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Le Bolchévik nº 207

Mars 2014

Dieudonné : démagogue antisémite, homme de paille des fascistes

Les trahisons des directions du mouvement ouvrier attisent la réaction

Interdiction des spectacles de Dieudonné – Hollande et Valls renforcent l’arsenal de l’Etat

Nous avons publié en janvier dernier un tract qui dénonçait comment l’Etat français accroissait ses pouvoirs répressifs en prenant Dieudonné pour cible. La publication de ce tract a suscité au sein de notre organisation internationale une discussion sur le fait que des opprimés embrassent l’antisémitisme. Cette discussion a été très importante et riche d’enseignements. Notre tract, tout en condamnant le poison antisémite de Dieudonné, minimisait par omission le danger bien réel et sinistre que ce personnage représente pour les jeunes appartenant aux minorités religieuses, ethniques ou raciales : il détourne leur colère et leur désespoir justifiés, face à l’affreuse oppression qu’ils subissent, vers un poison, les préjugés anti-Juifs. Notre tract ne confrontait pas le fait que la pourriture réactionnaire raciste colportée par Dieudonné – lui-même à la peau foncée et cible de la répression, et se présentant comme un porte-parole des opprimés – trouve un certain écho parmi des jeunes des minorités et dans une partie de la classe ouvrière multiethnique de ce pays. Et nous avons eu du mal à aborder cela de front dans notre tract, faisant preuve de pusillanimité libérale.

Le 26 janvier s’est déroulée dans les rues de Paris la plus grande manifestation fasciste depuis des dizaines d’années. Des milliers de nazis et de skinheads ont défilé derrière le drapeau tricolore à côté de royalistes et de réactionnaires catholiques, scandant des slogans qui mêlaient homophobie, haine raciste et antisémitisme : « Bleu Blanc Rouge, la France aux Français », « Faurisson a raison, chambre à gaz c’est du bidon », « On s’est battus contre les pédés, on se battra contre l’IVG » ou « La France est catholique, stop à l’invasion musulmane ». A l’appel de Dieudonné, ex-humoriste devenu homme de paille des fascistes, un certain nombre de jeunes issus des minorités ont également participé à ce « Jour de colère » à côté de leurs bourreaux potentiels. Ceci montre de façon éminemment concrète comment les diatribes de Dieudonné accrochent ces jeunes issus des minorités au char des terroristes fascistes.

Cette provocation menaçante coïncide avec la montée constante des fascistes du Front national (FN) dans les sondages. Le FN de Marine Le Pen se présente pour le moment principalement comme un phénomène électoral centré sur le nationalisme français et le racisme anti-arabe. Mais cette posture ne réussit pas à dissimuler le fait que le FN est infesté de nervis fascistes, comme le montre le nombre impressionnant de candidats aux élections municipales que Le Pen a été obligée de retirer de ses listes après qu’ils se furent révélés sous leur vrai jour, avec tatouages à la gloire des Waffen SS et autres insignes nazis. Leur posture parlementaire peut donc vite changer avec l’aggravation de la crise économique et sociale et la consolidation par le FN d’une base active dans le pays.

Dans le contexte de la crise actuelle, les bureaucrates syndicaux au mieux laissent les travailleurs se battre de façon isolée, quand ils ne trahissent pas purement et simplement ces luttes en collaboration avec les patrons. Les réformistes expliquaient qu’Hollande ne pouvait pas être pire que Sarkozy, mais les faits ont vite montré que c’était un mensonge. Le climat de démoralisation et de réaction – avec des manifestations à répétition de plusieurs dizaines de milliers de personnes contre le mariage homosexuel – donne des ailes au FN et aux groupes encore plus extrémistes qui grouillent dans sa périphérie. Les agressions fascistes contre des militants de gauche et des membres des minorités se sont multipliées l’année dernière. Le siège du NPA et la fac à Toulouse ont été recouverts en février de croix gammées, de croix celtiques (emblème de nombreux groupuscules fascistes) et de sigles de l’OAS. Des graffitis du même genre et des menaces de mort contre militants de gauche et antifascistes font leur apparition sur les facs, et les agressions physiques se multiplient à un niveau menaçant.

Les skinheads de l’organisation Troisième Voie de Serge Ayoub ont tué en juin 2013 Clément Méric, un jeune militant antifasciste. Le même mois, dans le Jura, un skinhead armé d’un fusil a ouvert le feu à trois reprises sur des activistes antifascistes ; en janvier dernier, à Clermont-Ferrand, un autre skinhead armé d’un fusil à canon scié a tiré huit coups de feu à l’entrée d’un concert de solidarité contre l’expulsion d’une famille arménienne. Deux militants ont été hospitalisés, heureusement pour des blessures sans gravité. Ces agressions font partie d’un flot régulier d’attaques qui se déroulent maintenant dans tout le pays, et en particulier à Lyon où en février dernier deux militants de gauche se sont fait poignarder par un groupe de fascistes. Outre les militants de gauche et les syndicalistes, les fascistes prennent aussi pour cible les femmes voilées, les Roms, les membres d’autres minorités, les Juifs et les couples homosexuels. Ce qui s’exprime là, c’est le véritable programme du fascisme : la terreur raciste et la destruction du mouvement ouvrier organisé comme objectif ultime.

