|
Le Bolchévik nº 192 |
Juin 2010 |
|
|
Expulsions racistes à Bagnolet
LO se solidarise avec les expulsés
pour redorer le blason de la municipalité PCF
En 2007 Lutte ouvrière (LO) avait mobilisé ses membres pour les élections municipales de l’année suivante en insistant sur l’importance d’obtenir des conseillers municipaux. Fin 2007, le congrès de LO adoptait à une majorité de 97 % un document qui disait notamment :
« Obtenir des élus municipaux est extrêmement important pour notre rayonnement politique. Ces élus sont un point d’ancrage dans une ville et l’axe autour duquel peuvent graviter nos activités locales. [
]
« La conclusion est que nous devons essayer de constituer des listes dans le maximum de localités. Cela ne nous empêchera cependant pas d’étudier et d’être ouverts à toute proposition d’alliance, que nous étudierons en fonction des situations, des rapports de forces locaux et des possibilités d’élus que ces alliances pourraient réellement nous ouvrir. Nous n’avons en effet aucun intérêt à conclure des alliances sur un programme d’accords avec nos éventuels alliés si cela ne nous permettait pas d’avoir des élus, voire nous en empêchait, et d’autant plus que nous avons les moyens de nous présenter indépendamment. »
Lutte de classe n° 109, décembre 2007
En d’autres termes, LO était prête à toutes les turpitudes pour obtenir des postes de conseillers municipaux, annonçant à ses membres qu’elle allait chercher à négocier des places sur les listes « de gauche ». Elle est allée quémander le PS, qui lui a dans la plupart des cas opposé une fin de non-recevoir, mais le PCF l’a souvent acceptée sur ses listes après s’être assuré de la loyauté de LO à la future majorité municipale. LO est allée prendre place sur les listes du maire bourgeois de Belfort, fief de Chevènement, l’ex-ministre des flics de Jospin.
Et LO a jusqu’à présent plus que montré qu’elle est un partenaire fiable pour un front populaire municipal. Nous ne connaissons pas d’exemple où elle aurait voté contre le budget. Nathalie Arthaud, la porte-parole nationale de LO qui fait partie de la majorité municipale de Vaulx-en-Velin en banlieue lyonnaise (dirigée par le PCF), a justifié en ces termes « au nom de Lutte ouvrière » le vote du budget, lors de la séance du conseil municipal du 25 mars 2009 :
« Nous allons voter bien sûr ce budget présenté par la majorité municipale car nous sommes solidaires des orientations et des choix proposés que ce soit à travers la politique éducative, le soutien aux associations, la politique tarifaire des services rendus ou les orientations générales. La majorité municipale a le souci de répondre aux besoins de la population et notamment de la population la plus défavorisée, ce qui est pour nous l'essentiel. Au-delà des quelques désaccords ponctuels nous partageons donc les choix fondamentaux de cette majorité. »
procès-verbal de la séance du conseil municipal de Vaulx-en-Velin du 25 mars 2009
Si LO avait déclaré qu’avoir des élus municipaux était « extrêmement important pour notre rayonnement politique », le rayonnement politique de ces élus n’est pas allé jusqu’à éclairer les pages de l’hebdomadaire Lutte Ouvrière, qui n’a guère soufflé mot des hauts faits municipalistes de ses élus : à notre connaissance, trois fois un mot en deux ans. C’est pourquoi un article qui les mentionne, paru le 19 février dernier, revêt une importance toute particulière pour juger de leur politique municipale.
L’article porte sur Bagnolet en banlieue parisienne, une mairie PCF depuis des dizaines d’années et où un dirigeant régional de LO, Jean-Pierre Mercier (par ailleurs bureaucrate syndical dans l’usine de PSA à Aulnay), a été élu sur les listes du maire Marc Everbecq en 2008. L’article raconte l’expulsion musclée sur ordre du maire, opérée en plein hiver, des habitants d’un immeuble occupé en partie par des travailleurs africains.LO a cette fois-ci condamné cette expulsion raciste, contrairement à ce qu’elle avait fait en 2005 dans un cas tout à fait comparable dans la municipalité alors PCF d’Aubervilliers (voir notre article dans le Bolchévik n° 173). LO se solidarise avec les victimes et dénonce la propagande de la mairie de Bagnolet qui effectivement, pour justifier son action, n’a pas hésité à utiliser tous les clichés racistes, traitant les victimes de trafiquants, de dealers et de proxénètes.
