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Le Bolchévik nº 178 |
Décembre 2006 |
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ONU, troupes françaises hors du Liban ! Pour une fédération socialiste du Proche-Orient ! Le Liban et la révolution permanente
Défense du peuple palestinien !
Nous reproduisons ci-après la présentation de notre camarade Alexis Henri lors dun meeting de la Ligue trotskyste à Paris le 26 octobre dernier.
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Le Proche-Orient nen finit pas de saigner en conséquence des machinations impérialistes. LIrak, victime dune occupation coloniale sanglante par les impérialistes américains et britanniques, sombre dans la guerre civile. Le journal scientifique médical britannique The Lancet parle de plus de 600 000 victimes de cette occupation coloniale. Le peuple palestinien est soumis à un blocus de famine dans les territoires occupés, et pilonné sans arrêt par larmée sioniste qui a officiellement tué plusieurs centaines de personnes depuis juillet. Et le Liban a été le théâtre dune opération militaire de grande envergure de larmée sioniste en juillet-août. Il y a eu plus de mille morts et des milliers de blessés, les infrastructures du pays ont été dévastées.
Il ny aura de solution au martyre des peuples de la région quavec le renversement par des révolutions ouvrières du système capitaliste dans toute la région, de Tel-Aviv à Beyrouth, Damas et Le Caire, ainsi quà Washington, Paris et Berlin pour mettre fin à linterventionnisme criminel des grandes puissances impérialistes. Cest pour cette perspective que nous luttons, et nous cherchons à construire le parti international de la révolution socialiste qui est indispensable à laccomplissement de cette perspective. Tous ceux qui vendent à ceux qui désespèrent de la situation des raccourcis, ou des pis-aller en attendant, ne sont que des charlatans ou des agents conscients de leur propre bourgeoisie.
Cela fait maintenant deux mois que lONU a envoyé une force de plusieurs milliers dhommes dans le Sud-Liban. Comme nous lavons expliqué dans le numéro de septembre de notre journal, il sagissait pour les impérialistes de tirer leur gendarme régional, lEtat sioniste dIsraël, dun mauvais pas. Limpérialisme français a débarqué ses chars lourds de dernière génération. Dès le début de la guerre, nous avons mis en garde contre une telle intervention qui a pour but de neutraliser militairement (à défaut de pouvoir désarmer) le Hezbollah dans le Sud-Liban, et dempêcher son réapprovisionnement en armes. Nous exigeons le retrait immédiat de toutes les troupes de lONU, y compris les mille soldats chinois qui en font partie, et les troupes françaises qui pour le moment commandent la FINUL (la Force dinterposition des Nations Unies au Liban), et qui ont de plus des troupes supplémentaires indépendantes au large des côtes, au total de lordre de 3 500 soldats.
A bas lONU, caverne des brigands impérialistes et de leurs victimes !
Il y avait moins de manifestants dans les rues de Paris lors de la grande manifestation du 30 septembre que le 12 août, cest-à-dire le week-end du pont du 15 août qui est le plus creux de lannée. Cette faible mobilisation doit être due aux illusions diffuses dans la force de lONU comme force dinterposition, officiellement soutenue par le PCF.
Les décisions du Conseil de sécurité de lONU expriment les intérêts des puissances impérialistes, cest-à-dire les principales puissances capitalistes qui sont en concurrence pour la domination du monde. Au premier rang dentre elles il y a les USA, mais il y a aussi la France. Nous parlons à propos de lONU, et cest une paraphrase de ce que disait Lénine sur la Société des Nations, le prédécesseur de lONU, dune caverne des brigands impérialistes et de leurs victimes.
Lexpert international de la LCR pour le Proche-Orient, le prof Gilbert Achcar, lui, au contraire, déclare encore dans le dernier numéro de leur revue Inprecor (septembre-octobre) : « LOrganisation des Nations Unies, sa Charte en particulier, sont un précieux acquis historique loin dêtre parfaits [sic], certes, mais entre le possible et le souhaitable, il faut les préserver tout en cherchant à les améliorer. » On croit entendre Chirac. Limpérialisme français défend aussi lONU parce quil a un siège au Conseil de sécurité, au même titre que les USA, alors que sa force économique, et surtout sa force militaire, sont infiniment plus faibles que celles des USA.
Je rappelle que Gilbert Achcar écrivait dans Inprecor il y a deux ans (juillet-août 2004) que « les perspectives pour une certaine forme de démocratie en Irak sont réelles, à mon avis, à condition, bien sûr, quil soit mis un terme à loccupation. [
] Les Etats-Unis ont, involontairement, créé les conditions de cette possible démocratisation. » Achcar nest pas seulement un « expert » à la noix, cest en fait un idéologue social-démocrate au service de limpérialisme français. Il se passionne pour la démocratisation des pays capitalistes, il se tourne vers lONU, il se tourne vers nimporte quelle force capitaliste parce quil soppose à la perspective marxiste que seule la classe ouvrière peut en finir avec les méfaits du système capitaliste, en renversant une bonne fois pour toutes ce système.