Il y a urgence : il faut que la classe ouvrière multiethnique tout entière de ce pays défende ses intérêts en luttant contre ces troupes de choc de la terreur raciste. Nous sommes pour des mobilisations rassemblant syndicats et minorités pour stopper les provocations fascistes. En même temps, en tant que marxistes, nous disons que c’est le système capitaliste en décadence qui engendre les conditions sociales sur lesquelles prospèrent les fascistes. C’est pourquoi la lutte contre le fascisme doit être inséparable d’un combat pour une révolution socialiste qui renversera le système de profit capitaliste, sous la direction d’un parti ouvrier révolutionnaire.

Un certain nombre de gens appartenant aux minorités éprouvent, du fait des attaques de l’Etat dont il est la cible, de la sympathie pour Dieudonné – à tort ! Nous avons nous-mêmes écrit à tort dans notre tract que « les saillies antisémites de Dieudonné, adressées à de jeunes spectateurs en bonne partie issus des minorités, sont sans nul doute incendiaires, mais c’est au compte du gouvernement qu’il faudra mettre toute explosion sociale dans ce pays », une phrase qui dédouanait Dieudonné de sa responsabilité pour ses provocations et leurs conséquences. Nous condamnons la pourriture raciste et anti-juive que Dieudonné déverse, tout en dénonçant la censure préalable et les mesures d’interdiction prises à son encontre par le gouvernement Hollande/Valls – contrairement à la majeure partie de la gauche qui a soit soutenu au moins implicitement la censure (Parti de gauche, LO), soit a recommandé au gouvernement de procéder autrement pour réprimer Dieudonné, en faisant usage de la loi Gayssot (PCF).

Cette censure a été décrétée au nom de la « tradition républicaine », au prétexte que les spectacles de Dieudonné constitueraient une menace pour la « cohésion nationale ». C’est un dangereux précédent judiciaire que l’on pourra maintenant utiliser contre tous ceux que l’Etat capitaliste considère comme une telle « menace ». On visera probablement dans un premier temps les jeunes musulmans et les femmes voilées, dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme ». Mais si la bourgeoisie a de telles armes dans son arsenal, c’est en dernier ressort pour viser le mouvement ouvrier organisé et ses alliés. La lutte de classe entre travailleurs et capitalistes est l’antithèse même de la « cohésion nationale ». La classe ouvrière est la seule classe qui ait le pouvoir social de fermer le robinet des profits en cessant le travail par la grève.

Depuis les interdictions décrétées par Valls à la mi-janvier, l’UMP et Marine Le Pen ont cherché à exploiter cette répression gouvernementale en réclamant qu’on interdise maintenant la mobilisation des antifascistes qui voulaient empêcher la tenue d’un meeting du FN à Rennes. Pour Marine Le Pen, c’était là « une urgence pour la tranquillité publique, la démocratie et la République ». On peut aussi facilement imaginer que les sionistes du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) puissent réclamer à l’avenir l’interdiction du NPA ou d’autres groupes appartenant au mouvement ouvrier. A l’occasion du dîner annuel du CRIF, qui s’est tenu début mars en présence de Hollande, son président Roger Cukierman a une fois de plus pris pour cible l’antisionisme de « l’extrême gauche », en affirmant que c’était le « nouvel habit de l’antisémitisme ».

C’est la classe ouvrière, pas l’Etat capitaliste, qui doit balayer la racaille fasciste des rues et des salles de meeting. Démasquer les dangereux démagogues comme Dieudonné, briser les illusions dans l’Etat capitaliste colportées par la gauche réformiste, combattre l’indifférence face à l’oppression raciale dans le mouvement ouvrier organisé et parmi la gauche : ce sont là des tâches cruciales pour forger le type de mobilisations antifascistes centrées sur le prolétariat que nous préconisons.

Quand Dieudonné « chauffe la salle » pour les fascistes

Dieudonné ne se contente pas de répandre son poison anti-juif. Il a aussi des liens personnels étroits avec des dirigeants fascistes comme Le Pen, Soral ou Ayoub et le tristement célèbre Faurisson, négationniste de l’Holocauste, dont il assure la promotion. Dans le contexte de la crise économique, de la flambée du chômage des jeunes et de l’aggravation de la répression raciste d’Etat, les mensonge hitlériens colportés par Dieudonné, qui prétend que ce monde injuste serait dirigé par une conspiration juive internationale, trouvent malheureusement un écho dans certaines couches de la jeunesse. Dieudonné cherche à détourner vers des préjugés empoisonnés leur colère et leur désespoir justifiés face à la terrible oppression qu’ils subissent. Ceci dans le but de les couper de la perspective d’une lutte sociale commune contre le capitalisme, sous la direction de la classe ouvrière multiethnique.

Le fait même que Dieudonné puisse aujourd’hui trouver une audience dans la jeunesse multiethnique (beaucoup de jeunes continuent à le défendre parce qu’ils le considèrent comme « subversif » et « anti-système ») en dit long sur la gravité de la crise des directions de la classe ouvrière et sur la haine envers les politiciens en place, qu’ils soient « de gauche » ou de droite. Ses vidéos sur YouTube sont regardées par des milliers de personnes. Sur l’une d’elles, on le voit interviewer amicalement le chef de bande skinhead Serge Ayoub peu après l’assassinat de Clément Méric. Pendant cette interview, Dieudonné déclarait : « On [Ayoub et lui] représente bien la France d’en bas, cette France qui a différentes origines, différentes histoires, mais qui finalement… on a le même ennemi quoi…. » Ceci ne peut qu’inciter à davantage de violences de la part des fascistes et des skinheads contre la gauche, alors même que l’extrême droite se sent déjà dangereusement en position de force.

