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Le Bolchévik nº 216

Juin 2016

La marginalisation des Métis et la lutte pour un gouvernement ouvrier centré sur les Noirs en Afrique du Sud

Pour un parti léniniste d’avant-garde,tribun de tous les opprimés !

Nous reproduisons ci-dessous la traduction d’un article publié en décembre 2015 sous forme de supplément à Spartacist South Africa, le journal de la section sud-africaine de la Ligue communiste internationale. Le terme « métis » (coloured) fait référence à la population racialement mélangée, qui est pour partie d’origine malaise.

* * *

La « nouvelle » Afrique du Sud a maintenant 21 ans et, parmi tous les mythes proclamés en 1994, celui de la « nation arc-en-ciel » est peut-être aujourd’hui le mensonge le plus flagrant de tous. Quiconque a des yeux pour voir peut constater que l’Afrique du Sud est aujourd’hui tout sauf un exemple d’harmonie raciale. En fait, et à beaucoup d’égards, les antagonismes raciaux n’ont fait que s’intensifier ces dernières années et l’on peut observer un durcissement des positionnements raciaux chez différents groupes opprimés ainsi que dans la minorité blanche privilégiée. L’exclusivisme ethnique ou racial s’affiche de plus en plus, par exemple sous forme d’autocollants et T-shirts « 100 % zoulou », « 100 % venda » ou « Métis et fier de l’être ». Et d’après une étude publiée en 2014 par l’Institut pour la justice et la réconciliation (IJR), seuls 52,8 % des Blancs interrogés en 2013 étaient d’accord avec l’affirmation que l’apartheid avait été « un crime contre l’humanité » (contre 70,3 % en 2003).

Pour les marxistes, ce type d’évolution rétrograde sur le plan idéologique est fondamentalement le produit de la réalité matérielle et sociale violemment oppressive et raciste qui demeure le trait fondamental de la vie en Afrique du Sud. Plus de vingt ans après la fin du système d’apartheid, où la ségrégation raciale et la suprématie blanche étaient inscrites dans la loi, l’immense majorité de la population non blanche vit toujours dans la misère du « tiers-monde » à côté d’une enclave privilégiée où vit principalement la minorité blanche. Malgré une augmentation modérée des interactions sociales interraciales (principalement parmi les riches), les rapports entre Blancs et Noirs sont toujours dans une large mesure des rapports entre maîtres et serviteurs. L’oppression et l’humiliation raciales constituent la base matérielle de l’idéologie raciste parmi les Blancs ; on le voit notamment aux nombreuses agressions racistes visant des domestiques noirs, que rapportent les médias. A plus grande échelle, le massacre de Marikana en 2012 est venu brutalement rappeler qu’aujourd’hui la vie d’un ouvrier noir ne vaut pas plus cher que sous l’apartheid.

L’aggravation des divisions raciales, tribales et autres parmi les masses non blanches opprimées est aussi un produit du système raciste de néo-apartheid administré et défendu par le gouvernement de l’Alliance tripartite dirigée par l’ANC [Congrès national africain]. Loin d’avoir apporté la « vie meilleure pour tous » qu’il avait « promise » en 1994, ce gouvernement supervise la surexploitation d’une main-d’œuvre majoritairement noire par la même classe capitaliste qui était au pouvoir sous l’apartheid – avec maintenant une pincée de visages non blancs. L’Alliance tripartite cherche à détourner la colère qui monte à la base de la société et éviter qu’elle ne se retourne contre elle-même et contre la classe dirigeante capitaliste raciste ; il est inévitable pour cela qu’elle s’emploie à dresser différentes couches opprimées de la population les unes contre les autres.

Depuis les années 1990, nous avons expliqué à de nombreuses reprises que si le mécontentement des masses qui gronde ne trouvait pas à s’exprimer en termes de classes, il alimenterait et aggraverait des divisions diverses et variées. 62 personnes ont perdu la vie dans les pogroms anti-immigrés meurtriers de 2008 ; d’autres flambées moins importantes de violence anti-immigrés sont devenues monnaie courante – une preuve accablante de cette triste réalité.

L’objectif de la Ligue communiste internationale (quatrième-internationaliste), dont Spartacist/South Africa est la section sud-africaine, est l’instauration d’une société communiste mondiale. Alors seulement on pourra éliminer la pénurie grâce à un développement qualitatif de la production, lui-même rendu possible par la collectivisation des richesses et des ressources de la société au service des besoins humains. Dans une société communiste, toutes les formes de discrimination et d’oppression raciales – et avec elles l’existence même des races, des ethnies et des nationalités comme catégories ayant une signification sociale – ne seront plus que des souvenirs d’un passé capitaliste barbare. Mais pour y parvenir, il faudra une série de révolutions ouvrières pour mettre à bas la domination capitaliste, en particulier dans les centres impérialistes. Combattre les préjugés raciaux, nationaux et autres qui aujourd’hui divisent de façon bien réelle la classe ouvrière est une tâche cruciale pour forger la direction révolutionnaire – c’est-à-dire un parti d’avant-garde léniniste – indispensable à la victoire de la classe ouvrière.

Comment s’expriment les divisions entre Noirs et Métis sous le néo-apartheid

Les tensions raciales entre la majorité noire et la minorité métisse ont des expressions et des causes variées, mais il y a un facteur important : le sentiment de marginalisation des Métis dans l’Afrique du Sud de l’après-1994. Comme on l’entend souvent dire, beaucoup de Métis pensent qu’« il n’y a pas de marron dans la nation arc-en-ciel ». Cette marginalisation a contribué à renforcer le ressentiment envers les Noirs, les nationalistes bourgeois de l’ANC étant vus comme des représentants de la majorité noire qui favoriseraient celle-ci aux dépens des Métis. Ces tensions et cette défiance sont bien sûr attisées et manipulées par les capitalistes, leurs partis politiques et leurs médias aux ordres qui les exploitent à leur profit. Elles ne s’expriment pas toujours ouvertement et restent souvent souterraines, mais les histoires abondent où elles éclatent au grand jour quand une étincelle ou une autre vient mettre le feu aux poudres.

Un exemple récent : le conflit entre parents d’élèves et enseignants noirs et métis suite à la nomination d’une directrice noire et de deux directeurs adjoints noirs à l’école primaire de Roodepoort, une école racialement intégrée qui accueille une majorité d’élèves noirs, située dans le quartier principalement métis de Davidsonville à Roodepoort (à l’Ouest de Johannesburg). Cette nomination ayant été considérée comme un affront aux habitants et aux élèves métis, une campagne de protestation a été lancée en février 2015 à l’initiative d’un « Forum des citoyens de Davidsonville » (DCF) pour exiger le limogeage de ces trois directeurs et leur remplacement par des candidats métis. Même si le DCF et certains acteurs de ce mouvement de protestation affirment que leurs récriminations n’auraient « rien de racial » et qu’il s’agirait d’accusations de corruption dans le processus de nomination, il est clair que cette affaire a tout à voir avec des tensions raciales. La politique anti-Noirs du DCF apparaît clairement sur sa page Facebook, où était postée en juillet dernier une invitation à la réunion de lancement de l’« Association patriotique d’Afrique du Sud à Davidsonville » pour la province de Gauteng, adressée à « toute organisation, quelle qu’elle soit, qui pense que les Métis, les Indiens, les Khoïsan, les Afrikaners et les autres minorités marginalisées a [sic] maintenant besoin de défendre politiquement les siens » !

