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Le Bolchévik nº 202 |
Décembre 2012 |
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Impérialistes, bas les pattes devant la Syrie !
Cela fait bientôt deux ans que la population syrienne est prise dans l’étau de deux forces réactionnaires qui ravagent le pays dans une guerre dévastatrice. D’un côté, les forces de l’insurrection proviennent pour l’essentiel de la population musulmane sunnite, qui est majoritaire ; elles sont soutenues par divers impérialistes et des puissances locales. De l’autre, le régime baasiste sanguinaire de Bachar el-Assad cherche à écraser la rébellion en utilisant sa puissance de feu, y compris contre les zones résidentielles. Quant aux insurgés, ils commettent également d’horribles massacres de civils. D’importants dirigeants de l’opposition libyenne ont appelé à une intervention militaire impérialiste. Cela rappelle les « rebelles » libyens qui étaient devenus des instruments consentants de la campagne de bombardements par l’OTAN de la Libye en 2011. Si les impérialistes cherchent actuellement plutôt à fournir une aide matérielle et logistique aux forces opposées à Assad, la Maison Blanche d’Obama a déclaré que les options militaires ne sont pas « à exclure »,et Hollande a ouvertement évoqué à l’ONU une intervention militaire impérialiste pour « sécuriser » des zones tenues par les rebelles (l’Humanité, 27 septembre).
Les marxistes révolutionnaires n’ont aucun côté à soutenir dans cette guerre civile. Quel que soit le vainqueur, cela ne ferait avancer en rien la cause de la classe ouvrière et des opprimés. Mais les travailleurs ont un côté à prendre pour s’opposer à toute intervention militaire impérialiste. En cas d’attaque impérialiste, nous serons pour la défense de la Syrie tout en maintenant notre opposition politique au régime couvert de sang d’Assad.
La guerre civile a commencé avec des manifestations en mars 2011 dans la ville sunnite de Deraa, dans le Sud de la Syrie, à un moment où les manifestations du « printemps arabe » secouaient l’Afrique du Nord et le Proche-Orient. Les manifestations se sont étendues au-delà de Deraa, et le régime d’Assad a sauvagement lâché l’armée et les chars contre les civils. Un nombre croissant de soldats a déserté et ils forment maintenant l’ossature d’une série de milices antigouvernementales. Certains des principaux commandants de l’« Armée de libération de la Syrie » avaient fait partie pendant des années de l’appareil répressif du régime d’Assad.
Une coalition hétéroclite d’exilés et de groupes d’opposition, le Conseil national syrien (CNS), se présente comme la principale force d’opposition. Certains de ses principaux porte-parole entretiennent depuis des années des liens avec le Département d’Etat américain et des responsables militaires de ce pays, comme l’a révélé le Guardian de Londres le 12 juillet. Cette coalition s’est rebaptisée « Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution » le 11 novembre, sous les auspices notamment des monarchies islamiques qatarie et saoudienne et des impérialistes ; elle est maintenant présidée par un imam sunnite damascène, cheikh Moaz Al-Khatib (le Monde, 13 novembre). Le gouvernement capitaliste de François Hollande s’est empressé de reconnaître cette « Coalition nationale syrienne » (CNS toujours) comme le représentant officiel du peuple syrien (le Monde, 15 novembre).
Cette coalition reste dans les faits dominée par les Frères musulmans, des réactionnaires qui contrôlent directement plus du tiers des sièges (le Monde, 13 novembre). De plus, des groupes djihadistes sunnites venus d’autres pays musulmans prennent de plus en plus part à la rébellion. Cela complique les choses pour les impérialistes. Ceux qui viennent de tuer l’ambassadeur américain en Libye étaient des intégristes islamistes financés et armés en 2011 par Washington pour aider à renverser le régime de Mouammar Kadhafi.