Dans une autre vidéo, Dieudonné cherche à exploiter à son profit deux assassinats racistes : celui d’Ilan Halimi, un jeune Juif originaire d’un milieu modeste qui en 2006 avait été kidnappé, retenu en otage et torturé pendant 24 jours avant d’être assassiné par un gang de jeunes qui avaient essayé d’obtenir une rançon de la communauté juive ; et celui de Saïd Bourarach, marocain, père de deux enfants, assassiné en 2010 par un jeune Juif lié à la Ligue de défense juive, une organisation fascisante. Ces deux meurtres avaient été perpétrés en banlieue parisienne. Mais alors que l’horrible assassinat d’Ilan Halimi était devenu une affaire nationale (les porte-parole du gouvernement condamnant ce crime et traitant dans la foulée tous les jeunes de banlieue comme s’ils étaient des barbares antisémites), le meurtre de Saïd Bourarach avait été largement passé sous silence par la presse comme par les politiciens. Le maire PC de Bobigny, où Saïd Bourarach travaillait et avait été tué, refusa même d’organiser une minute de silence demandée par sa famille et ses amis.

Dans sa vidéo sur ces deux crimes racistes, Dieudonné lance une campagne pour libérer Fofana, le chef du gang qui a assassiné Ilan Halimi. (Il s’amuse par ailleurs du fait qu’Ilan Halimi avait été tabassé et brûlé au point d’être à peine reconnaissable en déclarant qu’il a été « transformé en panini fromage ».) Il réclame la liberté d’expression pour ses assassins. De fait, les meurtres racistes sont précisément la manière qu’ont les fascistes de « s’exprimer ». Dieudonné argumente que Fofana doit être libéré parce que les nervis sionistes qui ont tué Saïd Bourarach ont été libérés de prison, et il conclut en invitant ses partisans à monter sur scène et à scander « Libérez Fofana ! » en dansant et en faisant la « quenelle » – un salut nazi modifié qu’il a lui-même inventé.

C’est là une incitation au pogrom. Dieudonné ne se salit pas lui-même les mains, et ses one-man shows sont soigneusement calculés pour éviter d’appeler ouvertement à tuer des Juifs et des militants de gauche. Son boulot, c’est de « chauffer la salle » et de créer dans l’opinion un climat qui rende acceptable, voire même « comique », d’assassiner des Juifs. Il faut aussi se rappeler du sketch où il faisait remettre à Robert Faurisson, le négationniste le plus célèbre de France, le « prix de l’infréquentabilité et de l’insolence » par un homme habillé en déporté juif avec une étoile de David sur la poitrine. Dieudonné appelle son public à ovationner Faurisson. L’Holocauste a été un événement d’une barbarie inégalée, l’extermination systématique de six millions de Juifs, et aussi d’homosexuels, de Tziganes, de millions de Slaves, de communistes et de militants de gauche. Dieudonné a également déclaré qu’aujourd’hui la France vit sous « l’occupation sioniste », et que « l’occupant est pire que les précédents ». Dieudonné, un Noir vivant en couple mixte, aurait risqué l’internement et la mort sous l’occupation nazie. Des centaines de Noirs furent fusillés, dont beaucoup de « tirailleurs sénégalais » de l’armée française, et beaucoup d’autres furent envoyés dans des camps de concentration au nom de la défense de la pureté de la « race des seigneurs ».

La « quenelle » créée par Dieudonné s’est répandue comme un virus en France et dans le monde entier. Elle a été interprétée à tort par beaucoup de gens, de différentes couleurs et de différents groupes ethniques (dont des syndicalistes) comme une sorte de bras d’honneur au système. Elle a été adoptée par les flics et les soldats – les chiens de garde du système capitaliste – ainsi que par Jean-Marie Le Pen et Bruno Gollnisch, deux dirigeants historiques du Front national, et par les skinheads. Des antisémites affichent des photos où on les voit faisant la « quenelle » devant le camp d’extermination d’Auschwitz, devant le mémorial de l’Holocauste à Berlin, devant une synagogue à Bordeaux (le jour anniversaire de la déportation de 365 Juifs depuis cette même synagogue vers les camps de la mort nazis), devant l’école de Toulouse où Mohamed Merah a abattu trois enfants et un rabbin juifs en 2012, devant des magasins cacher ou sous des menoras décorant les devantures de magasins juifs pour la fête de la Hanoukah. Dieudonné dit qu’il a fait la « quenelle » pour la première fois dans un sketch en 2005 et qu’il l’a reprise à l’occasion des élections européennes de 2009 : « Ce n’était pas un signe de ralliement des antisionistes [sic] à ce moment-là, mais disons que c’était une virgule supplémentaire dans cette démarche antisioniste. »

« La galaxie Dieudonné » : où nationalistes noirs et mollahs iraniens côtoient Le Pen et Soral

