moyen de diviser la classe ouvrière. La classe ouvrière dans son ensemble doit défendre les droits des immigrés et des minorités, ou sinon elle se laissera dans son ensemble affaiblir, diviser et ramener en arrière sous le coup de l’offensive de la bourgeoisie. La lutte contre ces divisions doit être liée au fait que le renversement de la société capitaliste est le seul moyen d’en finir définitivement avec le racisme.
La question femmes aussi était centrale. La composante féminine de la classe ouvrière est importante en 1968. Il y a environ 1 800 000 ouvrières. Elles représentent près de 22 % de la classe ouvrière. En grande majorité, elles sont non qualifiées. C’est-à-dire qu’elles sont au bas de l’échelle, qu’elles occupent, comme les travailleurs immigrés, beaucoup des emplois très pénibles, sous-qualifiés et les plus mal payés. Et elles ont peu de droits. L’avortement est complètement interdit du fait d’une loi de 1920. (Aujourd’hui encore, ce droit est limité par l’ordre moral bourgeois, du fait des difficultés rencontrées par les immigrées pour y recourir ou de la clause de conscience qui autorise les médecins à refuser de le pratiquer.) L’interdiction concernant la contraception a été levée en 1967, mais celle-ci reste d’un accès très limité. La loi interdisant aux femmes d’ouvrir un simple compte en banque sans l’autorisation de leur mari n’a été modifiée qu’en 1965. Les conditions du divorce sont très défavorables aux femmes et n’ont pas beaucoup changé depuis le Code civil de Napoléon. Les questions de sexe sont complètement taboues. La mixité n’existe pas. Les ouvrières sont massivement en grève et occupent leurs usines.
Le parti révolutionnaire serait intervenu en s’adressant aux problèmes spécifiques des femmes, et il aurait aussi mené le combat au sein même de la classe ouvrière contre les préjugés bourgeois que les directions de la classe ouvrière colportaient. Dans son récent livre, l’Insubordination ouvrière dans les années 68, Xavier Vigna prend l’exemple de l’industrie de l’habillement à Lorient, où les femmes d’une entreprise qui ont fait débrayer diverses usines voisines ont amené le cortège à l’Union locale CGT pour participer aux initiatives du syndicat. Mais, pour les pourparlers et les négociations, c’est un homme de l’Arsenal qui les mène. Vigna donne deux exemples d’occupations (à la SNECMA aéronautique de Gennevilliers et dans une entreprise de confection à Lille) où il a été décidé que les femmes occuperaient l’usine le jour et les hommes la nuit, ce qui était certainement le cas dans la plupart des usines, reflétant le code de la famille bourgeoise où les femmes devaient être à la maison le soir. Dans une interview dans le supplément de l’Humanité sur Mai 68, Gisèle Halimi, future fondatrice du MLF (Mouvement de libération des femmes), raconte comment, alors qu’elle avait de grands espoirs pour la cause des femmes, elle s’est retrouvée à ranger les chaises et faire les repas à la fac de Censier.
Dans une situation pré-révolutionnaire comme 1968, l’intervention du parti révolutionnaire aurait pu trouver un écho retentissant parmi les femmes, y compris parmi les femmes de la petite bourgeoisie. Pour gagner les femmes à la perspective d’une société socialiste et à la nécessité d’une révolution ouvrière, des mots d’ordre concernant les droits à l’avortement et à la contraception, ou « A travail égal, salaire égal », auraient certainement eu un impact important. De telles revendications soulevées dans les nombreuses manifestations ou sur les piquets de grève auraient pu gagner des couches importantes de femmes à la nécessité d’une perspective révolutionnaire et en même temps auraient permis d’élever le niveau de conscience de la classe ouvrière en général en cassant le cadre des revendications strictement économiques.
Il aurait expliqué comment la source même de l’oppression des femmes se trouve dans la propriété privée des moyens de production. Marx et Engels ont identifié la famille comme étant la principale source de l’oppression des femmes, du fait de son rôle dans l’héritage de la propriété, notamment la propriété des moyens de production. Cela nécessite la monogamie sexuelle des femmes pour pouvoir déterminer l’hérédité de l’héritier sans aucun doute, ainsi que leur subordination sociale. Nous disons qu’il faut remplacer l’institution sociale de la famille, ce qui nous différencie des féministes bourgeoises. Et cela ne peut se réaliser qu’après une révolution socialiste. C’est la mise en place d’une économie planifiée qui libérera les hommes et les femmes des corvées domestiques (avec des crèches ouvertes 24 h sur 24, des blanchisseries ou des cantines collectives de qualité, etc.)
