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Le Bolchévik nº 207 |
Mars 2014 |
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Débat au « Cercle Léon Trotsky » sur l’immigration et l’Europe
Lutte ouvrière défend son bilan municipaliste à la veille des élections
Le 24 janvier dernier, la conférence organisée par Lutte ouvrière (LO) dans le cadre de son « Cercle Léon Trotsky » avait pour thème « L’Europe en crise et l’immigration ». Dans son exposé, l’orateur a longuement évoqué la répression et les horreurs de la chasse aux « immigrés clandestins » menée à l’échelle de l’Union européenne (UE) et des différents Etats-nations qui la composent. Il a dénoncé notamment la déclaration faite en 1988 par Michel Rocard, alors Premier ministre de Mitterrand, que « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Mais il a soigneusement passé sous silence le fait que cette politique d’exclusion et d’expulsions racistes est aussi mise en uvre par les exécutifs locaux et en particulier par les maires, y compris depuis 2008 dans des communes où des élus de LO ont fait partie de la majorité municipale ces dernières années.
Intervenant dans le débat qui suivait la présentation, une camarade de la Ligue trotskyste a expliqué notre opposition depuis toujours à cette construction impérialiste qu’est l’Union européenne (et ses prédécesseurs). C’est un consortium dont le but depuis sa conception est de renforcer les capitalistes européens (notamment allemands et français) contre leur propre classe ouvrière et contre leurs rivaux, et plongeant des pays entiers, comme la Grèce, dans la misère. Nous sommes pour les Etats-Unis socialistes d’Europe. Notre camarade a rappelé que LO au contraire avait refusé de voter contre la création de l’Union européenne quand le traité de Maastricht avait fait l’objet d’un référendum en 1992. Ils avaient ainsi laissé les ouvriers, qui étaient à juste titre largement hostiles à cette Europe capitaliste, dans les bras de la direction chauvine et nationaliste du PCF, au lieu de les amener sur le terrain de l’internationalisme prolétarien. Elle a ajouté :
« Nous insistons aussi “A bas la forteresse Europe raciste”, et nous avons beaucoup entendu sur ses horreurs ce soir. L’Etat capitaliste au niveau national et au niveau local rafle, terrorise et expulse tous les jours. Voir Saint-Ouen le 27 novembre 2013 avec l’expulsion par la mairie du plus grand campement de Roms [en France], ou bien l’expulsion de 80 habitants et enfants, pour la plupart des ouvriers africains, expulsés par tractopelle sur ordre de la municipalité de Bagnolet en 2010, ou encore Saint-Denis et les expulsions rue Gabriel Péri, où des ouvriers ont été aussi expulsés. Pratiquement personne n’avait le moindre hébergement alternatif, et leurs biens ont été détruits.
« Et pendant tous ces crimes racistes, les conseillers municipaux de Lutte ouvrière sont restés à leur place dans la majorité municipale de ces villes, avec quelques mots de critique qui donnent finalement une couverture de gauche à la gestion quotidienne du capitalisme, quand ils ont décidé de rester à leur place. On entend la même lamentation de la part de ces conseillers
qui expliquent que les municipalités de gauche ne peuvent pas accueillir tout le monde. »
Dans sa réponse, l’orateur a justifié le refus de LO de s’opposer au traité de Maastricht lors du référendum de 1992 en disant : « On n’est pas pour mêler nos voix et nos soutiens à ceux qui sont contre l’Union européenne pour des raisons réactionnaires, de défense des frontières nationales qui sont encore plus étroites et étriquées. » Comme, en 2005, ils ont précisément mêlé leurs voix à celles (entre autres) des fascistes du Front national pour voter « non » au traité de Lisbonne, la vraie raison de leur vote est ailleurs : c’est parce qu’ils sont pour l’Union européenne capitaliste. Ils l’ont d’ailleurs réitéré en 2005 dans leur revue théorique Lutte de Classe : « Même telle quelle, réalisée sur des bases capitalistes [
], l’Union européenne représente un progrès dans un certain nombre de domaines » (n° 86, février 2005).
