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Le Bolchévik nº 175 |
Mars 2006 |
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Venezuela : Nationalisme populiste contre révolution prolétarienne
La vendetta de la Maison Blanche contre Chávez
Limpérialisme américain continue de représenter une menace certaine pour le gouvernement vénézuélien dHugo Chávez. Depuis quil a été élu président en 1998, Chávez a survécu à un éphémère coup dEtat (en 2002), aux efforts, sur plusieurs mois, dune partie de la bourgeoisie vénézuélienne pour couper la production de pétrole, et à un référendum sur sa destitution largement financé et soutenu, comme le reste, par Washington. Et sil nétait pas embourbé en Irak, le gang Bush aurait très bien pu organiser des provocations plus graves encore.
Les raisons mêmes qui font de lui une gêne pour larrogante bourgeoisie américaine, font de Chávez une idole pour un grand nombre de pauvres des bidonvilles au Venezuela et de militants de gauche dans le monde entier. Chávez a traité Bush de con (pendejo) et il donne ostensiblement laccolade à lennemi public numéro un de Washington en Occident, le dirigeant cubain Fidel Castro. Chávez a condamné loccupation américaine en Irak et dénoncé les politiques économiques « néolibérales » quavancent les Etats-Unis en Amérique latine et ailleurs. Il a mis en place des programmes sociaux qui profitent aux pauvres des villes et des campagnes ; il a mis dans lembarras le gouvernement Bush en offrant son assistance aux habitants de La Nouvelle-Orléans qui avaient tout perdu. Plus récemment, le Venezuela a commencé à fournir aux pauvres du Bronx et de certaines régions du Massachusetts du pétrole et du gaz à bas prix.
En janvier 2005, quand Chávez, sous les auspices du Forum social mondial de Porto Alegre, au Brésil, a proclamé que le capitalisme devait être « transcendé » par le socialisme, son auditoire, composé en grande partie de militants de gauche, sest mis à entonner tels des supporters de football en liesse « Olé, Olé, Olé, Chávez, Chávez ». Mais Chávez nest pas un socialiste. Cest un ancien colonel de larmée parvenu à la tête de lEtat capitaliste et, en tant que tel, cest un ennemi de la lutte pour le socialisme cest-à-dire la lutte pour une révolution ouvrière qui exproprierait la bourgeoisie. En fait, Chávez sinscrit dans la lignée dune série dofficiers bourgeois qui ont pris le pouvoir sur la base du populisme nationaliste, depuis le colonel Juan Perón dans lArgentine des années 1940 jusquau colonel Gamal Abdel Nasser en Egypte au cours des années 1950. Dans les années 1950 et 1960, alors que des mouvements nationalistes soutenus par les Soviétiques secouaient le monde semi-colonial, il ny avait presque pas un seul de ces démagogues capitalistes qui ne se réclamait dune certaine forme de « socialisme » ou de « marxisme-léninisme ». Nasser décréta le « socialisme arabe », sempara du canal de Suez aux dépens des impérialistes français et britanniques en 1956 et procéda à toute une série de nationalisations. Cela ne lempêcha toutefois pas de diriger lexploitation des travailleurs égyptiens pour le compte de limpérialisme en brisant les grèves, en soumettant les syndicats à lEtat capitaliste, en arrêtant et en torturant les communistes.
Nous nous opposons à limpérialisme américain en tant que marxistes internationalistes. Si un nouveau coup dEtat soutenu par les Etats-Unis venait à se produire, nous appellerions encore une fois la classe ouvrière internationale à se mobiliser pour défendre militairement le gouvernement de Chávez (voir « La CIA prend Chávez pour cible », Workers Vanguard n° 787, 20 septembre 2002). En même temps, nous nous opposons au régime nationaliste-bourgeois de Chávez. Ainsi, lors du référendum sur sa destitution organisé par les opposants de droite au régime, nous appelions à labstention plutôt quau vote non, car celui-ci aurait représenté une marque de confiance envers Chávez. Comme nous lécrivions dans « Echec à la manuvre du référendum de limpérialisme américain Le dirigeant capitaliste populiste Chávez lemporte » (Workers Vanguard n° 831, 3 septembre 2004) : « Le problème qui se pose aujourdhui de manière urgente, cest non seulement de sopposer à lingérence de limpérialisme américain au Venezuela, mais aussi de lutter pour faire voler en éclats le soutien du mouvement ouvrier que ce soit à Chávez ou à lopposition, et de forger un parti ouvrier internationaliste révolutionnaire pour conduire la classe ouvrière au pouvoir. »
A lopposé de cette perspective, limmense majorité des socialistes et révolutionnaires autoproclamés agit en agents publicitaires « de gauche » au service de la « révolution bolivarienne » de Chávez. Parmi eux, la Tendance marxiste internationale (TMI) de Ted Grant joue un rôle de premier plan. Elle est basée au Royaume-Uni et est dirigée aujourdhui par Alan Woods, qui a écrit un véritable panégyrique intitulé The Venezuelan Revolution A Marxist Perspective [La révolution vénézuélienne Une perspective marxiste] (2005). Alors que les autres opportunistes se prêtent occasionnellement à la critique de Chávez, Woods et ses acolytes se flattent carrément dêtre les conseillers « trotskystes » du caudillo au verbiage de gauche. En auréolant ainsi Chávez de létiquette de défenseur des pauvres et des opprimés, la TMI et Cie préparent en réalité le massacre des travailleurs. Lier la classe ouvrière et ses organisations à un dirigeant bourgeois quel quil soit ne sert quà empêcher la lutte indépendante de la classe ouvrière. A lopposé de ce que font les groupes tels que la TMI, les marxistes cherchent à préparer la classe ouvrière vénézuélienne à combattre réellement les forces meurtrières de la réaction bourgeoise, quelles soient dirigées par Chávez ou ses adversaires bourgeois.