Comme pour la question immigrés, il est consternant de voir combien cette question est absente dans la propagande de la gauche en 1968, alors que l’oppression des femmes est terrible à l’époque, et alors que les femmes ont une présence massive dans ces grèves. L’absence d’intervention de la part des organisations pseudo-révolutionnaires sur cette question à l’époque de Mai 68 a laissé la voie libre aux féministes bourgeoises qui allaient créer plus tard en 1970 le MLF bourgeois. Beaucoup des femmes de 1968 qui se sont retrouvées dans le MLF auraient certainement pu être gagnées au seul programme permettant la libération réelle des femmes : la révolution socialiste. Une fois le MLF créé, les pseudo-révolutionnaires allaient « découvrir » la question femmes et s’en préoccuper, pour capituler au mouvement féministe bourgeois, comme la LCR.
Les étudiants ont été l’étincelle qui a mis le feu aux poudres. Au sein de la classe ouvrière, les jeunes ouvriers et ouvrières ont souvent été le fer de lance dans le déclenchement des grèves et des occupations. Les jeunes sont parmi les couches les plus opprimées sous le capitalisme. La famille, base de l’oppression des femmes, est aussi la base de l’oppression des jeunes. Et le régime gaulliste était d’une très grande rigueur et d’un grand moralisme en ce qui concerne les « valeurs familiales ». Comme je l’ai dit plus tôt, les questions de sexe sont taboues dans la société gaulliste, la mixité n’existe pas et les homosexuels n’ont aucun droit. Il fallait toujours une autorisation parentale pour les mineures qui désiraient la contraception. Les jeunes étaient sous la tutelle parentale et avaient très peu de droits. Le service militaire de 16 mois était en vigueur. Une propagande contre l’armée bourgeoise et la conscription aurait eu beaucoup d’impact, surtout à un moment où de Gaulle envisageait de se tourner vers l’armée pour éventuellement écraser la classe ouvrière.
Un parti révolutionnaire aurait cherché à gagner les jeunes étudiants à l’idée de servir la cause du prolétariat, seul capable d’en finir avec les oppressions. Construire une organisation de jeunesse révolutionnaire, indépendante du parti mais en accord avec son programme, aurait permis de recruter la flamme de la révolution.
Pour conclure sur ces axes d’intervention, je citerai le Programme de transition qui explique :
« Toutes les organisations opportunistes, par leur nature même, concentrent principalement leur attention sur les couches supérieures de la classe ouvrière, et, par conséquent, ignorent aussi bien la jeunesse que les femmes travailleuses. Or l’époque du déclin capitaliste porte les coups les plus durs à la femme, tant comme salariée que comme ménagère. Les sections de la IVe Internationale doivent chercher appui dans les couches les plus opprimées de la classe ouvrière, et, par conséquent, chez les femmes travailleuses. Elles y trouveront des sources inépuisables de dévouement, d’abnégation et d’esprit de sacrifice. »
Le pouvoir était vacillant
Comme on l’a vu, avant le 29 mai, le pouvoir est fort ébranlé. Une partie de la bourgeoisie s’interroge sur de Gaulle. Le 29 mai, le jour des grandes manifestations du PC, de Gaulle « disparaît » et part consulter le chef de l’état-major de l’armée française en Allemagne, le général Massu, à Baden-Baden. Celui-ci va le convaincre de rester, certainement en l’assurant que l’armée est prête à intervenir éventuellement, ce qui aurait signifié la guerre civile. Même si ce plan n’a pas été appliqué, il faisait bel et bien partie des options envisagées par de Gaulle dans le cas où il n’aurait pas pu venir à bout de la grève ouvrière par des moyens parlementaires. Ce simple fait est une confirmation de la théorie marxiste sur l’Etat ; le pouvoir exécutif signifie précisément assumer la responsabilité de maintenir l’ordre capitaliste, c’est-à-dire de prendre des décisions comme recourir à la force contre les travailleurs ; c’est pourquoi, encore une fois, nous refusons de nous présenter aux élections pour de tels postes. Massu a rapporté aussi dans son livre Baden 68 que la veille au soir, le 28, il avait reçu en grande pompe le commandant en chef des troupes soviétiques en RDA, le maréchal Kochevoï, qui lui avait recommandé d’« écraser » les étudiants à Paris et avait dit le plus grand bien de De Gaulle autrement dit, la bureaucratie soviétique était prête à étrangler la révolution en France car elle voulait préserver la politique semi-autonome de De Gaulle par rapport à l’alliance antisoviétique de l’OTAN.