Ce mouvement de protestation était manifestement dirigé contre les Noirs. Les parents affirmaient ainsi que les élèves métis de cette école « avaient besoin d’un directeur appartenant à leur propre race » (news24.com, 22 février 2015) et ils se plaignaient que ce soient « seulement juste les Noirs qui […] créent la violence » (702.co.za, 20 février). Ces parents d’élèves dénonçaient également avec virulence le syndicat des enseignants SADTU : un communiqué du DCF accusait des membres du SADTU de corruption et exigeait l’ouverture d’une enquête des « Faucons » [la brigade anti-corruption de la police] visant ce syndicat. Le DCF estimait aussi que le SADTU était responsable de l’état lamentable de l’éducation ; il l’accusait de n’avoir « aucune perspective ni aucun idéal […] à part s’intéresser surtout à son propre développement et à la protection de ses membres ».

Les marxistes s’opposent par principe à toute intrusion de l’Etat capitaliste dans les syndicats. Nous avons des critiques politiques très dures vis-à-vis de la direction procapitaliste du SADTU ainsi que des autres syndicats. Mais notre perspective est de remplacer ces directions traîtres par une direction lutte de classe qui chercherait à renforcer la capacité de lutte des syndicats contre les patrons. Appeler l’Etat à intervenir, comme le fait le DCF, c’est chercher à paralyser les syndicats. Le mouvement ouvrier doit faire le ménage chez lui ; ce n’est pas à l’ennemi de classe de le faire.

La bipolarisation raciale à Davidsonville affaiblit la position de tous les enseignants et elle rend inévitablement plus difficile de lutter contre les réductions de budget et autres attaques qui vont dégrader les conditions d’étude des élèves. Les enseignants noirs de cette école ont fait bloc derrière la directrice (leur patronne) tandis que les enseignants métis ont refusé de faire cours pour exiger son remplacement. Des lettres annonçant des sanctions disciplinaires auraient été envoyées à 14 enseignants en juin 2015. Tandis que les tensions raciales s’envenimaient, l’école a été fermée à plusieurs reprises, et au moins une manifestation – où parents d’élèves métis et noirs se faisaient face – a été dispersée violemment par les flics à coups de balles en caoutchouc. Un cocktail Molotov a été lancé en août 2015 sur la voiture de la directrice devant l’école.

Un autre incident s’est produit en mars 2012 dans la ville agricole de Grabouw (à l’Est de la ville du Cap), dans la province du Cap-Occidental. Cela a commencé par des manifestations contre les classes surchargées et le manque de ressources dont disposait l’école en langue xhosa de la région : environ 1 900 élèves s’entassaient dans un bâtiment de 600 places. D’après le journal The Times (20 mars 2012), il était prévu initialement que des habitants noirs et métis de Grabouw aillent protester dans la ville du Cap. La veille au soir, des Noirs ont commencé à brûler des pneus et à dresser des barricades dans les rues. Une salle de classe d’une école en langue afrikaner voisine (où la majorité des élèves étaient métis et environ 40 % noirs) a été incendiée lors de ces incidents. Ceci a provoqué de fortes tensions et une journée entière d’affrontements entre Noirs et Métis accompagnés d’insultes racistes des deux côtés ; plusieurs personnes ont été agressées par des bandes.

Comme cela arrive particulièrement souvent au Cap-Occidental (la seule province où l’ANC n’est pas au gouvernement et où les Métis sont majoritaires), ces tensions étaient attisées par l’ANC et ses rivaux politiques bourgeois de l’Alliance démocratique (DA), un parti néolibéral dominé par les Blancs qui est au pouvoir au Cap-Occidental. Ces deux partis faisaient à l’époque campagne pour une élection partielle dans la région et ils cherchaient à gagner des voix en mobilisant implicitement et explicitement les antagonismes et préjugés raciaux (tout en le niant bien sûr avec cynisme). Helen Zille par exemple, qui était à l’époque dirigeante de la DA et Premier ministre du Cap-Occidental, vitupérait sur Twitter contre les « réfugiés de l’éducation » originaires du Cap-Oriental qui soi-disant surchargeaient le Cap-Occidental – une tentative à peine dissimulée d’attiser les sentiments racistes anti-Xhosas.

The Times citait une habitante métisse de Grabouw dans la foule qui s’était rassemblée devant l’école afrikaner : « Eux, ces Noirs, ils sont venus et ils ont brûlé l’école de nos enfants. Pourquoi ? Nous avons attendu cette école tellement longtemps. Ils doivent attendre leur tour. » De fait, on trouve, à la racine de la plupart des affrontements raciaux parmi les masses opprimées non blanches, la lutte désespérée pour quelques misérables miettes tombées de la table des capitalistes. C’est un des mécanismes fondamentaux par lesquels la bourgeoisie, une minuscule minorité fabuleusement riche au milieu d’un océan de misère, perpétue sa domination. Ce n’est pas spécifique à l’Afrique du Sud : le tristement célèbre spéculateur américain Jay Gould se vantait au XIXe siècle de pouvoir « embaucher la moitié de la classe ouvrière pour tuer l’autre moitié ».

Pour les communistes, briser ces divisions rétrogrades suppose fondamentalement de mettre en avant l’intérêt objectif essentiel que les travailleurs noirs et métis ont à s’unir pour lutter contre leur ennemi commun, la classe dirigeante capitaliste raciste et ses représentants politiques – dont l’ANC et DA. Cette unité de classe ne peut nullement résulter automatiquement du mécontentement grandissant des masses ; il faut lutter pour. Cela veut dire lutter contre toutes les manifestations d’oppression raciale et contre tous les préjugés raciaux, ethniques et nationaux.

On a souvent recours à un cliché pour décrire le sentiment de marginalisation des Métis depuis 1994 : « Avant nous n’étions pas assez blancs, et aujourd’hui nous ne sommes pas assez noirs. » Mohamed Adhikari, un universitaire métis de la ville du Cap qui a beaucoup écrit sur l’identité métisse, explique à ce sujet :

« Une des causes principales de l’insatisfaction des Métis dans le nouvel ordre […] est que les membres de la communauté métisse, et en particulier les classes laborieuses, ont l’impression de n’avoir retiré que peu ou pas de bénéfices tangibles de la nouvelle donne […]. Au Cap-Occidental, le démantèlement des distorsions qui découlaient de la Politique d’emploi préférentiel pour les Métis n’a pas seulement affecté négativement la communauté métisse ; il est aussi vu comme le résultat d’une politique gouvernementale favorisant injustement les Africains. »

Not White Enough, Not Black Enough – Racial Identity in the South African Coloured Community, Double Storey, 2005

A beaucoup d’égards, le niveau de vie des masses métisses s’est effectivement significativement détérioré depuis le début des années 1990. Pour ne citer que quelques exemples, le nombre de Métis vivant sous le seuil de pauvreté a augmenté de 20 % entre 1996 et 2012 ; le taux d’incarcération des Métis (qui représentent 18 % de la population carcérale) est beaucoup plus élevé que parmi les autres groupes raciaux ; et les problèmes sociaux comme la violence des gangs, l’usage de drogues et l’alcoolisme touchent plus sévèrement les pauvres de la communauté métisse que ceux d’autres communautés.