Chávez et limpérialisme
Pour mieux comprendre la différence entre le nationalisme populiste et le marxisme prolétarien authentique, nous pouvons décortiquer les arguments utilisés par les soi-disant marxistes de la TMI pour justifier leur soutien à la « révolution bolivarienne ». Dans un article en ligne du 1er mars 2005 (www.marxist.com) « Le président Chávez réaffirme son opposition au capitalisme », le porte-parole de la TMI Jorge Martín déclare que lorsque Chávez est arrivé au pouvoir en 1998, « il ne partait pas dun point de vue socialiste. Il sétait engagé à éradiquer linégalité, la pauvreté, la détresse de millions de Vénézuéliens. Cependant, il croyait au début quil pouvait y arriver en restant dans le cadre du système capitaliste. » Martín continue plus loin :
« Comme le président Chávez était réellement déterminé à résoudre ces problèmes, loligarchie a massivement choisi linsurrection armée contre le gouvernement démocratiquement élu. [
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« Cest cette riche expérience du mouvement révolutionnaire face aux provocations constantes de la classe dirigeante qui a conduit Chávez et beaucoup dautres dans le mouvement révolutionnaire bolivarien, à la conclusion suivante : Dans le cadre du capitalisme, il est impossible de résoudre les défis que pose la lutte contre la pauvreté, la misère, lexploitation, linégalité. [
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« Cette dynamique daction et de réaction de la révolution vénézuélienne nous rappelle puissamment les premières années de la Révolution cubaine. Cest au cours dun processus dattaque et de contre-attaque que la direction de la Révolution cubaine, qui navait pas commencé avec lintention de renverser le capitalisme, a été forcée de le faire pour résoudre les besoins les plus urgents des masses. »
Mis à part le fait que Chávez « ne partait pas dun point de vue socialiste » (et il nen part toujours pas), il ny a pas une affirmation de ce passage qui ne soit erronée ou trompeuse. Nous traiterons plus tard dans cet article de lidée que « la direction de la Révolution cubaine » devrait être un exemple pour les révolutionnaires dAmérique latine. Contentons-nous pour linstant de montrer que la comparaison entre Cuba sous Castro et le Venezuela de Chávez déforme grossièrement la réalité. Quand larmée rebelle de Castro est entrée dans La Havane le 1er janvier 1959, larmée bourgeoise et ce qui restait de lappareil dEtat capitaliste, sur lesquels sappuyait le dictateur Batista (soutenu par les Etats-Unis), se sont effondrés comme un château de cartes. Au moment où Castro, en 1961, proclama que Cuba était « socialiste », la bourgeoisie cubaine et les impérialistes américains avaient tous fichu le camp, suivis par leurs sbires de la CIA et de la mafia, tandis que la moindre parcelle de propriété capitaliste avait été expropriée, jusquau dernier marchand de glaces. Ce qui a été créé à Cuba, cest un Etat ouvrier bureaucratiquement déformé. Au contraire, Chávez, lui, a pris la tête dun Etat capitaliste, et cest un Etat capitaliste quil dirige aujourdhui ; la bourgeoisie vénézuélienne est bien vivante et les impérialistes continuent leurs fructueuses affaires avec le Venezuela, même si la Maison Blanche enchaîne menaces et provocations.
Si Chávez est arrivé au pouvoir, cest surtout pour « résoudre le problème » de la diminution des profits issus de lexploitation pétrolière, lâme de la bourgeoisie vénézuélienne. Il a immédiatement pris des mesures pour mettre au pas les syndicats des ouvriers du pétrole et pour rendre lindustrie pétrolière dEtat plus efficace, tout en faisant pression sur le cartel des pays producteurs de pétrole, lOPEP, pour augmenter les prix. Cest pour ce type defforts et pour assurer la stabilité politique que Chávez était au début soutenu par la plus grande partie de la bourgeoisie, en particulier par ses anciens camarades du haut commandement militaire qui ont joué un rôle clé pour le remettre au pouvoir après le coup dEtat de 2002. Chávez a récupéré une partie des énormes profits générés par la hausse des prix du pétrole pour financer une série de mesures sociales : il a multiplié par trois le budget de lenseignement, mis en place des cliniques gratuites et des programmes de distribution gratuite de nourriture pour les pauvres, etc. Cependant le but ultime de ces mesures nest pas de réaliser une révolution sociale, mais bel et bien de lempêcher, en attachant plus fermement les masses dépossédées à lEtat vénézuélien.