Et alors que la CGT, au lendemain de ses grosses manifestations du 29 mai, consulte une nouvelle fois et le PC et la FGDS (Fédération de la gauche démocrate et socialiste, un bloc des sociaux-démocrates de la SFIO — Parti socialiste — avec divers petits partis bourgeois) pour convaincre ces derniers de faire une alliance, de Gaulle passe le soir à la contre-offensive, fort du soutien de l’armée, et sans doute aussi du rapport que lui a fait Massu de sa rencontre avec Kochevoï. Il dissout l’Assemblée, lance une attaque anticommuniste virulente contre le PC et la CGT accusés pratiquement de préparer un coup d’Etat, et appelle à la mobilisation du « peuple », c’est-à-dire la bourgeoisie, la partie de la petite bourgeoisie qui n’avait pas basculé du côté des grévistes, et les bas-fonds de la société que des Pasqua [un homme clé pour les opérations clandestines de De Gaulle avec des nervis et gangsters] connaissent bien. Il promet de libérer une dizaine de dirigeants de l’OAS encore emprisonnés (ce qu’il fait mi-juin) pour se rabibocher avec l’extrême droite et le corps des officiers.
Face à une telle attaque, le PC et la CGT semblent se retrouver coincés. Car ils refusent toute confrontation avec le pouvoir gaulliste sur un terrain autre que celui du Parlement et du cadre institutionnel de la Ve République. Ils veulent à tout prix éviter l’affrontement brutal et incontrôlable et donc ils n’ont d’autre solution que de faire reprendre le travail. Et pour arriver à leurs fins, ils ne vont pas hésiter à utiliser tous les moyens, en particulier le morcellement de la grève qu’ils ont instauré après Grenelle. N’ayant pas réussi à convaincre la FGDS de faire une alliance, ils savent qu’ils n’ont aucune chance aux élections.
Malgré l’absence de parti révolutionnaire capable de démasquer le sauvetage du capitalisme auquel se livraient les staliniens, capable d’arracher les militants écurés par leur direction et ainsi de scissionner le PCF, la résistance de la classe ouvrière aux bureaucrates est rude. Séguy explique la difficulté : « Dans certains cas, peu nombreux, nos militants doivent discuter ferme avec des travailleurs partisans de poursuivre la grève malgré les indiscutables succès revendicatifs obtenus. Ils ont espéré des changements plus décisifs. Ils n’ont pas clairement conscience du fait que la situation politique ne permet pas d’aller au-delà. »
Dans Où va la France, Trotsky dit : « Mais ce qui existe surtout à notre époque de capitalisme pourrissant ce sont des situations intermédiaires, transitoires : entre une situation non-révolutionnaire et une situation pré-révolutionnaire, entre une situation pré-révolutionnaire et une situation révolutionnaire ou
contre-révolutionnaire. C’est précisément ces états transitoires qui ont une importance décisive du point de vue de la stratégie politique. » Avec l’intervention d’un parti pendant la montée de la grève, on peut imaginer que les paroles de Trotsky se seraient concrétisées après que de Gaulle, le 30 mai, a décidé l’épreuve de force, ce qui est un tournant en 1968, pour la bourgeoisie comme pour le PC.
Ce n’est que le 7 juin que les premières reprises de travail significatives ont lieu. Il faut plusieurs jours pour faire reprendre les secteurs qui ont démarré la grève. Pour venir à bout de la volonté de poursuivre la grève, les bureaucrates usent de tous les stratagèmes : négociations branche par branche ; annonces de fausses reprises ; ils organisent des votes pour la reprise et, quand le résultat ne leur convient pas, ils refont voter, ce jusqu’à la reprise, etc. En même temps que les manuvres des staliniens, la bourgeoisie envoie les flics pour attaquer les centres ouvriers clés qui sont contre reprendre, comme les centres de tri PTT, les dépôts SNCF. L’usine de Renault Flins est occupée par les CRS la nuit du 5 au 6 juin. Ce sont quatre jours de batailles acharnées autour de l’usine dans lesquelles le jeune lycéen maoïste Gilles Tautin est tué. Le 11 juin, les flics attaquent l’usine de Peugeot Sochaux : deux ouvriers sont tués. Le 12 juin, la dissolution de tous les groupes d’extrême gauche (JCR, OCI, VO, Mouvement du 22 mars, les groupes maoïstes, etc.) est décrétée. Et le PCF, loin de protester contre cette dissolution, va redoubler ses attaques physiques contre les militants de ces organisations qui viennent devant les usines !
Finalement, les bureaucrates et l’Etat parviennent à leurs fins. Trahie par ses propres dirigeants et sans alternative révolutionnaire crédible, la classe ouvrière et ses derniers bastions ne peuvent s’opposer à la reprise et se rendent, la mort dans l’âme, ce qui peut se remarquer dans le fort pourcentage d’ouvriers qui votent contre la reprise. Des secteurs comme la métallurgie reprennent très tard : la CGT appelle à la reprise à Renault Billancourt le 17 juin. Krasucki (dirigeant de la CGT) se fait siffler quand il appelle à la reprise du travail à Citroën, le 24 juin, après le premier tour des élections ! Celui-ci s’est déroulé le 23 juin et est un raz de marée réactionnaire.
