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Le Bolchévik nº 200 |
Juin 2012 |
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Victoire de Hollande : cinq ans de sale boulot en perspective
Mélenchon, Poutou, Arthaud portent leur part de responsabilité pour le gouvernement capitaliste de front populaire
Nous reproduisons ci-dessous des extraits du rapport, revu pour publication, de notre camarade Alexis Henri lors du meeting de la LTF qui s’est tenu à Paris le 10 mai.
* * *
Chers camarades,
Nous avons donc ce meeting quatre jours après les élections présidentielles et alors que s’ouvre la campagne pour les élections législatives. C’est le moment de faire un bilan de ce que les élections ont pu nous apprendre sur la situation politique dans le pays et sur les perspectives de la lutte des classes dans la période qui vient. Mais tout d’abord il faut rappeler ce que Friedrich Engels, le collaborateur de Karl Marx, expliquait il y a plus de cent ans : la classe ouvrière ne peut pas se servir des urnes pour prendre le pouvoir, elles ne sont qu’un baromètre approximatif de l’état d’esprit des masses. Il écrivait :
« La classe possédante règne directement au moyen du suffrage universel. Tant que la classe opprimée, c’est-à-dire, en l’occurrence, le prolétariat, ne sera pas encore assez mûr pour se libérer lui-même, il considérera dans sa majorité le régime social existant comme le seul possible et formera, politiquement parlant, la queue de la classe capitaliste, son aile gauche extrême. Mais, dans la mesure où il devient plus capable de s’émanciper lui-même, il se constitue en parti distinct, élit ses propres représentants et non ceux des capitalistes. Le suffrage universel est donc l’index qui permet de mesurer la maturité de la classe ouvrière. Il ne peut être rien de plus, il ne sera jamais rien de plus dans l’Etat actuel ; mais cela suffit. Le jour où le thermomètre du suffrage universel indiquera pour les travailleurs le point d’ébullition, ils sauront, aussi bien que les capitalistes, ce qu’il leur reste à faire. »
l’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat
Engels ne l’a pas vécu, mais trente ans plus tard les ouvriers russes savaient ce qu’il leur restait à faire. Ils avaient leur parti distinct, un parti révolutionnaire d’avant-garde dirigé par Lénine, et avec la révolution d’Octobre ils prirent le pouvoir au travers non pas d’une majorité parlementaire mais de leurs propres organes, les conseils ouvriers ou soviets, organisés par usine, caserne, etc. C’est cela notre modèle ; c’est ainsi qu’un gouvernement ouvrier put s’attaquer à la pauvreté et aux inégalités d’une manière inconcevable sous le capitalisme, en dépit de l’arriération d’un pays agraire ravagé par la guerre puis la guerre civile comme l’était la Russie après 1917.
François Hollande a de son côté annoncé la couleur de son programme anti-ouvrier. Au lieu de lutte contre la pauvreté et les inégalités, ce sera la rigueur « juste » et égalitaire pour tous les pauvres. Il a expliqué encore lors de son débat télévisé avec Sarkozy la semaine dernière comment il allait rétablir les comptes de la nation. Cela veut dire qu’il va verser des centaines de milliards aux banques pour rembourser la dette en accéléré au moyen de coupes sombres dans le budget (sauf des embauches dans la police et un retour en arrière sur une partie des compressions de personnel de ces dernières années dans l’éducation). Hollande est brillamment parvenu à prouver qu’au fond il allait mener la même politique anti-immigrés que son prédécesseur, à coups d’expulsions par dizaines de milliers.
Philippe Poutou ou Jean-Luc Mélenchon portent leur part de responsabilité par avance pour tous les crimes que commettra le prochain gouvernement Hollande puisqu’ils ont appelé à voter pour lui. Et Lutte ouvrière ne se distingue du NPA de Poutou ou du Front de gauche de Mélenchon que sur un point : elle a été plus hypocrite. Sa candidate Nathalie Arthaud s’est en effet refusée jusqu’au bout, y compris après le premier tour des élections, à dire à ses électeurs et partisans de ne pas voter Hollande au deuxième tour. En réduisant la question à un « choix personnel » de ses propres électeurs (abstention ou vote Hollande), elle a du bout des lèvres encouragé les travailleurs à penser que l’arrivée de Hollande à l’Elysée pourrait constituer un moindre mal par rapport au maintien de Sarkozy.