Un esprit naïf, prenant au mot les paroles creuses de LO sur le « communisme » de ces derniers temps, aurait pu imaginer que LO allait dénoncer toutes ses compromissions passées avec le maire PCF et rompre son pacte avec le diable du municipalisme bourgeois. Absolument pas ! L’article de LO déclare au contraire :
« Un comité de soutien s'est constitué autour des expulsés, avec le DAL et des associations. Les élus Lutte Ouvrière de la ville ont participé à sa création. Et les expulsés ne sont pas mécontents de trouver à leurs côtés des élus de la majorité municipale capables de condamner les sales coups, même quand ils viennent de la mairie. »
En d’autres termes, LO est allée se présenter aux victimes de la municipalité en déclarant ouvertement qu’elle faisait partie de la majorité municipale qui les expulsait ! Dans ces conditions, son soutien aux expulsés revenait à rassurer ceux-ci qu’en réalité il ne fallait pas en conclure que la gestion du capitalisme, fût-elle aux mains du PCF et de LO, est nécessairement raciste. C’est précisément pour ce genre de coup que LO est utile aux maires PCF. Le message que LO aide ainsi à faire passer est le suivant : bien sûr, on ne peut gérer une mairie sans casser quelques ufs, mais enfin il y a toujours quelqu’un dans la majorité municipale pour venir vous réchauffer le cur (à défaut d’autre chose) quand vous êtes à la rue sous la neige.
LO décrivait elle-même à juste titre comme réformiste sa conception du travail dans les municipalités : « Par définition, l’activité municipale comme l’activité syndicale ne peuvent être révolutionnaires, mais sont réformistes » (Lutte de classe n° 110, février 2008). LO confondait ainsi délibérément deux choses : prendre part à la gestion municipale du capitalisme en s’inscrivant dans la majorité municipale et prendre ainsi la responsabilité pour ce que cela veut dire de gérer le capitalisme, c’est-à-dire inévitablement la discrimination raciste dans les attributions de HLM, la « gestion du personnel » y compris les licenciements par le maire d’employés municipaux, les fermetures de classes dans les écoles, la pénurie de crèches, l’augmentation des impôts locaux, la mise en place d’un commissariat et d’une police de proximité, etc., etc. et d’autre part se faire élire comme oppositionnel révolutionnaire prolétarien pour dénoncer cette gestion.
Pour les marxistes, c’est pourtant là une différence fondamentale, de principe. Il y a plus de 150 ans déjà, Karl Marx insistait que l’on ne peut se saisir de l’Etat capitaliste, un appareil d’oppression formé de bandes armées dont le rôle est de maintenir la dictature du capital, pour le faire fonctionner dans l’intérêt de la classe ouvrière. C’est vrai au niveau du gouvernement central, et c’est vrai également au niveau le plus bas de l’Etat, le niveau municipal ; c’est le maire qui dispose ainsi des pouvoirs de police sur son territoire ; le maire, y compris s’il est du PCF, est le représentant direct de l’Etat capitaliste au niveau municipal.
C’est pourquoi Lénine s’est toujours opposé au municipalisme, et notamment lors des élections aux doumas locales (municipales) en avril 1917 en Russie. Nous renvoyons nos lecteurs à notre article paru dans le dernier numéro de notre revue internationale, Spartacist (édition française n° 39, été 2009), qui documente cette lutte intransigeante de Lénine, même si la Troisième Internationale elle-même en était arrivée à des conclusions problématiques sur la question du municipalisme lors de son Deuxième Congrès : tout en dénonçant les institutions municipales « qu’il est théoriquement faux d’opposer aux organes gouvernementaux. A la vérité, elles font aussi partie du mécanisme gouvernemental de la bourgeoisie », la résolution de ce congrès sur le parlementarisme avait à tort admis la conquête des municipalités par le parti communiste.
L’Etat bourgeois doit être détruit lors d’une révolution ouvrière, qui se basera sur de nouveaux organes de pouvoir, des conseils ouvriers, opposés inconditionnellement au pouvoir bourgeois à tous les étages, national, régional ou municipal. Il doit être évident que la classe ouvrière ne peut en arriver à une telle conclusion si sa fraction révolutionnaire elle-même prend part aux organes de pouvoir bourgeois, fussent-ils municipaux. De cette opposition de principe aux postes exécutifs de l’Etat bourgeois, il découle en fait que les marxistes ne peuvent pas se présenter à l’élection de tels postes, sous peine de leur conférer une légitimité aux yeux des travailleurs. En conséquence nous refusons par principe de nous présenter à des élections à des postes exécutifs, que ce soit l’élection du maire et de ses adjoints par le conseil municipal, ou l’élection du président de la République au suffrage universel. Nous refusons de même de chercher à prendre part à une majorité parlementaire ou municipale qui elle-même prend la responsabilité de l’exécutif.
Depuis bientôt 40 ans LO n’a au contraire jamais manqué de présenter un candidat à l’élection présidentielle. En 2008 ils ont franchi le pas en mettant « les mains dans le cambouis » au niveau municipal. Effectivement, c’est la logique du réformisme de se mettre à gérer le capitalisme en commençant par le niveau municipal. Notre perspective est au contraire la révolution socialiste internationale. Cela commence par l’opposition au municipalisme bourgeois de LO, et cela doit finir par la dictature du prolétariat, qui éliminera les organes d’oppression de la bourgeoisie à tous les niveaux, y compris au niveau municipal. A bas les postes exécutifs de l’Etat capitaliste !
|