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Le Bolchévik nº 179

Mars 2007

Comment le PCF a saboté la possibilité d’une révolution ouvrière

Le Front populaire de Juin 36

Première partie

L’article ci-dessous en deux parties est basé sur une présentation de Gérard Lenny, membre du comité central de la LTF, lors de la journée d’études de la LTF du 24 juin 2006 à Paris. La deuxième partie sera publiée dans le prochain numéro du Bolchévik.

* * *

Le 70e anniversaire de Juin 36 donne l’occasion de revenir sur les leçons de cette période cruciale qui a vu une vague révolutionnaire, qui mûrissait depuis deux ans, exploser dans une grève générale de masse, avec des occupations d’usines dans toute la France. Si nous réexaminons les événements de Juin 36, nos objectifs n’ont rien à voir avec ceux des partis et organisations réformistes. Les articles, les expositions et les discours de ces derniers idéalisent en général le gouvernement de front populaire, composé de sociaux-démocrates et de Radicaux bourgeois ; ils le présentent comme le sommet des réformes sociales progressistes auxquelles les travailleurs doivent aspirer aujourd’hui. Ils veulent éradiquer la mémoire qu’en 1936 la classe ouvrière en France s’est montrée prête non seulement à obtenir quelques réformes, qui ont vite été annulées, mais aussi à renverser le système de profit capitaliste. Cette voie a alors été bloquée par sa direction traître – la SFIO (précurseur du Parti socialiste actuel), les bureaucrates syndicaux et surtout, de façon cruciale, le Parti communiste français (PCF) qui, comme le disait Trotsky dans le Programme de transition, « ont réussi, sous l’étiquette du Front populaire, à canaliser et à arrêter, au moins momentanément, le torrent révolutionnaire » de la grève générale de masse. Ils ont ainsi créé les conditions d’un retour de bâton réactionnaire qui a culminé quatre ans plus tard sous le régime de Vichy.

Le front populaire : une coalition capitaliste contre les travailleurs

Donc, que voulons-nous dire exactement quand nous parlons d’un front populaire ? Un front populaire est une alliance, généralement électorale, entre d’une part des partis ouvriers réformistes comme le Parti socialiste et le Parti communiste, qui ont pour base la classe ouvrière mais une direction procapitaliste, et d’autre part des formations ou des partis représentant directement la classe capitaliste. Dans les années 1930, par exemple, le Front populaire fut formé entre le PC et les sociaux-démocrates et le Parti radical, un parti bourgeois. Plus récemment, la Gauche plurielle de Jospin rassemblait le PS et le PC avec les Radicaux de gauche, les chevènementistes et les Verts, des partis bourgeois. Dans une telle alliance, la contradiction existant dans les partis ouvriers réformistes entre leur base ouvrière et leur direction procapitaliste est masquée. Ils se présentent devant les masses ensemble avec la classe dirigeante exploiteuse, comme un seul parti avançant un seul programme capitaliste, sur lequel, contrairement à la ligne des réformistes, on ne peut pas faire pression pour qu’il agisse dans l’intérêt de la classe ouvrière. En 1936, c’était une manière pour la bourgeoisie d’essayer de discipliner et désarmer la classe ouvrière, et, en fin de compte, de sauver sa domination de classe basée sur la propriété privée dans le cadre du système parlementaire de la démocratie bourgeoise. Ces dernières décennies, les dirigeants capitalistes ont eu recours au front populaire comme solution pour mettre en œuvre une offensive anti-ouvrière dont ils craignaient sinon qu’elle provoque une plus grande résistance si elle était lancée par un gouvernement bourgeois de droite traditionnel. Le front populaire amène toujours un retour de la réaction à un niveau plus élevé.

La Ligue communiste internationale (LCI), dont la Ligue trotskyste est la section française, est connue internationalement pour le fait qu’elle se place sur le principe, et qu’elle lutte pour ce principe, de s’opposer de façon révolutionnaire à la participation des partis ouvriers dans des fronts populaires, y compris dans le gouvernement Allende au Chili dans les années 1970 et celui de Mitterrand-Marchais en 1981. Dans toute notre histoire nous nous sommes opposés à donner le moindre soutien électoral critique à des partis ouvriers liés à la bourgeoisie par un front populaire. C’était une question programmatique cruciale pour forger la LTF qui, contrairement aux lambertistes (aujourd’hui dans le Parti des travailleurs), à la LCR et à LO s’était opposée au vote pour les partis ouvriers du front populaire de Mitterrand. Hier comme aujourd’hui nous posons comme condition minimum pour donner le moindre soutien électoral à un parti ouvrier réformiste, qu’il rompe d’abord avec ses partenaires bourgeois.