Le rôle de lONU, on la vu il y a plus de 50 ans où cétait sous couvert de décision de lONU que les impérialistes américano-britanniques ont tué trois millions de personnes pour « refouler le communisme » en Corée. Et aujourdhui ils menacent à nouveau lEtat ouvrier déformé nord-coréen. La LCR sest prononcée pour le désarmement de la Corée du Nord, maquillé en désarmement général. Nous avons au contraire publié un tract immédiatement après lessai nucléaire nord-coréen pour la défense militaire inconditionnelle de la Corée du Nord, en insistant que la Corée du Nord a besoin darmes nucléaires, et aussi de missiles balistiques, pour pouvoir dissuader les impérialistes. Nous avons dénoncé dans les termes les plus catégoriques le fait que la bureaucratie stalinienne de Pékin ait permis, et même soutenu, les sanctions de lONU contre la Corée du Nord qui représentent un acte de guerre. Non seulement cest criminel vis-à-vis de lEtat ouvrier déformé nord-coréen, cest suicidaire car cela ne fait que renforcer les menaces militaires impérialistes qui en dernier ressort visent la Chine, le plus grand Etat ouvrier déformé restant. Et cela souligne la nécessité de lutter pour une révolution politique ouvrière chassant la bureaucratie stalinienne à Pékin, Pyongyang, La Havane et Hanoï.
LIran est un pays capitaliste arriéré menacé par limpérialisme, et contre lequel lONU pourrait aussi imposer de lourdes sanctions commerciales ; il a aussi besoin darmes nucléaires. Nous défendrions lIran contre une attaque impérialiste, y compris si cest les Israéliens qui intervenaient pour le compte des impérialistes. Un soutien militaire ne signifie aucunement accorder un soutien politique au régime, cela signifie par exemple appeler les travailleurs à ne pas empêcher les livraisons darmes à destination du pays que nous défendons, à organiser laide matérielle à ce pays, mais par contre à empêcher les livraisons darmes à lautre côté dont on souhaite la défaite. Nous étions en juillet-août pour la défense militaire du Hezbollah contre Israël, sans accorder aucun soutien politique à cette organisation réactionnaire, parce quune victoire israélienne aurait accru loppression des masses libanaises, renforcé la main des sionistes contre les Palestiniens et favorisé les desseins des impérialistes dans la région.
« Révolution du Cèdre »
Quand Rafik Hariri, qui gouvernait le Liban, sest fait tuer en février 2005, il y a eu des manifestations monstres à Beyrouth. Hariri, un banquier milliardaire issu de la communauté sunnite, ami personnel de Chirac, avait bâti sa fortune et celle de ses copains sur un boom immobilier à Beyrouth, financé avec des capitaux saoudiens et des prêts du FMI obtenus grâce notamment au soutien français. Donc quand il a été descendu il y a eu la soi-disant révolution du Cèdre. Certains ont plutôt parlé de la révolution Gucci. Cétait en effet des manifestations dun type un peu particulier, un correspondant de la BBC y ayant par exemple vu une femme dun certain âge manifestant avec son domestique sri-lankais et lui disant comment scander des slogans en arabe. Evidemment cela na pas empêché les pablistes de la LCR de senthousiasmer pour ce mouvement.
A lépoque, les médias ont présenté un Liban unanime se révoltant contre loccupation étrangère oppressive syrienne, la Syrie étant accusée davoir commandité la liquidation de Hariri. La LCR sest également extasiée sur ces manifestations massives (voir Rouge, 7 avril 2005), jusquà ce quun autre « mouvement de masse », des manifestations aussi grosses, mais pro-syriennes, organisées par le Hezbollah, ne lui succèdent. Nul doute que le régime syrien est totalement oppressif, mais il nest pas étranger au Liban. Le Liban et la Syrie ont une histoire commune depuis des siècles, marquée par le langage, la culture et la composition ethnique. Le Liban na aucune base dexistence nationale séparée de la Syrie. Ce nest pas une nation.
Dans les manifestations de lété dernier à Paris où beaucoup se promenaient avec de petits drapeaux libanais, on aurait pu croire le contraire. En réalité les dirigeants de pas mal de communautés du Liban nauraient rien trouvé à redire si Israël avait pu écraser proprement le Hezbollah sans provoquer une marée noire sur ses belles plages et sans remettre en cause, par la destruction massive de quartiers entiers de Beyrouth, limage de cette ville dans le monde arabe comme un centre financier florissant et sûr pour les investissements. Cette guerre était mauvaise pour les affaires de la bourgeoisie maronite et sunnite.
En réalité ce quil y avait derrière les manifestations contre la Syrie, cétait un réalignement de la politique extérieure française, un mariage de raison entre les impérialistes américains et français où les Français cherchent à se réimplanter au Liban et en Syrie, leur protectorat dans lentre-deux-guerres, et les Américains visaient le Hezbollah et les Syriens, alliés de lIran et obstacles aux plans américains de « Grand Moyen-Orient ». Cette « révolution du Cèdre » avait été préparée par la résolution 1559 de lONU, parrainée par Bush et Chirac, exigeant le départ des troupes syriennes et le désarmement du Hezbollah. Effectivement les impérialistes, sappuyant sur cette mobilisation, ont obtenu le départ des troupes syriennes. La prochaine étape était dès ce moment-là inscrite à lordre du jour : une attaque israélienne pour écraser le Hezbollah.