Concernant Sarkozy, ce qu’on peut dire de lui en guise d’épitaphe, c’est qu’il personnifiait admirablement de nombreux traits essentiels de la bourgeoisie française : je veux dire les préjugés racistes, la hargne vicieuse, la mesquinerie, la rapacité, l’arrogance, la brutalité, l’inculture foncière d’un impérialisme français décadent, en pleine pourriture. C’est pourquoi la bourgeoisie française l’avait choisi avec un tel enthousiasme il y a cinq ans. Et au deuxième tour des élections il a continué à ramasser de confortables majorités dans les quartiers les plus riches, parmi les retraités et dans les zones rurales.
La bourgeoisie a fini par se débarrasser de Sarkozy, non pas à cause de toutes ces « qualités » dans lesquelles elle pouvait se reconnaître, mais parce que Sarkozy n’a pas rempli ses promesses à son égard ; il n’est pas parvenu à restaurer suffisamment le taux de profit ni la position de l’impérialisme français par rapport à l’Allemagne. En position de faiblesse, Sarkozy a dû avaler toutes les couleuvres que lui ont enfournées les impérialistes américains ou allemands rivaux de la France, des humiliations que le chauvin français Hollande lui a publiquement reprochées pour bien montrer sa détermination à mieux défendre l’impérialisme français notamment contre l’Allemagne.
Hollande espère soutirer un peu d’argent à l’Allemagne en s’appuyant sur la crise grecque et sur des réactionnaires de première comme les conservateurs espagnols, les enfants de Franco, qui sont aujourd’hui au pouvoir à Madrid. En fait la crise ne fait que s’aggraver en Europe vu la faillite imminente de la Grèce et cette fois-ci, le gouvernement Hollande ne pourra pas aisément dévaluer sa monnaie comme l’avait fait avant lui le front populaire à l’automne 1936 ou à l’automne 1981 : il faut pour cela rétablir le franc, avec le tremblement de terre que cela signifierait pour la zone euro et l’Union européenne (UE) tout entière (voir notre article aussi dans ce numéro sur la Grèce). Il n’y a aucune solution sous le capitalisme, hormis l’austérité pour les travailleurs qui ne peut qu’aggraver la crise et la guerre, comme en 1914 et 1939.
Il n’y a effectivement aucune solution si l’on en reste au niveau de l’Hexagone. En fait Hollande n’a jamais proposé que d’ajouter un emballage cosmétique « de croissance » au pacte européen de super-austérité signé par Sarkozy et Merkel. Nous disons à bas l’Union européenne capitaliste ! Nous lui opposons les Etats-Unis socialistes d’Europe, ce qui signifie le renversement révolutionnaire des classes capitalistes dans toute l’Europe et une planification rationnelle de l’économie au niveau du continent sous l’égide de gouvernements soviétiques.
Hollande, lui, a promis les efforts nécessaires de la part des ouvriers français pour défendre les positions de la bourgeoisie française, et en plus il a annoncé les moyens pour le faire en mobilisant les bureaucrates syndicaux pour museler la classe ouvrière. Hollande n’a cessé de répéter pendant toute sa campagne qu’il allait « réconcilier les Français », c’est-à-dire qu’il voulait convaincre les travailleurs de se montrer solidaires des patrons et accepter de nouveaux sacrifices, vu que les patrons eux aussi, soi-disant, apporteront leur petite pierre à l’édifice national commun. Là où Sarkozy divisait les Français, pratiquait une lutte de classe unilatérale des capitalistes contre les travailleurs, Hollande propose la collaboration de classes, c’est-à-dire que les travailleurs s’assujettissent librement à leurs exploiteurs. Différence de style, mais pas de programme. Pour toutes ces raisons nous avons appelé à ne pas voter pour Hollande ni pour ses béquilles de gauche du NPA, Front de gauche ou Lutte ouvrière, et nous continuons d’appeler à ne pas voter pour eux aux prochaines législatives.