Notre modèle, c’est la lutte intransigeante qu’a menée Lénine en avril 1917 au sein du Parti bolchévique contre le front populaire de Kérensky. Cette lutte a permis d’armer les bolchéviks politiquement pour diriger le prolétariat pour renverser le pouvoir capitaliste, et pour que le prolétariat exerce sa propre dictature contre les forces de la contre-révolution. C’est cette intransigeance contre la collaboration de classes qui a rendu possible la révolution prolétarienne d’octobre 1917. Lénine télégraphiait le 6 mars 1917 aux bolchéviks partant pour la Russie :

« Notre tactique : méfiance absolue, aucun soutien nouveau gouvernement, Kérensky surtout soupçonnons, armement prolétariat seule garantie, élection immédiate Douma de Pétrograd, aucun rapprochement autres partis. »

La Révolution russe, première révolution prolétarienne victorieuse de l’histoire de l’humanité, a bouleversé profondément le monde. Le pouvoir des soviets ouvriers et paysans dominait sur un sixième du globe. Malgré la mobilisation contre la Russie soviétique de 14 armées bourgeoises et des gardes blancs contre-révolutionnaires, la dictature du prolétariat tenait bon. Dans le monde entier les ouvriers et les peuples coloniaux identifiaient leurs luttes émancipatrices au bolchévisme. On manifestait le Premier Mai en chantant l’Internationale. De l’autre côté les bourgeoisies, notamment en Europe, craignaient par-dessus tout de voir se répandre la Révolution russe, et elles éprouvaient une haine viscérale du bolchévisme. Et il y a eu des soubresauts révolutionnaires un peu partout en Europe, notamment en Allemagne, après la Première Guerre mondiale. Cependant la classe ouvrière n’est parvenue à prendre le pouvoir dans aucun pays, du fait essentiellement de la politique contre-révolutionnaire des dirigeants sociaux-démocrates traîtres, et de l’absence de partis d’avant-garde reconnus comme le Parti bolchévique que Lénine avait construit dans la Russie tsariste.

En 1919, lors de la vague révolutionnaire qui balaya l’Allemagne, les sociaux-démocrates allemands sauvèrent en fait la bourgeoisie. Noske, un dirigeant social-démocrate, organisa personnellement le massacre de centaines d’ouvriers révolutionnaires en réprimant le soulèvement spartakiste à Berlin, y compris en faisant assassiner les principaux dirigeants communistes, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht. Puis en 1923, lorsqu’une nouvelle crise révolutionnaire de dimension extraordinaire secoua l’Allemagne, les ouvriers allemands se tournèrent vers le Parti communiste allemand, le KPD. Mais la direction du KPD se tourna au lieu de cela vers l’aile gauche de la social-démocratie en y cherchant un « allié », et laissa passer l’occasion d’une insurrection prolétarienne.

Cette défaite eut un énorme impact en Union soviétique, conduisant à une vague de démoralisation dans un prolétariat ravagé. La Révolution russe avait eu pour prémisse la perspective de révolutions prolétariennes victorieuses dans les puissances industrielles d’Europe de l’Ouest. Après 1921 la Russie soviétique émergeait de sept ans de guerre impérialiste et de guerre civile ; elle était isolée internationalement et dévastée économiquement ; son prolétariat était physiquement décimé et politiquement épuisé, et l’énorme paysannerie (notamment des couches plus aisées) commençait à vouloir défendre ses propres intérêts petits-bourgeois.

Cette situation permit à une couche bureaucratique de se développer dans l’appareil gouvernemental de l’Etat soviétique et dans le Parti communiste au pouvoir. La bureaucratie, tirant parti de la profonde démoralisation qui suivit l’échec de l’opportunité révolutionnaire en Allemagne de 1923, arracha le pouvoir politique des mains du prolétariat et de son avant-garde révolutionnaire. La bureaucratie répudia le programme d’internationalisme prolétarien qui avait mené à la victoire de la Révolution bolchévique, et dont l’Opposition de gauche de Trotsky représentait la continuité, et elle créa la « théorie » du « socialisme dans un seul pays » comme justification idéologique à sa domination. D’instrument pour la révolution mondiale, l’Internationale communiste (IC) fut transformée en fantassin du Kremlin dans ses efforts pour mener une « coexistence pacifique » avec l’impérialisme au nom de la « construction du socialisme dans un seul pays ». L’Opposition de gauche de Trotsky combattit de façon acharnée la dégénérescence bureaucratique du Parti bolchévique et de l’Internationale communiste, tout en continuant à défendre les formes de propriété collectivisée en Union soviétique qui représentaient un acquis pour les ouvriers du monde.