Les mentors de Besancenot en Mai 68
Revenons maintenant à ce que faisaient les ancêtres de Besancenot et autres en Mai 68. S’adapter et capituler est le trait caractéristique des pablistes. Et ils n’ont pas raté l’occasion dans cette période pré-révolutionnaire. Ils vont donner un rôle d’avant-garde aux étudiants radicalisés, par exemple quand le Secrétariat unifié (l’organisation internationale des pablistes) déclare le 20 mai : « Il y a encore un large fossé entre la maturité révolutionnaire de l’avant-garde de la jeunesse et le niveau de conscience des ouvriers. » Mais, dans la période de 1968, toutes les organisations du mouvement ouvrier disent lutter pour le socialisme ou le communisme et la classe ouvrière est extrêmement combative et identifie facilement ses luttes avec la révolution d’Octobre. Le discours des pablistes, qu’on caractérise de centristes à l’époque, c’est-à-dire entre la révolution dans les phrases et l’opportunisme dans les actes, est plein de références à la révolution ouvrière, à la dualité de pouvoir, voire à « briser l’appareil d’Etat bourgeois ». Dans un livre que Bensaïd a écrit en 1968 (avec son partenaire de l’époque Henri Weber, maintenant sénateur PS), il pouvait écrire : « Le pouvoir décomposé ne peut plus en ces heures troubles compter sur ses propres serviteurs, les forces de répression sont à bout, ailleurs c’est la débâcle. Le pouvoir est alors à prendre. Tout est possible. Le pouvoir se survit faute de candidats à la succession. »
Mais en même temps, ils sont pour un gouvernement de front populaire basé sur la pression de la rue. Pierre Frank, dirigeant du PCI pabliste, déclarait le 22 mai (Intercontinental Press) : « En ces jours de grève générale non déclarée, il serait possible de forcer le départ de De Gaulle et d’imposer un gouvernement PC-FGDS par des moyens non parlementaires mais pacifiques. » Ils ont essayé de présenter cela de façon plus appétissante avec le mot d’ordre des JCR « gouvernement populaire, oui ! Mitterrand, Mendès France, non ! » Vingt ans plus tard, Krivine et Bensaïd reconnaissaient que « la formule de “gouvernement populaire” avait cependant l’avantage de désigner un gouvernement des partis de gauche sans entrer dans des considérations plus précises » (Mai si ! 1968-1988 : Rebelles et repentis). Ce gouvernement bourgeois serait pour les pablistes sous contrôle de la classe ouvrière.
On peut comparer le jeune Bensaïd de 1968 au réformiste endurci qu’il est devenu 20 ans plus tard, dans ce même ouvrage de 1988 coécrit avec Krivine. Il y polémique contre lui-même, pour approfondir l’adaptation pabliste à la pression front-populiste et à l’antisoviétisme : « Tout n’était pas possible en 1968 : on ne saute pas à pieds joints par-dessus son temps et les rapports de forces. Mais autre chose était certainement possible. » Il insiste plus loin : « Aujourd’hui encore, nous restons convaincus qu’il y avait d’autres possibilités, d’autres issues, d’autres voies. Non pas le grand soir et la Révolution majuscule, mais le renversement du régime par la grève et par la mobilisation extraparlementaire. » Il préfère balayer une formulation qu’il juge maintenant trop à gauche, rendant claire sa vision que la grève générale pouvait obtenir la démission de De Gaulle dont il attend qu’il serait remplacé par un front populaire. En 2007, dans un nouvel article dans lequel Bensaïd réitère que « tout n’était pas possible », sa défense de Mai 68 contre les attaques de Sarkozy se conclut par un vibrant appel implicite à voter
Royal.
« Tout est possible » était une formule utilisée par le centriste Marceau Pivert en 1936. A l’époque, Trotsky polémiquait durement contre Pivert qui, tout en parlant de révolution, était à l’intérieur de la SFIO (le parti social-démocrate de l’époque) dont il représentait l’aile gauche, et allait finir dans le service de propagande du gouvernement Blum. Trotsky cherchait à arracher les jeunes et les ouvriers qui étaient influencés par Pivert afin de leur montrer les contradictions de la politique de Pivert pour couvrir le maintien de l’ordre capitaliste. Celui qui a répondu à Pivert « tout n’est pas possible » en 1936 était Thorez, le fossoyeur de la situation révolutionnaire. Bensaïd et Krivine savent parfaitement cela. Aussi est-ce avec un certain cynisme que ces deux-là reprennent la formule de Thorez pour dénoncer les positions qu’ils avaient en 1968. Avec la distance du temps, on peut constater que politiquement, ils ont glissé des positions centristes de Pivert à celles, réformistes, de Thorez.