La Syrie est une mosaïque de groupes ethniques, nationaux et religieux. Un régime dominé par la minorité alaouite règne sur une majorité sunnite, sur des Kurdes, des chrétiens, des druzes et d’autres encore, d’où le danger que le conflit dégénère en bain de sang intercommunautaire. Tout cela résulte de la politique de diviser pour régner des puissances coloniales qui ont découpé le Proche-Orient à la suite de la Première Guerre mondiale (voir notre article page 13).
De toutes les principales minorités syriennes, les Kurdes forment un cas à part : ce peuple constitue une nation se prolongeant jusqu’en Turquie, en Iran et en Irak. Mais leur lutte contre l’oppression nationale a été trahie de façon répétée par des dirigeants nationalistes concurrents agissant pour le compte des impérialistes ou d’un régime bourgeois ou d’un autre. L’autodétermination des Kurdes exige le renversement révolutionnaire de ces quatre Etats capitalistes et la création d’une république socialiste du Kurdistan.
Lors des soulèvements populaires de l’année dernière en Tunisie et en Egypte, les grèves ouvrières avaient joué un rôle majeur dans le renversement de ces régimes despotiques. Nous avions alors insisté que la classe ouvrière est potentiellement le fossoyeur de l’ordre bourgeois. Nous avions souligné que le prolétariat devait absolument prendre la tête des masses opprimées. Mais si le prolétariat continue aujourd’hui de mener des luttes économiques, il demeure subordonné aux islamistes et autres forces bourgeoises.
Pour que le prolétariat puisse lutter pour le pouvoir, il est nécessaire de forger des partis ouvriers d’avant-garde qui s’opposent aux impérialistes et à toutes les forces bourgeoises nationales, que ce soit des militaires bonapartistes, des politiciens libéraux ou des réactionnaires islamistes. On ne pourra pas mettre fin à l’oppression ethnique et nationale et à l’exploitation des travailleurs, on ne pourra pas réaliser l’émancipation des femmes, sans une révolution prolétarienne qui ouvrira la voie à une fédération socialiste du Proche-Orient, dans le cadre de la lutte pour la révolution prolétarienne mondiale.
C’est cela la théorie trotskyste de la révolution permanente. Et c’est tout à l’opposé de ce que racontent par exemple le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) et ses diverses factions. Le mensuel du NPA, Tout est à nous ! (septembre), glorifie sans limite les rebelles pro-impérialistes en Syrie en parlant de « la plus magnifique révolution de ce début de vingt-et-unième siècle ». La revue internationale du « Secrétariat unifié de la Quatrième Internationale » (la LCR d’Olivier Besancenot, dont est issu le NPA, en faisait partie), Inprecor (octobre), parle quant à elle d’une « révolution populaire permanente ». Dissolvant la classe ouvrière dans le « peuple », elle affirme que « le processus révolutionnaire syrien est un véritable mouvement populaire et démocratique qui mobilise les classes exploitées et opprimées contre l’élite capitaliste liée à l’ordre mondial ».
En matière de rebelles réactionnaires, nous avions eu droit au même genre de langage dithyrambique de la part du NPA lors du soulèvement libyen. Les fameux rebelles sont maintenant au pouvoir et en guise de « démocratie » en Libye la charia y est institutionnalisée pendant que diverses milices islamistes font régner la violence et que la torture est systématique dans les prisons; quant à l’« élite capitaliste », cela va très bien pour elle en tout cas, l’agent du pétrole libyen remplit les caisses des grandes compagnies pétrolières internationales.
Quant à la révolution « permanente », celle-ci s’accomplit aux yeux d’Inprecor dans une « Syrie libre, démocratique, laïque et révolutionnaire », c’est-à-dire capitaliste (pour faire bonne mesure « internationale », l’auteur rajoute en plus les droits du peuple palestinien et la restitution à la Syrie du Golan occupé par l’armée israélienne). C’est le schéma menchévique-stalinien classique de la « révolution par étapes », la première étant une utopique étape « démocratique » et « populaire », qui dans les faits n’arrive jamais mais prend rapidement l’aspect d’un bain de sang contre les travailleurs et les opprimés.