Limpérialisme, stade suprême du capitalisme
En fait le Liban comme entité est une création pure et simple de limpérialisme français. Pour revenir en arrière, le Liban faisait partie de lempire ottoman qui était en pleine décrépitude déjà au XIXe siècle. Cest lépoque de lexpansion capitaliste et de lexpansion coloniale. Quelques nations, notamment la France et la Grande-Bretagne, jointes par la Russie tsariste, lAllemagne, le Japon et les Etats-Unis, se ruent pour se partager le monde. LAfrique est partagée à la fin du XIXe siècle, essentiellement entre la France et lAngleterre. On arrive à lâge de limpérialisme, que Lénine a analysé dans son ouvrage classique lImpérialisme, stade suprême du capitalisme. Lénine décrivait cinq caractères fondamentaux de limpérialisme :
« 1) concentration de la production et du capital parvenue à un degré de développement si élevé quelle a créé les monopoles, dont le rôle est décisif dans la vie économique ; 2) fusion du capital bancaire et du capital industriel, et création, sur la base de ce capital financier, dune oligarchie financière ; 3) lexportation des capitaux, à la différence de lexportation des marchandises, prend une importance toute particulière ; 4) formation dunions internationales monopolistes de capitalistes se partageant le monde, et 5) fin du partage territorial du globe entre les plus grandes puissances capitalistes. Limpérialisme est le capitalisme arrivé à un stade de développement où sest affirmée la domination des monopoles et du capital financier, où lexportation des capitaux a acquis une importance de premier plan, où le partage du monde a commencé entre les trusts internationaux et où sest achevé le partage de tout le territoire du globe entre les plus grands pays capitalistes. »
Je vous renvoie notamment à lexcellent article du nouveau Spartacist qui démolit les « théories » charlatanesques sur la mondialisation qui prétendent quon pourrait réformer, humaniser le capitalisme. Limpérialisme est le stade ultime du capitalisme où les forces productives ne croissent plus, mais au contraire des proportions énormes de lhumanité sont jetées dans la misère, où les Etats impérialistes envoient leurs propres troupes (ou un substitut à leur service sous forme de casques bleus de lONU) pour assurer lencaissement des dividendes de leurs investissements à létranger. La lutte de plus en plus exacerbée entre les monopoles, et entre les Etats nationaux où ils sont basés, cest la raison pour laquelle limpérialisme est lère des guerres et des révolutions.
Aujourdhui les USA ont une telle puissance militaire quaucun de leurs rivaux ne peut envisager sérieusement à court terme de monter une coalition pour la remettre en cause. Et pourtant la question est inévitablement posée pour les Etats impérialistes les plus puissants, le Japon et lAllemagne, qui aspirent à jouer un rôle mondial dominant. Limpérialisme britannique, complètement décrépit, na plus les forces pour avoir une armée indépendante, et du coup il sest raccroché de façon servile et loyale au militarisme américain.
Limpérialisme français est dans une situation intermédiaire. Décadent lui-même, il est dans lobligation absolue daugmenter le taux de profit chez lui pour dégager les ressources militaires et économiques pour résister à ses rivaux. Cela passe par la destruction de lEtat-providence, un système coûteux davantages sociaux, dont la raison dêtre était damadouer les travailleurs de peur quils luttent pour une révolution ; avec la destruction de lURSS et la campagne sur la soi-disant « mort du communisme », les ouvriers ont perdu momentanément lespoir quune alternative au capitalisme est possible et réalisable ; les conditions sont réunies pour que la bourgeoisie sattaque à lEtat-providence, mais comme on a pu le voir avec le CPE, elle se heurte à une importante résistance ouvrière.
De plus, limpérialisme français essaie de louvoyer entre dune part des alliances avec ses rivaux européens, notamment allemands (cest lobjet de lUnion européenne, du consortium EADS qui produit les Airbus, du bloc franco-germano-russe contre la guerre en Irak, etc.), et dautre part rentrer dans les bonnes grâces de limpérialisme américain ultra-dominant. Cest lobjet par exemple de la poignée de main de Sarkozy avec Bush, et de la magouille sanglante franco-américaine au Liban.
Encore quau Liban on a pu voir que limpérialisme français cherche à défendre ses propres intérêts et sa propre influence. Les négociations franco-américaines ont été tortueuses, et à un moment au courant du mois daoût létat-major français a opposé son veto à ce que négociait la diplomatie française, parce quil était hors de question que limpérialisme français envoie des troupes pour servir de flics aux Américains et aux Israéliens.
La LCR sest opposée à la résolution franco-américaine de lONU, mais sur une base entièrement compatible avec le chauvinisme bourgeois antiaméricain de létat-major français. Ils ne sopposent pas par principe à lenvoi de troupes françaises. Nous avons cité dans le Bolchévik le communiqué quils ont publié le 17 août, et qui disait :
« Il nest pas question que le Liban devienne un nouvel Afghanistan avec limplantation de contingents militaires issus de lOTAN, se drapant dans le drapeau de lONU pour servir de supplétifs à la guerre menée par les USA. »
Et sils ont insisté que la FINUL soit composée de troupes non françaises, cest parce quils considèrent que limpérialisme français sest trop discrédité dans la région en se faisant le petit télégraphiste de Washington.
Le Liban, création de limpérialisme français
Pour en revenir à ce que je disais plus tôt, lempire ottoman ne survécut pas à la Première Guerre mondiale. Lune des raisons de cette guerre était justement le partage entre les impérialistes capitalistes de la dépouille de lempire ottoman. Les Allemands étant éliminés, ce sont les Français et les Britanniques qui, avec le traité Sykes-Picot de 1916, se sont partagé le Proche-Orient. La Grande-Bretagne a mis la main sur lIrak, la Jordanie et la Palestine, et la France sur ce qui est aujourdhui le Liban et la Syrie, où ils avaient déjà été présents auparavant avec des missionnaires et des investissements. Dès 1860 Napoléon III avait envoyé un corps expéditionnaire, soi-disant pour protéger les chrétiens maronites après un massacre commis par les Druzes qui sont une secte issue de lislam chiite.