Et nous accusons particulièrement le Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon et du PCF. Le Front de gauche a été l’âme et le cur de la campagne électorale de Hollande en remobilisant tant de militants écoeurés par trop de trahisons des Mitterrand et Jospin et qui avaient été initialement fermement décidés à s’abstenir. Mélenchon souligne à juste titre dans l’Humanité de ce matin que « sans nos quatre millions de suffrages, la défaite de Sarkozy n’avait pas lieu. Sans nos quatre millions de voix, pas de victoire pour Hollande ! » Pour Mélenchon c’est cela l’essentiel, même si son propre résultat à 11,1 % ne lui permettra pas de donner le change qu’il pourrait effectivement pousser à gauche le nouveau gouvernement capitaliste.
Nous disons que les travailleurs doivent rompre avec la collaboration de classes, les alliances dites de « front populaire » entre partis réformistes de la classe ouvrière (des partis comme le PS ou le PCF qui ont des liens avec la classe ouvrière et se réclament d’une façon ou d’une autre de celle-ci, bien que leur direction et leur programme soient complètement bourgeois) et formations de la bourgeoisie, comme les chevènementistes, les Verts, etc.
Ces coalitions de front populaire sont la forme fondamentale de la collaboration de classes en France depuis cent ans sur le plan parlementaire. Que Hollande gère l’Etat capitaliste avec ou sans les Verts ou les radicaux de gauche n’y changerait pas grand-chose pour les travailleurs, et nous nous opposons au prochain gouvernement Hollande dans tous les cas, mais cela reste quand même une garantie significative donnée à la bourgeoisie de gouverner en coalition avec des formations ouvertement capitalistes.
Les ouvriers doivent rompre les blocs politiques avec l’ennemi bourgeois et lutter en leur propre nom, pour leurs propres intérêts de classe. Tout le système capitaliste repose sur le profit que créent les ouvriers eux-mêmes en produisant dans leur journée de travail des richesses supérieures à ce qui leur est payé en retour sous forme de salaire, direct et indirect : le profit, c’est du travail non payé par les capitalistes. C’est pourquoi seule la classe ouvrière a un intérêt historique fondamental pour renverser ce système d’exploitation. Et elle en a la force, du moment qu’elle se dote d’un parti d’avant-garde avec un programme révolutionnaire, comme l’a montré la Révolution russe. En luttant pour renverser le capitalisme, la classe ouvrière doit et peut prendre la direction de tous ceux qui sont opprimés par ce système, que ce soit du fait de leur sexe ou de leur orientation sexuelle, de la couleur de leur peau, ou du drapeau inscrit sur leur passeport.
Le succès menaçant des fascistes du Front national
Un élément important de ce scrutin a été le score record de Marine Le Pen, en chiffres absolus et en pourcentage. Elle ramasse près de 6,5 millions de voix, soit un million de voix de plus que son père et l’autre candidat fasciste Bruno Mégret pris ensemble lors des élections de 2002. Les commentateurs bourgeois ont beaucoup insisté sur le fait que Le Pen a surtout amélioré ses résultats dans les communes dites « périurbaines » en grande banlieue, là où se sont réfugiées les classes moyennes ne pouvant plus se payer les loyers des centres-villes ou cherchant à devenir propriétaires d’une maison individuelle. Elles sont maintenant étranglées par les banques et par l’envolée des prix du pétrole, alors que par ailleurs le démantèlement de l’Etat-providence et de ses services sociaux est le plus visible dans les communes rurales ou semi-rurales, où il n’y a plus de médecin ni parfois même d’école ou de services postaux.
Il faut rappeler que non seulement les ouvriers s’abstiennent plus que les bourgeois, mais aussi une partie cruciale de la classe ouvrière est tout simplement exclue du suffrage universel, la bourgeoisie refusant les droits électoraux à des millions de personnes déclarées étrangères. Le social-démocrate François Hollande propose d’accorder des droits actifs aux étrangers résidant depuis longtemps en France, et seulement pour les élections locales ; quant à nous, nous sommes pour les pleins droits de citoyenneté pour tous ceux qui sont ici, y compris le droit de voter et d’être élu à toutes les élections.
Le succès du FN se produit dans un contexte de crise économique exacerbée, où il va se présenter dès le début comme le seul recours contre le front populaire de Hollande-Mélenchon. Celui-ci a pour fonction de démobiliser puis démoraliser les travailleurs et préparer un retour en force de la réaction. Le front populaire de Mitterrand de 1981 avait lancé des campagnes racistes contre les travailleurs maghrébins dans les usines automobiles, avec pour résultat une multiplication des meurtres racistes dans les banlieues et l’émergence du FN au niveau électoral. Le front populaire de Jospin-Mélenchon et Buffet en 1997 s’était terminé avec son élimination par Le Pen lors des élections de 2002, suivi de dix ans de régime de droite.
