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Le Bolchévik nº 215 |
Mars 2016 |
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Manifestations contre le militarisme au Japon
Japon-USA : A bas l’alliance contre-révolutionnaire ! Défense de la Chine !
Tokyo En dépit d’une forte opposition et de manifestations massives, le gouvernement libéral-démocrate (PLD) du Premier ministre Shinzo Abe a fait passer en force une nouvelle « Loi sur la sécurité nationale » (LSN) lors d’une session nocturne de la chambre haute du parlement le 18 septembre dernier. La LSN autorise l’armée japonaise à mener des opérations de combat hors du territoire national pour soutenir un allié (par exemple les Etats-Unis) ou pour contribuer à la « sécurité collective ». Détail symbolique, cette séance parlementaire s’est tenue le jour anniversaire de « l’incident de Mandchourie » qui, en 1931, avait marqué le début de l’invasion de la Chine par l’impérialisme japonais.
L’objectif principal de la nouvelle loi est de renforcer encore l’encerclement militaire de la Chine, un Etat ouvrier bureaucratiquement déformé créé grâce au renversement du système capitaliste par la Révolution chinoise de 1949. Pour ce faire, le Japon collabore étroitement avec l’impérialisme américain. Même s’il est très loin de pouvoir rivaliser avec le mastodonte militaire américain, l’Etat japonais dispose d’une armée régulière, les « Forces d’autodéfense » un euphémisme de près de 250 000 soldats. Avec le septième budget militaire au monde, le Japon dispose d’armements très sophistiqués dans un certain nombre de domaines, comme par exemple des sous-marins ultra-silencieux. Le budget militaire établi par le gouvernement pour 2016 est le plus élevé depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
Les faucons du gouvernement Abe escomptaient que leur campagne de peur contre la Chine inciterait la majorité de la population à soutenir sa nouvelle loi ou du moins à l’accepter sans broncher, mais la tâche s’est révélée moins facile que prévu. Un mouvement de protestation antigouvernemental d’une ampleur sans précédent depuis des années s’est formé contre les bellicistes au pouvoir. Des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue à plusieurs reprises : des associations de mères de familles, des puéricultrices, des collectifs d’ouvriers, des étudiants dont certains ont joué un rôle dirigeant pour créer ce grand mouvement. L’indice de popularité du gouvernement Abe, qui était au plus haut depuis des années, est descendu à 30 ou 40 % au plus fort des protestations, au cours de l’été 2015.
Les premières manifestations, en mai 2015, étaient petites, mais le mouvement a rapidement fait boule de neige. Plus de 100 000 manifestants se sont rassemblés devant le parlement le 15 juillet, quand le gouvernement a fait passer en force sa loi devant la chambre basse. Même après l’adoption de la loi, 25 000 personnes ont à nouveau manifesté le 23 septembre, et il y a encore régulièrement des manifestations moins importantes. Un des groupes les plus actifs dans ce mouvement, l’« Action étudiante d’urgence pour la démocratie libérale » (AEUDL), explique avoir comme objectif de « rassembler les forces du libéralisme » au Japon. Ces jeunes rejettent les injonctions de la bourgeoisie sur la nécessité de se sacrifier pour son pays, et beaucoup disent vouloir « un monde de paix ».
Les opposants à la montée du militarisme se retranchent souvent derrière les articles de la constitution japonaise d’après-guerre, imposée au pays par les forces d’occupation américaines après la défaite du Japon à l’issue de la Deuxième Guerre mondiale. L’article 9 de la Constitution déclare que le Japon renonce à jamais à faire usage de la force pour régler les conflits internationaux. Le Groupe spartaciste du Japon (GSJ) est une organisation communiste opposée à la bourgeoisie japonaise ; à ce titre nous sommes bien sûr contre toute révision réactionnaire de la Constitution. Mais nous combattons résolument les illusions que ce document, ou n’importe quel autre bout de papier, pourrait « empêcher la guerre ». Aucune classe capitaliste, dans toute l’histoire, n’a jamais été retenue par ses propres lois de recourir à une répression violente ou à la guerre quand elle estimait que ses intérêts de classe étaient en jeu.