La montée du fascisme dans les années 1930

Il est essentiel de comprendre tous ces développements dans l’Internationale communiste, ainsi que le contexte international de la montée du fascisme dans les années 1930, parce que le spectre du fascisme a servi de justification centrale aux staliniens pour la mise en place du front populaire. Dans l’Allemagne du début des années 1930, les forces des nazis s’étaient développées de façon inquiétante. Ils avaient mobilisé la petite bourgeoisie, ruinée et enragée par la crise de 1929, pour détruire le mouvement ouvrier organisé. Les dirigeants sociaux-démocrates, plutôt que d’armer et de mobiliser la classe ouvrière pour écraser les fascistes, avaient renié leurs responsabilités et pavé pas à pas la voie au fascisme en réprimant les communistes et en capitulant à la bourgeoisie. Si les dirigeants sociaux-démocrates ne voulaient pas se battre, les ouvriers, eux, n’avaient pas le choix : s’ils ne se battaient pas, c’était l’anéantissement. La situation exigeait une politique de front unique. Celle-ci avait été introduite en 1921 par l’Internationale communiste pour étendre la Révolution russe internationalement. Trotsky demanda à plusieurs reprises que le Parti communiste reprenne cette politique en demandant au SPD de mettre en place une offensive unie contre les nazis. Si les dirigeants du SPD acceptaient, la menace fasciste était balayée et la voie pour la révolution ouvrière s’ouvrait. S’ils refusaient, leur trahison était démasquée devant les ouvriers et la mobilisation révolutionnaire de la classe ouvrière aurait été aidée par la démonstration dans la lutte que les communistes sont la seule direction conséquente de la classe ouvrière.

Voilà ce que disait Trotsky :

« Ouvriers communistes, vous êtes des centaines de milliers, des millions, vous n'avez nulle part où aller, il n'y aura pas assez de passeports pour vous. Si le fascisme arrive au pouvoir, il passera comme un tank effroyable, sur vos crânes et vos échines. Le salut se trouve uniquement dans la lutte sans merci. Seul le rapprochement dans la lutte avec les ouvriers sociaux-démocrates peut apporter la victoire. Dépêchez-vous, ouvriers communistes, car il vous reste peu de temps ! »

– « Lettre à un ouvrier communiste allemand », 8 décembre 1931

Mais la bureaucratie stalinienne était engagée à ce moment à promouvoir sa « théorie » d’une « troisième période » de l’impérialisme, proclamant que la vague révolutionnaire de l’après-guerre s’était terminée en 1923, qu’elle avait été suivie d’une période de stabilisation jusqu’en 1928 et qu’ensuite une nouvelle période s’était ouverte au cours de laquelle l’effondrement final du capitalisme était imminent. Le raisonnement était que la crise économique qui avait suivi la dépression de la fin des années 1920 allait automatiquement créer une situation révolutionnaire. A partir de cette « théorie » le Comintern a déclenché une série d’aventures téméraires ultragauches ; il prônait l’abandon des syndicats pour mettre en place de petits « syndicats rouges » qui étaient, dans les faits, opposés aux organisations de masse dirigées par les réformistes et au besoin urgent de gagner leurs membres à une perspective révolutionnaire.

Dans le droit fil vint la découverte par Staline que les partis réformistes sociaux-démocrates étaient « social-fascistes » – c’est-à-dire « socialistes en paroles, fascistes en actes » – et comme ils ne faisaient plus partie du mouvement ouvrier, la tactique du front unique n’était pas applicable. Ce que les communistes devaient offrir était au mieux un « front unique de la base » qui n’était simplement qu’un appel à ce que la base des sociaux-démocrates et les syndicalistes désertent leurs dirigeants et les organisations pour lesquelles ils avaient de la loyauté. En traitant la social-démocratie d’« aile gauche du fascisme », Staline escamotait le fait que les ouvriers organisés dans le SPD et dans les syndicats seraient écrasés en cas de victoire fasciste.

Jusqu’à y compris la prise du pouvoir par Hitler, Staline continua à suivre la logique sectaire et défaitiste de la « troisième période » ; le dirigeant du PC allemand Thälmann insistait encore en septembre 1932 que « bien sûr l’Allemagne ne va pas devenir fasciste ». Cette politique, avec la complète capitulation des sociaux-démocrates aux nazis, a permis la prise du pouvoir par Hitler sans pratiquement qu’un seul coup de feu ne soit tiré par les organisations ouvrières. Bientôt, les dirigeants et les militants du PC et du SPD allaient commencer à remplir les camps de concentration, comme Trotsky l’avait prédit. Le Comintern, pris de panique, allait interdire aux partis communistes toute critique ou discussion sur les événements en Allemagne et allait écarter toute mention du « social-fascisme ».

Le retour du front populaire sous Staline

En réaction à la catastrophe allemande et à l’absence de toute discussion dans le KPD et l’IC sur cette trahison, Trotsky en tira la conclusion qu’il n’était plus possible de redresser l’Internationale communiste, et il commença à combattre pour une nouvelle internationale révolutionnaire, la Quatrième Internationale.

Le Comintern se mit à faire un tournant à 180 degrés en appelant à un « front unique » avec les dirigeants sociaux-démocrates (qu’il avait repoussé pendant cinq ans), mais en demandant que les partis communistes « abandonnent toutes les attaques contre les organisations social-démocrates pendant l’action commune », c’est-à-dire qu’il interdisait la liberté de critique. Puis les staliniens ont eu l’idée du front populaire, qu’ils essaient de proclamer comme étant simplement l’extension logique du front unique à un niveau supérieur. Rien n’est plus éloigné de la vérité. Le « front unique de la classe ouvrière » avait été développé sur une base « classe contre classe » ; il s’agissait précisément de détacher les sociaux-démocrates de leur éternel collaborationnisme de classes avec la bourgeoisie « démocratique ». Il était crucial d’avoir le droit de critiquer sans aucune restriction les autres partis faisant partie du front unique, ce qu’exprimait le deuxième mot d’ordre du front unique, « liberté de critique, unité dans l’action », ou, comme le disait Trotsky, « marcher séparément, frapper ensemble ».