Le fascisme se nourrit de la « guerre contre le terrorisme », qui vise essentiellement la population d’origine maghrébine depuis quinze ans. Le 4 mai Adlène Hicheur a été condamné à 5 ans de prison. Son « crime » ? Avoir échangé des e-mails avec un membre présumé d’al-Qaïda au Maghreb islamique. Hicheur a été condamné pour des opinions, sans même l’ombre d’un plan pour commettre des attentats terroristes. C’est un précédent sinistre qui ouvre la voie à la condamnation de n’importe qui pour avoir déclaré sur Facebook, par exemple, qu’il a envie d’étrangler son chef ; ou d’un syndicaliste qui menace de prendre en otage les installations d’une entreprise en grève. La « guerre contre le terrorisme » a pour objectif d’instaurer une législation et une jurisprudence d’Etat policier, pratiquement sans que proteste le mouvement ouvrier. Nous exigeons la libération immédiate d’Adlène Hicheur !
Le fascisme se nourrit de décennies d’austérité anti-ouvrière, d’augmentation des cadences, de plans de licenciements que pratiquent les gouvernements de droite comme de gauche. Comme le disait récemment un ouvrier CGT d’Arcelor-Mittal à Florange, menacé de chômage lui-même, « Vous savez ici, en Lorraine, on a été roulés par des politiques de droite ou de gauche qui nous ont raconté des bobards, alors on n’est plus dupes et ça, ça peut servir le FN aussi
» (l’Humanité, 26 avril).
Elève studieux de Mitterrand, Hollande compte utiliser le FN sur plusieurs tableaux en attisant les tensions raciales avec des campagnes laïcardes (comme les lois racistes sur le voile islamique qu’avait activement promues le PS) ; si la droite parlementaire tombe en morceaux le PS se présentera comme le recours incontournable contre le fascisme.
Quand on parle de fascisme, pour des marxistes cela veut dire des bandes armées extra-parlementaires, des masses de petits bourgeois ruinés et enragés par la crise, mobilisées par le grand capital pour écraser le mouvement ouvrier organisé. C’étaient les chemises noires de Mussolini en 1922, les SA de Hitler en 1933. Il est nécessaire d’insister que pour le moment nous n’en sommes pas là parce que la classe ouvrière est loin de menacer directement le pouvoir de la bourgeoisie : le Front national en France est un phénomène essentiellement électoral. Aujourd’hui l’immense majorité des crimes racistes dans ce pays sont commis par des flics dans l’exercice de leurs fonctions, pas par des fascistes en tant que tels. D’ailleurs la fin de la campagne électorale a été marquée par le soutien bipartisan de Hollande et Sarkozy aux sinistres mobilisations réactionnaires de flics exigeant l’impunité après qu’un des leurs avait été mis en examen sous l’accusation d’avoir tué d’une balle dans le dos un jeune de 28 ans, Amine Bentounsi.
Mais les choses pourraient changer si la crise économique et sociale s’approfondit. Il n’y a en effet pas besoin de gratter bien loin pour voir au FN un aspect beaucoup plus sinistre que de la simple gesticulation électorale. Le secrétaire départemental du FN pour la Haute-Vienne, un certain Vincent Gérard, s’est fait pincer le mois dernier pour avoir attaqué avec d’autres militants du FN à coups de couteau et de batte de base-ball un bar fréquenté par des militants de gauche. Pas plus tard que samedi dernier deux musulmans âgés de 70 ans ont été tabassés par des skinheads se revendiquant de Le Pen à Amiens.
Face aux provocations meurtrières des fascistes, il faut des mobilisations ouvrières/immigrées. Le prolétariat doit mobiliser ses propres forces et prendre la tête de toutes les minorités menacées par les fascistes pour écraser cette racaille dans l’uf avant qu’elle n’écrase le mouvement ouvrier lui-même. Le mouvement ouvrier doit défendre les jeunes des banlieues ! L’obstacle à de telles mobilisations, ce sont les directions chauvines de la classe ouvrière. Il faut les remplacer par une nouvelle direction, un parti bolchévique d’avant-garde, qui se fasse le tribun de tous les opprimés pour diriger la lutte pour la révolution socialiste.