Il est significatif que Dieudonné accepte volontiers d’être surnommé « le Louis Farrakhan français ». Farrakhan, qui dirige l’organisation américaine Nation of Islam (NOI), considère Hitler comme « un grand homme » ; il avait voulu la mort du dirigeant noir radical Malcolm X parce que celui-ci avait rompu avec la démagogie et les préjugés réactionnaires qui constituent le fonds de commerce de Farrakhan et celui de Dieudonné. Ce dernier fait la promotion du livre de la NOI la Relation secrète entre les Noirs et les Juifs. Ce pamphlet est en droite ligne des Protocoles des sages de Sion, le tristement célèbre faux tsariste. Comme Farrakhan, Dieudonné colporte la thèse mensongère que les Juifs auraient contrôlé le commerce des esclaves. Quelqu’un qui comme lui s’enorgueillit de ses racines en Afrique subsaharienne devrait savoir que ce sont des musulmans et non des Juifs qui contrôlaient le commerce des esclaves au Cameroun, le pays de ses ancêtres. Des chefs africains noirs de l’ancienne « côte des Esclaves » organisaient également des razzias dans l’intérieur du continent pour pouvoir vendre d’autres Africains aux marchands d’esclaves blancs.

Il suffit aussi de rappeler l’article premier du Code noir de 1685, qui réglementait l’esclavagisme dans les colonies françaises. Cet article appelle les officiers du Roi à « chasser de nos dites îles tous les juifs qui y ont établi leur résidence ». Mais c’est évidemment plus facile de faire porter le chapeau aux Juifs plutôt qu’à la classe dirigeante française, qui au début du XXIe siècle continue à faire payer à Haïti le prix fort pour avoir conquis son indépendance.

Outre des nationalistes noirs, l’entourage de Dieudonné se compose aussi d’intégristes islamiques proches du régime iranien (Centre Zahra, Parti antisioniste) et du Hamas (Collectif Cheikh Yassine). Dieudonné était en 2009 le chef de file de la « Liste antisioniste » aux élections européennes, au côté de Yahia Gouasmi du Centre Zahra et de fascistes avérés comme l’apprenti-Führer Alain Soral. Cette campagne de 2009 aurait été financée par le régime iranien, de qui Dieudonné a par ailleurs reçu, selon ses propres dires, un « budget important » pour réaliser ses projets « culturels » antisémites « à la hauteur de ceux d’Hollywood ». En échange, il a présenté le régime iranien de la « révolution islamique » de 1979 qui avait porté au pouvoir ces mollahs anti-femmes comme un exemple à suivre pour d’autres pays du Proche-Orient et du Maghreb.

Nationalistes noirs et intégristes islamiques mis à part, la mission principale de Dieudonné est aujourd’hui de contribuer à populariser le programme de terreur raciste des fascistes, et de rendre le Front national plus acceptable pour les nombreux habitants nord-africains et noirs des banlieues, où des racistes blancs ne pourraient jamais directement avoir d’audience. Il est de notoriété publique que Dieudonné a choisi Jean-Marie Le Pen, antisémite et raciste de la pire espèce et tortionnaire pendant la guerre d’Algérie, comme parrain d’un de ses enfants, et que fin 2006 il a participé à la « Fête bleu-blanc-rouge » du FN.

Le duo Soral-Dieudonné dénonce aujourd’hui la « dé-diabolisation » du FN engagée par Marine Le Pen, en expliquant que celle-ci est à la botte des homosexuels. Pour Dieudonné, le mariage homosexuel est « un complot sioniste ». Ils accusent aussi Marine Le Pen de courber l’échine devant les sionistes. En 2011, faisant écho à la posture pro-sioniste actuelle de la bourgeoisie française, elle avait cherché à faire oublier la position négationniste traditionnelle du FN, en déclarant notamment que ce qui s’était passé dans les camps nazis « était le summum de la barbarie ».

Mais si les succès électoraux valent bien un certain positionnement « démocrate républicain » du FN, dans ce parti on trouve par exemple Vincent Gérard, secrétaire départemental du FN pour la Haute-Vienne. Gérard est candidat aux municipales à Limoges alors qu’il a été condamné fin 2012 (avec sursis bien sûr) pour agression à coups de couteau et de batte de base-ball contre un bar fréquenté par des militants de gauche (voir le Bolchévik n° 200, juin 2012). Sans compter les histoires de croix gammées et saluts nazis ainsi que le message aux Juifs et aux Arabes « toi et tes enfants, vous êtes bons pour le four ! » qui continuent à trahir le vrai programme de ce parti. Et c’est pourquoi, le jour de l’élection présidentielle, Soral demande (y compris aux minorités, grâce à son partenariat avec Dieudonné) de voter FN.

La bourgeoisie française est la source principale de l’antisémitisme aujourd’hui en France

Les raisons pour lesquelles le gouvernement a décidé de s’en prendre aujourd’hui à Dieudonné ne sont pas difficiles à deviner : une impopularité massive et deux échéances électorales au printemps, avec des fascistes en progression constante. Valls multiplie en parallèle les expulsions de Roms, chassés par milliers de leurs misérables bidonvilles, et les déclarations racistes du genre « les Roms ont vocation à revenir en Roumanie ou en Bulgarie ». Mais en même temps, faisant écho à la formule d’Oscar Wilde que l’hypocrisie est l’hommage du vice à la vertu, le gouvernement cherche aussi à utiliser l’affaire Dieudonné pour essayer de remonter la pente de l’impopularité électorale en prétendant mener un combat contre le racisme et l’antisémitisme.