Loligarchie vénézuélienne, à 100 % blanche, peut bien détester autant quelle le veut cet officier subalterne, ce parvenu qui senorgueillit de ses origines zambo (un métissage africain et indigène) ; il nen demeure pas moins que Chávez sert les intérêts de la bourgeoisie de Caracas et, à travers cette classe, de limpérialisme mondial. Tout en parlant de « la nervosité qui règne dans les conseils dadministration » quant aux politiques populistes du régime, un article du New York Times du 3 novembre 2005 intitulé « Chávez relooke le Venezuela avec le socialisme du XXIe siècle » rapporte sobrement : « Jusquici il ny a pas eu dexode notable des compagnies étrangères opérant au Venezuela. Le prix du brut permet aux compagnies pétrolières et aux banques de réaliser des profits record tout en inondant le pays, cinquième exportateur mondial, de pétro-dollars. »
Lors de son discours de Porto Alegre, Chávez sest empressé de rassurer la bourgeoisie vénézuélienne et ses chaperons impérialistes quil ne sagit pas « de cette espèce de socialisme que nous avons vu en Union soviétique », cest-à-dire une économie collectivisée et planifiée fondée sur le renversement du pouvoir capitaliste quil a dénoncé comme un « capitalisme dEtat » et comme une « perversion ». Il a précisé très clairement que son amitié avec le leader cubain ne sétend pas à son économie collectivisée : « Cuba suit sa propre voie, le Venezuela suit la sienne. » Il a exalté le Brésil de Lula, auquel il sest identifié : Lula, qui fut populiste, applique désormais les mesures daustérité dictées par les impérialistes. En résumé, ainsi que Chávez la déclaré dans son émission télévisée Aló Presidente le 22 mai 2005, sa vision du « socialisme du XXIe siècle » nest « en contradiction ni avec les entreprises privées, ni avec la propriété privée ».
Cest vrai ! Et tant que la propriété privée capitaliste dominera, les masses resteront soumises à lexploitation et à loppression, et le développement économique sera subordonné aux diktats du marché capitaliste mondial, en particulier des monopoles pétroliers impérialistes. Il ne peut y avoir damélioration continue du sort des pauvres à la ville comme à la campagne sans lécrasement de lordre social capitaliste qui doit mener, par une série de révolutions prolétariennes dans le monde entier, à un ordre mondial sans classes, dans lequel toute forme dexploitation et doppression aura été éliminée.
Trotsky et la révolution permanente
Cest cette compréhension qui était au cur de la Révolution doctobre 1917. Dirigés par Lénine et Trotsky, les travailleurs de Russie organisés sur la base de leurs propres intérêts de classe dans des conseils ouvriers démocratiquement élus (les soviets) ont balayé lEtat capitaliste et lont remplacé par un Etat ouvrier. Sous la direction des bolchéviks, les ouvriers se sont mis à la tête de tous les opprimés, en particulier lénorme armée de paysans pauvres et sans terre ; de plus ils voyaient leur révolution comme le coup denvoi dune lutte nécessairement internationale du mouvement ouvrier contre la tyrannie du capital.
Nous sommes loin de ce qui sest passé lors de la Révolution cubaine ! Là, le Mouvement du 26 Juillet de Castro était composé dune guérilla paysanne et dintellectuels petits-bourgeois déclassés qui sétaient détachés de la bourgeoisie tout en étant indépendants du prolétariat. Dans des conditions normales, les rebelles castristes auraient marché sur les traces dinnombrables mouvements similaires en Amérique latine, ne maniant une rhétorique démocratique radicale que pour permettre à la bourgeoisie de reprendre le contrôle. Le gouvernement petit-bourgeois de Castro ne fut capable de briser les relations de propriété bourgeoise que grâce à un concours de circonstances exceptionnel : labsence de la classe ouvrière en tant que prétendante à part entière au pouvoir, lencerclement par des impérialistes hostiles et la fuite de la bourgeoisie nationale, et enfin la bouée de sauvetage jetée par lUnion soviétique.
Lexistence de lEtat ouvrier dégénéré soviétique fut cruciale. Cest lui qui apporta à Cuba une assistance économique et une protection militaire pour garder à distance le requin impérialiste, qui nest quà 150 km de lîle. A la différence de lUnion soviétique, où le programme révolutionnaire et internationaliste originel avait été foulé aux pieds par une bureaucratie conservatrice et nationaliste qui usurpa le contrôle politique aux ouvriers en 1923-1924, lEtat ouvrier cubain était bureaucratiquement déformé dès sa naissance.