Aujourd’hui, la LCR est lancée dans la construction de son NPA (Nouveau parti anticapitaliste). Nous l’appelons le nouveau parti anticommuniste parce que c’est une claire acceptation et intégration de la campagne sur la mort du communisme. Dans tous ses meetings, Besancenot n’oublie jamais d’expliquer qu’il y a eu une fin de cycle dans les années 1990, que le cycle de la Révolution de 1917 était fini et que les références au communisme, au léninisme ou au trotskysme étaient dépassées pour lui. Et de nous présenter un « socialisme du 21e siècle » avec des propositions d’un classicisme social-démocrate affligeant : prendre aux riches pour distribuer aux pauvres, que la classe ouvrière contrôle le capitalisme, etc., ce qu’il résume par « révolutionner la société ». Et surtout, il est prêt à participer à un gouvernement bourgeois s’il est « anticapitaliste ».
L’économisme de VO/LO en Mai 68
A l’opposé de l’avant-gardisme étudiant des pablistes, VO (Voix ouvrière) avait une orientation solidement prolétarienne, mais essentiellement économiste. Dans la brochure que LO a sortie cette année pour le quarantième anniversaire de 1968, ils indiquent :
« Il était évident que “les dix millions de travailleurs en grève ne revendiquaient pas le pouvoir”. Ils n’avaient même pour la plupart aucune idée de ce que cela pouvait signifier, et ce n’étaient surtout pas Séguy, Waldeck-Rochet ou Marchais qui étaient susceptibles de les éclairer sur ce point. Mai 1968, ce n’était évidemment pas la situation d’octobre 1917, avec des conseils ouvriers acquis à l’idée de s’emparer du pouvoir, ni même février 1917, avec des soviets constituant de fait un pouvoir parallèle à celui du gouvernement provisoire. Il n’y avait en France, en 1968, aucun embryon de dualité de pouvoir contestant au nom de la classe ouvrière, ne serait-ce que de fait, le pouvoir de la bourgeoisie, pas même au niveau des entreprises, où il n’existait des comités de grève représentatifs des travailleurs en lutte que dans un nombre infime d’entreprises. »
C’est vrai, mais ils disent cela pour faire croire que l’émergence de tels conseils était impossible. Ce faisant, LO a besoin de falsifier la réalité, et ce qu’ils falsifient, c’est l’ampleur de la paralysie du pays, du pouvoir gaulliste et de l’Etat. Ils font disparaître la possibilité, ouverte par les mobilisations ouvrières, qu’une direction révolutionnaire transforme les comités de grève en véritables organes du pouvoir prolétarien.
Mais alors qu’ils reprochent à Séguy ou Waldeck-Rochet de ne pas éclairer les travailleurs sur ce que pouvait signifier le pouvoir des travailleurs, on peut aussi constater que les travailleurs n’étaient pas plus éclairés par la presse et les tracts de VO (d’après ce que LO en a republié depuis). En effet ils concluent ce passage en expliquant le programme de VO pendant toute la période de mai-juin 1968 :
« Sur le simple plan des revendications économiques, elles auraient non seulement revendiqué des hausses de salaires supérieures aux misérables propositions du “constat de Grenelle”, le retour immédiat aux quarante heures, mais aussi l’échelle mobile des salaires, seule manière d’empêcher le patronat de revenir par l’inflation en quelques mois sur ce qu’il avait dû concéder. Non pas en laissant au gouvernement le soin d’évaluer le rythme de l’inflation, et les corrections qui devaient en découler sur les salaires, mais en appelant les travailleurs à organiser eux-mêmes ce contrôle. »
C’est là effectivement tout le programme et toutes les revendications que l’on retrouve dans tous les tracts et articles de mai-juin 1968 de VO-LO. La seule chose qu’ils y ajoutent aujourd’hui, c’est bien sûr « le contrôle des travailleurs sur la comptabilité des entreprises pour savoir quelle était la situation exacte de celles-ci ». On peut constater que le programme de VO en 1968 est le même que celui de la CGT. Seuls les montants revendiqués pour le salaire minimum, etc., sont plus importants.
Pour nous c’est l’intervention, sur son programme, du parti révolutionnaire qui va changer la conscience des ouvriers et les arracher aux griffes des réformistes et des centristes. Ce parti sera construit par la formation de cadres et l’organisation des éléments les plus conscients de la classe ouvrière, l’avant-garde. Dans leur brochure, on voit que VO ne va expliquer la nécessité d’en finir avec le capitalisme que début juin, quand le moment le plus fort de la grève est déjà passé.