Avec le triomphe de Hitler et les menaces renouvelées d’attaques impérialistes, la bureaucratie soviétique, en proie à la panique, se mit à chercher des alliés pour assurer la défense de la patrie soviétique. La Russie adhéra à la Société des Nations et, en 1935, signa le Pacte Laval-Staline, un pacte d’assistance militaire franco-soviétique. Pendant toute cette période, le Comintern a cherché à se faire bien voir des bourgeoisies des pouvoirs impérialistes démocratiques en réfrénant de façon calculée les mouvements prolétariens révolutionnaires en Europe. La méthode : des alliances de collaboration de classes avec la bourgeoisie et la participation dans ses gouvernements, c’est-à-dire le front populaire. La couverture : la lutte contre le fascisme. Le Comintern argumentait que le principal danger menaçant maintenant la classe ouvrière était le fascisme, et que le fascisme menaçait aussi la paysannerie, la petite bourgeoisie et même des sections de la bourgeoisie. La lutte pour la révolution socialiste n’était donc plus à l’ordre du jour :

« Maintenant les masses travailleuses dans nombre de pays capitalistes doivent faire un choix définitif, et elles doivent le faire tout de suite. Elles ne doivent pas choisir entre la dictature du prolétariat et la démocratie bourgeoise, mais entre la démocratie bourgeoise et le fascisme. »

– Rapport au 7e Congrès du Comintern, par Georgi Dimitrov, 1935

Jusqu’à ce que le Pacte Laval-Staline soit signé, le PC français était connu pour avoir toujours voté au Parlement contre le budget militaire de l’impérialisme français et pour l’avoir fait avec fierté. Mais à la suite de ce nouvel accord entre leurs dirigeants bourgeois et Staline, l’Humanité proclama : « Staline a raison. » C’était un soutien à la politique de « défense nationale » de leur propre bourgeoisie contre les autres pays impérialistes. A partir de ce moment, le PC allait devenir un défenseur conséquent de la Marseillaise et du drapeau tricolore. Son alliance avec les impérialistes soi-disant « antifascistes » annonçait que le PC était prêt à commettre les pires trahisons contre la classe ouvrière, de façon centrale en bloquant la voie de la révolution ouvrière.

Le programme trotskyste pour la révolution

Ayant placé le contexte international de la crise révolutionnaire qui a éclaté en France dans les années 1930, voyons comment cela s’est développé et la bataille entre les programmes révolutionnaire et réformistes. Le 6 février 1934 plusieurs milliers de fascistes et de royalistes en armes déclenchaient une émeute à Paris en cherchant à faire un coup d’Etat. Cela aboutit au renversement du gouvernement de « Cartel des gauches » d’Edouard Daladier qui fut remplacé par le conservateur Doumergue. Jusqu’à ce moment-là, il y avait un certain sentiment chez les dirigeants du PC et du PS que le fascisme n’avait rien à voir avec la République française « démocratique ». Avec son document Où va la France ? publié fin octobre 1934, Trotsky, qui comprenait que la France évoluait vers une situation révolutionnaire, explique que dans tous les pays opèrent les mêmes lois historiques, les lois du déclin capitaliste :

« Si les moyens de production continuent à rester dans les mains d’un petit nombre de capitalistes, il n’y a pas de salut pour la société. Elle est condamnée à aller de crise en crise, de misère en misère, de mal en pis. […] La bourgeoisie a mené sa société à une banqueroute complète. Elle n'est capable d’assurer au peuple ni le pain ni la paix. C'est précisément pourquoi elle ne peut supporter plus longtemps l’ordre démocratique. Elle est contrainte d’écraser les ouvriers à l’aide de la violence physique. Mais on ne peut pas venir à bout du mécontentement des ouvriers et des paysans par la police seule. Faire marcher l’armée contre le peuple, c’est trop souvent impossible ; elle commence par se décomposer et cela s’achève par le passage d’une grande partie des soldats du côté du peuple. C'est pourquoi le grand capital est contraint de créer des bandes armées particulières, spécialement dressées contre les ouvriers, comme certaines races de chiens sont dressées contre le gibier. La signification historique du fascisme est d’écraser la classe ouvrière, de détruire ses organisations, d’étouffer la liberté politique à l’heure où les capitalistes s’avèrent déjà incapables de diriger et de dominer à l’aide de la mécanique démocratique. »

Les fédérations syndicales dirigées par la SFIO et le PC, sous une énorme pression de leur base, conduisirent une grève générale et une manifestation commune de masse le 12 février 1934 contre la menace fasciste et la répression policière contre les travailleurs. Rien que de par sa taille, elle servit effectivement à repousser les fascistes pendant quelques mois, mais leur menace restait tout aussi réelle. Puis, en juin 1934, Maurice Thorez, le dirigeant du PC, proposa un « front unique » à la SFIO qui en fait prit la forme d’un pacte de non-agression où les deux parties refusaient de se critiquer mutuellement. Tout en soutenant totalement des actions de front unique du PS et du PC contre la réaction fasciste, Trotsky s’en prit à leur bloc sur la base qu’il limitait ces actions à des manœuvres parlementaires et des alliances électorales, et refusait de chercher à mobiliser les travailleurs dans une lutte extra-parlementaire dans la rue contre le fascisme, une lutte qui aurait bien pu ouvrir la perspective d’une révolution prolétarienne.