S’ajoute à tout cela le fait que les membres du gouvernement central et d’autres responsables haut placés de l’ANC prononcent régulièrement de violentes diatribes anti-Métis, à rebours du « non-racialisme » officiellement professé par ce parti. Ces envolées chauvines reprennent parfois la ligne nationaliste que, puisque les Métis étaient des « privilégiés » sous l’apartheid, leur oppression était moins réelle et ils méritent de souffrir davantage aujourd’hui. Par exemple, Tokyo Sexwale a un jour déclaré qu’il avait envie de « vomir » quand « d’autres essaient d’utiliser [nos] légitimes griefs » (Cape Times, 19 septembre 1994). En d’autres occasions, il s’agit simplement de reprendre les pires stéréotypes racistes sur les Métis ; ainsi Roderick Blackman Ngoro (alors conseiller médias du maire ANC de la ville du Cap) déclarait en 2005 que les Métis « mourront comme des ivrognes » s’ils ne « subissent pas une transformation idéologique » – autrement dit, s’ils ne votent pas pour l’ANC. Pas étonnant que peu de Métis aient suivi ce conseil.

Il est essentiel de porter au grand jour et combattre ce nationalisme répugnant ; cela fait partie intégrante d’une bataille contre les préjugés anti-Métis au sein du prolétariat noir et de la population noire déshéritée. Il faut faire comprendre aux travailleurs noirs qu’il va aussi de leur intérêt vital de s’opposer aux attaques du gouvernement capitaliste de l’ANC contre la population métisse : cette lutte est cruciale pour préserver l’intégrité de la classe ouvrière et sa capacité à mener une lutte de classe contre l’ennemi commun. On en a eu une illustration particulièrement frappante en 1997 quand le gouvernement de la province de Gauteng, dirigé par Sexwale, a commencé à réclamer les arriérés de loyer et les factures impayées des résidents de la township métisse d’Eldorado Park, en justifiant cette décision avec de la démagogie nationaliste (qu’il fallait faire payer les « privilèges » dont les Métis bénéficiaient sous l’apartheid). Depuis cette époque, le gouvernement ANC a lancé des attaques du même genre contre les résidents des townships noires.

L’impasse du communautarisme métis

En même temps que nous combattons la démagogie anti-Métis de l’ANC et autres nationalistes noirs, nous sommes conscients que le cliché du « pas assez noirs » est l’expression d’une conscience arriérée, en réaction à la marginalisation tout à fait réelle des Métis et à leur oppression qui se perpétue sous le néo-apartheid. Cette fausse conscience se manifeste sous diverses formes, souvent contradictoires, mais elle se caractérise par un communautarisme métis pseudo-nationaliste : les intérêts des Métis sont vus comme distincts de ceux de la majorité noire (et dans de nombreux cas opposés à celle-ci) ; en conséquence de quoi les Métis devraient « défendre leurs propres intérêts ». En termes politiques pratiques, cela se traduit essentiellement par le soutien à la DA et à d’autres partis bourgeois blancs, considérés comme un soi-disant « moindre mal ».

La politique du moindre mal dans un cadre bourgeois s’accompagne souvent de préjugés anti-Noirs qui jouent sur les stéréotypes racistes des Africains considérés comme étant par nature corrompus, violents, etc. Un acteur métis de renom, Anthony Wilson, déclarait par exemple en 2003 à l’occasion d’un forum sur l’identité métisse, lors d’un festival artistique : « Les Boers volaient, mais au moins ils avaient un budget et ils ne volaient pas tout. Ils volaient la crème, mais les noirauds volent la crème, le lait et le seau. Nous avons troqué cinq millions de fermiers contre 34 millions de Noirs » (Cape Argus, 2 avril 2003). Ce poison raciste anti-Noirs serait une douce musique aux oreilles de P. W. Botha, qui dans les années 1980 avait créé le « Parlement tricaméral » pour offrir une représentation politique bidon aux Métis et aux Indiens tout en excluant les Noirs – une tentative (ratée) de perpétuer la domination de la minorité blanche par une politique de diviser pour régner.

La diatribe de Wilson fit polémique, y compris parmi les commentateurs politiques métis. Nigel Pierce, une vedette de la radio au Cap, condamna fermement le fiel raciste déversé par Wilson et par tous ceux qui, comme lui, diffusent le mythe du swart gevaar (« péril noir ») ainsi que des sentiments de supériorité raciale au sein de la population métisse : « Si nous nous engageons dans cette voie, nous nous marginaliserons. » De son côté, Rhoda Kadalie défendit Wilson, dont les propos étaient selon lui « très encourageants, parce que je pense que les gens ont besoin de parler de cela […]. Les Métis estiment à juste titre qu’ils n’ont pas eu leur part du gâteau et qu’ils n’ont que des miettes. » Cet argument, tout comme les efforts de Wilson lui-même pour justifier ses remarques racistes (il disait que « les opprimés ne doivent pas devenir les oppresseurs »), exploitent et renforcent l’idée très commune et fausse que la hiérarchie raciale dans l’Afrique du Sud post-apartheid aurait d’une certaine manière été inversée et que, si les Métis souffrent, c’est parce que, maintenant, ce seraient les Noirs qui tiendraient le haut du pavé.

C’est là un tableau profondément erroné de la nature du capitalisme de néo-apartheid. Au niveau économique, c’est tout simplement absurde. Selon presque tous les critères sociaux (pauvreté, chômage, espérance de vie) il est absolument évident que la hiérarchie raciale qui existait sous l’apartheid demeure intacte : les Blancs au sommet, les Indiens et les Métis dans les couches intermédiaires, et les Noirs tout en bas. Le revenu moyen par foyer des Blancs représentait par exemple en 2012 1,5 fois celui des Indiens, 3,6 fois celui des Métis et 6 fois celui des Noirs.

Les partisans du communautarisme métis font souvent une analogie entre l’ANC de l’après-1994 et le Parti national (NP) de l’après-1948. C’est tout aussi faux. La politique du NP avait réellement bénéficié sur le plan économique à la population blanche dans son ensemble ; il avait éliminé toute trace de pauvreté chez les Blancs et garantissait même aux Blancs les moins qualifiés des emplois bien payés dans la fonction publique. De son côté, l’ANC n’a de toute évidence rien réalisé de tel pour l’immense majorité des Noirs, dont les conditions de vie ont à beaucoup d’égards empiré depuis 1994. Et il ne pouvait d’ailleurs pas en être autrement, car la principale source de profits pour les capitalistes sud-africains est toujours, comme c’est le cas depuis plus d’un siècle, la surexploitation des travailleurs noirs.

L’exploitation de classe et l’oppression raciale se recouvrent ici dans une grande mesure. C’est le produit très particulier de la manière dont la colonisation européenne s’est déroulée en Afrique du Sud. Ceci n’a pas fondamentalement changé en 1994, car autrement il n’y aurait eu aucune possibilité de solution négociée entre l’ANC et le pouvoir blanc. Ce qui a changé, c’est que l’Alliance tripartite dirigée par l’ANC a été installée au gouvernement pour jouer le rôle d’hommes de paille noirs de la classe dirigeante capitaliste, qui est (toujours) blanche dans son écrasante majorité. Certes, cela a aussi eu pour résultat le développement d’une élite noire privilégiée, dont une poignée de capitalistes noirs comme Patrice Motsepe et Cyril Ramaphosa, qui ont utilisé leurs accointances politiques pour devenir des exploiteurs pour leur propre compte.

C’est un mensonge éhonté (colporté à la fois par des individus comme Anthony Wilson et par l’Alliance tripartite) de dire que le gouvernement bourgeois et l’élite noire seraient représentatifs de la majorité noire. S’il fallait encore une preuve que c’est un mensonge, on l’a eue avec le massacre de Marikana, y compris le rôle de Ramaphosa qui a encouragé l’action de la police pour le compte du conseil d’administration de Lonmin. Marikana a révélé crûment que ce gouvernement ne représente pas du tout les intérêts des masses noires, mais ceux des capitalistes sud-africains et de leurs parrains impérialistes.