Le partage franco-britannique représentait une balkanisation de la région. Des populations qui voulaient être unies étaient séparées, et des populations qui voulaient être séparées furent unies par la force, comme en Irak. Il sagissait de découper la région de façon à y perpétuer les conflits ethniques et religieux.
Le Liban en est un autre exemple frappant. En 1920, cherchant à créer une enclave pro-occidentale au Levant, la France créa une entité quelle appela le « Grand Liban », en annexant au Mont Liban des zones musulmanes de Syrie. Dans lobjectif de diviser pour mieux régner, les Français mirent ensemble des musulmans, parmi lesquels le nationalisme arabe était en plein essor, avec la majorité chrétienne. Pour celle-ci les Français alimentèrent le mythe que les chrétiens avaient des origines phéniciennes, et donc un héritage non arabe, et quils devraient donc se tourner vers la France pour leur protection. Ainsi les Français créèrent en connaissance de cause un Etat qui assurerait un tas de conflits intercommunautaires, pour pouvoir justifier leur présence impérialiste « pacificatrice ».
La suite nest quune longue histoire de crimes et de massacres sanglants. On peut citer notamment le bombardement de Damas puis la « pacification » du Djebel druze en 1925, qui firent des milliers de morts. Pendant la Deuxième Guerre mondiale se maintint une armée de plusieurs dizaines de milliers de soldats de larmée de Vichy. De Gaulle et Pétain partaient tous les deux du principe de limportance fondamentale du maintien de lempire sous la botte de la soldatesque coloniale française. Ils avaient simplement des désaccords sur le jeu dalliances à pratiquer avec les Allemands et avec les Anglo-Américains.
En 1941 les gaullistes ont envoyé 5 000 soldats dans une opération dirigée par les Britanniques qui a chassé le pouvoir vichyste du Liban et de la Syrie. Il y a eu environ 7 000 morts, sans compter les civils, et cétait des troupes coloniales qui se battaient des deux côtés. De Gaulle a fait de vagues promesses pour lindépendance, afin de neutraliser la population du Liban et de la Syrie ou de la gagner à ses côtés. Mais, une fois Vichy dehors, la première chose que la « France libre » a faite, cétait des scènes dagression et de pillage à Damas par ses légionnaires.
Les Britanniques ont soutenu en sous-main les nationalistes pour évincer limpérialisme français de la région, et de Gaulle a failli en découdre avec les Britanniques en 1941 puis en novembre 1943. Le proconsul gaulliste français, le général Catroux, parla en 1943 de Fachoda, une ville du Soudan où en 1898 les colonialistes français et britanniques sétaient heurtés dans la course pour le partage de lAfrique. Si de Gaulle na pas déclaré la guerre aux Britanniques à propos du Liban, cest uniquement parce quil nen avait pas les moyens. Fin 1943 les gaullistes ont fait arrêter le gouvernement libanais, mitraillé les manifestations dans toute la Syrie et maté une grève générale. Les gaullistes nont malgré tout pas pu empêcher lindépendance, mais ils ont réussi dans une large mesure à maintenir la Syrie et le Liban dans lorbite de limpérialisme français. Tout cela et plus a été rendu possible grâce au soutien que donnait le PCF aux gaullistes.
Cela montre pourquoi, dans la Deuxième Guerre mondiale, nous étions défaitistes de tous les côtés. Le seul pays que les trotskystes défendaient, et avec acharnement, était lUnion soviétique qui restait un Etat ouvrier issu de la Révolution doctobre 1917, même sil avait dégénéré sous Staline. Mais entre la France gaulliste, celle de Vichy, lAllemagne nazie, la Grande-Bretagne, les USA ou le Japon, la Deuxième Guerre mondiale était une boucherie pour le repartage du monde, tout comme la guerre de 1914-1918.
Sûrement un certain nombre dentre vous ont vu le film Indigènes. Ce film a été financé par la monarchie marocaine, grande amie de Chirac et grande ennemie des travailleurs marocains. Le film cherche superficiellement à émouvoir sur le racisme dans larmée gaulliste, mais en réalité cest un tissu de mensonges pour apprendre aux jeunes des banlieues à chanter la Marseillaise et se faire tuer pour la France. Et Jamel Debbouze répète à qui veut lentendre combien il aime la France. Les troupes coloniales ont été dans lensemble recrutées de force. Il est vrai quelles ont été aux premiers rangs dans les combats en Italie et en Alsace, mais ce nest pas elles qui ont vaincu les nazis, cest lArmée rouge contre laquelle la Wehrmacht na jamais concentré moins de 90 % de ses forces. Lobjectif des débarquements alliés en France en 1944 était la course à Berlin pour empêcher lURSS de soviétiser toute lEurope.