En réalité, derrière le verbiage « révolutionnaire internationaliste », la position de LO sur l’UE n’est qu’une variante de l’« Europe sociale » colportée par les bureaucrates syndicaux et des sociaux-démocrates comme Mélenchon : l’illusion que l’UE, sous la pression des luttes, pourrait être transformée en un instrument au service des travailleurs et des opprimés. Lénine expliquait en 1915 : « Certes, des ententes provisoires sont possibles entre capitalistes et entre puissances. En ce sens, les Etats-Unis d’Europe sont également possibles, comme une entente des capitalistes européens
dans quel but ? Dans le seul but d’étouffer en commun le socialisme en Europe, de protéger en commun les colonies accaparées contre le Japon et l’Amérique [
]. »
Pour ce qui est des municipalités, LO a répondu que le fait d’appartenir depuis 2008 à des « listes d’union » (autrement dit à des majorités municipales soutenant des maires « de gauche ») ne les avait jamais « liés d’aucune façon, ni par notre vote, ni par nos choix, ni par nos décisions ». Et qu’en conséquence de quoi, quand « un certain nombre de municipalités ont été confrontées, parce qu’elles sont des banlieues ouvrières, parce qu’elles sont plus pauvres que les autres, elles se retrouvent de fait dans une situation d’avoir des campements et des bidonvilles immondes sur leur commune [
] ont fait le choix, finalement, de demander des expulsions, qui est choquant, en mettant en avant l’idée qu’on ne peut pas accueillir toute la misère à l’échelle d’une commune », les élus LO avaient « toujours pu à la fois voter pour et soutenir les mesures qui allaient dans l’intérêt de la population des villes où nos camarades étaient élus, et dénoncer, s’opposer à toutes les mesures qui étaient choquantes et iniques » comme les expulsions de campements de Roms.
Quand LO laisse entendre qu’elle aurait partout et toujours « dénoncé, sans aucun problème de toutes façons » les expulsions et autres atrocités racistes perpétrées par des municipalités de gauche, c’est tout simplement un mensonge. En réalité, depuis la fin des années 1970, LO n’a eu de cesse de justifier les expulsions d’immigrés par des municipalités « de gauche » (généralement gérées par le PCF) en expliquant qu’elles non plus ne pouvaient pas accueillir « toute la misère du monde » dans leur commune. Ainsi dans l’affaire du « bulldozer de Vitry » en décembre 1980, la destruction d’un foyer de travailleurs immigrés sur ordre du maire PCF de cette commune de la banlieue parisienne quelques semaines avant les élections présidentielles. Cette atrocité raciste avait eu à l’époque une portée nationale ; elle avait été revendiquée fièrement par la direction du PCF pour, comme nous l’écrivions, donner à la bourgeoisie la « “garantie” honteuse [
] qu’il est prêt à endosser les tâches les plus basses pour défendre les intérêts de sa propre bourgeoisie » (le Bolchévik n° 22, février 1981). Quelques semaines plus tard des ministres « communistes » entraient dans le gouvernement capitaliste antisoviétique de Mitterrand. LO écrivait :
« Le Parti communiste français se plaint du fait que ces communes [dirigées par le PCF] abritent une proportion de travailleurs immigrés très largement supérieure aux autres communes administrées par la droite et, pourrait-on ajouter, administrées par le Parti socialiste.
« Le Parti communiste français réclame qu’il y ait un quota maximum de travailleurs immigrés pour toutes les communes [
]. Evidemment, le PCF n’est pas un parti révolutionnaire [
].