Même si la vision politique dominante des manifestations ne sort pas du cadre du libéralisme et du pacifisme, c’est une bonne chose que beaucoup de gens soient horrifiés par l’idée de la guerre impérialiste et qu’ils ne fassent pas confiance au gouvernement. Le GSJ a participé à plusieurs de ces manifestations ; nous avons vendu notre presse et discuté avec des travailleurs et des jeunes. Nous avons expliqué que la classe ouvrière, partout dans le monde, doit défendre l’Etat ouvrier chinois contre les impérialistes japonais, et nous avons expliqué que le militarisme est inhérent au capitalisme et qu’il ne pourra être vaincu une bonne fois pour toutes que par la révolution socialiste.
Le PLD avait prévu toute une série d’événements pour amener la population à soutenir sa loi sur la sécurité nationale, mais beaucoup ont été annulés de peur qu’ils n’attirent davantage d’opposants que de partisans. La colère face à ce nouvel arsenal législatif militariste s’est exprimée à Okinawa où Abe s’est fait huer lors d’une cérémonie d’hommage aux Japonais morts à la guerre. Un des principaux dirigeants du PLD, Sadakazu Tanigaki, a connu une mésaventure similaire à Tokyo le 7 juin. Face à cette opposition, le gouvernement a envoyé ses flics réprimer le 17 septembre une manifestation contre le militarisme ; de nombreuses personnes ont été arrêtées. Aki Okuda, l’un des dirigeants du mouvement, aurait reçu des menaces de mort.
Le gouvernement Abe se situe dans la droite ligne du précédent gouvernement dirigé par le Parti démocrate, au pouvoir de 2009 à 2012 ; celui-ci avait aussi mené une politique de réarmement à l’encontre de la Chine, notamment quand le gouvernement japonais avait décidé en septembre 2012 de nationaliser les îles Diaoyu/Senkaku en mer de Chine orientale. La Loi sur la sécurité nationale fait passer le message suivant : dans tout conflit militaire avec la Chine ou la Corée du Nord, qui est aussi un Etat ouvrier déformé, la bourgeoisie japonaise est déterminée à faire pleinement usage de sa puissance militaire, de concert avec les forces impérialistes américaines. Cette nouvelle loi rentre dans le cadre du renforcement continu de l’alliance militaire contre-révolutionnaire entre les Etats-Unis et le Japon. Les secteurs clés du grand patronat soutiennent à fond Abe sur cette question, comme le montrent les déclarations des grandes associations patronales. Nous, communistes, nous disons : A bas la LSN ! A bas l’impérialisme japonais !
Il faut défendre les acquis de la Révolution chinoise !
La Révolution chinoise de 1949 a été un événement historique d’importance mondiale, qui aujourd’hui encore conditionne toute la situation politique en Extrême-Orient. Elle a mis fin au pouvoir cupide des capitalistes et des propriétaires fonciers chinois, et elle a libéré la nation la plus peuplée du monde du joug impérialiste. Elle a permis d’immenses avancées en termes de niveau de vie général, d’éducation, de santé et d’alimentation, et aussi plus largement d’accès des femmes à la vie sociale particulièrement en comparaison avec d’autres pays pauvres restés capitalistes, comme l’Inde ; ces avancées sont la preuve vivante que l’économie collectivisée est supérieure au capitalisme et qu’elle représente un progrès historique.
L’Etat ouvrier né de la Révolution de 1949 est le produit d’une guerre civile et de la victoire militaire d’une guérilla paysanne dirigée par les staliniens du Parti communiste chinois (PCC) : cet Etat était dès sa création bureaucratiquement déformé. Les rapports de propriété bourgeois furent détruits et une économie collectivisée fut instaurée, mais la révolution avait porté au pouvoir politique un régime stalinien bureaucratique et nationaliste. Ce régime fait obstacle à un développement menant au socialisme (une société sans classes) et il s’oppose à ce que les travailleurs d’autres pays prennent le pouvoir.
Jusqu’à sa destruction par une contre-révolution soutenue par les impérialistes en 1991-1992, l’Union soviétique était le bastion industriel et militaire des Etats où le capitalisme avait été renversé ; elle constituait de ce fait la cible principale des puissances impérialistes conduites par les Etats-Unis. La Chine est aujourd’hui au centre de leurs visées contre-révolutionnaires. Nous défendons inconditionnellement la Chine contre l’impérialisme et la contre-révolution intérieure, et nous luttons pour une révolution politique prolétarienne qui chassera du pouvoir la caste stalinienne. La meilleure défense des acquis de la Chine, ce sont des révolutions ouvrières dans les centres impérialistes. Depuis l’émergence du Japon comme puissance impérialiste à la fin du XIXe siècle, la bourgeoisie japonaise a toujours cherché à dominer la Chine. Aujourd’hui elle redouble de volonté alors que Tokyo et Washington cherchent à renverser les acquis de la Révolution de 1949 et à reconquérir la Chine pour la livrer à un pillage impérialiste effréné.