Et si de Gaulle a mobilisé larmée la plus forte possible, sur la base des troupes coloniales, cétait pour avoir une armée en cas de révolution ouvrière en France, et pouvoir ensuite prétendre au partage du gâteau, cest-à-dire récupérer ou maintenir son empire colonial, obtenir un siège au Conseil de sécurité de lONU, etc. Cest pour cela que les forces coloniales se sont fait tuer. Aussi, entre cette armée française et la Wehrmacht allemande, nous navions aucun côté. Dès 1945-1946 des milliers de soldats de la même armée, notamment marocains, ont été envoyés en Indochine contre les partisans de Ho Chi Minh.
La partition de la Palestine, création de limpérialisme britannique
Du temps de lempire ottoman le développement du capitalisme était en général trop faible pour homogénéiser des nations dans les différentes parties constitutives de cet empire. Différentes communautés, parlant différentes langues, pratiquant différentes religions, continuaient de stagner lune à côté de lautre, entremêlées. Puis cest lintrusion de limpérialisme, avec ses découpages arbitraires dressant les communautés les unes contre les autres, qui a empêché la consolidation dEtats-nations dans cette région à part notamment lEtat sioniste qui a été constitué artificiellement à partir de différentes populations juives parlant entre autres le yiddish, larabe, le russe, venues dEurope et du monde arabe, créant un peuple de langue hébraïque nayant pas dautre identité nationale.
Suite à la montée du nazisme en Allemagne, puis après lHolocauste pour les survivants, il y eut une intense immigration juive en Palestine, encouragée par les Britanniques. La bourgeoisie britannique est tout aussi antisémite que la bourgeoisie française, mais elle répondit favorablement aux appels des sionistes à létablissement dune « patrie juive » en Palestine, parce quelle voyait un moyen de diviser entre Juifs et Arabes pour mieux régner au Proche-Orient. Doù la déclaration Balfour en 1917, où les Britanniques promettaient aux sionistes de leur donner une patrie en Palestine. Les Britanniques et les Français ont été finalement largement chassés du Proche-Orient et remplacés par la domination américaine après la Deuxième Guerre mondiale, et le fiasco de laventure franco-britannique contre la nationalisation par Nasser du canal de Suez en 1956.
La création de lEtat dIsraël après la Deuxième Guerre mondiale, manigancée par lONU, et avec le soutien de Staline, devait suivre la même recette que celle quont appliquée les Français au Liban. LEtat dIsraël a été créé de façon complètement artificielle, en incluant beaucoup plus de territoires que ceux qui étaient occupés à lépoque par la nation de langue hébraïque, de façon à avoir dun côté, vers la Jordanie, une partie palestinienne à 100 % arabe, et de lautre côté lEtat dIsraël où les Juifs seraient légèrement majoritaires. Mais les sionistes ont alors chassé dIsraël en 1948 les Palestiniens des terres qui leur avaient été allouées, et ils les ont remplacés par des réfugiés venus dEurope, ou chassés des pays arabes avec la montée du nationalisme arabe et de lantisémitisme dans ces pays. Et depuis cette date il y a des camps de réfugiés palestiniens au Liban et dans dautres pays arabes.
La nation de langue hébraïque a été constituée, comme tant dautres, par le fer et par le sang, par des déplacements massifs de population. Les trotskystes étaient contre le plan de lONU de partition de la Palestine en 1948. Aujourdhui, en ce qui concerne les territoires occupés, la Cisjordanie et Gaza, ce sont des territoires palestiniens qui sont peu à peu saisis par les sionistes. Nous sommes pour le retrait dIsraël et de ses colons des territoires occupés, nous sommes contre le mur et nous défendons le peuple palestinien contre la terreur sioniste.
Il nempêche quil existe aujourdhui une nation de langue hébraïque en Palestine et que nous défendons donc son droit dautodétermination. Mais nous soulignons que ce droit entre en conflit sous le capitalisme avec le même droit des Palestiniens. Nous ne sommes pas non plus pour renverser les termes de loppression où ce serait les Juifs qui seraient opprimés, voire chassés ou massacrés, par les Palestiniens. Il ny a pas de solution sous le capitalisme. Seul le renversement révolutionnaire de tous les régimes bourgeois de la région permettra aux multitudes de peuples de la région de coexister ensemble pacifiquement, dans le cadre dune fédération socialiste.
Une caractéristique du sionisme cest quil a toujours cherché, non pas à exploiter les Palestiniens, mais à les exclure de léconomie. Cétait déjà ainsi dans les kibboutz avant la création de lEtat dIsraël, et cet exclusionisme sest encore renforcé après les accords dOslo de 1993 créant lAutorité palestinienne. A lépoque nous avons dénoncé ces accords comme une capitulation des nationalistes petits-bourgeois de lOLP, tout en expliquant que cétait directement un sous-produit de la contre-révolution capitaliste en URSS qui avait ôté toute marge de manuvre à Arafat. Les Palestiniens des territoires occupés qui avaient un emploi en Israël ont été remplacés par de nouveaux arrivants juifs sinstallant en Israël et par des immigrés non juifs venus dEurope de lEst et dailleurs.
La classe ouvrière en Israël est donc dans son immense majorité composée aujourdhui de Juifs, dArabes israéliens, et dimmigrés non palestiniens. Cest à eux quincombe la tâche de détruire lEtat sioniste dans une révolution prolétarienne. Vu le chauvinisme sioniste intense dans la classe ouvrière de langue hébraïque, il ne sera pas facile de faire rompre ces travailleurs avec le sionisme qui les lie à leur propre bourgeoisie, mais il ny a pas de raccourci à cela. Pour faire cela il faudra lutter notamment contre le sionisme libéral de groupes comme Maavak Sozialisti, les camarades israéliens de la Gauche révolutionnaire française sur lesquels nous avons justement un article dans le dernier numéro du Bolchévik.