Le communautarisme métis est tout simplement une voie sans issue ; il ne fait qu’isoler les Métis opprimés de leur meilleur allié potentiel, le prolétariat noir, et les enchaîner à leurs pires ennemis, les patrons blancs racistes. Il n’y en a pas de preuve plus claire que le soutien considérable des Métis à la DA et à d’autres partis blancs, particulièrement au Cap-Occidental, lors des élections de 1994 et de celles qui ont suivi.

Beaucoup à gauche ont cru de façon impressionniste que la collaboration entre les militants anti-apartheid noirs et métis voulait dire que les divisions raciales avaient été éliminées. Par exemple, l’United Democratic Front (UDF), la formation alignée sur l’ANC qui avait mené la campagne pour le boycott du Parlement tricaméral en 1984, avait une base de masse dans la population métisse du Cap-Occidental. L’UDF et d’autres militants de gauche métis étaient favorables à la « politique du refus métis », la notion idéaliste (en réaction à la politique raciste de l’apartheid de diviser pour régner) que l’existence d’une population métisse distincte était simplement une invention artificielle du pouvoir blanc.

Ces militants de gauche furent choqués de voir, aux élections de 1994, qu’une majorité des Métis du Cap-Occidental avaient voté pour le Parti national, qui l’emporta dans cette province en grande partie grâce à une grossière campagne de propagande swart gevaar. Comme l’avait fait remarquer la LCI à l’époque : « La perspective de la mise en place d’un gouvernement nationaliste noir, aussi libérale que puisse être sa posture idéologique, a ouvert des brèches visibles au sein de la population non blanche » (« La poudrière sud-africaine », Black History and the Class Struggle n° 12, février 1995).

L’ANC prit le contrôle du Cap-Occidental lors des élections de 1999 et de 2004 (avec cependant dans les deux cas une minorité des voix), dans un contexte où le NP était en voie de disparition et où la DA était en train de devenir le principal parti d’opposition blanc. Depuis 2009, la DA l’emporte au Cap-Occidental avec une nette majorité, à la fois en exploitant le mécontentement et le ressentiment des Métis face aux attaques menées par l’ANC contre les pauvres et à sa démagogie anti-Métis, et en attisant les préjugés anti-Noirs avec des tactiques de swart gevaar.

Pas besoin d’être un apologiste des nationalistes bourgeois de l’ANC pour reconnaître que les néolibéraux de la DA n’ont rien de bon (non plus) à offrir aux opprimés quels qu’ils soient, y compris notamment les Métis. Dans la ville du Cap et dans la province du Cap-Occidental, les exécutifs locaux dirigés par la DA font régner la terreur des flics contre tous ceux qui osent relever la tête et lutter contre l’oppression raciale et la pauvreté – qu’il s’agisse de communautés de pêcheurs ou de mal-logés métis, de Noirs dans les bidonvilles ou d’ouvriers agricoles métis. La répression et les provocations antisyndicales montrent la vraie signification du néolibéralisme écœurant de la DA avec sa « société ouverte, qui offre des opportunités » : « ouverte » à une exploitation débridée par les capitalistes racistes.

Pour cacher le fait qu’elle défend les privilèges des Blancs, la DA se présente en sauveur des « groupes minoritaires qui craignent la tyrannie de la majorité et la domination d’un parti unique », comme le déclarait Helen Zille en 2008. Mais ce que défendent les racistes de la DA, c’est une minorité et une seule (la minorité blanche). La ville du Cap, qui est administrée par la DA depuis 2006, a la réputation d’être une des villes les plus racistes du pays. Les agressions racistes perpétrées par des Blancs étaient tellement fréquentes, selon les médias, que la municipalité a lancé en mars 2015 une campagne bidon pour une « ville inclusive », afin de régler ce problème d’image. Il n’est pas rare d’entendre des histoires de célébrités noires et de membres politiquement bien placés de l’élite noire qui se voient interdire l’entrée dans des restaurants et des hôtels « chics » du Cap parce qu’ils ne sont pas blancs.

Ceux qui ont l’illusion que des partis bourgeois blancs comme la DA pourraient être d’une manière ou d’une autre les « amis » des Métis feraient mieux de retenir un certain nombre d’amères leçons sur l’histoire du pouvoir de la minorité blanche. A partir du début du XXe siècle, les gouvernements de la minorité blanche qui se sont succédé ont eu pour tactique de diriger les mesures racistes les plus sévères d’abord contre la majorité noire, pour mieux ensuite imposer des mesures similaires aux autres non-Blancs. On peut prendre l’exemple du contrôle des mouvements démographiques et de la ségrégation résidentielle. La Loi sur les zones urbaines de 1923 instaurait l’enregistrement obligatoire des Africains noirs et donnait aux autorités locales le pouvoir de les exclure des zones urbaines et d’expulser ceux qui étaient considérés comme « oisifs et indésirables ». Ces lois, et d’autres, furent utilisées pour expulser du Cap-Occidental des dizaines de milliers de Noirs, particulièrement en période de récession économique quand les capitalistes avaient moins besoin de main-d’œuvre bon marché à exploiter.

Les représentants du pouvoir blanc faisaient cyniquement et démagogiquement passer ces mesures pour de la sollicitude vis-à-vis de la communauté métisse, soi-disant pour la « protéger » de la concurrence de la main-d’œuvre noire. Les petits-bourgeois traîtres qui dirigeaient les Métis, comme Abdullah Abdurahman (président de l’African Political Organisation ou APO, rebaptisée plus tard African People’s Organisation), s’opposaient parfois, verbalement, à ces attaques. Mais, en pratique, l’APO et Abdurahman acceptaient et favorisaient cette politique raciste de diviser pour régner, par exemple en appelant le gouvernement à se contenter d’exempter les Métis des mesures de ségrégation résidentielle, ou même en appelant les baas [patrons] blancs à remplacer les travailleurs noirs par des Métis. Les opposants réactionnaires à l’APO au sein de l’élite politique métisse étaient pires encore : ils étaient ouvertement favorables au Parti national raciste de Barry Hertzog.

Cela n’a abouti qu’à affaiblir la résistance aux attaques racistes blanches et saboter le potentiel qui existait à l’époque d’une lutte commune des opprimés noirs et métis. Avec l’apartheid, le système de ségrégation raciste fut porté à un niveau totalement nouveau et même les concessions limitées faites aux Métis dans le but de chercher à diviser pour régner furent éliminées. Par exemple, suite à l’adoption en 1950 de la Loi sur les zones réservées, environ 150 000 Métis furent expulsés de leur logement et de leur quartier dans la péninsule du Cap entre 1957 et 1985. La plupart d’entre eux furent déplacés vers des ghettos métis misérables comme les townships des Cape Flats.

La trahison du nationalisme noir

Face aux révélations sur les horreurs racistes au Cap-Occidental, la DA réagit par défaut en expliquant qu’on voit la même chose dans le reste du pays, où l’ANC est au gouvernement. Il y a eu ainsi un scandale suite à la révélation que la police locale de Worcester distribuait de nouveaux « dompas » [autorisations d’accès] aux jardiniers et employés de maison métis et noirs. Ceux-ci étaient dorénavant obligés de présenter ces dompas pour accéder à certains quartiers chics blancs. En réponse, Helen Zille a fait remarquer qu’on encourageait le même système dans la province de Gauteng dirigée par l’ANC.