Les bases d’Okinawa : une menace directe pour la Chine
L’impérialisme américain, pourtant enlisé ces dernières années dans le bourbier du Proche-Orient, a repositionné une partie de ses équipements militaires les plus modernes dans la région Asie-Pacifique. La grande base navale de Yokosuka est le port d’attache d’un porte-avions américain. De concert avec les Etats-Unis, Tokyo a entrepris la construction de nouvelles bases militaires à Okinawa et met sur pied une force de débarquement amphibie qui vise directement la Chine. Un prétexte fréquemment invoqué est « la défense des îles Senkaku ». Nous défendons le fait que la Chine contrôle les îles Diaoyu/Senkaku, et nous soutenons également sans réserve les projets d’aménagement de la Chine y compris la construction d’installations militaires en mer de Chine méridionale. Cette région est devenue l’un des endroits où les impérialistes focalisent leurs efforts pour encercler la Chine, ce que reconnaissent ouvertement certains idéologues bourgeois comme Robert D. Kaplan : « De même que le sol allemand constituait la ligne de front de la guerre froide, les eaux de la mer de Chine méridionale pourraient bien constituer la ligne de front des prochaines décennies » (Asia’s Cauldron The South China Sea and the End of a Stable Pacific, 2014). A l’automne 2015, les Etats-Unis ont envoyé un de leurs destroyers basé à Yokosuka dans les eaux des îles Spratly (Nansha) une provocation spectaculaire destinée à affirmer leur opposition aux travaux entrepris par la Chine pour construire de nouvelles îles.
Dès le lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, les Etats-Unis victorieux placèrent Okinawa sous administration militaire directe (l’île ne revint sous administration civile japonaise qu’en 1972, vingt ans après le reste du pays). Quand les communistes chinois chassèrent les forces bourgeoises corrompues de Chiang Kai-shek à la fin des années 1940, les Etats-Unis transformèrent Okinawa en forteresse et y installèrent plusieurs bases, souvent après avoir purement et simplement confisqué les terrains nécessaires. Ces bases furent bientôt utilisées dans la guerre contre-révolutionnaire contre les ouvriers et les paysans en Corée, et plus tard dans celle du Vietnam.
Les stratèges américains considèrent depuis longtemps Okinawa comme la « clé du Pacifique », et son importance militaire (et celle des îles et îlots qui l’entourent) ne fait que croître avec le renforcement du dispositif antichinois. L’impérialisme japonais renforce aujourd’hui sa propre présence en construisant de nouvelles bases et en partageant davantage les installations militaires avec les Etats-Unis. A Henoko, sur l’île d’Okinawa, le gouvernement japonais construit une base ultramoderne pour les marines américains, malgré une forte opposition des habitants. Aujourd’hui destinée à servir de base de lancement pour les opérations de rapine et les provocations américaines et japonaises dans la région, cette nouvelle installation pourrait servir un jour de base à la marine de guerre japonaise.
La population d’Okinawa manifeste régulièrement depuis des dizaines d’années contre les bases militaires de l’île. Ces manifestations sont souvent provoquées par des agressions sexuelles perpétrées par des soldats américains à l’encontre de femmes de l’île, mais l’opposition aux bases militaires est très fortement ancrée dans la population locale. Un « groupe d’étude » du PLD qui s’était réuni l’été dernier à Tokyo a ouvertement envisagé la fermeture des deux principaux journaux bourgeois d’Okinawa, qui se font l’écho de l’hostilité de la population vis-à-vis des bases une proposition qui a provoqué une tempête de protestations. Le vote de la LSN gonfle aussi les voiles de l’extrême droite ultra-militariste : la nuit suivant le vote, un groupe de nervis d’extrême droite, agissant de toute évidence en connivence avec les flics, a agressé des manifestants anti-bases à Henoko. Fermeture de toutes les bases militaires américaines ! A bas le traité de sécurité américano-japonais ! Ecrasons l’alliance militaire contre-révolutionnaire entre les Etats-Unis et le Japon par la révolution ouvrière des deux côtés du Pacifique !