En renversant le pouvoir capitaliste, la Révolution cubaine a mis un terme au pillage de lîle par les impérialistes et la bourgeoisie locale. Comme pour lEtat ouvrier dégénéré soviétique lorsquil existait, nous appelons à la défense militaire inconditionnelle de Cuba et des autres Etats ouvriers déformés qui restent la Chine, la Corée du Nord et le Vietnam contre la contre-révolution interne et lagression impérialiste. Cest la bureaucratie stalinienne castriste qui sape la défense de Cuba, en particulier lorsquelle caresse dans le sens du poil et fournit une couverture « révolutionnaire » à toutes sortes de régimes capitalistes anti-ouvriers. Ainsi que nous le disons dans la « Déclaration de principes et quelques éléments de programme » de la Ligue communiste internationale (Spartacist édition française n° 32, automne 1998) :
« Dans les circonstances historiques les plus favorables qui puissent se concevoir, la paysannerie petite-bourgeoise na été capable de créer quun Etat ouvrier bureaucratiquement déformé, cest-à-dire un Etat de même ordre que celui qui a émergé de la contre-révolution politique de Staline en Union soviétique, un régime antiouvrier qui a bloqué les possibilités dextension de la révolution sociale en Amérique latine et en Amérique du Nord, et qui a empêché Cuba daller plus avant vers le socialisme. Pour mettre la classe ouvrière au pouvoir politique et ouvrir la voie au développement socialiste il faut, en plus, une révolution politique dirigée par un parti trotskyste. Etant donné que lEtat ouvrier soviétique dégénéré a été détruit et que par conséquent il ny a plus de puissance vers qui se tourner face à lencerclement impérialiste, létroite ouverture historique dans laquelle les forces petites-bourgeoises ont pu renverser le régime capitaliste local sest refermée, ce qui met en relief la perspective trotskyste de la Révolution permanente. »
Daprès la théorie de la révolution permanente, formulée par Trotsky et dont la justesse a été vérifiée par la Révolution russe, dans les pays où le capitalisme a émergé tardivement, les tâches historiquement associées aux révolutions démocratiques-bourgeoises des XVIIe et XVIIIe siècles ne peuvent être réalisées quavec le prolétariat au pouvoir. Peu importe combien radicaux sonnent les discours de leurs représentants politiques ; les bourgeoisies des pays arriérés sont trop faibles, elles craignent trop leur prolétariat en plein essor, elles sont trop dépendantes de lordre impérialiste pour pouvoir résoudre les problèmes de la démocratie politique, de la révolution agraire et pour assurer leur développement national indépendant.
Il nest guère étonnant que le démagogue capitaliste Chávez idolâtre, à sa manière, Simón Bolívar, un homme que Karl Marx décrivait dans une lettre de février 1858 à Friedrich Engels comme « le coquin le plus lâche, le plus infâme, le plus misérable [...] ». Dans la contribution quil a écrite pour la Nouvelle encyclopédie américaine de 1858, Marx montre clairement comment le père fondateur du nationalisme latino-américain incarnait beaucoup des caractéristiques des bourgeoisies semi-coloniales dAmérique du Sud ayant émergé tardivement. Il était vénal, corrompu, lâche et autoritaire. Il abandonna à plusieurs reprises ses troupes en plein combat, poignarda ses camarades dans le dos et il sappuya sur limpérialisme britannique pour ses victoires. Lors de son premier triomphe en 1813, il sest fait rendre un hommage public, transporté dans un carrosse tiré par douze jeunes femmes des meilleures familles de Caracas, et sest autoproclamé « dictateur et libérateur des provinces occidentales du Venezuela ».
Les « marxistes » bolivariens de la TMI font marcher la révolution permanente sur la tête en argumentant que si une formation bourgeoise sengage réellement à lutter pour la démocratie, elle peut dune manière ou dune autre surmonter ses limitations historiques pour réaliser non seulement la démocratie, mais même le socialisme. Ainsi le porte-parole de la TMI Jorge Martín écrit que « Lidée centrale de la révolution permanente est que dans les pays coloniaux ou anciennement coloniaux, la lutte pour les tâches démocratiques-bourgeoises, si elle est menée à bien, doit conduire (dune manière ininterrompue ou permanente) à la révolution socialiste. » Lessence programmatique de la révolution permanente est la lutte pour lindépendance de classe du prolétariat vis-à-vis de toutes les ailes de la bourgeoisie semi-coloniale, quelles que soient leurs prétentions « progressistes » ou « anti-impérialistes ». Cette lutte ne peut être réalisée quà travers la construction dun parti ouvrier internationaliste et révolutionnaire en opposition à toutes les variantes de nationalisme bourgeois.
Réforme contre révolution
La tâche des marxistes est darracher au régime de Chávez son masque « socialiste », de mettre en garde les travailleurs contre le fait quil représente lennemi de classe. Si les concurrents opportunistes de la TMI ne se contentent pas de lui lécher les bottes et de baver devant sa « révolution bolivarienne », ils ne rejoignent pas moins la TMI en dépeignant le caudillo au verbiage gauche comme un allié potentiel de la classe ouvrière, quoique partial et peu fiable. Par exemple, le Comité pour une internationale ouvrière (CIO) de Peter Taaffe, basé au Royaume-Uni [la Gauche révolutionnaire en France], chante les louanges de Chávez car il a lancé un « débat sur le développement du socialisme » qui est « crucial pour lapprofondissement de la révolution vénézuélienne », mais il se plaint que « malheureusement » Chávez « na pas la perspective détendre une révolution socialiste à dautres [!] pays dAmérique latine » (dans « Venezuela : le socialisme de nouveau à lordre du jour », 6 octobre 2005).
