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Le Bolchévik nº 186

Décembre 2008

Le marxisme et l’armée

Lettre

Nous reproduisons une lettre du 16 juin 2008 reçue du Pays basque et traduite par nos soins, avec la réponse du Bolchévik.

* * *

Félicitations pour avoir adopté votre nouvelle ligne sur les postes exécutifs de l’Etat bourgeois. Par contre je suis en désaccord sur votre article dans le Bolchévik n° 183 sur l’armée et la police.

L’armée ne peut se scissionner selon des lignes de classe que si c’est une armée de conscription. Le caractère de classe d’une armée professionnelle (comme l’armée espagnole) a la même nature de classe que la police.

Une armée professionnelle ne peut pas être scissionnée, une armée de conscription, si. Cette nuance est fondamentale.

* * *

Paris, le 16 septembre 2008

Cher I.,

Je réponds tardivement à la note que tu avais envoyée en juin, à propos du Bolchévik n° 183.

Dans cette note, tu te disais en désaccord avec notre position sur l’armée, faisant référence à l’article « Grande-Bretagne : des “socialistes” qui s’entichent de flics et de matons », dans lequel nous disions :

« Dans une situation révolutionnaire, les marxistes cherchent certainement à scissionner l’armée selon les différentes classes qui la composent, à gagner les “ouvriers (et paysans) en uniforme” aux côtés du prolétariat révolutionnaire. Mais, faisant de la lèche au Socialist Party, la BT obscurcit volontairement le gouffre qui sépare les soldats, qui sont utilisés comme chair à canon dans les guerres des capitalistes, et les flics qui s’engagent pour casser des grèves et les os des jeunes d’origine immigrée. »

Je voudrais rappeler la position fondamentale des marxistes : l’armée, avec la police, les matons, les juges, représente l’Etat bourgeois. Ce sont les bandes d’hommes armés chargées de protéger la petite minorité qui détient les moyens de production face à l’immense majorité de ceux qui n’ont rien sinon leur force de travail à vendre (les prolétaires) et tous les opprimés.

Aussi, que l’armée bourgeoise soit de conscription ou professionnelle, nous continuons de faire nôtre le mot d’ordre de Wilhelm Liebknecht : Pas un sou, pas un homme pour l’armée bourgeoise ! Cependant, les contradictions de classe se maintiennent au sein de l’armée bourgeoise. La police est pour le maintien de l’ordre intérieur, en clair la répression de la classe ouvrière et des minorités. Ceux qui s’y engagent le savent parfaitement. L’armée est officiellement pour « la défense de la patrie » ou « la défense de la nation », ce qui explique qu’une armée peut être une armée de conscription, mais qu’il n’y a pas de « police de conscription ». C’est cette différence qui fait que des contradictions peuvent apparaître au sein de l’armée, y compris d’une armée professionnelle, entre les officiers (qui savent clairement qu’ils peuvent aussi être appelés à maintenir l’ordre intérieur) et les soldats. On peut résumer cette différence dans le fait que le travail des soldats est de tuer et d’être tués alors que le travail des flics est de ne pas être tués.

On peut se rendre compte de cette contradiction en France, où l’armée est aussi une armée professionnelle, dans le fait que des jeunes de banlieue, qui sont confrontés à des taux de chômage très élevés, se tournent plus facilement vers l’armée pour s’engager et survivre (avec la promesse d’une formation pour un métier dans le monde civil après leur « service » – ingénieur, cuisinier, etc.) plutôt que de s’engager dans la police et de se retrouver à taper sur leurs (ex) camarades. Ceci revient à une conscription économique dans les faits. Pour trouver leur chair à canon les impérialistes se tournent vers les jeunes pauvres, ce qui fait que les minorités y sont représentées de façon disproportionnée, et cette présence représente un talon d’Achille pour la classe dirigeante. Nous l’avions entraperçu lors de la guerre des Balkans de 1999 où le porte-avions d’où partaient les bombardiers français, selon certaines rumeurs, avait été obligé de rebrousser chemin à la suite d’une mutinerie de jeunes d’origine maghrébine.

Les révolutionnaires cherchent à exacerber ces contradictions de l’armée – qu’elle soit de conscription ou professionnelle –, par exemple en s’opposant à toute discrimination raciale, de classe ou sexuelle en son sein. En exploitant ces contradictions, les révolutionnaires seront capables, dans une période révolutionnaire, de la scissionner. Nier par avance la possibilité de la scissionner, c’est mettre en question la possibilité pour la classe ouvrière d’avoir le dessus au moment de l’insurrection.

Cette question doit être examinée concrètement selon les cas. En France, la gendarmerie, théoriquement un corps militaire qui jusqu’à présent dépendait du ministère de la guerre, est en réalité un corps de police encaserné, et il est d’ailleurs en cours de rattachement au ministère des flics. N’ayant pas de section en Espagne, nous ne sommes pas très au courant de l’état des différentes forces en armes dans ce pays. Toutefois, il nous semble que la Guardia Civil est sous de nombreux égards un équivalent de la gendarmerie française, pas de l’armée proprement dite. Pour beaucoup elle représente l’héritage honni du franquisme, du coup d’Etat de Tejero en 1981 à la répression contre les nationalistes basques.

Un autre exemple, extrême, a été donné par la Reichswehr de la République de Weimar. Comme nous l’expliquons dans Spartacist n° 34, c’était « une armée constituée uniquement de volontaires extrêmement motivés dont beaucoup provenaient des rangs des Freikorps […]. Scissionner l’armée n’était donc pas facile, mais, du fait de sa faible taille (elle était limitée à 100 000 hommes d’après les termes du traité de Versailles), elle n’était guère plus qu’une force de police de bonne dimension. Ce ne serait pas une force [armée] adéquate pour écraser une insurrection prolétarienne nationale menée avec détermination. »

Là où la conscription existe, nous refusons les sursis ou autres faveurs pour l’éviter. Nous ne sommes pas volontaires pour les forces armées bourgeoises, mais quand ils sont appelés, nos camarades font leur service avec le reste de leur génération, en cherchant à éduquer les soldats et à les gagner à notre point de vue révolutionnaire et contre leur propre bourgeoisie. Sur les campus, comme tu as pu le voir dans le même numéro du Bolchévik, nous luttons contre le recrutement effectué par le corps des officiers.

J’espère que cette lettre te donnera suffisamment d’arguments pour réfléchir et changer ta position.

Reçois nos salutations communistes,

Henri-François

 

Le Bolchévik nº 186

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