Le pacifisme et le mouvement de protestation
Au Japon, tout comme aux Etats-Unis, beaucoup de gens pensent que la Deuxième Guerre mondiale était une « guerre contre le fascisme », où les « Alliés » anglo-américains combattaient pour la « démocratie ». Mais la Deuxième Guerre mondiale, de même que la Première, était une guerre interimpérialiste pour le contrôle des colonies, des marchés et des sphères d’influence. Les puissances impérialistes émergentes (l’Allemagne, l’Italie et le Japon) s’étaient dans une grande mesure vu refuser ce qu’elles considéraient comme leur part de l’Asie et de l’Afrique.
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, les marxistes authentiques s’opposèrent à toutes les puissances impérialistes ; ils se battaient pour la solidarité ouvrière internationale et pour une lutte révolutionnaire contre la domination capitaliste à l’intérieur de chaque pays. En même temps, nos prédécesseurs révolutionnaires défendaient inconditionnellement l’Union soviétique contre les impérialistes. Ils prirent aussi fait et cause pour les mouvements de libération nationale qui naissaient dans les colonies tandis que les impérialistes étaient occupés à s’affronter. Les partis du mouvement communiste stalinisé, par contre, affichèrent leur patriotisme après l’invasion de l’URSS par l’Allemagne en juin 1941 et ils s’opposèrent à la lutte de classe dans les pays capitalistes alliés de l’URSS ; dans les colonies opprimées de ces impérialistes alliés, les staliniens s’opposèrent à la poursuite de la lutte pour la libération nationale et sociale.
Quand les Etats-Unis larguèrent des bombes atomiques sur les villes d’Hiroshima et de Nagasaki en août 1945, le Japon était déjà vaincu. Ces bombardements, une démonstration de force destinée à intimider l’Union soviétique, tuèrent 200 000 personnes. La guerre et la défaite du Japon suscitèrent dans de larges couches de la population japonaise une peur et une haine profondes de la guerre qui demeurent aujourd’hui encore un facteur important de la vie politique. Aussi la population reste très attachée à la « Constitution pacifiste ». Ce que veut réellement la bourgeoisie, c’est une révision complète de la Constitution, mais elle craint que l’opinion ne soit pas prête pour un tel changement qui nécessiterait un référendum. Cette hésitation explique la tactique consistant à faire voter des lois qui « réinterprètent » la Constitution.
Après la défaite du Japon en 1945, le pays connut une puissante vague d’agitation ouvrière, dont le déclencheur fut une grève menée par des prisonniers de guerre et des travailleurs forcés chinois et coréens dans les mines de Hokkaido (l’île la plus au Nord du Japon). De grandes grèves donnèrent naissance dans certaines industries et certaines parties du pays à des comités de « contrôle de la production », des comités ouvriers qui prenaient le contrôle des usines et qui exerçaient, à des degrés plus ou moins étendus, un contrôle sur la production, remettant ainsi en cause le droit de propriété bourgeois. C’est dans ce contexte que l’occupant américain, en fait, rédigea et imposa au Japon la nouvelle constitution.
Les travailleurs avaient subi d’énormes privations pendant la guerre, et la défaite avait privé de toute autorité le pouvoir en place. La priorité numéro un des forces d’occupation était par conséquent d’assurer la stabilité de l’ordre capitaliste au Japon. Naturellement la Constitution gravait dans le marbre le droit de propriété privée ; de façon significative, et en dépit des valeurs démocratiques professées sur le papier par les Etats-Unis, elle maintenait aussi le système impérial, une institution clé pour préserver la stabilité sociale. Alors que les grèves se multipliaient, le général Douglas MacArthur (le commandant en chef des forces d’occupation) écrivit en janvier 1946 à Dwight Eisenhower, le chef d’état-major de l’armée américaine, que le Japon s’écroulerait si l’empereur était destitué. En même temps l’occupation avait pour but d’empêcher la résurgence d’un rival capable de contester la puissance américaine dans le Pacifique ; c’est pourquoi la Constitution stipule qu’« il ne sera jamais maintenu de forces terrestres, navales et aériennes, ou autre potentiel de guerre » (article 9).