Trotsky, en collaboration avec ses partisans en France, les Groupes bolchéviques-léninistes (GBL), aida à l’élaboration d’un programme d’action clair. Il luttait pour forger une direction révolutionnaire qui pourrait, comme le Parti bolchévique l’avait fait 20 ans auparavant, diriger le prolétariat dans une lutte pour le pouvoir par tous les moyens, sur la base d’une mobilisation indépendante de toutes les ailes de la bourgeoisie. Pendant que les dirigeants sociaux-démocrates se tournaient vers le gouvernement bourgeois et vers l’Etat pour qu’il désarme les fascistes, les trotskystes insistaient : « Nous nous refusons à semer l’illusion criminelle qu’un gouvernement capitaliste puisse réellement procéder au désarmement des bandes du capitalisme » (« Programme d’action pour la France », numéro spécial de la Vérité, juin 1934). Trotsky expliquait que les flics sont les bandes armées légales défendant la propriété privée, et les fascistes sont leurs troupes de choc extra-parlementaires servant le même maître, et c’est pourquoi il est utopique, et en dernier ressort suicidaire, d’appeler l’Etat bourgeois à interdire les fascistes. Les partisans de Trotsky appelaient à l’armement du prolétariat et à l’organisation de sa défense dans des milices ouvrières basées sur les usines. Tout comme pour une grève il faut des piquets de grève,, la lutte contre les fascistes, qui sont armés pour écraser les organisations ouvrières, exige des milices. Cependant le PC s’opposait à l’appel à des milices ouvrières, qu’il considérait comme provocateur, et refusait d’armer les ouvriers en insistant qu’il n’y avait pas de « situation révolutionnaire ». Il argumentait au lieu de cela pour l’« autodéfense de masse » qui devait, de façon absurde, renoncer aux armes pour éviter de tomber dans le « putschisme », laissant ainsi criminellement les travailleurs exposés.

Le « Programme d’action pour la France » des trotskystes non seulement appelait à des milices ouvrières et à des comités de lutte, il demandait aussi de tels comités pour les soldats et les paysans, en tant qu’embryons de futurs soviets (organes de double pouvoir) dans la lutte de classe qui se développait. La paysannerie constituait presque la moitié de la population en France à cette époque, et les paysans, ainsi que d’autres couches de la petite bourgeoisie, avaient aussi été pressurés et écrasés par la crise de 1929 et ils cherchaient un programme de survie. En dernier ressort ils pouvaient aller ou bien aux fascistes, comme en Allemagne, ou bien au mouvement ouvrier, à condition que celui-ci leur montre qu’il prétendait sérieusement, de façon révolutionnaire, à la prise du pouvoir, comme en Russie en 1917. Dans ce but le programme d’action trotskyste appelait à aider les petites entreprises et la paysannerie, tout en expropriant les grandes propriétés. Il demandait aussi des services sociaux qui soient mis en œuvre par et pour les masses travailleuses, l’abolition du « secret commercial » pour mettre à nu la banqueroute du capitalisme, le contrôle ouvrier et paysan sur les banques, l’industrie et le commerce, des nationalisations sans compensation, la semaine de 40 heures avec des augmentations de salaire, à travail égal salaire égal, la « suppression de toute législation particulière pour les travailleurs étrangers et coloniaux » (et aussi le droit à l’autodétermination pour les peuples coloniaux, jusques et y compris la séparation s’ils le veulent), et le monopole du commerce extérieur. Le programme faisait le lien entre la lutte à mener en France et la perspective des Etats-Unis socialistes d’Europe et la défense inconditionnelle de l’Union soviétique.

La mise en place du Front populaire

Mais l’obstacle principal à ce plan d’action révolutionnaire, c’était le caractère conservateur et passif des dirigeants réformistes des organisations ouvrières de masse, et leur refus de mobiliser la classe ouvrière de façon indépendante. Et, alors que la SFIO social-démocrate avait évolué temporairement vers la gauche sous la pression de sa base, en s’éloignant de son bloc traditionnel avec les Radicaux bourgeois (le « Cartel des gauches »), le PCF, sous les directives du dernier tournant de Moscou, bougea plus vite – mais dans l’autre direction – en appelant à partir de fin 1934 à un bloc avec les mêmes Radicaux. En juillet 1935 la coalition entre le PC et la SFIO fut étendue pour inclure les Radicaux, précisément au moment où la petite bourgeoisie se détournait de ces derniers. Ce parti bourgeois « de gauche », basé sur la petite bourgeoisie urbaine et rurale, était fermement dévoué à l’entreprise privée et à la propriété privée. Le PCF, afin de sauver l’unité avec les Radicaux, insistait que le programme du Front populaire soit restreint à la défense de la République contre le fascisme, et à des mesures contre la récession économique et quelques réformes ouvrières.