« Cependant, sur le fond, nous ne pouvons pas le critiquer car ce qu’il dénonce est valable et fondé. »
Lutte de Classe n° 81, 22 décembre 1980
Et sur le fond LO n’a pas changé. Ils déclaraient encore il y a six mois à propos de Saint-Ouen, où ils font partie de la majorité municipale de Jacqueline Rouillon (Front de gauche), suite à la demande d’expulsion des Roms par Rouillon : « Qu’une municipalité populaire comme celle de Saint-Ouen ne puisse à elle seule régler un tel problème, qui n’a de solution qu’au niveau de l’Etat et de ses excroissances que sont le département ou la région, personne ne le conteste. Les communes de droite font pire » (Lutte Ouvrière, 22 novembre 2013). La mairie capitaliste ne peut « à elle seule régler un tel problème » : accueillir toute la misère d’un seul bidonville de Roms ! Mais les réformistes de LO répandent l’illusion que l’on peut la résoudre « au niveau de l’Etat » capitaliste (central).
LO dira qu’elle a protesté à Bagnolet en 2009 contre l’expulsion en plein hiver par le maire PCF Marc Everbecq d’un immeuble occupé en partie par des travailleurs africains (expulsion accompagnée de la destruction de l’immeuble à coups de tractopelle). Mais comme le notait notre camarade dans son intervention, les élus LO au conseil municipal de Bagnolet (dont Jean-Pierre Mercier, par ailleurs dirigeant de la CGT de l’usine PSA d’Aulnay et aujourd’hui « délégué syndical central adjoint CGT » du groupe PSA) n’ont alors pas pour autant jugé opportun de se retirer de la « majorité municipale ». Ils ont en particulier voté quelques semaines plus tard le budget du maire autrement dit, ils ont voté de lui payer sa tractopelle (voir notre article « Expulsions racistes à Bagnolet LO se solidarise avec les expulsés
pour redorer le blason de la municipalité PCF », le Bolchévik n° 192, juin 2010) !
LO a décidé de se présenter seule cette année aux élections municipales, indépendamment de la coalition de collaboration de classes qui soutient le gouvernement capitaliste de Hollande. C’est une différence avec le PCF, le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon ou le NPA, électeurs officiels de Hollande et qui s’apprêtent à revoter pour les partis du gouvernement au deuxième tour des municipales.
Pourtant nous appelons à ne pas voter pour LO non plus, car elle n’a même pas fait semblant de tourner la page de son tout récent passé où elle partageait les responsabilités dans des municipalités capitalistes de gauche. Loin de déclarer qu’ils ne recommenceront plus (pour le moment tout au moins), ils viennent au contraire de publier dans Lutte de Classe un article où ils considèrent comme parfaitement légitime pour des « révolutionnaires » de participer à la gestion d’une municipalité sous le capitalisme. Ils font leur la formule des guesdistes d’il y a plus de cent ans, pour lesquels les « communes » représentaient « un champ de manuvre et d’entraînement pour l’armée socialiste », et ils déclarent à propos des élus socialistes d’alors :
« Et dans bien des villes, ils parvinrent à mener des politiques permettant de consacrer une partie importante de leurs ressources à l’amélioration des conditions de vie des plus pauvres. »
« Le mouvement socialiste et l’impôt », Lutte de Classe n° 157, février 2014
On ne sait pas si LO pense sincèrement qu’elle a contribué de son côté à « l’amélioration des conditions de vie des plus pauvres », comme les Roms ou les ouvriers immigrés, à Bagnolet, Saint-Ouen, Vaulx-en-Velin, etc.
En fait c’est l’argument classique du réformisme : que l’on pourrait gérer l’Etat capitaliste pour le compte des travailleurs. Mais les municipalités capitalistes ne sont pas autre chose qu’une subdivision administrative de l’Etat bourgeois, un organe d’oppression aux mains de la classe capitaliste. Nous refusons d’accorder un soutien électoral, même sauvagement critique, à un groupe comme LO qui, pour tout bilan de sa propre participation à l’administration du capitalisme, en défend mordicus le principe et passe à la trappe toutes ses propres compromissions. Nous luttons pour construire un parti ouvrier révolutionnaire d’avant-garde qui lutte pour diriger une révolution socialiste et en finir avec « toute la misère du monde ».
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