Pour le moment, les capitalistes tiennent leurs chiens fascistes par une courte laisse, mais ils leur donneront volontiers le pouvoir s’ils craignent de se voir exproprier par les ouvriers. Les capitalistes allemands l’ont fait en 1933, les Italiens dès 1922. L’Etat est au service des mêmes maîtres capitalistes que les fascistes. La police, l’armée, les matons, ce sont les bandes armées officielles chargées de maintenir l’ordre bourgeois, c’est-à-dire le système d’exploitation capitaliste. Appeler l’Etat bourgeois à interdire les fascistes, à ne pas lui prêter des salles, etc., c’est répandre des illusions dans le capitalisme. Ce genre de revendication se retourne toujours contre le mouvement ouvrier ; ainsi en juin 1968 les prédécesseurs de Lutte ouvrière et du NPA furent tous deux interdits par le gouvernement à l’aide de la loi contre les ligues factieuses qui avait été adoptée en 1936 soi-disant pour interdire les fascistes.
Pour un programme de transition vers la révolution socialiste
Jean-Luc Mélenchon, qui a réuni plus de voix que tous les candidats de gauche et d’« extrême gauche » dans une telle élection depuis plus de 30 ans, a déclaré qu’il avait été le seul à faire campagne contre le Front national. En fait il a passé son temps à prôner l’alliance des démocrates contre Le Pen ; cela revenait à ramener la lutte contre le fascisme au niveau d’une alliance avec des forces de la bourgeoisie, plus précisément la partie soi-disant « démocratique » de celle-ci. On peut appeler cela un « front populaire antifasciste ».
Or Trotsky a justement écrit des centaines de pages dans les années 1930, lors de la dernière crise économique d’une ampleur comparable à celle-ci, sur la montée du fascisme et sur comment le combattre. Il expliquait que la petite bourgeoisie ruinée est avant tout réaliste. Les fioritures de la démocratie, elle s’en accommode, mais elle est d’autant plus prête à s’en débarrasser que les partis démocratiques, bourgeois ou sociaux-démocrates, ont prouvé leur incapacité à résoudre ses propres problèmes et l’ont au contraire jetée dans la ruine. Dans la mesure où les dirigeants de la classe ouvrière attachent les travailleurs aux partis bourgeois discrédités, ils ne font que jeter la petite bourgeoisie enragée par la crise dans les bras de la réaction fasciste. Car celle-ci est la seule à s’adresser à ses problèmes en lui promettant ouvertement et sans fard de rétablir sa situation
en organisant des pogromes contre les immigrés, les homosexuels, les Juifs ou les pédophiles.
Et on a eu la cerise sur le gâteau avec le débat télévisé Hollande-Sarkozy où les deux se faisaient concurrence pour récupérer les votes du FN. Et d’ailleurs les travailleurs arriérés qui avaient voté Le Pen au premier tour ont en bonne partie voté Hollande au deuxième. Hollande n’a guère fait de promesses pendant cette campagne, mais on peut tout de même en citer une : la construction de camps de rétention adaptés pour pouvoir mener à bien dans de « bonnes conditions » la déportation de familles entières de sans-papiers. Que Sarkozy ait légitimé les idées de Le Pen est une évidence, mais Hollande a fait de même tout en présentant les choses de façon « politiquement correcte ».
La campagne de Mélenchon a été également tout imbibée de nationalisme français. Nous mettions en garde il y a déjà six mois que la campagne protectionniste de Mélenchon donnait de la légitimité au protectionnisme de Le Pen. Comme nous l’expliquions dans le dernier numéro de notre journal, son refus de s’opposer à l’Union européenne capitaliste et à l’euro abandonnait ce terrain aux fascistes, qui pouvaient ainsi démagogiquement blâmer l’UE pour les crimes commis en fait par la bourgeoisie française.