Bien que l’administration Obama rechigne à intervenir militairement de façon directe dans le conflit, elle a alloué 25 millions de dollars pour les « rebelles » syriens par un décret secret signé par le président début 2012. Tout en continuant de prétendre qu’ils ne livrent pas d’armes létales, les Etats-Unis ont envoyé des agents secrets pour travailler avec leurs collègues de Turquie, d’Arabie saoudite et du Qatar de façon à « tirer parti de l’expérience acquise en Libye ». Ils uvrent depuis un « centre névralgique » secret établi à Adana, une ville turque située près de la frontière syrienne, où se trouve également la base aérienne américaine d’Incirlik. D’après le New York Times du 21 juin, des armes sont acheminées en Syrie « grâce à un mystérieux réseau d’intermédiaires dont les Frères musulmans syriens ». Malgré ses plus faibles moyens l’impérialisme français n’est pas en reste : comme nous le soulignions il y a un an déjà dans le Bolchévik (décembre 2011), des forces spéciales françaises ont été envoyées dans la région pour entraîner les rebelles.
Les impérialistes ont imposé toute une gamme de sanctions économiques contre la Syrie. Le pays est tout particulièrement frappé par un embargo sur ses exportations pétrolières décrété il y a un an par l’Union européenne (UE). Les exportations de pétrole, presque exclusivement à destination de l’UE, avaient représenté jusque-là un pilier de l’économie syrienne ; celle-ci a été plongée dans une grave récession par l’embargo. Les principales victimes sont les travailleurs saisonniers des villes et des campagnes, surtout les plus pauvres et les plus vulnérables, qui sont confrontés à une inflation galopante, à des licenciements massifs, à des pénuries d’essence et autres produits pétroliers raffinés ainsi qu’à des pénuries de denrées de première nécessité. L’opposition de la Russie a mis en échec les tentatives pour imposer des sanctions de la part du Conseil de sécurité de l’ONU ; la Russie ainsi que la Chine fournissent des armes et des renseignements militaires au régime d’Assad.
Si Washington cherche à provoquer un « changement de régime » à Damas, cela reflète la détermination des Etats-Unis à perpétuer et étendre leur domination du monde. La Syrie occupe depuis longtemps une position pivot dans un Proche-Orient riche en pétrole. Elle exerce une grande influence au Liban, par l’intermédiaire notamment des fondamentalistes chiites du Hezbollah, qu’elle soutient. Elle est aussi le principal allié arabe de l’Iran. L’influence de Téhéran dans la région s’est considérablement accrue avec l’invasion américaine de l’Irak de Saddam Hussein en 2003 et l’installation à Bagdad d’un régime dominé par les chiites. Cela fait des années que les impérialistes américains font preuve d’hostilité à l’égard de l’Iran. C’est le cas également des impérialistes français et des monarchies sunnites d’Arabie saoudite et du golfe Persique, qui sont d’importants fournisseurs d’armements pour les forces anti-Assad et notamment pour les djihadistes sunnites. En occupant le pays, les Etats-Unis ont fini par se retrouver en Irak avec un régime allié à l’Iran.
L’impérialisme français se considère également comme investi d’une mission historique en Syrie l’héritage sans doute de son passé particulièrement sanglant dans la région (voir l’article écrit en 1943 par les trotskystes grecs, en page 17). Surtout, il cherche à préserver son influence au Liban, pays dont le destin a toujours été lié à celui de la Syrie. D’ailleurs la France maintient au Sud du Liban une force d’occupation composée de plusieurs centaines de soldats, afin d’empêcher le Hezbollah de préparer sa défense contre une nouvelle agression sioniste. François Hollande, dans une continuité sans faille avec la politique extérieure meurtrière de Sarkozy, fait maintenant campagne pour qu’une « coalition internationale » impose une « zone d’exclusion aérienne » sur une partie de la Syrie. La Maison-Blanche s’y est toutefois jusqu’à présent opposé.