Effectivement, le membre du conseil exécutif de Gauteng en charge de la « sécurité des citoyens » a réuni en mars 2015 un « sommet sur la sécurité rurale » avec des représentants de la police et de plusieurs organisations de fermiers (l’African Farmers Union of South Africa ainsi que des groupes blancs racistes d’extrême droite comme la Transvaal Agricultural Union et Agri SA). Lors de ce sommet, un plan a été adopté prévoyant une répression policière accrue dans les communautés rurales ; il comprenait une directive selon laquelle « les fermiers doivent embaucher des travailleurs munis de papiers en règle et fournir des cartes individuelles qui seront contrôlées dans les postes de police locaux ». Ceci en dit beaucoup plus sur l’Afrique du Sud du néo-apartheid et le gouvernement de l’Alliance tripartite que ce que Zille et la DA voulaient montrer : c’est seulement un exemple parmi d’autres de comment, fondamentalement, l’ANC tout comme la DA défendent les privilèges des Blancs. De toute évidence, ces deux organisations ont une histoire très différente pour en arriver là, mais dans les deux cas c’est ce que l’on fait quand on gère ce système capitaliste raciste.

Si l’on remonte à la fondation de l’ANC, en 1912, l’objectif de cette organisation a toujours été de favoriser le développement d’une élite noire qui participerait à l’exploitation de « son » peuple. Il s’agissait de ne pas laisser cela aux Boers et aux Britanniques. Même, si à certains moments, l’ANC a adopté une rhétorique plus ou moins populiste et des tactiques protestataires combatives pour mobiliser les masses noires derrière cet objectif, le but final n’a jamais changé. Et la voie pour y parvenir conduisait nécessairement à chercher à conclure un accord avec le pouvoir blanc et à lui servir d’hommes de paille noirs. La démagogie anti-Métis chauvine de certains dirigeants de l’ANC (tout comme leur utilisation des préjugés anti-immigrés) est dans une large mesure destinée à dissimuler cette réalité fondamentale : ils se servent des Métis et autres groupes opprimés marginalisés comme bouc émissaire pour les conditions de vie misérables de la majorité noire.

Le nationalisme noir, c’est-à-dire la conception fausse que tous les Noirs partageraient un intérêt commun par-delà les divisions de classe, est l’obstacle clé au développement d’une conscience révolutionnaire au sein du prolétariat sud-africain. C’est l’idéologie grâce à laquelle la base ouvrière du COSATU [Congrès des syndicats sud-africains] et du SACP [Parti communiste sud-africain] est subordonnée, via l’Alliance tripartite, à l’ANC bourgeois et aux exploiteurs capitalistes. En dépit du mécontentement et de la colère immenses envers l’ANC et ses partenaires de l’Alliance, le nationalisme demeure la forme dominante de fausse conscience parmi les travailleurs noirs. Quand la « ceinture de platine » autour de la ville de Rustenburg est devenue territoire hostile pour l’ANC, après le massacre de Marikana et la vague de grèves sauvages combatives des mineurs en 2012, ce sont les populistes nationalistes bourgeois du mouvement Economic Freedom Fighters (EFF) de Julius Malema qui ont le plus progressé lors des élections de 2014.

L’emprise de la fausse conscience nationaliste sur le prolétariat est avant tout le produit du poids écrasant de l’oppression nationale que subit la majorité noire. Pour apporter une réponse à cette question brûlante et mobiliser les masses prolétariennes et plébéiennes contre les dirigeants traîtres nationalistes, nous avançons un programme pour une direction prolétarienne dans la lutte de libération nationale, exprimé dans le mot d’ordre d’un « gouvernement ouvrier centré sur les Noirs ».

Nous luttons pour gagner à ce programme les travailleurs métis qui ont une conscience de classe ainsi que d’autres militants antiracistes métis. Nous considérons que le combat pour la libération nationale de la majorité noire opprimée est la force motrice stratégique d’une révolution ouvrière pour mettre à bas le système raciste du néo-apartheid qui opprime tous les travailleurs non blancs. L’oppression des Métis (et des Indiens) est directement déterminée par la surexploitation du prolétariat noir, et toute lutte significative pour mettre fin à cette oppression implique nécessairement un combat pour la libération nationale de la majorité noire opprimée. De même, toute lutte significative pour la libération des Noirs implique un combat sans concession contre le nationalisme noir, qui est imbibé de préjugés anti-Métis et anti-Indiens. C’est essentiel pour construire un parti d’avant-garde léniniste-trotskyste racialement intégré qui puisse intervenir parmi toutes les couches opprimées et y lutter pour une direction révolutionnaire. Sous un gouvernement ouvrier centré sur les Noirs les Métis, les Indiens, les Asiatiques et ceux des Blancs qui accepteront un gouvernement basé essentiellement sur les travailleurs noirs auront un rôle important à jouer et bénéficieront des pleins droits démocratiques.

Particulièrement pendant les premières années de néo-apartheid, beaucoup de militants de gauche sud-africains étaient très hostiles à notre mot d’ordre. Ils disaient qu’en reconnaissant l’existence de différences et de divisions au sein des masses non blanches, nous faisions écho à la ligne du régime d’apartheid qui menait constamment une politique de diviser pour régner entre les différents groupes raciaux, et qui cherchait à renforcer les identités tribales et ethniques. Parmi ces tendances de gauche, il y avait le New Unity Movement (qui allait donner plus tard naissance au Democratic Socialist Movement/Workers and Socialist Party) et les pseudo-trotskystes qui gravitent actuellement autour du « think tank » syndical ILRIG (International Labour Research and Information Group). Ces groupes adhéraient à l’illusion du « non-racialisme » de l’ANC. Ce faisant, ils niaient les manifestations bien réelles et spectaculaires des divisions raciales, nationales et tribales dans l’Etat du néo-apartheid de Mandela. Les fictions nationalistes sur la « nation arc-en-ciel » et la « construction de la nation » étaient pour eux autant de moyens de nier la réalité, parce que leurs programmes réformistes sont fondamentalement incapables de la changer.

C’est ainsi qu’en 1997 un groupe pseudo-trotskyste basé au Cap, la Workers International Vanguard League (WIVL, rebaptisée aujourd’hui Workers International Vanguard Party) nous avait écrit une « lettre ouverte » de 19 pages qui était en grande partie consacrée à ressasser l’affirmation calomnieuse et sinistre que « les spartacistes encouragent les divisions raciales en Afrique du Sud ». La WIVL s’opposait à notre mot d’ordre de gouvernement ouvrier centré sur les Noirs, parce que cela signifiait pour eux qu’« un gouvernement ouvrier en Afrique du Sud devrait avoir une garantie raciale inscrite dans sa constitution ». Dans notre réponse à la WIVL (reproduite, avec leur « lettre ouverte », dans notre brochure Hate Trotskyism, Hate the Spartacists n° 1, juillet 1998), nous faisions remarquer que ce « daltonisme racial » masquait en réalité une capitulation de la WIVL devant le communautarisme métis et un déni de la hiérarchie raciale structurelle du capitalisme sud-africain, avec son oppression spécifique des Africains noirs au bas de l’échelle sociale.