A peine quelques semaines après la signature du bloc avec les Radicaux éclatait une grève des dockers à Brest contre un décret gouvernemental réduisant les salaires des fonctionnaires de 10 %. Le préfet réagit en envoyant la police, les gendarmes et les gardes mobiles occuper les docks. Le lendemain les travailleurs attaquèrent le commissariat de police, le bureau de poste, la gare et autres institutions. Un jeune travailleur qui essayait de ramener le drapeau tricolore pour le remplacer par un drapeau rouge fut frappé par la police. Il y eut trois morts et des dizaines de blessés. La scène se répéta à Toulon, où 3 000 ouvriers du port se mobilisèrent spontanément et manifestèrent en chantant l’Internationale. Tout le port fut paralysé, des barricades furent dressées, et une nouvelle fois la police tua cinq ouvriers et fit de nombreux blessés. Et sur au moins quatre bateaux les marins mirent crosse en l’air.

Trotsky réagit aux grèves en appelant à l’élection de comités d’action pour organiser et lier les grèves, les protestations, les combats avec les fascistes, afin de donner aux ouvriers un avant-goût de leur propre pouvoir pour les luttes prochaines, et pour combattre la politique paralysatrice du bloc de Front populaire qui venait d’être créé.

« Les ouvriers ne peuvent élire les comités d’action que lorsqu’ils participent eux-mêmes à une action et éprouvent donc la nécessité d’avoir une direction révolutionnaire.

« Il ne s’agit pas d’une représentation démocratique de toutes et de n’importe quelles masses, mais d’une représentation révolutionnaire des masses en lutte. Le comité d’action est l’appareil de la lutte. Il est inutile de chercher à déterminer d’avance les couches de travailleurs qui seront associées à la formation des comités d’action : les contours des masses qui luttent se traceront au cours de la lutte. »

– « Front populaire et comités d’action », 26 novembre 1935

Trotsky argumentait que, dans de véritables élections de masse à de tels comités, les travailleurs éjecteraient les Radicaux bourgeois, qui défendraient leur propre classe et s’opposeraient aux grèves et aux attaques contre leur sacro-saint principe de la « propriété privée ». De cette manière les comités d’action, qui étaient conçus comme un pont vers l’établissement de soviets, des organes de pouvoir prolétarien, pouvaient chercher à desserrer l’étau de la collaboration de classes des dirigeants communistes, et leur programme de défaite. Entre 1934 et 1936, Trotsky et ses partisans intervinrent de façon répétée avec diverses tactiques pour préparer les conditions nécessaires à la poursuite de cette ligne d’action – l’indépendance politique de la classe ouvrière vis-à-vis de la bourgeoisie – afin de paver la voie à la révolution socialiste.

Face à la grève de Brest, le PCF porta un coup de poignard à la classe ouvrière : Jacques Duclos publia un article dans l’Humanité du 8 août, où il qualifiait la grève de « jeu dangereux » et accusait les grèves d’être causées par des éléments provocateurs entretenus par le gouvernement Laval ! l’Humanité ajoutait : « Quant à l’opération qui consiste à arracher le drapeau tricolore [de la sous-préfecture de Brest] elle porte elle aussi la marque de la provocation […]. Nous attachons un trop grand prix à notre collaboration avec le parti radical pour ne pas nous dresser contre les provocateurs » (cité par Jacques Kergoat, la France du Front populaire). Cela ne peut pas être plus clair. Trotsky, lui, réagit de la manière suivante :

« Les événements révolutionnaires de Toulon, Le Havre et Brest [...] sont d’une importance capitale […]. Nous avons toujours affirmé que la révolte était en train de grandir dans les masses travailleuses, et que ce sont précisément les organisations ouvrières, partis et syndicats, qui les empêchent de trouver une issue dans leur volonté de combat. C’est maintenant prouvé et archi-prouvé. »

– « Après les événements de Toulon », 11 août 1935

La putréfaction chauvine du PCF apparaît clairement aussi quelques mois plus tard, dans le discours de Thorez, le dirigeant du PCF de l’époque, à la radio le 17 avril 1936. Il y explique que les communistes travaillent « à la véritable réconciliation du peuple de France » et conclut :

« Nous te tendons la main, catholique, ouvrier, employé, paysan, nous qui sommes laïques, parce que tu es notre frère, et que tu es, comme nous, accablé par les mêmes soucis. Nous te tendons la main, volontaire national, ancien combattant devenu Croix-de-Feu [un des groupes fascistes de l’époque] parce que tu es un fils de notre peuple, que tu souffres comme nous du désordre et de la corruption, parce que tu veux, comme nous, éviter que le pays ne glisse à la ruine et à la catastrophe. »