Immédiatement après les grèves de septembre 1945, et dans le but d’instaurer des relations stables entre ouvriers et patrons, les forces d’occupation imposèrent des droits nouveaux pour les travailleurs japonais. L’occupant américain abrogea également les lois répressives qui depuis 1925 interdisaient le communisme et il fit sortir de l’enfer des geôles japonaises les militants de gauche encore vivants. Le Parti communiste japonais (PCJ) commença immédiatement à jouer un rôle majeur dans les luttes ouvrières.
Mais le PCJ utilisa son influence pour trahir les grèves au nom de la soi-disant « démocratie » bourgeoise. Ayant la position que le Japon était une sorte de société semi-féodale, il saluait l’occupation, prétendant qu’elle s’attaquait aux « éléments féodaux » et qu’elle jouait un rôle progressiste. Tout cela était dans la droite ligne du soutien du PCJ aux Alliés pendant la guerre. L’occupation prit bien sûr rapidement un cours différent. Peu après que le PCJ eut trahi la grève générale de 1947, une campagne fut lancée contre les militants de gauche et les dirigeants ouvriers. Des dizaines de milliers d’entre eux furent licenciés entre 1949 et 1951. La suppression en 1948 du droit de grève pour les fonctionnaires, qui avaient été à l’avant-garde des luttes ouvrières, fut une étape majeure de cette campagne.
La répression s’intensifia après la Révolution chinoise ; pendant la guerre de Corée, le PCJ fut interdit et sa direction contrainte à la clandestinité. Grâce à cette répression et à la collaboration active du Parti socialiste pour contrer l’influence communiste dans les syndicats, la vague de luttes ouvrières fut défaite. Suite aux critiques de Moscou, le PCJ désavoua rétrospectivement en 1950 sa politique de soutien à l’occupation américaine, mais il a toujours pour programme de soutenir des forces bourgeoises au nom de la « démocratie » (c’est également le programme des autres réformistes sociaux-démocrates au Japon, comme ailleurs dans le monde).
L’idée très répandue que la Constitution pourrait empêcher la guerre impérialiste et qu’un mouvement populaire pourrait créer un Japon pacifique est un thème favori de la propagande du PCJ. Ces illusions sont suicidaires pour la classe ouvrière. L’impérialisme et le militarisme sont inhérents au système capitaliste ; pour mettre fin à la guerre impérialiste, il faudra une série de révolutions ouvrières qui arracheront les moyens de production des mains des capitalistes et instaureront une économie planifiée internationale.
Après la Révolution chinoise de 1949, la politique américaine envers le Japon fit un tournant à 180 degrés. Le Japon avait jusque-là été considéré essentiellement comme un rival pour la domination économique dans la région Pacifique ; il devenait maintenant un allié clé dans la croisade américaine contre la « menace communiste » en Asie. C’est ainsi qu’en application d’une directive de l’occupant américain, le gouvernement japonais créa en 1950, pendant la guerre de Corée, ce qui allait devenir les Forces d’autodéfense (FAD). Les rivalités impérialistes ne peuvent jamais être totalement éliminées, mais elles furent subordonnées à l’unité contre la Chine et l’URSS et contre la menace de nouveaux soulèvements anticapitalistes, comme ceux qui éclatèrent effectivement en Corée et au Vietnam. La période de reprise économique de l’après-guerre ne démarra vraiment que quand le Japon devint le fournisseur attitré des forces américaines pendant la guerre de Corée. Sur le plan politique, la coopération anticommuniste demeure encore aujourd’hui le facteur dominant dans les relations américano-japonaises.
Pour une lutte de classe contre la bourgeoisie !
Quelques jours avant de faire voter la LSN, le gouvernement a fait adopter par le parlement des lois facilitant encore le recours au travail temporaire. C’est une grave attaque contre la classe ouvrière sur le plan économique. Ces nouvelles lois suppriment toute limite de durée à l’emploi d’un travailleur intérimaire sur un poste donné (elle était auparavant plafonnée à trois ans). Elles encouragent un recours accru à des intérimaires plutôt qu’à des salariés en contrat à durée indéterminée bénéficiant d’avantages sociaux, d’une meilleure garantie de l’emploi et de droits syndicaux. Il y a bien eu de petites manifestations de protestation, et beaucoup de colère parmi les travailleurs, mais les bureaucrates qui sont à la tête des syndicats acceptent le mensonge qu’ouvriers et patrons partageraient un même « intérêt national », et ils n’ont pas cherché à organiser une lutte sérieuse contre ces lois.