En Afrique du Sud, l’exploitation de classe et l’oppression nationale sont intimement entremêlées. Malgré l’existence d’un prolétariat métis numériquement significatif, notamment au Cap-Occidental, et d’une classe ouvrière urbaine indienne au Natal, l’écrasante majorité des ouvriers sont des Africains noirs. En attaquant notre mot d’ordre de gouvernement ouvrier centré sur les Noirs, la WIVL attaquait en fait Léon Trotsky lui-même. Celui-ci écrivait en effet dans son seul texte important consacré à l’Afrique du Sud, une lettre de 1935 à des révolutionnaires sud-africains :

« Mais il est absolument évident que la majorité écrasante de la population, affranchie de la dépendance servile, marquera l’Etat d’une empreinte déterminante.

« Dans la mesure où la révolution victorieuse changera radicalement les rapports non seulement entre les classes, mais aussi entre les races, et assurera aux Noirs la place dans l’Etat qui correspond à leur nombre, la révolution sociale en Afrique du Sud aura également un caractère national. »

- « Le problème national et les tâches du parti prolétarien », Œuvres, tome 5

Pour nous, la révolution prolétarienne en Afrique du Sud sera l’acte suprême de la libération nationale. Mais cela n’implique pas le moindre soutien politique au nationalisme en tant qu’idéologie, ni au projet de « construction de la nation ». L’Afrique du Sud n’est pas une nation mais un Etat issu du colonialisme ; elle inclut différents peuples et elle repose sur une hiérarchie raciale brutale. Les frontières de presque tous les Etats africains, l’Afrique du Sud y compris, ont été tracées arbitrairement par les puissances coloniales et elles n’ont aucune légitimité nationale. Les tribus et les peuples ont souvent été dépecés entre deux ou plusieurs pays tandis que deux ou plusieurs peuples antagonistes étaient souvent forcés de cohabiter à l’intérieur d’un même Etat. Une solution démocratique, égalitaire et rationnelle est impossible sous le capitalisme. La lutte pour un gouvernement ouvrier centré sur les Noirs en Afrique du Sud fait partie intégrante de notre perspective d’une fédération socialiste d’Afrique australe.

Combattre l’idéologie nationaliste signifie s’opposer aux préjugés et aux stéréotypes chauvins sur les Métis qui sont monnaie courante parmi les Africains noirs, et que l’ANC, l’EFF et autres nationalistes encouragent. Dans beaucoup de langues africaines, des termes racialement péjoratifs comme amaBoesman (« homme de la brousse ») sont le terme habituel (et parfois unique) pour désigner les Métis. Il y aussi l’idée fausse mais très répandue que la population métisse serait simplement le produit du métissage entre Noirs et Blancs. Cette conception fausse s’accompagne souvent de préjugés anti-Métis : que les Métis « ne savent pas d’où ils viennent », qu’« on ne peut pas leur faire confiance », etc. Cela reflète l’acceptation de la notion des « races » comme des catégories biologiques intrinsèques et figées. Traditionnellement, cette idée fausse était mise en avant pour essayer de légitimer de façon pseudo-scientifique l’esclavage et l’oppression des Noirs en « prouvant » que ceux-ci étaient « inférieurs ». (Pour une réfutation de ces mythes dans le contexte américain, voir notre article « La “courbe en cloche” et le génocide made in USA », Black History and the Class Struggle n° 12, février 1995).

Les catégories raciales sont le produit de rapports sociaux humains et non de la génétique – ce qui signifie que les identités et préjugés raciaux sont façonnés par le développement historique spécifique de la société au sein de laquelle ils existent. La population métisse se compose d’un mélange complexe des différents peuples qui se sont installés en Afrique du Sud au fil des siècles : esclaves venus d’Afrique de l’Est, du sous-continent indien et de l’Asie du Sud-Est ; colons blancs originaires de Hollande et d’autres pays d’Europe ; Khoïkhoï, San et autres peuples autochtones.

Il existait bien une hiérarchie raciale complexe dans la colonie du Cap à l’époque de l’esclavage. Mais la consolidation de ces peuples divers en une population métisse telle qu’elle existe aujourd’hui, c’est-à-dire en une caste de race-couleur de statut intermédiaire dans la hiérarchie raciale, s’est produite plus tard. Ce processus était étroitement lié à la formation d’une économie capitaliste en Afrique du Sud à la fin des années 1800. C’est ce que montre Ian Goldin dans son livre Making Race – The Politics and Economics of Coloured Identity in South Africa (1987) : « Ce n’est pas un hasard si la période qui a vu l’évolution d’une identité métisse distincte a aussi vu une transformation spectaculaire du travail », au fil des migrations de travail vers les villes de la colonie du Cap. Goldin décrit comment cette distinction est apparue parmi les travailleurs dans les années 1890 ; les employeurs sur les docks, dans les fermes et ailleurs ont alors divisé les travailleurs en « indigènes » (que l’on embauchait de préférence pour les emplois manuels non qualifiés les plus pénibles) et « gars du Cap » ou « Métis » (que l’on préférait pour les emplois d’artisan, comme charpentiers ou maçons).

La lutte de classe et le rôle des communistes

Il serait bien sûr erroné et extrêmement simpliste de penser que les rapports entre Noirs et Métis sont seulement faits d’antagonismes et de méfiance réciproque. A côté des exemples de conflits raciaux, il y a aussi des exemples notables de lutte contre les tactiques de diviser pour régner de la bourgeoisie. Contre ceux qui colportent des stéréotypes raciaux, il faut souligner que la population métisse n’est aucunement homogène (ni d’ailleurs non plus la population noire) : les attitudes politiques et sociales diffèrent considérablement d’un individu à l’autre, sur la base de l’origine de classe, de l’expérience personnelle et d’autres facteurs. De plus, les attitudes prédominantes dans la population métisse ne sont pas figées ; elles varient selon l’époque et l’endroit. Par exemple, le soutien à la DA est en général moins fort parmi les travailleurs métis des zones rurales (les régions agricoles du Cap-Occidental ainsi qu’une bonne partie du Cap-Nord) que dans les zones urbaines.

En termes d’intervention communiste, une priorité doit porter sur les industries où travailleurs noirs et métis sont intégrés sur le lieu de production, comme par exemple les usines automobiles du Cap-Oriental ou le secteur agricole du Cap-Occidental. Les divisions raciales entre Noirs et Métis nuisent aux intérêts matériels fondamentaux de la classe ouvrière, et le fonctionnement même de l’exploitation capitaliste oblige les ouvriers à s’organiser collectivement contre les employeurs. La lutte de classe crée les conditions objectives pour combattre et surmonter les divisions raciales et autres : chaque grève âprement disputée montre inévitablement que l’unité de classe est nécessaire contre les capitalistes.

Prenons la grève des ouvriers agricoles de 2012-2013 au Cap-Occidental. La grève a été particulièrement importante à De Doorns. Cette ville avait été en 2009 le théâtre de violents pogroms anti-immigrés, qui avaient contraint plus de 3 000 immigrés (principalement zimbabwéens) à se réfugier dans des camps de fortune. Certains disent que ces agressions auraient été déclenchées par les « labour brokers » [loueurs de main-d’œuvre] sud-africains qui, dans le but d’éliminer la concurrence de leurs homologues zimbabwéens, auraient incité des émeutes anti-immigrés en accusant les travailleurs zimbabwéens de « voler » les emplois des Sud-Africains. Cet exemple est loin d’être le seul. Il montre comment les fermiers blancs et des parasites comme les « labour brokers » divisent pour régner en faisant en sorte que les différentes catégories d’ouvriers agricoles continuent à subir une exploitation féroce : ils dressent les hommes contre les femmes, ceux qui ont un emploi fixe contre les saisonniers, les ouvriers métis contre les ouvriers noirs, etc.