Comme nous l’expliquions dans notre tract contre l’interdiction des spectacles de Dieudonné par l’Etat, en renforçant son statut de pariah « c’est sans doute Valls qui a le plus semé l’antisémitisme dans la jeunesse opprimée ». De fait, il est proprement obscène de voir ainsi la classe dirigeante française utiliser aujourd’hui l’accusation d’antisémitisme pour taper à bras raccourcis sur des Noirs et des Nord-Africains ; alors que cette même classe dirigeante française s’est rendue coupable d’abominations comme la machination judiciaire contre Alfred Dreyfus, un capitaine de l’armée accusé de trahison, machination qui avait entraîné une explosion de haine contre les Juifs. Et sans oublier la déportation de près de 76 000 Juifs vers les camps de la mort nazis, organisée en partie à l’initiative du régime de Vichy. Quant à l’ex-responsable vichyste François Mitterrand, il n’était pas seulement un proche allié de René Bousquet, chef de la police de Pétain et organisateur de la rafle du Vel d’Hiv : on a découvert en 1992 que Mitterrand faisait déposer chaque année au 11 novembre une gerbe sur la tombe de Pétain à l’île d’Yeu (selon lui il s’agissait là d’une « tradition républicaine »). Les préjugés anti-juifs sont profondément ancrés dans la classe dirigeante française ; on a pu constater à quel point avec la déclaration du Premier ministre Raymond Barre au lendemain de l’attentat terroriste de la rue Copernic en octobre 1980 dénonçant : « cet attentat odieux qui voulait frapper les Israélites qui se rendaient à la synagogue et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic. »

La bourgeoisie française a longtemps cherché à exploiter à son avantage diplomatique le conflit entre Juifs et Arabes au Proche-Orient, une des régions où s’exerçait historiquement son influence coloniale. Elle avait aussi pour but de faire obstacle à l’unité entre Arabes et Français au sein de la classe ouvrière ici en France. La bourgeoisie française et l’Etat sioniste d’Israël s’accordent pour tirer de façon mensongère un trait d’égalité entre antisionisme et antisémitisme. La première n’a jamais autant aimé les Juifs que depuis qu’ils sont « là-bas » en Israël, soi-disant bastion de la démocratie occidentale au milieu du monde arabe, plutôt qu’« ici » dans la France catholique. Sous la Quatrième République et pendant les premières années de la Cinquième République, les gouvernements français successifs ont soutenu à fond l’Etat sioniste, y compris en fournissant à Israël une aide cruciale pour développer son propre programme nucléaire militaire. C’est seulement en 1967 que de Gaulle a changé de pied, un virage calculé pour rapprocher la France des Etats pétroliers arabes après la défaite infligée à l’impérialisme français par les Algériens qui avaient arraché leur indépendance en 1962.

Réduire la communauté juive française à des officines bourgeoises comme le CRIF (qui d’ailleurs n’a pas toujours été dominé par des sionistes) est un mensonge anti-juif grossier. Les Juifs ont joué un rôle important dans le mouvement ouvrier français, à commencer par Paul Lafargue, gendre de Karl Marx et l’un des premiers à populariser le marxisme dans ce pays. L’une des grand-mères de Lafargue était une mulâtre originaire d’Haïti, l’autre était amérindienne et son grand-père paternel juif. Il aimait à dire que « le sang de trois races opprimées » coulait dans ses veines, et qu’il était international de sang avant de le devenir d’idéologie.

Nous honorons aussi la mémoire des Francs-tireurs et partisans – main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI, juifs pour la plupart), les groupes de combattants dirigés par le Parti communiste qui sous la conduite de Missak Manouchian et de Joseph Epstein menèrent des actions de guérilla contre des officiers nazis en région parisienne pendant la Deuxième Guerre mondiale. Beaucoup de ces militants ont donné leur vie pour combattre la barbarie de l’impérialisme et du nazisme mais aussi pour défendre la patrie de la Révolution d’octobre 1917. Malgré la dégénérescence stalinienne de l’URSS, les formes de propriété collectivisées et l’économie planifiée continuaient à représenter, pour des millions de Juifs et de non-Juifs, l’espoir d’une société plus égale et plus juste qui ne pourrait jamais se réaliser sous le capitalisme. Seule une économie socialiste planifiée à l’échelle mondiale, à l’opposé des antagonismes économiques du capitalisme basé sur l’Etat-nation, pourra commencer à éradiquer le racisme et l’antisémitisme.

Alors même que dans l’Europe entière la barbarie génocidaire nazie s’acharnait sur les Juifs, le jeune trotskyste Abraham Léon, mort à Auschwitz en 1944, mit en garde dans son livre la Conception matérialiste de la question juive contre les illusions que le sionisme serait une solution à l’oppression du peuple juif. L’Etat capitaliste israélien a été fondé en 1948 suite aux machinations de l’impérialisme britannique (avec l’approbation de Staline) et sous l’impact de l’Holocauste. Israël, qui possède aujourd’hui l’arme nucléaire, repose sur l’expulsion et l’oppression brutale du peuple palestinien. C’est aussi un piège mortel pour le peuple juif israélien lui-même. Il ne pourra y avoir de solution juste satisfaisant les droits nationaux conflictuels de ce peuple et du peuple palestinien sans la création d’une fédération socialiste du Proche-Orient, ce qui nécessite de renverser tous les régimes bourgeois de la région, y compris celui de l’Etat sioniste d’Israël, par la révolution prolétarienne.