Lénine avait énoncé les bases de sa conception du parti dans son texte de 1902, Que faire ?, où il expliquait que « La conscience politique de classe ne peut être apportée à l’ouvrier que de l’extérieur, c’est-à-dire de l’extérieur de la lutte économique, de l’extérieur de la sphère des rapports entre ouvriers et patrons. » Lénine se battait à l’époque contre les « économistes », comme LO, qui insistaient que les ouvriers peuvent prendre conscience de leurs tâches historiques de façon spontanée, à travers leurs luttes économiques. Et c’est cette conception économiste de VO-LO qui explique que leur programme d’intervention pendant tout mai-juin 1968 n’a jamais dépassé le cadre d’un programme de simples revendications économiques, avec quelques centimes de plus que la CGT/PCF, comme je l’ai expliqué tout à l’heure. Cela explique aussi pourquoi pour LO tout cela n’était qu’une grosse grève comme tous les économistes ils finissent par faire porter le blâme en fin de compte aux ouvriers en disant qu’ils n’étaient pas prêts ni suffisamment conscients pour lutter pour le pouvoir, alors que c’est le rôle du parti révolutionnaire de clarifier devant la classe ouvrière sa tâche historique de fossoyeur du capitalisme, ce qui veut dire aussi combattre l’arriération sociale qui divisait la classe ouvrière selon des lignes de race et de classe, une chose qui ne préoccupait pas LO à l’époque, ni aujourd’hui.
VO et le front populaire
Confrontés aux manuvres pour un nouveau front populaire, avec ou sans le PC, ils ont soutenu le meeting de Charléty qui était le tremplin pour un front populaire sans le PCF. Voix Ouvrière du 28 mai (n° 28) parle ainsi d’une manifestation de 60 000 personnes qui s’est « faite autour des mots d’ordre “gauchistes” », s’enthousiasme du mot d’ordre « Séguy, trahison » sans signaler que ces mêmes manifestants vont scander le nom de Mendès France dès qu’ils le voient.
Une des rares fois où VO aborde l’alliance du PC et de la SFIO avec la bourgeoisie (Voix Ouvrière n° 30, 4 juin), c’est pour rappeler que la gauche a déjà été deux fois au pouvoir, ajoutant :
« Au lendemain de la seconde guerre mondiale, le Parti Communiste et le Parti Socialiste ont même eu à eux deux la majorité absolue aux élections. Mais le P.S. ne voulait pas gouverner sans le M.R.P., et le P.C.F. s’est alors rallié, au nom de l’unité, au tripartisme. Quelles raisons avons-nous de croire que cette “gauche” parlementariste qui a toujours trahi ses promesses les tiendrait aujourd’hui ? Aucune. »
VO dit qu’on n’a pas de raison de croire aux promesses du front populaire, mais en réalité la promesse du PC et du PS c’est justement de faire une alliance avec la bourgeoisie : celle-ci ne peut se faire que selon les termes de cette dernière, c’est-à-dire contre les intérêts des travailleurs. VO n’explique pas cela, parce que pour elle l’alliance de partis ouvriers avec la bourgeoisie n’est pas une question de principe ou une question de classe. Et donc, trois semaines plus tard, dans le premier numéro de Lutte Ouvrière (le 24 juin, après la dissolution de VO et des autres organisations, VO se reconstitue sous le nom de Lutte ouvrière), LO appelle quasi explicitement les ouvriers à voter pour ces mêmes organisations alliées aux bourgeois ou qui cherchent une telle alliance. Lors de la dernière fête de LO, François Duburg, un des dirigeants historiques de LO, s’est offusqué qu’on dise cela et l’a nié, mais voilà ce qu’ils ont publié entre les deux tours des élections législatives :
« il est cependant vraisemblable qu’un grand nombre d’électeurs de la gauche, écurés par l’attitude du P.C.F. et de la F.G.D.S. qui ont sabordé la grève générale, se sont abstenus au premier tour. Peut-être ceux-là voteront-ils au second tour pour, malgré tout, marquer leur opposition au gaullisme de la seule façon qui soit possible dans ces élections. On verra alors remonter les voix de la gauche. Cela ne sera pas suffisant pour empêcher l’U.D.R. d’avoir de nouveau une majorité à la Chambre.
« Et c’est bien dommage ! C’est bien dommage que F.G.D.S. et P.C.F. ne puissent pas accéder au pouvoir : leur véritable visage de serviteurs de la bourgeoisie apparaîtrait alors clairement aux yeux de tous. [
]
« Oui, c’est bien dommage qu’ils ne puissent accéder au pouvoir. Et s’il en est encore temps, les travailleurs, même déçus, doivent tenter de les y envoyer à l’occasion de ce second tour. Sans illu[sions sur ce que ces gens-] là seraient capables de faire une fois au pouvoir, mais simplement pour que les choses soient plus nettes et plus claires »
(C’est moi qui ai mis une ligne qui a sauté.)