De se rabattre sur une alliance avec les partis bourgeois démocrates pour combattre le fascisme comme le fait Mélenchon, c’est exactement le contraire de ce qu’il faut faire pour combattre les fascistes. Comme le disait Trotsky en 1937, « la dégénérescence bourgeoise de la social-démocratie et la dégénérescence fasciste de la petite bourgeoisie sont entrelacées comme cause et effet ». Il faut au contraire que la classe ouvrière rompe ses chaînes qui l’attachent à la bourgeoisie, qu’elle soit bayrouiste, chevènementiste, verte ou autre ; ce n’est qu’en montrant sa détermination à balayer tout ce système capitaliste en pleine décomposition, par une révolution ouvrière, qu’elle pourra neutraliser cette poussière humaine fasciste, voire rallier derrière elle une partie des petits bourgeois apeurés.
La classe ouvrière doit montrer sa détermination et sa capacité à s’adresser aux problèmes posés non seulement pour sa propre survie, mais aussi pour des couches plus larges. Il faut mettre fin au démantèlement de l’Etat-providence, qui s’est accéléré depuis la contre-révolution capitaliste en Union soviétique il y a 20 ans, sous des gouvernements de droite comme de gauche ; il faut pour cela un programme de construction des services sociaux, de réouverture des hôpitaux, centres d’IVG ou écoles fermés par Chirac, Jospin et Sarkozy. Cela exige de vastes programmes de travaux publics et de construction de logements sociaux, des programmes massifs de formation de personnel qualifié dans l’éducation, les transports et la santé. La classe ouvrière doit prendre elle-même en charge ces programmes à travers ses propres comités de lutte.
Pour lutter contre le chômage qui ronge la classe ouvrière, il faut partager le travail entre toutes les mains en réduisant le temps de travail, mais sans perte de salaire. Pour 30 heures payées 40 ! A travail égal salaire égal ! Il faut liquider la division des travailleurs entre CDI, CDD, intérimaires et sous-traitants en luttant pour l’embauche de tous au même statut le plus élevé. Mais de vouloir faire pression sur le gouvernement capitaliste, de droite ou de gauche, pour qu’il fasse tout cela, « interdise les licenciement » (Lutte ouvrière), etc., c’est semer des illusions que le capitalisme peut satisfaire les besoins élémentaires de la classe ouvrière. Il faudrait au contraire que les travailleurs prennent eux-mêmes en charge l’embauche et la répartition du travail, à travers leurs syndicats et autres organisations prolétariennes, ce qui exige de lutter pour une direction révolutionnaire dans les syndicats remplaçant les bureaucrates aujourd’hui à la solde des patrons.
Dans cette lutte, le parti révolutionnaire doit sans cesse faire comprendre aux travailleurs qu’élire Hollande et ensuite des députés PS ou Front de gauche, c’est voter pour la poursuite des attaques menées depuis vingt ans contre la classe ouvrière ; seule la prise du pouvoir par le prolétariat au travers d’une révolution socialiste peut permettre la réalisation de ces revendications indispensables pour la survie même de la classe ouvrière. Seule l’extension de la révolution à toute l’Europe et au-delà permettra de réorganiser l’économie, une fois celle-ci collectivisée, sur une base internationale rationnelle dans l’intérêt de tous les travailleurs et opprimés.
Le Front de gauche de Mélenchon : béquille de gauche du cul-de-jatte Hollande
Prenons plus en détail le cas de Jean-Luc Mélenchon. Il pense qu’il sera le « dernier président de la Ve République », et il a calibré toute sa campagne pour se donner une stature présidentielle, même si elle est un peu radicale. Il veut lui-même gérer l’impérialisme français. Maintenant laissons un instant de côté le protectionnisme de Mélenchon, ses projets de réforme de la Banque centrale européenne pour qu’elle soit vraiment au service des peuples et son habitude de chanter la Marseillaise à tous ses meetings. Prenons au contraire les moments où il aborde quand même la question du racisme anti-maghrébin. Il l’a notamment fait à Marseille lors de son discours sur la plage, tourné vers la Méditerranée. Je cite là ce qu’en rapporte par exemple l’Humanité du 2 mai :
« Je suis venu, comme vous, recevoir sur cette plage, au bord de ces lèvres fraîches, le baiser de la Méditerranée, notre bonne mère à tous. Ecoutez Marseille qui vous parle et qui vous dit la leçon qu’elle porte. (