Jetons maintenant un coup doeil sur la Ligue pour la cinquième internationale (L5I), rassemblée autour du groupe britannique Workers Power [Pouvoir ouvrier, disparu en France], qui intitule un chapitre de son livre Anticapitalisme : un guide rudimentaire du mouvement anticapitaliste (2005) : « Hugo Chávez : un nouveau dirigeant pour le mouvement anticapitaliste ? » En polémiquant contre les admirateurs des zapatistes mexicains, qui croient quil est possible de réaliser des changements sociaux sans prendre le pouvoir, la L5I écrit :
« Au moins Chávez montre quon ne peut pas obtenir de véritables réformes en suppliant, ce qui na guère apporté de résultats aux paysans mexicains, mais quon les obtient plutôt en prenant le pouvoir dans ses propres mains. La faute de Chávez tient à ce quil refuse de détruire tous les éléments de lEtat vénézuélien qui entravent et font échouer le progrès, en premier lieu la justice et la police. »
Chávez ne détruira pas ces agences de répression qui sont le noyau de lEtat bourgeois linstitution judiciaire, la police, le système carcéral et, « en premier lieu », larmée parce quil gère lEtat bourgeois. Balayer la dictature du capital au Venezuela, cest balayer le régime bourgeois par la révolution prolétarienne, et non réprimander le tyran capitaliste comme si cétait un apprenti sorcier. En effet, ainsi que sen plaignent ses adeptes de gauche, Chávez na même pas purgé son armée et sa police des nombreux récalcitrants, comme cela se produit habituellement après un coup dEtat en Amérique latine.
Sous son vernis de rhétorique pseudo-léniniste, la L5I se fait lavocat du réformisme social-démocrate le plus pur, cest-à-dire de lidée que lEtat bourgeois na pas besoin dêtre écrasé sur lenclume de la révolution prolétarienne, mais quil peut être réformé pour devenir un instrument de transformation sociale. En Grande-Bretagne, la mère patrie de Workers Power, cela a pris historiquement la forme dune loyauté servile à légard du Parti travailliste (dans lequel le groupe britannique de la TMI reste par ailleurs profondément enfoui). Au Venezuela, cela signifie jeter aux oubliettes le fait que lhomme fort populiste Chávez est lennemi de la lutte prolétarienne pour le socialisme.
Populisme, néolibéralisme : les deux faces dune même médaille
Pour bien comprendre la popularité de Chávez et de sa « révolution bolivarienne » parmi les jeunes militants de gauche idéalistes et parmi les vieux opportunistes roublards il faut se rappeler que nous vivons dans le contexte de la destruction contre-révolutionnaire de lURSS. Pour ces jeunes radicaux, gavés par plus dune décennie de propagande sur la « mort du communisme » aussi bien de la part de la droite que de la « gauche », la révolution dOctobre est bien souvent une « expérience ratée ». De même, ils rejettent la compréhension marxiste que seule la classe ouvrière peut mener la révolution sociale contre lordre capitaliste. De plus, il y a une confusion entre le capitalisme dans son ensemble et un ensemble particulier de politiques économiques connues sous le nom de « néolibéralisme » privatisation généralisée des services publics, destruction des programmes de protection sociale, expansion impérialiste sans limite.
Lhistoire récente du Venezuela démontre amplement que le néolibéralisme et le populisme ne sont que lavers et le revers dune même médaille, parfois mis en uvre par le même régime bourgeois à des époques différentes. Il en est ainsi dAndrés Pérez, leader dAction démocratique (AD), dont on se souvient comme le président qui nationalisa le pétrole et le charbon au milieu des années 1970 autant que comme celui qui fit découvrir aux Vénézuéliens les traitements de choc du FMI. AD se gargarisait de rhétorique social-démocrate et contrôlait la très corporatiste fédération syndicale CTV. Portée par la hausse des revenus du pétrole dans les années 1970, la bourgeoisie avait amassé une énorme richesse. En même temps, AD et le parti pro-catholique bourgeois COPEI, qui fut à diverses périodes aussi bien son rival que son partenaire, se trouvaient à la tête de lEtat où les ouvriers avaient les plus hauts salaires de toute lAmérique latine, où les produits alimentaires, les transports, léducation, la santé et autres besoins vitaux étaient subventionnés et un contrôle des prix touchait de nombreux domaines.
Mais dans les années 1980, le boom pétrolier seffondra, et la bombe à retardement que représentait lénorme dette contractée envers les impérialistes explosa, entraînant dégringolade du niveau de vie des travailleurs, coupes sombres dans les services sociaux et autres mesures daustérité draconiennes. La part de la population vivant sous le seuil de pauvreté doubla quasiment entre 1984 et 1995, passant de 36 % à 66 %. Comme lindustrie périclitait, de nombreux ouvriers autrefois syndiqués et de paysans sans terre furent contraints de se reconvertir dans l « économie informelle » à bas salaires, essayant de vivoter comme vendeurs de rue, serveurs, travailleurs temporaires, etc. Le taux de syndicalisation chuta de 26,4 % à 13,5 %, faisant de la CTV la chasse gardée dune couche relativement privilégiée de travailleurs du pétrole et dautres secteurs publics.