Quand les grèves éclatèrent en 2012, les fermiers essayèrent d’utiliser la même tactique pour torpiller la grève en semant la division, avec le soutien du gouvernement du Cap-Occidental dirigé par Zille et la DA. Mais cela ne parvint pas à briser la solidarité et l’unité de cette grève combative qui transcendait les antagonismes raciaux et nationaux. Un dirigeant du comité de grève expliqua à Jesse Wilderman (de l’université de Wits) que « les gens étaient tous unis – Zims, Sothos, Métis, ceux qui parlaient le xhosa – tout le monde était uni […]. La grève a ressuscité la culture de lutte des années 1980 et nous étions vraiment unis, le groupe tout entier » (Farm Worker Uprising in the Western Cape : A Case Study of Protest, Organising, and Collective Action, 26 septembre 2014). Les grévistes furent confrontés à une répression féroce mais ils arrachèrent de modestes concessions avec une augmentation du salaire minimum de 69 à 105 rands (de 4 à 6 €) par jour.

En réaction à cette augmentation extrêmement maigre de salaires de misère, les fermiers racistes se livrèrent à toute une série de représailles pour intimider et persécuter les grévistes les plus combatifs. Les fermiers combinèrent ces représailles avec des provocations calculées destinées à attiser les divisions entre ouvriers. Certains fermiers firent venir de nouveaux ouvriers étrangers pour contourner l’augmentation du salaire minimum, certains auraient fait venir des ouvriers métis d’autres régions pour éviter d’embaucher les saisonniers actifs dans la grève, tandis que d’autres expulsèrent de leur logement à la ferme les ouvriers en fixe ayant participé à la grève. Ces mesures semblent avoir réussi à raviver dans certaines régions les vieilles divisions nationales et raciales réactionnaires. Wilderman rapporte ainsi qu’un groupe d’ouvriers qu’il a interviewés à De Doorns menaçait de répéter les pogroms de 2009.

C’est une leçon clé de cette grève et de ses suites : si les luttes économiques des travailleurs posent bien la question de la nécessité de l’unité de classe transcendant les divisions raciales et autres, elles ne peuvent pas par elles-mêmes forger cette unité de façon conséquente et durable. Pour cela il faut un parti ouvrier révolutionnaire de type bolchévique. Comme l’expliquait Lénine dans Que faire ? (1902), l’histoire montre que la classe ouvrière ne peut pas engendrer spontanément une conscience socialiste sur la seule base de sa propre activité. Cette conscience doit être introduite de l’extérieur, grâce à l’intervention d’un parti d’avant-garde qui a concentré les leçons de l’histoire de la lutte de classe internationale dans un programme marxiste révolutionnaire. Un tel parti ne limiterait pas son intervention aux luttes économiques immédiates de la classe ouvrière ; il devrait agir en tribun du peuple pouvant réagir à toute manifestation de tyrannie et d’oppression, quelle que soit la couche ou la classe de la population concernée.

Le Parti bolchévique construit par Lénine luttait avec acharnement pour les droits démocratiques de toutes les nationalités dans la Russie tsariste, qui était une « prison des peuples ». Au cœur de la position de Lénine sur la question nationale, il y avait la nécessité urgente pour les révolutionnaires prolétariens de prendre fait et cause pour les luttes contre l’oppression nationale et de se battre pour l’égalité de toutes les nations, de manière à déblayer les obstacles à l’unité de la classe ouvrière. Dans ses « Notes critiques sur la question nationale » (1913), Lénine écrivait : « Aux querelles nationales que se livrent entre eux les différents partis bourgeois pour des questions de langue, etc., la démocratie ouvrière oppose la revendication suivante : unité absolue et fusion totale des ouvriers de toutes les nationalités dans toutes les organisations ouvrières […], contrairement à ce que prêchent tous les nationalistes bourgeois. »

Si Lénine et les bolchéviks gagnèrent l’autorité politique nécessaire pour lutter pour l’unité de l’avant-garde prolétarienne par-delà les divisions nationales, c’est parce qu’on les connaissait comme les adversaires les plus résolus du chauvinisme grand-russe et de l’oppression de toutes les minorités nationales. Quand l’autocratie tsariste menaça de « noyer la révolution dans le sang des Juifs » à l’apogée de la Révolution de 1905, au mois d’octobre, la rumeur d’un pogrom antijuif se répandit à Saint-Pétersbourg. En moins de quelques heures, 12 000 ouvriers en armes avaient été mobilisés par le soviet (conseil) ouvrier pour repousser les bandes réactionnaires des « Cent-Noirs ».

Il existe d’importantes différences dans la forme que prend l’oppression nationale et raciale entre l’Afrique du Sud et la Russie tsariste. La plus significative : alors que la majorité des ouvriers qui firent la Révolution russe de 1917 étaient ethniquement russes (et luttaient contre des exploiteurs russes qui opprimaient d’autres nationalités), en Afrique du Sud l’écrasante majorité des travailleurs subissent une oppression nationale de la part d’une minorité blanche. De plus, les différents peuples qui habitent l’Afrique du Sud ne constituent pas des nations séparées car ils sont intégrés dans une seule économie. Malgré ces différences, l’approche de Lénine et des bolchéviks est tout à fait pertinente pour aborder les divisions raciales, tribales et autres parmi les opprimés dans ce pays, notamment la nécessité urgente de mobiliser le prolétariat pour défendre les immigrés.

La controverse sur les mesures préférentielles

L’affirmative action [mesures préférentielles] est l’une des questions qui focalisent les antagonismes raciaux. Les controverses à ce sujet se sont multipliées en 2011, en réaction à des propositions d’amendements à la Loi sur l’égalité dans l’emploi qui auraient fixé des objectifs d’emploi et des quotas reflétant la démographie nationale et non plus locale. Les Métis du Cap-Occidental ont à juste titre considéré cela comme une attaque raciste à leur encontre car cela aurait signifié qu’alors qu’ils sont majoritaires dans cette région, la part des emplois devant être occupés par des Métis serait fixée à environ 9 %. La logique de cette proposition est un programme raciste de transferts forcés de populations, ce qui est une des nombreuses directions réactionnaires que peut prendre la « construction de la nation » sous le capitalisme. C’est ce qu’a explicité Jimmy Manyi (à l’époque un des dirigeants du Black Management Forum avant de devenir porte-parole du gouvernement ANC), qui dans différentes interviews fustigeait la « concentration excessive » de Métis au Cap-Occidental.

Dans une veine nationaliste similaire, Manyi se plaignait aussi du nombre élevé d’Indiens ayant bénéficié de mesures préférentielles et du « Black Economic Empowerment » [Promotion économique des Noirs] ; il laissait entendre qu’ils devraient être exclus de ces deux programmes. Les modifications proposées aux mesures préférentielles ont été supprimées de la version finale de l’amendement suite à un arrêt du Tribunal du travail du Cap, mais une campagne anti-Indiens persistante s’est développée ces dernières années, notamment dans la province du Kwazulu-Natal. Elle est menée par des associations de patrons noirs qui essaient d’éliminer la concurrence des Indiens sur les marchés publics et autres. Des membres de l’ANC et de l’EFF de Malema soutiennent ce genre de saleté réactionnaire. Même si l’EFF se présente aujourd’hui en « défenseur » des Métis, et qu’il est soutenu par une partie des Métis du Cap-Occidental, il faut se souvenir que Malema et Floyd Shivambu, les dirigeants actuels de l’EFF, étaient des partisans déclarés de Jimmy Manyi en 2011, quand ils étaient à la tête de la Ligue de jeunesse de l’ANC.