) Marseille vous dit que notre chance, c’est le métissage. Et, depuis 2 600 ans, nous sommes du parti de ceux qui se disent contents d’être mélangés, fiers d’être le peuple qui compte le plus grand nombre de mariages mixtes de toute l’Europe. (
) La France ne peut être la République et la nation qu’elle est qu’à la condition d’être une nation universaliste qui donne à chacun de ses enfants ce qu’elle croit bon pour le monde entier (
) Il faut se souvenir que les peuples du Maghreb sont nos frères et nos surs. Il faut répéter qu’il n’y a pas d’avenir pour la France sans les Arabes et les Berbères du Maghreb. »
En tout cas il préfère les Arabes et les Berbères bien franchouillards et sans foulard islamique. Mélenchon a soutenu, tout comme Hollande ou Laguiller (LO), la loi raciste sur l’interdiction du foulard islamique dans les lycées. Il déclarait au Figaro (22 novembre 2003) : « En commençant par l’interdiction du voile à l’école, nous saisirons un fil de sursaut laïque pour en revenir à un refus absolu du tri des Français entre eux en raison de leurs origines. Bref, c’est l’idée de Nation identifiée par ses principes républicains. »
Le voile est dans toutes les religions un symbole et un instrument de l’oppression des femmes. Mais nous nous opposons depuis le début à ces lois racistes qui ne font qu’aggraver l’oppression des femmes portant le foulard. La laïcité, c’était historiquement la lutte contre l’influence de l’Eglise catholique sur l’Etat français. Maintenant, c’est du langage codé pour faire la chasse non pas tant aux musulmans qu’aux personnes d’« apparence musulmane », comme le reconnaissait Sarkozy avec une certaine franchise, une franchise que lui a d’ailleurs reprochée Hollande. Cela signifie en réalité la chasse au faciès contre les personnes soupçonnées d’antécédents maghrébins ou ouest-africains.
Ce qui en fait intéresse Mélenchon, c’est qu’une politique moins ouvertement raciste de l’impérialisme français puisse mieux assurer son rayonnement international, et notamment le soutien des Etats africains et maghrébins aux magouilles françaises à l’ONU.
Dans cette déclaration lyrique de Mélenchon on peut en fait voir sa politique. Il cherche à refourguer le mythe de la France de 1789, où la bourgeoisie encore toute jeune et révolutionnaire se plaçait à la tête des classes opprimées par le féodalisme ; porteuse de l’abolition révolutionnaire du féodalisme sur le continent européen, elle se déclarait universaliste et accueillait dans la nation tous ceux qui voulaient lutter pour l’émancipation. La bourgeoisie au pouvoir a effectivement alors forcé les portes des ghettos où étaient enfermés les Juifs dans le reste de l’Europe ; elle a commencé par abolir l’esclavage en 1794 dans les colonies. Mais huit ans plus tard elle le rétablissait. Et peu après, elle entamait la conquête coloniale de l’Algérie puis d’une partie de l’Afrique et d’autres pays, massacrant les populations autochtones et dépossédant les survivants. Le travail forcé n’a été officiellement aboli dans les colonies de l’Afrique de l’Ouest « française » qu’après la Deuxième Guerre mondiale. La « République » bourgeoise dont se gargarise Mélenchon a en fait été définitivement établie sur les décombres de la Commune de Paris, lorsque des dizaines de milliers d’ouvriers révolutionnaires parisiens furent massacrés par les troupes de Thiers.
Le capitalisme est passé il y a plus de cent ans à l’ère impérialiste. Le partage du monde était dès cette époque terminé, et s’ouvrait la période du repartage où les impérialistes se jugeant lésés dans la répartition du butin remettaient ce partage en cause. C’est l’origine des deux guerres mondiales du vingtième siècle, et ce sera celle de la troisième si la classe ouvrière ne parvient pas à renverser les capitalistes auparavant. La bourgeoisie est devenue totalement réactionnaire à l’ère impérialiste. Les forces productives stagnent, le capitalisme étant de plus en plus une entrave à leur développement, comme on peut le voir avec l’actuelle crise prolongée du système. La bourgeoisie est aujourd’hui totalement incapable de faire siennes les valeurs universalistes de son propre passé.