En 1989 Pérez introduisait son paquetazo, le « gros paquet » de mesures daustérité, provoquant en retour le Caracazo, des manifestations de masse qui furent violemment réprimées. Le livre les Politiques vénézuéliennes à lère Chávez (éd. Steve Ellner et Daniel Hellinger, 2003) contient un essai de Kenneth Roberts, qui écrit :
« La combinaison de la polarisation sociale et dune certaine indifférence politique sest montrée hautement inflammable après 1989, alors que les Vénézuéliens sen prenaient à lestablishment politique et jetaient leur dévolu sur toute une série de leaders indépendants et de partis de protestation. A la fin des années 1990, un désabusement généralisé produit une vague de soutien pour un outsider politique achevé : un ancien commandant parachutiste qui a enflammé limagination populaire en dirigeant une tentative manquée de coup dEtat contre un régime démocratique discrédité. »
Ce sont là des conditions tout à fait classiques qui permettent lémergence dhommes forts populistes tels que Chávez.
Le mexicain Lázaro Cárdenas est un autre exemple de nationaliste populiste latino-américain. Il nationalisa les compagnies pétrolières étrangères et procéda à des distributions de terres significatives aux paysans dans les années 1930. Cela ne lempêcha pas de briser des grèves et de se subordonner la classe ouvrière via la très corporatiste fédération ouvrière CTM. Trotsky écrit dans un article de mai 1939 intitulé « Industrie nationalisée et administration ouvrière » :
« Dans les pays arriérés sur le plan du développement industriel, le capital étranger joue un rôle décisif. Doù la relative faiblesse de la bourgeoisie nationale par rapport au prolétariat national. Cela crée pour le pouvoir dEtat des conditions particulières. Le gouvernement oscille entre le capital étranger et le capital indigène, entre la faible bourgeoisie nationale et le prolétariat relativement fort.
« Cela donne au gouvernement un caractère bonapartiste nettement marqué. Il sélève, pour ainsi dire, au-dessus des classes. En réalité, il ne peut gouverner que soit en se faisant linstrument du capitalisme étranger et en tenant le prolétariat dans les chaînes dune dictature policière, soit en manuvrant avec le prolétariat et en allant même jusquà lui faire des concessions, obtenant ainsi la possibilité dune liberté relative vis-à-vis des capitalistes étrangers. »
Le bonapartisme au Venezuela
Au Venezuela, le fondateur dAD, Rómulo Betancourt, gouvernait dans les années 1940 en association avec les militaires ; il purgea les communistes des syndicats, tout en parlant de socialisme ; il avait transformé la CTV en un servile appendice corporatiste dAD. Chávez suit le même scénario en produisant des réformes sociales dont le but est de consolider une base de soutien parmi les masses pauvres. Son objectif était dutiliser cette base comme un bélier non seulement contre ses ennemis dans loligarchie, mais aussi et surtout contre la fédération ouvrière CTV, dont les plus hauts dirigeants, en plus de faire partie dAD, étaient aussi liés à la CIA via la bureaucratie syndicale de lAFL-CIO aux Etats-Unis. Derrière son cri de guerre, « démocratiser » la CTV, Chávez cherche à mettre les syndicats à sa botte. Devenu président en 1998, il a déclaré que la CTV « doit être démolie », et il a tenté deux ans plus tard, sans succès, de labattre via un référendum antisyndicats. De leur côté, les bureaucraties syndicales de la CTV, pro-impérialistes notoires, se sont rangées aux côtés des magnats du pétrole et autres secteurs anti-Chávez de la bourgeoisie et de larmée lors de leur coup dEtat manqué en 2002, puis lors de la longue grève/lock-out de lindustrie pétrolière qui démarra plus tard cette année-là.
En avril 2003, la Force bolivarienne des travailleurs (FBT), membre de la CTV, ainsi que dautres bureaucrates syndicaux chavistas [pro-Chávez] créèrent une nouvelle fédération syndicale sous légide du gouvernement. LUnión Nacional de Trabajadores (UNT Union nationale des travailleurs) négocia 76,5 % des conventions collectives signées en 2003-2004 contre tout juste 20 % pour la CTV selon les chiffres du ministre du Travail de Chávez. LUNT a maintenant conquis les faveurs de lOrganisation internationale du travail des Nations Unies et des dirigeants pro-impérialistes du Congrès des syndicats (TUC) britanniques. Toute la pseudo-gauche mondiale senthousiasme à son propos, y compris des groupes qui se laissent aller à de tièdes critiques de Chávez lui-même. Ceux-là saluent en particulier les occupations dusines occasionnelles et les appels de lUNT à la « cogestión » (quils font faussement passer pour du « contrôle ouvrier ») comme la preuve que la « révolution bolivarienne » nest pas que le produit dune politique gouvernementale, mais est menée par la lutte de la classe ouvrière à la base de la société vénézuélienne.
