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Le Bolchévik nº 215 |
Mars 2016 |
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Lutte ouvrière et la prostitution
Les curés socialistes de LO et la Sainte Famille
Le musée d’Orsay à Paris a présenté l’automne dernier une intéressante exposition artistique intitulée Splendeurs et misères. Images de la prostitution, 1850-1910. Elle montrait au travers de peintures et photos de l’époque, et même de quelques premiers films pornographiques, l’omniprésence du phénomène de la prostitution dans toutes les couches de la société, parisienne notamment, de l’époque. Cela allait des ouvrières, qui étaient obligées pour survivre de vendre leur corps à la sortie de l’usine (sans compter à l’intérieur de l’usine pour assouvir leur contremaître ou leur patron), jusqu’aux « grandes horizontales » comme la Belle Otero dans les sphères les plus élevées de la bourgeoisie. (La section de l’exposition interdite aux mineurs (!) mentionnait même furtivement la prostitution masculine homosexuelle.)
Il n’est pas surprenant que le musée d’Orsay, l’une des principales vitrines culturelles de l’impérialisme français, ait « oublié » ce qui est au cur de la prostitution, à savoir l’institution de la famille et du mariage bourgeois, dont la prostitution est le corollaire indispensable, et qui pourtant n’apparaissait qu’en creux dans l’exposition.
C’est l’institution de la famille qui est la principale source de l’oppression des femmes. La famille est cruciale à la classe possédante pour pouvoir transmettre sa propriété à des héritiers « légitimes » et pour apprendre aux fils d’ouvriers à se tenir à leur place. C’est le lieu et l’instrument de l’oppression des jeunes, filles et garçons, notamment en matière de répression de la sexualité.
La libération des femmes ne deviendra réalité que lorsque l’espèce humaine tout entière sera libérée de l’exploitation et de l’oppression de classe. Marx et Engels expliquaient que dans la perspective de construire une société communiste, c’est-à-dire une société sans classes basée sur l’abondance matérielle, il fallait tout d’abord une série de révolutions socialistes dans le monde, qui jetteraient les bases matérielles pour commencer à remplacer la famille en socialisant les tâches ménagères et en collectivisant véritablement l’éducation des enfants.
C’est cette perspective que les bolchéviks ont cherché à mettre en application après Octobre 1917, malgré des conditions de pénurie extrême dans une société arriérée et ravagée par des années de guerre impérialiste puis de guerre civile. Ils ont pris des mesures pour instaurer l’égalité politique et sociale complète des femmes, légalisant le divorce, l’avortement et l’homosexualité. Mais ils ne se sont pas arrêtés là : ils ont commencé à mettre en place l’infrastructure matérielle (crèches, cantines, laveries
) pour socialiser les tâches ménagères ainsi que l’entretien et l’éducation des enfants, ce qui devait permettre aux femmes de participer pleinement à la vie sociale, politique et culturelle.
La différence de Lutte ouvrière avec ces conceptions sur la question de l’émancipation des femmes était frappante lors du meeting « Cercle Léon Trotsky » qu’elle a consacré à ce thème le 8 janvier dernier à Paris. L’oratrice est revenue en long et en large sur l’oppression des femmes tout au long de l’histoire. Même si elle a, bien entendu, insisté sur le rôle que jouent les femmes dans les luttes de la classe ouvrière, et qu’elle a décrit certains aspects des mesures prises par les bolchéviks de Lénine après la Révolution russe, elle a évité de s’en prendre de front à la famille bourgeoise, et fondamentalement la présentation ne sortait pas du cadre du féminisme, dont elle s’est d’ailleurs revendiquée ouvertement en concluant que « pour être des féministes conséquents [
] on ne peut qu’être communiste ». Mais le féminisme est incompatible avec le marxisme car il occulte la division entre classes sociales derrière la division entre sexes.
L’une de nos camarades est intervenue lors de la brève période de discussion à ce meeting pour rappeler les fondements du marxisme sur la question de la famille. Elle a conclu :
« L’institution de la famille a pour pendant celle de la prostitution. Comme l’écrivait Engels, “dans le monde moderne monogamie et prostitution sont bien des contraires, mais des contraires inséparables, les deux pôles d’un même état social”. Il ajoutait que dans le mariage bourgeois la femme “ne loue pas son corps à la pièce, comme une salariée, mais le vend une fois pour toutes, comme une esclave”. Aussi l’émancipation des prostituées est inséparable de l’émancipation des femmes en général et la prostitution disparaîtra seulement quand l’institution de la famille sera remplacée.