Ces attaques racistes contre les minorités métisse et indienne contribuent à renforcer les divisions raciales et à pousser les travailleurs métis et indiens dans les bras de leurs pires ennemis. C’est ainsi que Solidarity, un syndicat réactionnaire dominé par les Blancs, a pu se faire passer pour un champion de la minorité métisse en attaquant devant les tribunaux les mesures préférentielles proposées. L’objectif de Solidarity est de supprimer complètement les mesures préférentielles, et plus largement de défendre les privilèges des Blancs, comme le montre sans ambiguïté une formule (supprimée depuis) affichée sur son site internet : « A cause de l’idéologie de la représentation, les masses ne profitent pas et les Blancs sont gravement désavantagés. »

Solidarity était partie civile de dix gardiens de prison (neuf Métis et un Blanc) qui n’avaient pas eu de promotion à cause des quotas basés sur la démographie nationale. Soyons clairs : tous les matons, qu’ils soient noirs, métis ou blancs, sont des ennemis jurés des travailleurs et des opprimés. Tout comme pour les policiers, leur travail, c’est la répression raciste au service des capitalistes. Ils n’ont pas leur place dans les syndicats ni dans aucune autre organisation ouvrière.

Nous défendons les mesures préférentielles contre les tentatives racistes de les supprimer, et nous sommes aussi contre les tentatives racistes d’exclure les Métis et les Indiens ; mais le but des communistes n’est pas de défendre le misérable statu quo sous le capitalisme. Les mesures préférentielles ne peuvent pas faire disparaître les discriminations racistes omniprésentes dans le travail et l’éducation, parce que ce genre de mesures présuppose le maintien du système capitaliste où les opprimés sont en concurrence pour une poignée d’emplois, dans une société où le taux de chômage est énorme.

Pour un gouvernement ouvrier centré sur les Noirs !

Il faut mener une bataille politique à l’intérieur des syndicats pour une nouvelle direction lutte de classe. Cette bataille doit être livrée à la fois contre les dirigeants traîtres pro-Alliance de la COSATU et contre leurs opposants réformistes comme la bureaucratie du NUMSA, le syndicat de la métallurgie. Une direction lutte de classe chercherait à unir les travailleurs – Noirs et Métis, hommes et femmes, salariés et chômeurs, etc. – dans une lutte commune, dont l’idée de départ serait que leurs intérêts sont tous fondamentalement incompatibles avec ceux des capitalistes. Aussi longtemps que les travailleurs se font une concurrence acharnée pour un nombre limité d’emplois, les patrons chercheront toujours à diviser pour régner afin d’affaiblir le mouvement syndical.

Il faut lutter pour le contrôle syndical sur l’embauche, et des projets spécifiques gérés par les syndicats pour aller chercher et former les travailleurs des catégories les plus opprimées. Il faut lier cela au combat pour des emplois pour tous en exigeant que le travail disponible soit partagé, sans perte de salaire, entre tous ceux qui sont en mesure de travailler. Il faut se battre, suivant les principes de la lutte de classe, pour briser le système d’esclavage des « labour brokers » en mobilisant les syndicats dans une lutte pour des emplois fixes pour tous les travailleurs sous contrat, un salaire égal à travail égal, des conditions syndicales et une pleine protection syndicale pour tous. Il faut aussi se battre pour les pleins droits de citoyenneté pour tous ceux qui ont réussi à arriver ici.

Le document-programme de l’ANC « Les mesures préférentielles et la nouvelle constitution », écrit par Albie Sachs en 1994, affirme explicitement que les mesures préférentielles ont été choisies comme alternative à la solution évidente de commencer à réparer les injustices monumentales du pouvoir de la minorité blanche ; cette alternative aurait consisté à « confisquer les bénéfices de l’apartheid et les partager entre ceux qui avaient été dépossédés ».

Cela n’a bien sûr jamais été dans l’intention de l’ANC, déjà parce que ce parti est déterminé à préserver le capitalisme. Cela mène à s’interroger sur la cause de la perpétuation des divisions raciales et tribales au sein des masses non blanches. Tout comme les autres manifestations nombreuses d’arriération économique et sociale, elles sont l’héritage raciste de la domination impérialiste et de l’apartheid, et elles ne peuvent être résolues sous le capitalisme. La théorie de la révolution permanente de Trotsky est la seule à montrer la voie vers la modernisation économique et sociale des pays à développement capitaliste retardataire. Celle-ci s’applique à l’Afrique du Sud à travers le mot d’ordre d’un gouvernement ouvrier centré sur les Noirs.

Un logement décent pour les millions de personnes vivant dans les townships, les camps et les villages de squatters – y compris des logements racialement intégrés –, une éducation gratuite et de qualité, l’éradication de la lobola [le prix de l’épousée] et des autres pratiques patriarcales traditionnelles qui oppriment les femmes : pour accomplir tout cela, il faut renverser le capitalisme du néo-apartheid. Un gouvernement ouvrier centré sur les Noirs en Afrique du Sud commencerait par exproprier les « randlords » et leurs hommes de paille noirs et s’emparer des « bénéfices de l’apartheid » et des moyens de production. Sous un gouvernement ouvrier, ces ressources ne seraient pas utilisées seulement pour redistribuer les richesses, mais plus fondamentalement pour réorganiser et augmenter la production sur une base socialiste ; c’est ce qui est vraiment nécessaire pour réaliser la modernisation économique et sociale dont le besoin est si criant.

La réussite de la transformation socialiste dépendra fondamentalement de l’extension internationale de la révolution, notamment aux centres impérialistes. La révolution prolétarienne internationale signifiera l’expropriation et le contrôle centralisé des richesses productives de l’Amérique du Nord, de l’Europe et du Japon. L’utilisation intensive et rationnelle des ressources économiques, et en particulier des investissements utilisant la technologie la plus avancée, provoqueront une augmentation qualitative de la productivité, ce qui permettra ainsi d’arriver rapidement à une économie totalement automatisée. Le formidable accroissement de la production qui en résultera permettra un transfert massif de ressources productives vers les pays moins avancés d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine.

La victoire de la révolution prolétarienne à l’échelle mondiale ne sera bien sûr pas une tâche facile. Mais c’est la seule alternative à la barbarie capitaliste. Comme l’expliquait la « Déclaration de principes et quelques éléments de programme » de la LCI (1998), cette victoire

« mettrait une abondance matérielle encore inimaginée au service des besoins de l’humanité, créerait les conditions permettant d’éliminer les classes, d’éradiquer l’inégalité sociale basée sur le sexe et d’abolir la signification même, au niveau social, de race, de nation et d’ethnie. Pour la première fois, l’humanité saisira les rênes de l’histoire et contrôlera la société, sa propre création, ce qui se traduira par une émancipation du potentiel humain dépassant ce qu’on peut imaginer aujourd’hui et par un bond en avant monumental de la civilisation. C’est alors seulement qu’il sera possible de réaliser le libre développement de chaque individu, condition du libre développement de tous. »

C’est ce pour quoi se bat Spartacist/South Africa, section sud-africaine de la Ligue communiste internationale. Nous disons à ceux qui cherchent une alternative au racisme et à l’oppression épouvantables du capitalisme du néo-apartheid : notre programme trotskyste révolutionnaire et internationaliste est la solution.

 

Le Bolchévik nº 216

Le Bolchévik nº 216

Juin 2016

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