Le soixante-dixième anniversaire de l’exécution de 23 combattants des FTP-MOI a été commémoré le 21 février dernier. A l’époque de leur exécution en 1944, les fascistes français qui soutenaient l’occupation nazie avaient placardé leurs photos dans toute la France sous la forme de l’« Affiche rouge » qui dénonçait en gros caractères « l’armée du crime » et énumérait la liste des pays d’origine de ces militants en précisant qu’ils étaient juifs ou sinon tout au moins « communiste » ou « rouge ». Cette année, peu après les cérémonies de commémoration, une fresque honorant la mémoire de ce groupe de FTP-MOI à Paris a été profanée par des graffitis représentant des ananas, accompagnés du mot « Shoananas » – le titre de la chanson anti-juive inventée par Dieudonné pour tourner en dérision l’Holocauste et le sacrifice de ceux qui ont donné leur vie pour lutter contre le fascisme.

La bourgeoisie française nourrit le sionisme et l’intégrisme islamique

Le CRIF et la LICRA sont des agents d’Israël, mais ils sont aussi au service de la bourgeoisie française à laquelle ils fournissent des alibis pour ses crimes antisémites et des prétextes pour mener sa « guerre contre le terrorisme » à l’intérieur comme à l’étranger. C’est à la suite de la guerre israélo-arabe de 1967 que la communauté juive française a évolué vers la droite. Et après le 11 septembre 2001, elle a connu un nouveau et violent tournant vers la droite quand la bourgeoisie française, de concert avec les sionistes, a attisé l’hystérie sur les « réseaux terroristes » islamistes en France. Ceci lui a servi à justifier une répression policière brutale contre la masse toujours plus nombreuse de la jeunesse des banlieues au chômage. Et ceci avec le soutien d’une grande partie de la gauche – y compris Lutte ouvrière qui, avec le PC, a soutenu le rétablissement de « l’ordre » républicain pendant la révolte des banlieues en 2005.

Avec la crise économique en 2008 et la détérioration accélérée de la condition matérielle de la classe ouvrière et des minorités en France, la bourgeoisie a plus que jamais besoin d’un « ennemi intérieur » qui lui permette de détourner la colère provoquée par sa politique d’austérité capitaliste et de guerres coloniales. Les diatribes grotesques proférées par des ministres et des députés contre les musulmans sont devenues monnaie courante. Manuel Valls s’est demandé si oui ou non « l’islam est compatible avec la démocratie ». Le chef de l’UMP, Jean-François Copé, dénonce les « voyous » qui d’après lui attendraient à la porte des écoles pour arracher leur pain au chocolat des mains des enfants de ses « compatriotes » pendant le jeûne du Ramadan. Et début 2014, l’ancien ministre UMP Claude Goasguen évoquait « cette Shoah terrible qu’on n’ose plus enseigner dans les lycées tant on a peur de la réaction des jeunes musulmans qui ont été drogués dans les mosquées ».

Les débats télévisés assurent tous les jours la promotion d’intellectuels sionistes comme Bernard-Henri Lévy, Pierre-André Taguieff ou Alain Finkielkraut, présentés comme des « experts » sur les questions du « communautarisme » (mot de code pour les attaques anti-arabes) et de l’« antisémitisme ». La dernière trouvaille de Finkielkraut consiste à dénoncer les « Beurs » pour leur « accent qui n’est plus français tout à fait », dans le cadre de sa campagne obsessionnelle pour présenter les jeunes des banlieues ouvrières comme rien moins que des sauvages qui auraient besoin de leçons de civilisation et de morale. Il s’inscrit dans la « glorieuse » tradition de Jules Ferry, raciste et colonialiste endurci, pionnier du système scolaire laïque français et qui en 1885 résumait en ces termes sa vision de la hiérarchie raciale : « Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. »

Ou Pierre-André Taguieff pour qui toute opposition à la politique génocidaire d’Israël à l’encontre des Palestiniens n’est pas autre chose que de l’antisémitisme. Tous ces gens affirment avoir découvert une épidémie d’antisémitisme dans les banlieues, ce qui ne manque pas de sel de la part de ce même « BHL » qui a assuré la publicité pour l’attaque menée par la France et l’OTAN contre la Libye de Kadhafi, et qui a réussi le tour de force d’aller à Benghazi, où il a rencontré « des révolutionnaires et des libéraux […] adeptes d’un islam paisible, fidèle à l’esprit des Lumières, ami du droit et des droits de l’homme », et à Kiev où il n’a trouvé nulle part d’antisémite parmi les nationalistes ukrainiens pronazis qu’il a fraternellement côtoyés sur la place Maïdan (voir notre article page 5). De retour de sa visite en Ukraine pour y soutenir la « révolution », il déclarait à ce sujet : « Je n’ai pas vu de néonazis, je n’ai pas entendu d’antisémites […]. J’ai entendu au contraire un mouvement incroyablement mûr, incroyablement déterminé et très profondément libéral. »