« Mais LO, loin de l’expliquer, croit qu’on peut et doit lutter contre la prostitution au moyen de flics bourgeois. LO en effet a soutenu la loi de Hollande pour l’interdiction de la prostitution. Cela enjolive non seulement la police capitaliste mais aussi l’institution de la famille elle-même en faisant croire qu’il pourrait exister une famille bourgeoise débarrassée de son excroissance prostitutionnelle. En cela LO ne diffère en rien des curés les plus doucereux et autres hypocrites.
« Nous sommes pour la dépénalisation de la prostitution le fait de payer ou de se faire payer pour avoir des rapports sexuels n’est pas un crime ! Nous sommes contre toute interférence du gouvernement dans la vie sexuelle des gens. Plus fondamentalement, nous sommes pour la libération des femmes par la révolution socialiste ! »
En réponse à cette intervention, l’oratrice de LO, Anne Lhommier, a fait preuve d’une mauvaise foi rare. Après avoir sans fondement donné à entendre que nous considérerions que des « relations sexuelles tarifées, ce soit le summum de la liberté », elle a prétendu ne faire « aucune confiance à l’Etat bourgeois pour légiférer en la matière » et qu’« on n’a jamais soutenu la loi de Hollande comme tu l’as dit ».
Leur article paru dans Lutte Ouvrière du 6 décembre 2013 est pourtant jusqu’à présent disponible sur le site de Lutte ouvrière. Dans cet article LO a déclaré à propos de la pénalisation des clients dans le cadre de la loi Hollande que « c’est bien le moins qui puisse être légalement décidé ! » et en a remis une couche en précisant : « Reste qu’il ne suffit pas de prendre des mesures visant à dissuader les clients, il faut prévoir et dire comment les prostituées pourront alors continuer à vivre[
]. Que le recours à la prostitution soit considéré comme un délit et que le délit de racolage soit aboli, c’est le moins qu’on puisse attendre de la loi d’un pays qui se dit civilisé [!]. »
Si ce n’est pas là soutenir les mesures répressives contre les clients de prostituées contenues dans la loi (y compris 3 750 euros d’amende en cas de récidive), comment décrire la position de LO ? Comme nous l’avons écrit ailleurs (Spartacist édition française n° 36, été 2004), « c’est l’institution de la famille qui introduit l’argent dans les relations sexuelles. Que ce soit louer les services d’une prostituée à l’heure ou d’une épouse pour la vie, la famille et l’oppression des femmes sont fondées sur la propriété privée ; les codes religieux de moralité et la loi capitaliste sont tout ce qui distingue l’épouse de la prostituée de ce point de vue fondamental. »
Mais bien sûr LO ne va pas dire que ce serait « le moins qu’on puisse attendre de la loi d’un pays qui se dit civilisé » d’interdire également le mariage avec une amende de 3 750 euros en cas de récidive (en l’occurrence le remariage) ! Si LO aborde la prostitution d’un il complètement différent du mariage, c’est que, à son corps défendant, elle considère cette question du point de vue de la morale bourgeoise puritaine. Flics, juges, hors des chambres à coucher ! Lutte ouvrière aussi ! Sous Lénine et Trotsky la prostitution n’était pas illégale en Russie soviétique ; les bolchéviks refusaient explicitement de s’immiscer dans la vie sexuelle des gens, et leur politique pour combattre la prostitution consistait plutôt à redonner aux prostituées un travail productif et à les réinsérer dans l’économie.
Le pendant de l’« économisme » de Lutte ouvrière, c’est qu’en dehors de la lutte quotidienne, certes nécessaire, des ouvriers à l’usine pour défendre leur emploi et leur salaire, LO abandonne le terrain de la lutte politique contre l’oppression à des idéologues bourgeois, ici les féministes. Comme nous l’écrivions dans notre article « Le communisme et la famille » (le Bolchévik n° 213, septembre 2015) :
« Le remplacement de la famille par des institutions collectives est la tâche la plus radicale du programme communiste, et celle qui engendrera les bouleversements les plus profonds et les plus complets dans la vie quotidienne, en particulier pour les enfants. [
]
« Il y a une différence fondamentale entre les marxistes et les féministes, qu’elles soient bourgeoises ou qu’elles se réclament du socialisme : c’est que notre but ultime n’est pas l’égalité des sexes en tant que telle, mais le développement progressiste de l’espèce humaine dans son ensemble. L’éducation collective des enfants dans des conditions d’abondance matérielle et de richesse culturelle produira des êtres humains dont les capacités mentales ainsi que le bien-être psychologique seront largement supérieurs à ceux des personnes vivant dans cette société oppressive divisée en classes, et où règne la misère. »
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