Le Liban : une théocratie plurielle
Revenons-en au Liban et au système de diviser pour mieux régner mis en place par le colonialisme français. Un accord non écrit, octroyant des privilèges aux maronites, a été passé lors de lindépendance en 1943 par les colonialistes français et les divers chefs de clan chrétiens et musulmans, selon lequel le président doit toujours être un chrétien maronite, le Premier ministre un musulman sunnite, et le président du Parlement un musulman chiite. Le corps des officiers est basé de façon prédominante sur lélite maronite, et les chrétiens avaient une majorité de six contre cinq au Parlement.
Cela a été ramené à la parité chrétiens-musulmans en 1989 pour le Parlement, mais sinon ce système est toujours en vigueur. Il était basé sur un recensement datant de 1932, le dernier qui ait eu lieu à ce jour, puisque tout nouveau recensement révèlerait que la population musulmane a crû beaucoup plus vite que la population chrétienne. On peut estimer quil y a aujourdhui trois musulmans pour deux chrétiens. La domination chrétienne maronite est en contradiction croissante avec cette évolution démographique.
Le Liban na rien dune démocratie bourgeoise. Cest plutôt une théocratie plurielle dominée par les chrétiens maronites. Pour perpétuer cette domination les maronites refusent la citoyenneté à la plupart des Kurdes musulmans et des réfugiés palestiniens qui vivent au Liban depuis plus de 50 ans. Chacune des 18 communautés religieuses officiellement reconnues peut avoir ses propres partis politiques, ses propres députés, ses propres services sociaux, ses propres écoles avec un système éducatif souvent hostile aux autres communautés, et sa propre législation sur le mariage, lhéritage, et autres questions relatives au statut personnel.
Pour maintenir le caractère clanique des différentes communautés sectaires, le mariage civil est illégal, et les lois relatives au statut personnel des différentes communautés interdisent les mariages interconfessionnels. Les femmes ont obtenu le droit de vote dans les années 1950, mais des pratiques moyenâgeuses comme le mariage arrangé et le mariage forcé ont toujours cours. Les meurtres pour lhonneur sont fréquents, notamment dans les régions rurales du Sud-Liban.
Malheureusement, pour des questions de temps, je ne peux pas ici revenir sur toute lhistoire du Liban, et toutes les tentatives pour remettre en cause cette charte nationale. Je me contenterai de mentionner quen 1958 il y eut un soulèvement musulman qui fut réprimé, alors que 15 000 Marines américains débarquaient à Beyrouth pour, si nécessaire, noyer dans le sang une révolution qui couvait en Irak. Nous avons décrit dans un article de Spartacist en 2004 la riche histoire de la lutte de classe dans la région, y compris de luttes révolutionnaires. La révolution irakienne de 1958 fut trahie par Moscou, qui donna lordre au Parti communiste irakien de confier le pouvoir à un général bourgeois « progressiste » au lieu de lutter pour renverser le système capitaliste. Le résultat fut non pas le « progrès », mais le massacre des communistes et linstallation de la dictature baasiste, notamment de Saddam Hussein, pendant près de 40 ans.
La guerre civile libanaise des années 1970-1980
Pour en revenir au Liban, au début des années 1970, les chiites étaient devenus le plus important groupe religieux communautaire. Dirigés par le Mouvement des déshérités de limam Moussa Sadr, ils revendiquaient des changements constitutionnels pour modifier en leur faveur léquilibre politique et économique. De plus le boom des prix pétroliers de lOPEP au début des années 1970, auquel participait le Liban en tant que principal centre financier du Proche-Orient arabe, avait accru les disparités entre les riches et les pauvres. Des paysans chiites ainsi que des immigrés de Syrie venaient grossir les bidonvilles de Beyrouth et des autres ports, où ils cherchaient du travail.
Il y avait aussi des révoltes paysannes, et des grèves ouvrières et étudiantes qui ébranlaient dans ses fondations le système communautariste. A cela sajoutaient les activistes palestiniens, qui avaient été chassés de Jordanie par le massacre de Septembre noir en 1970 commis par la monarchie jordanienne. Les Palestiniens étaient armés et offraient, notamment au Sud-Liban, une certaine protection contre les tueurs à la solde de la mafia et des propriétaires fonciers.
Début 1975 le Liban était au bord de la guerre civile entre dun côté les chrétiens maronites, qui faisaient pour la plupart partie des classes privilégiées, et les musulmans libanais et les Palestiniens, qui étaient le plus souvent ceux qui navaient rien.
Ce quaurait fait un parti marxiste à la tête de ces derniers, cela aurait été de présenter un programme socialiste capable dattirer aussi les pauvres de la communauté chrétienne, pour les faire rompre avec leur direction maronite et pour une lutte de classe commune. Au lieu de cela la lutte des musulmans libanais et des Palestiniens a été canalisée en direction daccroître linfluence de lélite musulmane à lintérieur du cadre confessionnel traditionnel.