En même temps, beaucoup de manifestations contre la nouvelle loi militaire ont mobilisé des travailleurs qui défilaient derrière des banderoles syndicales. L’opposition à la LSN s’est manifestée dans plusieurs industries stratégiques, comme la construction navale et la sidérurgie. Plusieurs syndicats affiliés à la Rengo (la plus importante fédération syndicale) ont publié des déclarations de protestation, tandis qu’un certain nombre de syndicats affiliés à Zenroren (la fédération liée au PCJ) ont donné mandat à leur direction pour déclarer une grève politique contre cette loi.
Le syndicat des personnels de santé affilié à Zenroren, qui a environ 170 000 adhérents, a justifié son opposition à la LSN en notant que si une guerre éclatait, ses adhérents seraient immédiatement et directement impliqués. Le syndicat de la métallurgie affilié à Zenroren (environ 9 000 adhérents) a voté le principe d’une grève et il a organisé partout dans le pays des réunions sur le lieu de travail auxquelles participaient également des ouvriers non syndiqués. Il est clair que la pression à la base devait être très forte ; le journal du PCJ Akahata rapporte les propos d’un ouvrier qui déclarait : « Nous attendons que le syndicat nous propose des actions. » Mais les bureaucrates des trois fédérations syndicales (outre les deux mentionnées ci-dessus, il y a également Zenrokyo, lié au Parti social-démocrate) sont pour la collaboration de classes et farouchement contre mobiliser la puissance sociale de la classe ouvrière. La direction du syndicat procommuniste des métallos a ainsi appelé le 9 septembre dernier à une « grève » symbolique d’une demi-heure dans une entreprise (grève à laquelle ont participé quelques dizaines de travailleurs) pour dire non à la LSN et à la loi sur le travail temporaire.
Il faut vaincre politiquement les directions réformistes qui sont à la tête des syndicats ; les révolutionnaires doivent se battre dans les syndicats pour une nouvelle direction, sur un programme de lutte de classe et d’opposition politique au gouvernement capitaliste. L’hostilité envers la LSN doit déboucher sur une mobilisation de la classe ouvrière pour lutter contre la classe capitaliste et sa machine de guerre. Un exemple limité mais significatif a été l’action ouvrière menée en 2001 dans le port de Sasebo, où environ 200 dockers affiliés à Zenkowan (Syndicat des dockers) ont refusé de charger du matériel de guerre destiné à la marine japonaise envoyée soutenir l’impérialisme américain en guerre en Afghanistan. Les actions de solidarité internationale de ce type donnent un avant-goût de la puissance de la classe ouvrière et de sa capacité à renverser la domination de la bourgeoisie.
La lutte pour une direction révolutionnaire
Une partie de l’opinion bourgeoise s’oppose au militarisme antichinois agressif du gouvernement actuel parce qu’elle estime que cela met en danger les affaires des firmes japonaises en Chine. Cette tendance est principalement représentée par le Parti démocrate, mais aussi par des personnalités comme Uichiro Niwa (ex-patron du géant du négoce Itochu et ancien ambassadeur en Chine) et Makoto Koga, ex-poids lourd du PLD. Leur influence directe sur la politique gouvernementale est en ce moment limitée, mais cela pourrait changer. En fait, le Parti démocrate est tout aussi militariste que le PLD, mais il préfère préserver la fiction d’une armée « défensive », et il a peur de se faire entraîner par les Etats-Unis dans des conflits militaires lointains. Le Parti démocrate, un parti bourgeois de droite, a ainsi présenté au cours de la dernière session parlementaire, de concert avec le « Parti de la restauration du Japon », une loi militariste ayant pour but de renforcer la collaboration entre les FAD et les garde-côte dans les eaux qui entourent le Japon avec la Chine en ligne de mire.
Une partie de la droite de l’échiquier politique bourgeois critique Abe parce qu’il n’a pas cherché ouvertement à réviser la Constitution. Parmi eux figurent des universitaires comme Kobayashi Setsu, professeur à l’Université de Keio, qui reproche à Abe d’avoir une méthode créant « de l’instabilité dans la législation », autrement dit que tout gouvernement pourrait changer d’« interprétation » à sa convenance (comme l’a fait Abe). Le PCJ a cherché explicitement à faire bloc non seulement avec le Parti démocrate mais aussi avec des intellectuels ouvertement militaristes, sur la base d’une opposition commune au changement constitutionnel voulu par Abe. Le jour où le gouvernement faisait adopter sa nouvelle loi, la direction du PCJ a publié un appel à un nouveau « gouvernement populaire de coalition » dans l’unique but d’abroger cette loi. Y compris avec une offre de collaboration électorale.