Pendant des années, la bourgeoisie a aussi délibérément favorisé l’islam, en qui elle voyait un moyen d’enrégimenter les travailleurs et de semer la division au sein du prolétariat, allant même jusqu’à construire des salles de prière à l’intérieur des usines. Mais quand des ouvriers nord-africains se sont retrouvés à la tête de grèves combatives de l’automobile au début des années 1980, le gouvernement français (avec à l’époque des ministres PC) a dénoncé les « ayatollahs dans les usines ». A partir de ce moment, les gouvernements français successifs se sont mis à « organiser » une communauté musulmane principalement maghrébine, travaillant pour ce faire main dans la main avec « notre ami le roi » du Maroc (également qualifié de « commandeur des croyants »), l’UOIF pro-Frères musulmans et les salafistes financés par les Etats du Golfe. En 2003 le Conseil français du culte musulman a été créé sous le patronage des ministères de l’Intérieur PS puis UMP dirigés successivement par Chevènement, Vaillant puis Sarkozy.

Aujourd’hui, avec le chômage massif dans les banlieues et dix ans de campagnes racistes incessantes de l’Etat, la pratique de l’islam est en progression, notamment parmi les jeunes générations de Français d’origine musulmane. Une minorité se tourne aussi vers le salafisme et d’autres courants intégristes islamiques, qui non contents de propager le racisme anti-juif colportent également des conceptions réactionnaires anti-femmes et homophobes particulièrement répugnantes. Les imams qui ces douze derniers mois ont appelé aux manifestations contre le mariage homosexuel et ont défilé dans la rue à côté des fascistes et des illuminés catholiques alimentent le racisme et apportent de l’eau au moulin des fascistes. Les quelques études abordant la montée de l’antisémitisme dans les banlieues (par exemple le livre Français comme les autres ? de Sylvain Brouard et Vincent Tiberj) signalent une montée de l’intolérance envers les Juifs parmi les musulmans pratiquants, mais notent en même temps que la troisième génération de jeunes d’origine musulmane qui ne pratiquent pas une religion sont moins enclins à être anti-Juifs que la moyenne des Français.

Il y a d’une part le succès de la campagne « antiantisémite » menée avec le soutien de l’Etat par les Taguieff et les Finkielkraut, et d’autre part la montée des réactionnaires islamiques du Hamas (lui-même parrainé initialement par les sionistes pour faire contrepoids à l’OLP laïque). Dans ce contexte, la gauche française a de plus en plus renoncé à protester contre les atrocités commises par les sionistes à l’encontre des Palestiniens, abandonnant ainsi le terrain aux islamistes (et à des engeances comme Soral, l’ami fasciste de Dieudonné). Ceci décourage en retour la population nord-africaine laïque. Alors qu’il y a dix ans c’était une question hautement politisée qui faisait descendre des milliers de personnes dans la rue, aujourd’hui presque plus personne ne se mobilise.

La responsabilité de la gauche

L’abandon de la population immigrée par des pans clés du mouvement ouvrier et de la gauche, abandon qui découle directement de son programme de collaboration de classes, a ouvert un boulevard à des provocateurs malfaisants comme Dieudonné. Cela fait quarante ans que les directions syndicales et les partis ouvriers réformistes sont bien installés dans une série de coalitions de front populaire avec des partis bourgeois. Ces fronts populaires mènent des politiques d’austérité anti-ouvrière et de répression raciste contre les immigrés et leurs enfants nés en France, en même temps qu’ils sabotent la lutte de classe et empoisonnent la conscience de classe.

Le PC a présenté ses offres de service en 1981 pour participer au gouvernement d’« union de la gauche » du président socialiste François Mitterrand en détruisant à coup de bulldozer un foyer de travailleurs immigrés à Vitry-sur-Seine, une municipalité ouvrière et immigrée de la banlieue parisienne qu’il dirigeait.

L’interdiction par Chirac du hidjeb (foulard) islamique à l’école en 2004 a constitué une étape supplémentaire pour isoler et montrer du doigt les jeunes des minorités. Alors même que beaucoup de ces jeunes n’étaient eux-mêmes pas pratiquants, ils ont perçu à juste titre cette loi comme une attaque raciste et discriminatoire contre toute la population d’origine musulmane. La loi contre le foulard a été adoptée avec le soutien enthousiaste d’une grande partie de la gauche, LO jouant à cette occasion le rôle d’avant-garde de la chiraquie avec sa campagne pour exclure Alma et Lila Lévy de leur lycée à l’automne 2003. En tant que marxistes – et par conséquent athées dévoués à la lutte pour la libération des femmes – nous sommes opposés au voile à la fois comme symbole et comme instrument de l’oppression des femmes. Cependant, nous nous opposons sans aucune ambiguïté à toutes les mesures d’interdiction et de restriction au port du voile édictées par un gouvernement quel qu’il soit ou par l’Etat, qui sont des mesures racistes. Elles ne peuvent avoir pour effet que de renforcer un peu plus l’isolement de ces jeunes femmes et les pousser davantage vers l’obscurantisme religieux.