Pour transformer ce début de révolution sociale en bain de sang intercommunautaire, Kamal Joumblatt a joué un rôle crucial. Kamal Joumblatt était le chef héréditaire de la secte druze (aujourdhui cest son fils Walid qui est le chef). Il dirigeait aussi le Mouvement national libanais, qui comprenait le Parti communiste libanais (PCL) pro-Moscou, ainsi que la section libanaise du Secrétariat unifié de Krivine/Besancenot, ainsi quune série de groupes nationalistes arabes. La direction de lOLP palestinienne subordonna ses forces à ce démagogue sectaire, tout comme lensemble de la gauche libanaise. Comme les commandos de lOLP et les Libanais « progressistes » se battaient pour le compte des chefs de clan musulmans traditionnels comme Joumblatt, les chefs de clan maronites purent faire jouer la peur ancestrale des chrétiens que les musulmans deviendraient dominants. Cest ainsi que le PCL a perdu toute sa base, qui était significative, dans les zones chrétiennes, tout en gagnant une implantation dans les secteurs musulmans. Le PCL a joué ainsi un rôle déterminant pour saboter la possibilité dune révolution sociale.
Début 1976 se succédaient les massacres et contre-massacres communautaires, et cela a dégénéré en une guerre intercommunautaire sanglante qui a duré 15 ans. Il y a eu 150 000 morts sur une population de trois millions dhabitants. La gauche internationale continuait à glorifier le camp « palestino-progressiste », mais pour nous dans ce conflit changeant où les différentes factions changeaient de camp constamment pour massacrer leurs alliés dhier, aucune formation ne méritait un soutien militaire de la part du prolétariat conscient.
Les Israéliens ont ravitaillé les chrétiens, mais cest essentiellement lintervention syrienne en juin 1976 qui a sauvé les factions chrétiennes maronites dextrême droite. La Syrie agissait avec un mandat de la Ligue arabe, et avec le soutien de Washington et de Tel-Aviv. La Syrie nest pas plus une nation que le Liban ou lIrak, cest un mélange hétérogène de différents groupes ethniques, nationaux et religieux potentiellement hostiles les uns aux autres. Il y a des sunnites, des Kurdes, des druzes, etc., dominés par la minorité alaouite des présidents Assad père et fils. Les alaouites sont une secte chiite dissidente. Ils craignaient quune partition du Liban selon des lignes sectaires ait des ricochets en Syrie. De plus le régime syrien, qui négociait à travers limpérialisme américain pour récupérer les hauteurs du Golan occupées par Israël, voulait montrer quil était capable de mettre au pas les Palestiniens au Liban. Lintervention syrienne a fait pencher la balance du côté maronite et a débouché sur le massacre des Palestiniens à Tell-el-Zaatar en 1976.
Avec linvasion israélienne de 1982, 20 000 Palestiniens et Libanais furent tués par larmée sioniste, mais cela provoqua dénormes tensions en Israël, ce qui prouve que la société israélienne nest pas une masse réactionnaire homogène. Cest bon de le rappeler aujourdhui car nous rencontrons souvent du scepticisme sur notre perspective de faire exploser de lintérieur la forteresse sioniste par une révolution ouvrière arabe/hébraïque. En 1982, pendant même le blitzkrieg de Sharon, il y eut dénormes manifestations antiguerre. Dans cette guerre nous étions pour la défense révolutionnaire des commandos palestiniens. Etant donné limpopularité de la guerre, le fait quil y avait un nombre croissant de morts israéliens pouvait enfoncer un coin entre la population de langue hébraïque et les dirigeants sionistes dIsraël. La poursuite des combats pouvait déboucher sur une crise révolutionnaire en Israël. Aussi la décision de la direction de lOLP de se retirer de Beyrouth, qui avait été négociée avec les impérialistes, était tout particulièrement catastrophique pour les Palestiniens et pour la perspective de révolution sociale dans la région.
Cette guerre du Liban a aussi démoli le mythe de lunité arabe derrière la cause palestinienne. Pas un seul Etat arabe nest alors venu à laide des Palestiniens assiégés qui faisaient face à la terreur génocidaire de Sharon. On peut le voir avec le massacre jordanien de Septembre noir en 1970, le massacre de Tell-el-Zaatar commandité par le régime syrien : les dirigeants arabes sont tout autant des ennemis impitoyables de lémancipation nationale palestinienne que les sionistes. Pour eux, la question palestinienne est un prétexte commode pour dévier le mécontentement populaire contre leur propre régime vers une « guerre sainte » contre le sionisme.
Face à la trahison des Etats arabes, la direction de lOLP sest tournée vers limpérialisme américain pour la sauver. Arafat a donné son accord au débarquement de Marines américains et de légionnaires français pour désarmer les combattants palestiniens qui montaient la garde à Beyrouth-Ouest, et pour les escorter vers lexil en Tunisie. Cest cette force impérialiste de « maintien de la paix » qui a détruit lOLP comme force militaire indépendante au Liban et a pavé la voie au sauvage massacre de 2 000 civils palestiniens dans les camps de Sabra et Chatila.