Bien sûr VO n’était pas le groupe LO d’aujourd’hui qui a soutenu la contre-révolution en URSS ou en Pologne. Mais on voit déjà en filigrane le vote « sans illusion mais sans réserve » pour Mitterrand en 1981. Maintenant, depuis la destruction de l’URSS et la chute du niveau de conscience de la classe ouvrière qui a suivi la campagne sur la « mort du communisme », l’adaptation de LO les amène à embrasser ouvertement le front-populisme.
Comme je l’ai dit, les trotskystes devaient appeler à ne pas voter pour les candidats du front populaire dans ces élections, y compris pour les membres de partis ouvriers qui se présentaient sur les listes d’un front populaire bourgeois. Le numéro 5 de Spartacist en français de mai 1974 titrait « Pas seulement une bêtise, mais un crime », en attaquant le soutien de l’OCI (l’organisation de Pierre Lambert, prédécesseur de son nouveau « Parti ouvrier indépendant ») au candidat de l’Union de la gauche Mitterrand dès le premier tour des élections présidentielles de 1974. (En fait, en 1974, nous avions accordé un soutien critique à Arlette Laguiller, parce qu’elle se présentait au premier tour contre le front populaire de Mitterrand, même si nous mettions en garde par avance et avec raison qu’ils capituleraient probablement au deuxième tour.) En 1977, deux ans après sa fondation, la LTF est intervenue dans les campagnes électorales en appelant à s’abstenir, ou à voter pour des candidats qui se présentaient en opposition à l’alliance avec les Radicaux de gauche et en rupture avec le programme commun de gestion du capitalisme.
Lutte ouvrière et la question du parti
Dans le débat entre LO et les pablistes lors de la fête de LO de cette année, la question de l’appel de VO en 1968 pour la construction d’un parti regroupant tous les révolutionnaires a ressurgi. En effet, dans les premiers numéros de LO (après la dissolution de VO), il y a de grands éditoriaux appelant à ce que tous les « révolutionnaires » se regroupent. (Ils auraient même vu d’un bon il la formation d’un grand PSU basé sur le meeting de Charléty voir leur article dans le numéro du 31 mai de Voix Ouvrière « Une “troisième force” à gauche ? ») Leurs arguments : il y a des milliers de jeunes et d’ouvriers qui cherchent une voie révolutionnaire, mais ils sont déroutés par la multiplicité de petits groupes ; les révolutionnaires, qu’ils soient trotskystes, maoïstes ou anarchistes, doivent se mettre ensemble, même s’ils ont des divergences, car le temps presse ; tous les révolutionnaires ont en face d’eux la bourgeoisie et les bureaucrates et étaient au coude à coude pendant les grèves même avec des divergences ; le parti devra permettre aux différentes tendances d’exister, et ce sera un devoir pour ces tendances d’exprimer publiquement leurs divergences en un mot un parti menchévique tout en faisant référence sur ce point au parti bolchévique ! Si LO parle en permanence des « idées révolutionnaires » partagées par tous les groupes, à aucun moment elle ne dit quelles sont les divergences politiques entre ces groupes et encore moins elle ne parle du programme sur lequel ces groupes devaient se regrouper.
On peut faire un parallèle avec ce qu’a fait Trotsky dans les années 1930, en particulier de 1933 à 1938, pour la fondation de la Quatrième Internationale. Pendant toutes ces années, le combat de Trotsky se faisait sur les questions de programme, avec des questions comme la défense militaire inconditionnelle de l’URSS ou la lutte intransigeante contre le front populaire qui étaient au cur des débats. Le résultat de ces années de luttes, dans une période de temps où des événements révolutionnaires comme 1936 en Espagne ou en France se sont déroulés, a été une base avec un programme d’acier, le Programme de transition, sur lequel la Quatrième Internationale a été fondée. On peut voir que la démarche de LO est à l’exact opposé de celle de Trotsky.
L’appel de LO était une extension du comité de liaison permanent des pablistes avec VO, créé dès le 19 mai, c’est-à-dire dès le début de la grève. Le programme de ce comité permanent était lui aussi strictement économiste et totalement similaire à celui de la CGT : SMIC à 1000 francs, paiement des jours de grève, droits syndicaux dans l’usine, etc. Ils allaient juste rajouter, par rapport aux revendications de la CGT, un mot d’ordre de « dissolution des forces répressives de l’Etat bourgeois », un mot d’ordre réformiste utopique. Ce comité appelait déjà toutes les organisations se réclamant du trotskysme à s’y associer.