La presse française reproduit sans vergogne toutes les inventions, fabrications et déformations des faits de l’opposition syrienne. La presse internationale a ainsi annoncé que l’armée syrienne avait perpétré un massacre le 25 août dernier à Daraya, près de Damas, tuant au moins 245 hommes, femmes et enfants. Le Monde en a encore rajouté, dénombrant dans son édition du 28 août « au moins 330 corps » ; pour l’Humanité (27 août), c’était 320. Mais l’enquête menée sur place par le journaliste indépendant Robert Fisk a révélé que les insurgés y avaient tué des civils (Independent, 29 août). Un habitant a raconté à Fisk que « l’un des morts était facteur ils l’ont pris parce que c’était un employé du gouvernement ».
Le NPA est incapable de tirer les leçons du fiasco de son soutien aux rebelles réactionnaires libyens pro-impérialistes, car il soutient lui-même l’impérialisme français sous Sarkozy et maintenant sous Hollande. Il a donc appelé sa propre bourgeoisie à intervenir en Syrie, signant en octobre 2011 un appel à « interpeller les chefs d’Etats [sic] du prochain G20 à Cannes ». On pouvait y lire notamment :
« Dans cette situation dramatique, le peuple syrien ne cesse d’appeler à la solidarité internationale. Il est plus que temps de répondre à cet appel pour soutenir les manifestants syriens, pour obliger tous les gouvernements à caractériser les crimes de masse dirigés par Bachar, et à prendre toutes les sanctions diplomatiques et économiques capables de saper le pouvoir syrien et d’empêcher son impunité. »
Un certain Bertold du Ryon s’est récemment fait plus explicite encore dans les colonnes de Tout est à nous ! (1er novembre), demandant des livraisons impérialistes d’armements pour les rebelles : « On ne saurait pas être contre, à condition toutefois de préciser certaines conditions. Ainsi faudrait-il proposer de livrer avant tout des armes dont les rebelles puissent facilement se servir en toute autonomie, sans tomber dans le besoin d’avoir recours à des “conseillers” militaires [
]. » Là où les impérialistes prétendent ne livrer que des armes « non létales », le ci-devant Ryon va plus loin, exigeant des armes antichar et des missiles sol-air (sans prendre le moindre risque que coule du sang de militaire français). On attend toujours, trois semaines plus tard, les déclarations des soi-disant factions « révolutionnaires » ou « de gauche » dans le NPA demandant l’exclusion immédiate de ce belliciste pro-impérialiste, ou même exprimant gentiment un malaise face à cet appel.
Le B.A.-BA pour des militants révolutionnaires en France c’est de dénoncer les machinations de leur propre impérialisme. Nous disons : Impérialistes, bas les pattes devant la Syrie ! Troupes françaises, hors du Liban ! Nous dénonçons de même les efforts de l’impérialisme français pour constituer une force militaire pour envahir le Nord du Mali. Troupes françaises, hors d’Afrique, hors d’Afghanistan ! Là encorele NPA montre ici son opposition à la théorie trotskyste de la révolution permanente, qui insiste sur la nécessité non seulement de renverser le capitalisme dans le pays colonial mais de poursuivre la lutte en permanence jusqu’à son renversement dans les centres impérialistes eux-mêmes. Pour les trotskystes, la classe ouvrière doit prendre la tête des masses opprimées, en inscrivant sur son drapeau un programme d’émancipation nationale authentique contre le joug impérialiste. Cela requiert le renversement révolutionnaire du capitalisme, non seulement en Syrie et dans toute la région, mais avec l’extension de la révolution socialiste jusqu’à Paris et ailleurs.
La gauche française prouve au contraire une nouvelle fois à propos de la Syrie sa prostration devant son propre impérialisme. C’est dans une lutte intransigeante contre ces laquais du capital que nous construirons le parti ouvrier révolutionnaire dont a besoin la classe ouvrière pour renverser le système capitaliste d’oppression. Pour une Quatrième Internationale reforgée !
adapté de Workers Vanguard n° 1009, 28 septembre
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