– cité par J. Kergoat dans la France du Front populaire

On pourrait se demander comment le PC fut capable de conserver sa base ouvrière de masse avec une politique aussi misérable de capitulation au capitalisme français ; il faut se rappeler qu’à cette époque tumultueuse le PC bénéficiait encore de l’autorité de la Révolution russe et, tout en insistant qu’il n’y avait pas de « situation révolutionnaire » et tout en refusant d’armer les ouvriers, il cherchait à couvrir ses trahisons avec de la phraséologie radicale sur la dictature du prolétariat comme but ultime – mais que la tâche du jour était d’assurer l’alliance avec la petite bourgeoisie (en réalité, l’alliance avec les Radicaux bourgeois). Il cherchait aussi, selon la politique du Comintern mentionnée précédemment, à utiliser le danger bien réel du fascisme et la nécessité de le combattre pour ramener les ouvriers vers le soutien au front populaire.

Lors des élections d’avril-mai 1936, le Front populaire emporta une majorité significative. Le PC refusa de participer directement au gouvernement, mais ce n’était certainement pas du fait d’une quelconque opposition de gauche de principe. Voici comment le PC décrivait la chose :

« Nous sommes convaincus que les communistes serviront mieux la cause du peuple en soutenant loyalement sans réserves et sans éclipses, le gouvernement à direction socialiste, plutôt qu’en offrant, par leur présence dans le cabinet, le prétexte aux campagnes de panique et d’affolement des ennemis du peuple. »

ibid.

Trotsky dénonça cela en ces termes :

« Le ministérialisme dans les coulisses est dix fois pire que le ministérialisme ouvert et déclaré. En fait, les communistes veulent conserver leur indépendance extérieure, pour assujettir d’autant mieux les masses ouvrières au Front populaire, c'est-à-dire à la discipline du capital. »

Où va la France ?, « L’étape décisive », 5 juin 1936

Il insistait que le Front populaire était juste une autre forme de comité exécutif pour mettre en œuvre la dictature de la bourgeoisie, quelles que soient les formes démocratiques pour dissimuler l’exploitation capitaliste. Et l’Etat bourgeois demeure inchangé, que ce soit sous un gouvernement de droite ou de front populaire, avec son corps des officiers, ses gardiens de prison, sa police pour protéger l’ordre social des formes de propriété privée capitaliste. Avant comme après l’élection du Front populaire, les décisions continuaient d’être prises par la même poignée de capitalistes, de banquiers, de hauts fonctionnaires. Selon André Ferrat (cité dans Juin 36, le livre de Jacques Danos et Marcel Gibelin) :

« Il n’y eut aucun mouvement préfectoral extraordinaire. A la police, aucune mesure notable, en dehors de la mise à la retraite du directeur de la police municipale – son remplaçant ne valant guère mieux – et de simples mutations comme, par exemple, le passage du directeur de la Sûreté nationale à une importante fonction au Quai d’Orsay. »

Dans la magistrature ce sont les juges « les plus rétrogrades » qui eurent de la promotion. Dans le protectorat du Maroc le proconsul Peyrouton devint ambassadeur et fut remplacé par le général Noguès, et ainsi de suite. Les décisions continuaient d’être prises par le même personnel pour les mêmes intérêts de classe capitaliste. Même la Banque de France ne fut pas nationalisée.

La révolution française désarmée par le front populaire

Avant même que le Front populaire, qui venait de gagner les élections début mai 1936, prenne les rênes du gouvernement, une vague révolutionnaire déferla sur le pays. Des grèves éclatèrent d’abord dans les usines d’aviation du Havre, de Toulouse et de Courbevoie. Puis, le 24 mai, la manifestation annuelle pour la commémoration de la Commune de Paris attira 600 000 ouvriers avec des drapeaux rouges et chantant l’Internationale. Le lendemain, de nombreuses grèves éclatèrent dans tout Paris, et le 28 les 30 000 travailleurs de Renault-Billancourt partirent en grève. A son point culminant, le 11 juin, on compte près de deux millions de grévistes. Toutes les corporations sont touchées, notamment les cœurs industriels. L’ouvrage de Danos et Gibelin donne un aperçu saisissant de l’ampleur de la lutte. Ils racontent que la grève est centrée sur la métallurgie dans les régions industrielles de la région parisienne et du Nord, mais elle est également générale dans la pâtisserie, la confiserie, l’industrie du bois et de l’ameublement, etc. Les femmes aussi ont joué un rôle important. Elles formaient une partie non négligeable du prolétariat ; par exemple, dans les grands magasins, le textile et l’habillement, où elles étaient encadrées par une maîtrise masculine, elles ont très largement participé au mouvement.