Cette loi a aussi contribué à attiser les flammes de la révolte des banlieues d’octobre-novembre 2005, qui a révélé l’intensité des tensions et des antipathies mutuelles entre la jeunesse des banlieues de ce pays, en grande partie issue des minorités, et la classe dirigeante française. Le détonateur de cette révolte a été la mort de Bouna Traoré et Zyed Benna, âgés respectivement de 15 et 17 ans, électrocutés de façon atroce alors qu’ils cherchaient à échapper à une descente policière raciste à Clichy-sous-Bois, dans la banlieue de Paris. Ces tensions furent exacerbées un peu plus quand les CRS lancèrent une grenade lacrymogène dans une mosquée de Clichy à l’heure de la prière, trois jours après la mort de Zyed et Bouna.

Il faut un parti ouvrier révolutionnaire « tribun du peuple »

Au moment de la révolte de 2005, notre journal portait en titre « Le mouvement ouvrier doit défendre les jeunes des banlieues ». Une manifestation syndicale multiethnique dans le département du « 9-3 », appelée quelques semaines avant pour protester contre les attaques contre des mesures économiques, eut lieu quelques jours après l’imposition de l’état d’urgence le 9 novembre. Lors de cette manifestation, les orateurs évoquèrent non seulement les mesures économiques mais aussi les mesures policières racistes. Ils dénoncèrent le couvre-feu, dont les origines remontent à la guerre d’Algérie, les liens entre les licenciements à l’usine PSA d’Aulnay (à l’époque déjà), l’explosion sociale ainsi que les mesures « antiterroristes » visant les jeunes qui travaillaient à l’aéroport de Roissy. Malgré la fermeture de l’usine PSA d’Aulnay fin 2013, la puissance sociale des travailleurs ethniquement intégrés de l’aéroport de Roissy et d’autres sites représentés ce jour-là est immense. Roissy représente la principale concentration de travailleurs de tout le pays. Ce qu’il faut, c’est l’intervention d’un parti révolutionnaire d’avant-garde. Un tel parti combattrait la collaboration et les trahisons des dirigeants aujourd’hui à la tête des syndicats et des partis réformistes. Il jouerait aussi un rôle de « tribun du peuple », reprenant à son compte le combat contre toutes les formes d’oppression en luttant contre le racisme, l’antisémitisme, les préjugés anti-femmes et anti-homosexuels, et il transformerait ce combat en une lutte généralisée, derrière la puissance sociale de la classe ouvrière, pour renverser le système capitaliste par une révolution ouvrière.

Avec la montée continuelle de la menace fasciste, l’« unité de toute la gauche » front-populiste, du PS et ses partenaires bourgeois jusqu’au NPA et à LO, va sans aucun doute se renforcer. On a pu voir cette « unité républicaine » s’afficher après le meurtre de Clément Méric par les fascistes. Dans la période de l’entre-deux guerres, la réponse des dirigeants réformistes de la classe ouvrière à la montée des fascistes avait été le Front populaire de 1936, un bloc qui allait du Parti radical bourgeois au PCF. Le Front populaire, comme l’expliquait Trotsky dans le Programme de transition, avait réussi « à canaliser et à arrêter, au moins momentanément, le torrent révolutionnaire » de la grève générale de masse. Trotsky avertissait que cette politique « voue la classe ouvrière à l’impuissance et fraie la voie au fascisme ». Et de fait, la trahison de la situation pré-révolutionnaire de Juin 1936 prépara le terrain au retour de bâton réactionnaire qui aboutit quatre ans plus tard à l’instauration du régime de Vichy.

Le mouvement ouvrier organisé, y compris les syndicats, est la cible ultime des fascistes. Mais il est aussi en son pouvoir de les écraser, en unissant les travailleurs dans une lutte commune contre le système capitaliste. Pour ce faire, il faut mener une lutte politique pour faire émerger dans les syndicats une direction révolutionnaire qui fera le lien entre les luttes quotidiennes des masses contre l’austérité et la nécessité de renverser l’ordre capitaliste. En réponse au chômage de masse et à la baisse des salaires, une telle direction lutterait pour partager le travail entre toutes les mains, sans diminution de salaire et avec indexation des salaires sur l’inflation. Elle s’opposerait au racisme encouragé par l’Etat, comme il aurait fallu le faire par exemple en prenant la tête des manifestations il y a quelques mois contre l’expulsion de Leonarda et d’autres lycéens sans papiers. Elle mobiliserait des milices réunissant syndicats et minorités pour empêcher la vermine fasciste de défiler et de diffuser son poison comme elle a pu le faire le 26 janvier.

Aujourd’hui, le désespoir et l’isolement social que connaissent beaucoup de jeunes (notamment noirs ou d’ascendance nord-africaine) ont conduit un certain nombre d’entre eux à avaler le poison anti-juif de Dieudonné. Cet individu est à la fois un symptôme et un produit de ce capitalisme français en décadence. L’écroulement de l’Union soviétique ainsi que la fragmentation et le glissement vers la droite de la gauche réformiste ont créé un vide qui est en partie comblé par l’intégrisme religieux – catholique, juif et islamique – et par d’autres formes de réaction sociale.

En tant que marxistes, notre point de départ doit être de dire la vérité, aussi amère soit-elle. Nous voulons un front commun de tous les travailleurs et de tous les opprimés contre leurs ennemis de classe. Ce front doit être forgé derrière la puissance sociale du mouvement ouvrier ethniquement intégré, avec l’intervention d’un parti révolutionnaire qui lutte contre toutes les manifestations d’oppression.

 

Le Bolchévik nº 207

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Mars 2014

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