Le journal de lInternational Socialist Organization (ISO) américaine, Socialist Worker, rapporte en sextasiant que les dirigeants de lUNT ont appelé à « la formation dun parti ouvrier de masse qui puisse se battre pour la révolution socialiste au Venezuela ». Prenant une pose un peu plus critique, lInternationalist Group (IG) écrit dans The Internationalist (septembre-octobre 2005) : « LUNT a adopté un langage socialiste et critique même les plans gouvernementaux de cogestion, en appelant au contrôle ouvrier. Cependant pas un seul des principaux secteurs de lUNT na adopté un programme révolutionnaire pour préparer la révolution socialiste. Ils cherchent plutôt à faire pression de la gauche sur le gouvernement Chávez. » Plaisante manière de décrire une fédération syndicale créée sous la tutelle de ce même gouvernement, surtout venant de lIG !
On ne sen douterait pas à la lecture de ce dernier article, mais lIG chantait une tout autre chanson en novembre 2000, dans un article intitulé « Contre Chávez, la Bourse et le FMI Venezuela : Mobilisez la puissance ouvrière pour faire échec au référendum antisyndicats ! » Cet article, publié en espagnol sur le site Internet de lIG, dépeint le populiste vénézuélien comme un simple laquais de la Bourse de Caracas et des impérialistes, tout en minimisant les dangers dune intervention impérialiste US et les liens organiques de la CTV avec la très bourgeoise AD et ses connexions historiques avec les fronts « ouvriers » de la CIA en Amérique latine.
Ce qui sautait aux yeux à lépoque, cétait que lIG ne décrivait pas la CTV comme corporatiste, omission dautant plus remarquable que cest cet argument qui lui servait de justification pour ne pas défendre la fédération ouvrière mexicaine CTM contre les attaques du gouvernement. Nous faisions alors observer : « Etant donné que, du Mexique à Porto Rico et au-delà, lIG a lhabitude de saligner derrière les nationalistes anti-impérialistes, on aurait pu sattendre à ce quil caresse Chávez, le nationaliste-populiste, dans le sens du poil » (« LIG et le Venezuela : le drôle de tandem auquel vous conduit lopportunisme », Workers Vanguard n° 787, 20 septembre 2002). Maintenant quil a bien senti doù vient le vent, lIG fait la course pour se placer sur le flanc gauche du fan club de la révolution bolivarienne. Et pour cela il expédie la CTV à la poubelle.
Les dirigeants de lUNT présentent sans aucun doute une façade plus radicale que ceux de la CTV, liée à la CIA, mais ils nen sont pas moins liés, pour leur part, au gouvernement capitaliste. Un reportage en ligne de Jorge Martín (www.handsoffvenezuela.org, 26 septembre 2005) raconte quen septembre lUNT et la FBT ont organisé un « atelier déducation politique » à Caracas « avec la collaboration du ministre du Travail ». Une résolution qui fut adoptée à cette occasion parlait de « la lutte historique pour lémancipation de la classe ouvrière », du « socialisme comme lespoir de toutes les classes opprimées du monde » et de la nécessité dexproprier les moyens de production. En prélude à cette prose passionnée, il y eut la promesse abjecte de « ratifier le rôle dirigeant de notre président Hugo Chávez Frias dans cette révolution démocratique et participative ». En labsence du combat pour lindépendance complète et inconditionnelle du prolétariat vis-à-vis de lEtat capitaliste et de ses partis politiques, tout discours sur la révolution socialiste et le parti ouvrier de masse ne sont que des paroles en lair.
Larnaque de la « cogestión »
En criant sur tous les toits son admiration pour cette arnaque quest la « cogestión », présentée par Chávez et lUNT comme le « contrôle ouvrier », la gauche réformiste aide lEtat capitaliste à resserrer son étau autour du mouvement ouvrier vénézuélien. Aux Etats-Unis, le Workers World Party exulte que « les travailleurs prennent le contrôle au Venezuela » : « Partout aujourdhui au Venezuela les travailleurs développent sans cesse de nouvelles formes dorganisations ouvrières. Là ils semparent des usines, ici ils expérimentent la cogestion. Les travailleurs remettent en cause les vieilles relations de classe et prennent conscience de leur rôle historique collectif dans la lutte pour le socialisme » (Workers World, 5 mai 2005).