Les grèves ouvrières s’étendirent, de façon significative, à des occupations d’usines et dans certains cas à l’établissement de comités de grève – l’embryon de futurs soviets pour lesquels s’étaient battus les trotskystes, remettant en question le principe de la propriété privée des moyens de production. La bourgeoisie dans son entièreté, affolée, va se précipiter pour que le Front populaire assume le gouvernement le plus rapidement possible et désamorce cette situation révolutionnaire. Selon les termes de Lebrun, président de la République, que rapporte Léon Blum au procès de Riom (procès intenté par le gouvernement de Vichy à Léon Blum) :

« Les ouvriers ont confiance en vous. Puisque vous ne pouvez convoquer les Chambres avant samedi et que certainement dans votre déclaration ministérielle vous allez leur promettre le vote immédiat des lois qu’ils réclament, alors je vous en prie, dès demain adressez-vous à eux par la voix de la radio. Dites-leur que le Parlement va se réunir, que dès qu’il sera réuni vous allez lui demander le vote rapide et sans délai des lois dont le vote figure sur leurs cahiers de revendications en même temps que le relèvement des salaires. Ils vous croiront, ils auront confiance en vous, et alors peut-être ce mouvement s’arrêtera t-il ? »

Léon Blum devant la cour de Riom, éd. de la liberté, 1945

Comme le dit lui-même Blum à Riom : « Mais je dois vous dire qu’à ce moment, dans la bourgeoisie et en particulier dans le monde patronal, on me considérait, on m’attendait, on m’espérait comme un sauveur. » (ibid.)

Les accords de Matignon : des réformes très piètres en réalité

C’est exactement ce que le Front populaire de Blum va faire avec les accords de Matignon. Blum va donc organiser des négociations avec les organisations ouvrières, pensant que l’autorité du Front populaire suffira à faire reprendre les ouvriers. Les discussions entre le gouvernement Blum et ses « partenaires sociaux » de l’époque qui soutiennent le Front populaire, notamment la CGT, vont donc aboutir aux accords de Matignon du 7 juin 1936. Ces accords légalisent l’action syndicale dans les entreprises, définissent le principe des conventions collectives et octroient des augmentations de salaires de 12 % en moyenne (l’indice du coût des denrées alimentaires avait augmenté de 25 % entre août 1935 et mai 1936). De plus des lois seront votées instituant la semaine de 40 heures et deux semaines de congés payés.

Aujourd’hui on nous présente cela comme d’énormes acquis obtenus grâce au front populaire. La LCR de Besancenot, par exemple, qui se présente de temps en temps comme « trotskyste », a publié un article en deux parties dans Rouge (1er et 8 juin 2006) où ils écrivent : « Il y a 70 ans, le Front populaire remportait les élections, dans un contexte politique caractérisé par sa radicalité. De considérables avancées sociales s’ensuivirent. » La vérité, c’est que les avancées étaient dues à la vague de grèves massives, que le Front populaire s’employa à désamorcer et, même après sa lutte courageuse et déterminée, la classe ouvrière demeurait brutalement exploitée et opprimée. Les réformistes font naturellement disparaître le fait que le front populaire a servi à sacrifier la possibilité d’une révolution socialiste pour exproprier la classe capitaliste à cette époque. Trotsky écrivait :

« Tout le fond de la chose est en ceci : les réformes, très piètres en réalité, sur lesquelles se sont mis d’accord les capitalistes et les chefs des organisations ouvrières, ne sont pas viables, car elles sont au-dessus des forces du capitalisme déjà décadent, pris dans son ensemble. L’oligarchie financière, qui fit des affaires magnifiques au plus fort de la crise, peut, assurément, s’accommoder de la semaine de 40 heures, des congés payés, etc. Mais des centaines de milliers de moyens et petits industriels, sur qui s’appuie le capital financier et sur qui il fait retomber maintenant les frais de son accord avec Blum, doivent soit se ruiner docilement, soit tenter, à leur tour, de faire retomber les frais des réformes sociales sur les ouvriers et les paysans, comme sur les consommateurs. »

Où va la France ?, « Devant la seconde étape », 9 juillet 1936

C’est exactement comme cela que ça s’est passé avec la politique d’inflation qui a rongé les concessions salariales en moins d’un an. En fait une très grosse partie des acquis ont été annihilés rapidement.

Malgré les accords de Matignon et la modération des bureaucrates syndicaux qui freinaient des quatre fers, les grèves ont continué à s’étendre dans les jours qui ont suivi.

Pour que le mouvement s’arrête, le rôle du PCF, qui était très fortement implanté dans la classe ouvrière et ses secteurs stratégiques, a été crucial. Le véritable tournant qui a amorcé la reprise du travail, c’est un discours du 11 juin du secrétaire général du PCF, Maurice Thorez, devant des milliers de militants du PCF de la région parisienne. C’est là que Thorez a eu l’expression tristement célèbre :

« Alors il faut savoir terminer une grève dès que satisfaction a été obtenue. Il faut même savoir consentir au compromis si toutes les revendications n’ont pas été encore acceptées, mais que l’on a obtenu la victoire sur les plus essentielles des revendications. »

Jacques Danos et Marcel Gibelin, Juin 36

Dès le lendemain matin les bureaucrates syndicaux et les militants du PCF sont retournés intervenir dans les usines occupées, mettant tout leur poids dans la balance pour faire appliquer cette ligne. C’est le PCF qui a joué le rôle déterminant pour trahir la grève, et c’était d’autant plus facile qu’il soutenait le gouvernement de l’extérieur.

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