L’ AEUDL appelle elle aussi à cor et à cri à une « alliance des partis d’opposition ». Elle a ainsi organisé une réunion le 19 novembre avec les chefs de cinq partis d’opposition, dont le Parti démocrate, le PCJ et un parti néolibéral dur. En termes marxistes, c’est un front populaire, c’est-à-dire un bloc entre des groupes ouvriers réformistes et des formations politiques bourgeoises, dans l’objectif de prendre les rênes d’un gouvernement capitaliste. Naturellement, les éléments bourgeois garantiront qu’une coalition de collaboration de classes de ce genre aura un programme capitaliste.
Pour y parvenir, le PCJ donne assurance à la bourgeoisie que dans l’éventualité où il serait autorisé à participer au gouvernement, il soutiendrait pleinement l’impérialisme japonais. Ainsi, le dirigeant du PCJ Kazuo Shii a donné une longue interview au quotidien bourgeois Nikkei Shimbun, publiée le 3 octobre, où il s’est engagé à ne pas remettre en cause l’alliance militaire américano-japonaise (alors même que l’abrogation de ce traité figure au programme du PCJ). Il a également déclaré : « Nous coexisterons avec le système impérial. Pas de souci. » Le PCJ ne rate aucune occasion de rappeler qu’il ne veut pas que « nos » forces se retrouvent « dans des situations dangereuses », autrement dit les FAD doivent uniquement « défendre » le Japon et non « se laisser entraîner dans les guerres des Etats-Unis ». C’est dans cet esprit qu’en plein milieu des manifestations de juin 2015 Shii a donné une grande conférence de presse pour insister que « même si le PCJ prend les rênes du gouvernement, nous maintiendrons les FAD ».
Le groupe Chukaku se donne des airs plus à gauche que le PCJ et il publie des polémiques contre les déclarations social-patriotiques de ce parti (Zenshin, 6 juillet). Comme le PCJ dit que les îles Diaoyu/Senkaku sont des « territoires japonais », Chukaku attaque cette position en notant avec raison que cela met le PCJ sur le même plan qu’Abe quand celui-ci invoque une prétendue « menace chinoise » pour justifier une militarisation accrue. Mais évoquer ces faits sans prendre position en défense de l’Etat ouvrier chinois, c’est capituler devant l’impérialisme japonais.
Chukaku avance aussi la position que la Constitution, qui garantit la propriété privée capitaliste et le système impérial réactionnaire, ne serait pas bourgeoise. Ce groupe explique que la Constitution japonaise, et notamment son article 9, « était un sous-produit d’une révolution, imposée à la classe dirigeante en échange de la défaite de la révolution d’après-guerre ». Chukaku prétend que si le PLD cherche à faire passer la révision constitutionnelle depuis des dizaines d’années, c’est pour « instaurer le pouvoir absolu du capital », comme si le système actuel avait un autre caractère de classe ! Ces gens utilisent à l’occasion un verbiage « révolutionnaire » pour mieux dissimuler leur vrai programme, qui est simplement de lutter pour défendre la Constitution ce qui est également la préoccupation majeure du PCJ.
Pour lutter politiquement contre le réformisme il faut un parti ouvrier révolutionnaire. Un tel parti lutterait pour gagner la classe ouvrière et les jeunes manifestants à la perspective que pour briser le militarisme et le pouvoir de l’impérialisme, il n’y a pas d’autre voie que la révolution ouvrière, qui expropriera les capitalistes en tant que classe et instaurera un Etat ouvrier, dans le cadre de la construction d’une économie planifiée internationale. C’est ce programme de révolution internationale qui était porté par la Révolution russe d’octobre 1917 et par l’Internationale communiste des premières années, sous la direction de Lénine et Trotsky. C’est notre tradition, et le programme que nous défendons aujourd’hui. Reforgeons la Quatrième Internationale !
Traduit de Workers Vanguard n° 1080, 11 décembre 2015
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