L’assemblée constituante de Mélenchon : encore un parlement bourgeois
L’un des axes de campagne du Front de gauche a porté sur la convocation d’une nouvelle assemblée constituante pour instituer une sixième république. Laissons de côté le fait que Hollande n’a aucune intention d’en convoquer une, et que Mélenchon a de toutes façons appelé inconditionnellement à voter Hollande. En fait, ces histoires d’assemblée constituante n’arrivent sur le tapis que si les institutions capitalistes sont en crise profonde. Et à ce moment-là, on peut poser deux perspectives politiques radicalement contraires : soit lutter pour des conseils ouvriers, comme en Russie en 1917, et pour que le prolétariat établisse sa dictature contre les capitalistes, soit une réforme de l’ordre bourgeois. Au fond, c’est cela que signifie une assemblée constituante. Une assemblée constituante est un parlement bourgeois, elle ne peut établir qu’une forme de domination de la bourgeoisie. C’est pourquoi, suite à une discussion que nous avons menée dans la Ligue communiste internationale, nous avons décidé l’année dernière que nous n’appelons pas à une assemblée constituante, et cela, par principe.
Toute l’expérience historique depuis plus de 150 ans prouve la validité de cette analyse, à commencer par l’assemblée constituante de 1848 en France qui organisa le massacre des ouvriers parisiens en juin. Il y a surtout la Révolution russe. Les ouvriers prirent le pouvoir à travers leurs soviets en octobre 1917. Malgré ces circonstances favorables, l’élection de l’assemblée constituante qui suivit un mois plus tard donna une majorité réactionnaire, voulant rendre le pouvoir aux capitalistes. Le pouvoir soviétique décida à juste titre de disperser cette assemblée, qui fut mort-née. Quand en France la « ligue communiste révolutionnaire » de Krivine et Besancenot (prédécesseur du NPA), a décidé de jeter officiellement par-dessus bord le trotskysme, l’héritage de la Révolution russe, elle a pris bien soin de dénoncer publiquement Lénine et Trotsky pour leur valeureuse décision de disperser les parlementaires contre-révolutionnaires ; c’était une déclaration programmatique de Krivine-Besancenot qu’ils étaient pour l’ordre bourgeois, si possible sous une forme démocratique, et contre l’ordre prolétarien.
Un an après la Révolution russe survenait la Révolution allemande, lors de l’effondrement militaire de l’Allemagne en novembre 1918. Les ouvriers créèrent des soviets, mais les sociaux-démocrates luttèrent pour concentrer le pouvoir entre les mains d’une assemblée constituante, c’est-à-dire une assemblée bourgeoise. Ils contribuèrent ainsi de façon décisive à sauver l’ordre capitaliste en Allemagne, et par là même en Europe, à ce moment crucial. Lorsque Mélenchon se bat pour une assemblée constituante, il se positionne dans la même tradition : si la crise économique devait déboucher sur une crise politique de grande ampleur dans la période qui vient, sa « sixième république » pourrait être un échappatoire commode à la bourgeoisie afin de cantonner les travailleurs dans une perspective parlementaire.
J’ai esquissé quelques éléments expliquant comment la classe ouvrière, luttant pour ses propres intérêts, doit au cours de la lutte se doter de ses propres organes de pouvoir, comités de lutte, milices ouvrières, etc., qui feront la transition vers la mise en place de conseils ouvriers (soviets) par la classe ouvrière et la prise du pouvoir. La revendication d’une assemblée constituante, elle, donne la transition dans l’autre sens : d’une situation explosive, voire pré-révolutionnaire, vers le rétablissement de l’ordre bourgeois, un nouvel ordre « constitutionnel ».
Pour conclure ces remarques, il faut encore souligner que les travailleurs ont bien moins voté pour Hollande que contre Sarkozy. Il n’y a guère d’illusions qu’il fera une politique moins anti-ouvrière que Sarkozy. Y aura-t-il pour autant de grandes luttes sociales dans la période qui vient face aux attaques qui vont pleuvoir ? Nous ne pouvons pas le savoir. Mais tôt ou tard la classe ouvrière luttera contre ces attaques. La clé c’est de maintenir l’indépendance de la classe ouvrière et de maintenir le programme révolutionnaire. C’est la condition pour que, lors des luttes de classe à venir, les révolutionnaires marxistes puissent gagner la confiance de la classe ouvrière et la diriger un jour dans une révolution socialiste qui en finira une fois pour toutes avec ce système capitaliste décadent. Pour la renaissance de la Quatrième Internationale !
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