Dans la terminologie marxiste, le contrôle ouvrier nest pas une institution ni une exigence dont on peut confier la réalisation à la bourgeoisie. Cest une situation de double pouvoir dans le système de production lors dune crise révolutionnaire, cest-à-dire quand les ouvriers ont le pouvoir dopposer leur veto aux décisions de gestion quils napprouvent pas. Elle ne peut prendre fin que si les ouvriers prennent le pouvoir dEtat par la révolution socialiste ou si les capitalistes réaffirment leur pouvoir à travers la contre-révolution. Ce que la cynique « gauche » pro-Chávez fait passer pour du « contrôle ouvrier » est en fait une combine qui vise à institutionnaliser la collaboration de classes et à lier les organisations ouvrières plus étroitement aux capitalistes et à leur Etat. Il ny a là rien de nouveau. Dans un article inachevé de 1940, « Les syndicats à lépoque de la décadence impérialiste », Trotsky écrit :
« La gestion des chemins de fer et des champs de pétrole sous le contrôle des organisations ouvrières na rien de commun avec le contrôle ouvrier sur lindustrie, car, en fin de compte, la gestion est entre les mains de la bureaucratie ouvrière, qui est indépendante des travailleurs, mais en retour complètement sous la dépendance de lEtat bourgeois. »
La papeterie Venepal (devenue Invepal) est aujourdhui le principal exemple de « contrôle ouvrier » au Venezuela. Alors quelle employa jusquà 1 600 ouvriers, il nen restait plus que 350 lorsque lentreprise en faillite fut nationalisée en janvier 2005. Connaissant de graves difficultés financières depuis 1997, elle na tout simplement pas été capable de reprendre la production après avoir soutenu le lock-out de 2002 contre Chávez. Les ouvriers ont fini par faire appel à ce dernier qui décida de nationaliser la société. Toutefois, la société devait initialement être dirigée directement par lEtat ; ce nest que plus tard que la structure de cogestion entre les ouvriers et le gouvernement fut mise en place, sous la surveillance directe de la ministre du Travail María Cristina Iglesias. Six mois après sêtre écriée « socialisme ! » à propos de la nationalisation de Venepal, la TMI était contrainte de reconnaître dans un article en ligne du 18 juillet 2005 que « les dirigeants du syndicat ont pris des mesures pour dissoudre ce dernier, et ils espèrent maintenant racheter les parts de lEtat dans lentreprise pour en être les seuls propriétaires et empocher tous les profits de la production » (Jorge Martin, « Chávez annonce lexpropriation des industries fermées »).
Considérons un autre exemple de « cogestion », la fonderie daluminium ALCASA à Ciudad Guayana, dont le conseil dadministration comprend désormais deux directeurs élus par les ouvriers et quatre nommés par lEtat, daprès un reportage du Militant (15 août 2005), journal du Socialist Workers Party américain. Un dirigeant local du syndicat Sintralcasa explique pourquoi il est contre la nationalisation totale : « Nous dépendons beaucoup de léconomie américaine, donc nous ne voulons pas abattre lempire. » Un autre dit : « Maintenant que nous avons la cogestion, les syndicats ne parlent plus daugmentation des salaires », et il continue : « nous devons augmenter la production et abaisser les coûts. »
Le Socialist Worker de lISO affirme à ses lecteurs que la « cogestión na rien à voir avec la cogestion social-démocrate ». En fait cest essentiellement ce quelle est, une variante de ce qui est connu en Allemagne sous le vocable Mitbestimmung (codécision), réalisée par des conseils dusine (Betriebsräte) qui, selon la loi pas toujours appliquée, comprennent des représentants de la direction. Lexemple de l« autogestion » en Algérie post-coloniale, au début des années 1960, est peut-être encore plus pertinent au regard de la situation au Venezuela. LUnion générale des travailleurs algériens (UGTA) organisa des comités dautogestion ouvriers indépendants dans les usines, ainsi que dans les propriétés agricoles abandonnées par les colonialistes français. Craignant que cela ne remette en cause son autorité, le régime nationaliste-bourgeois du FLN (Front de libération nationale) au langage très à gauche dAhmed Ben Bella, força linstitutionnalisation de lautogestion et enrégimenta lUGTA. Après avoir fermement entravé le pouvoir de la classe ouvrière, le « socialiste » Ben Bella fut renversé par une révolution de palais.
Michel Pablo, qui fut conseiller du gouvernement FLN capitaliste, joua un rôle central dans la trahison des travailleurs algériens. Dans sa brochure le Monde en révolution, il se vante davoir « aidé à codifier et à institutionnaliser lautogestion en Algérie, et davoir écrit le projet de Loi de réforme algérienne et de la politique économique et sociale du pays entre 1962 et 1965 » (voir « Ils napprennent jamais », Workers Vanguard n° 86, 21 novembre 1975). Quelques années auparavant, en tant que dirigeant central de la Quatrième Internationale trotskyste (QI), Pablo avait rédigé un programme liquidationniste qui fut responsable de la destruction de la QI. Aujourdhui, la TMI dAlan Woods, dont la filiation politique remonte directement à Pablo, aspire à jouer le même rôle au Venezuela.
Lhistoire réserve un verdict cruel à ces militants « de gauche » qui font la promotion de lun ou de lautre des caudillos capitalistes au langage gauche. On ne gagne pas à sa cause les opprimés des Amériques en faisant passer des hommes forts nationalistes pour des révolutionnaires et des aventures populistes pour des révolutions. Il faut au contraire construire les sections nationales dune Quatrième Internationale reforgée dans lesprit de lhostilité révolutionnaire sans compromis à toute forme de pouvoir capitaliste. Au sud du Rio Bravo, de tels partis doivent être construits à travers la lutte politique contre les profondes illusions dans le populisme et le nationalisme. Aux Etats-Unis, lantre de la bête impérialiste, le parti ouvrier révolutionnaire sera construit dans la lutte pour faire rompre le prolétariat davec les partis Démocrate et Républicain, les deux partis du capital, et pour remplacer les bureaucraties pro-impérialistes de lAFL-CIO par une direction lutte de classe.
Traduit de Workers Vanguard n° 860, 9 décembre 2005 |
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