Nos camarades de la SL/U.S. ont répondu à ce comité dans l’article de Spartacist de 1968, reproduit dans la brochure de la LTF de 1988, et ils donnent l’essentiel des réponses :
« Cependant, l’axe sur lequel l’unité d’action VO-pablistes était basé est erroné. La déclaration conjointe appelait “toutes les organisations qui se réclament du trotskysme à s’associer à cette initiative”. Les camarades de VO estiment que les événements récents constituent “le 1905 français”. Rappelons-nous que la suite de la Révolution russe de 1905 fut l’unification des bolchéviks et des menchéviks ! Il fallut à Lénine plusieurs années pour rompre cette unité excessivement fraternelle. »
Et nous continuions :
« Ce qu’a mis en lumière en France la dernière trahison du PCF et de la CGT, ce n’est pas la nécessité d’un “regroupement trotskyste”, mais la nécessité d’un nouveau parti révolutionnaire basé sur un programme bolchévique qui a fait ses preuves, et qui unira tous ceux, même s’ils viennent de tendances comme les maoïstes et les syndicalistes, qui sont pour les comités ouvriers de pouvoir. Nous espérons que VO, les bolchéviks français, n’a pas été aussi désorientée que les bolchéviks russes le furent en 1905. »
Cette dernière phrase rappelle que nous avions des relations fraternelles avec VO à l’époque. Nous les avions rencontrés en 1966 à la conférence de Londres du Comité international anti-pabliste de laquelle nous avons été exclus pour notre position que Cuba était un Etat ouvrier déformé. Nous cherchions des liens au niveau international. Pour ces relations fraternelles, nous avions fait des échanges de militants avec VO. Quand les militants que nous avions envoyés en France pour travailler avec VO-LO sont revenus aux Etats-Unis, ils avaient été gagnés aux conceptions politiques économistes de VO. Une bataille s’est déroulée dans le parti, dont vous pouvez trouver les textes centraux dans notre brochure Lutte ouvrière : économisme et étroitesse nationale. Cette bataille était contre l’économisme de LO, donc sur la conception léniniste du parti.
Les conséquences de mai-juin 1968
Mai 68 a eu de considérables répercussions internationales. Il y a eu le « mai rampant » en Italie qui a culminé avec l’« automne chaud » de 1969, et plus tard la révolution portugaise en 1974. Dans les deux cas il manquait un parti révolutionnaire, et les situations furent trahies par les staliniens et les sociaux-démocrates avec l’aide des pseudo-révolutionnaires. Une multitude de mouvements sociaux vont se développer dans beaucoup de pays. Toute la période post-68 sera une période avec beaucoup d’agitation. Les staliniens et les sociaux-démocrates en France, tirant les leçons de 1968, créeront l’Union de la gauche sur la base du programme commun, et ils arriveront à dévier toutes les luttes, avec l’aide des pseudo-révolutionnaires, derrière ce front populaire jusqu’à obtenir la victoire électorale en 1981.
Mai 68 a aussi largement réglé leur compte aux « théories » affirmant que la classe ouvrière n’était plus le facteur révolutionnaire dans les pays industriels avancés. Si elles étaient très répandues dans les années soixante, mai-juin 1968, avec le rôle qu’a joué la classe ouvrière, a tordu le cou à ces théories. Cela, entre autres, a permis de recruter rapidement aux Etats-Unis, ce qui a été la base pour la transformation de la SL/U.S. en groupe de propagande de combat, et nous avons pu jeter les bases pour notre extension internationale ultérieure.
Les pablistes et LO, ainsi que les lambertistes, ont notamment recruté dans la foulée de Mai 68. C’est le seul cas en Europe continentale d’organisations se disant trotskystes et regroupant plusieurs milliers de membres. C’est ce recrutement massif dans l’après-1968 qui fait qu’aujourd’hui encore ces organisations survivent avec un grand nombre de membres. Dans les années qui ont suivi, ces groupes ont évolué vers la droite sous la pression de la deuxième guerre froide et de la croisade anticommuniste qui en France était dirigée par Mitterrand. Ces organisations ont toutes soutenu les forces contre-révolutionnaires antisoviétiques dans les années 1980 et les différents fronts populaires. Leur adaptation et leur intégration au front populaire aujourd’hui est le reflet sur le terrain national de leur abandon d’une perspective révolutionnaire, qui s’est exprimée dans la question russe.
Tirer les conclusions politiques justes de mai-juin 1968 c’est comprendre que la question clé de cette situation pré-révolutionnaire, c’était la question du parti. La tâche aujourd’hui est de reforger la Quatrième Internationale de Léon Trotsky, le parti mondial de la révolution, et d’apprendre les leçons de 1968. C’est la tâche que nous poursuivons aujourd’hui. Rejoignez-nous ! Pour de nouvelles révolutions d’Octobre !
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