Leçons de la guerre du Liban : la théorie de la révolution permanente
A lépoque de la domination impérialiste, la bourgeoisie dans les pays à développement retardataire comme le Liban est incapable de consolider une nation. Les forces bourgeoises dans le monde colonial, en luttant pour lhégémonie, peuvent avoir des clashs avec les impérialistes qui ravagent leurs ressources, retardent leur développement économique et créent dinnombrables barrières à lémancipation nationale. Mais, à cette époque impérialiste, la bourgeoisie coloniale et semi-coloniale ne peut exister que comme intermédiaire pour limpérialisme. Que ce soient les émirs dans le Golfe ou les bonapartes du Caire et de Damas, les classes dirigeantes du Proche-Orient sont tout aussi dépendantes que les impérialistes de larriération et de la balkanisation de leur propre pays. Leurs intérêts sont complètement imbriqués avec ceux de limpérialisme. Comme lécrivait Trotsky à propos de la Révolution chinoise de 1927 : « tout ce qui relève la foule opprimée des travailleurs pousse fatalement la bourgeoisie nationale à lalliance militaire déclarée avec limpérialisme » (la Question chinoise dans lInternationale communiste).
Dans des pays arriérés comme ceux-ci, cest la théorie de la révolution permanente, développée par Léon Trotsky, qui donne la perspective pour résoudre les questions démocratiques fondamentales que pose le développement inégal et combiné à ces pays. Trotsky écrivait que « la solution véritable et complète de leurs tâches démocratiques et de libération nationale ne peut être que la dictature du prolétariat, qui prend la tête de la nation opprimée, avant tout de ses masses paysannes » (Thèse n° 2 sur la révolution permanente).
Cela veut dire la lutte victorieuse du prolétariat pour le pouvoir dEtat, à la tête de tous les opprimés. Avec les haines nationales et les conflits intercommunautaires qui agitent historiquement le Proche-Orient, il est illusoire de rêver dune harmonie intercommunautaire au Liban sous le capitalisme. Si lon renverse au Liban lexclusion historique de la population musulmane, cela conduira tout simplement à renverser les termes de loppression au détriment des chrétiens. Aucune solution équitable aux conflits nationaux et communautaires nest possible à moins de lutter pour la dictature du prolétariat en balayant le royaume hachémite de Jordanie et les bonapartistes baasistes sanglants de Syrie, en abattant la structure féodale pourrie du Liban et en démantelant lEtat sioniste. Cette lutte doit placer le prolétariat révolutionnaire, avec son parti davant-garde, à la tête des exploités et des opprimés, et elle ne peut trouver son achèvement que dans une fédération socialiste du Moyen-Orient.
La Révolution russe de 1917 na pas seulement accordé le droit dautodétermination aux nations, y compris avec la création dEtats indépendants, mais elle a aussi développé toute une série de solutions organisationnelles pour de petits groupements proto-nationaux, même quelquefois de quelques villages, afin quils aient une certaine mesure dautonomie locale.
La Yougoslavie de Tito était un Etat ouvrier déformé où lexpérience commune davoir chassé les fascistes et davoir mis en place une économie collectivisée a mis fin aux pogroms et conflits nationaux meurtriers, ce qui était un acquis historique de la révolution. Mais la politique stalinienne de « socialisme de marché » a inspiré une recrudescence du nationalisme et pavé la voie pour les impérialistes et la contre-révolution.
Le Hezbollah : une organisation islamiste réactionnaire
Notre perspective prolétarienne révolutionnaire internationaliste signifie pour commencer la nécessité de lindépendance politique la plus totale vis-à-vis de toutes les organisations capitalistes communautaires. Quand nous avons pris le côté militaire du Hezbollah lors de lattaque israélienne, nous navons pas cessé un seul instant de mettre en garde contre cette organisation islamiste réactionnaire. Nous écrivions dans le Bolchévik n° 177 que « lautorité accrue du Hezbollah représente une menace mortelle pour les femmes, les chrétiens, les Druzes, les sunnites, ainsi que pour les chiites que le Hezbollah considère comme mécréants ».
Le Hezbollah a mis en échec loffensive israélienne, ce qui est une bonne chose, mais lampleur de son succès militaire est à relativiser quand on met cela en perspective avec le fait que non seulement il na pu empêcher le débarquement de milliers de soldats de lONU dans son fief, mais il a même été obligé de lapprouver du bout des lèvres, alors que des navires de guerre impérialistes assurent un embargo militaire sur le réapprovisionnement du Hezbollah.
Par contre il sagit dune victoire politique pour le Hezbollah, au Liban et dans lensemble du monde arabe. Non seulement il semble que le Hezbollah ait renforcé son emprise sur la communauté chiite, il a également gagné temporairement de linfluence parmi les sunnites, qui ont bien vu le rôle méprisable de leurs propres dirigeants, héritiers de Rafik Hariri, soutenant les pressions impérialistes pour expulser la Syrie et espérant quIsraël massacrerait le Hezbollah une bonne fois pour toutes. Ils nont même pas fait semblant denvoyer larmée libanaise faire un baroud dhonneur contre lattaque israélienne.
Le Hezbollah est un produit de la guerre civile libanaise des années 1975-1990. Cest un exemple chimiquement pur du fait que la montée de lintégrisme religieux dans le monde musulman est un produit de la faillite du nationalisme bourgeois et de la trahison des staliniens. Les masses chiites, qui sont tout en bas dans léchelle sociale au Liban, pouvaient voir dans cette guerre civile leurs dirigeants, la milice Amal de Nabih Berri, qui faisait partie du camp « palestino-progressiste », commettre toutes sortes de crimes et dalliances avec divers bourreaux. Elles pouvaient voir le Parti communiste à la traîne de ces mêmes forces.
Le Hezbollah a profité de ce discrédit. Soutenu financièrement et militairement par le gouvernement islamique iranien de Téhéran, il est parvenu à lhégémonie dans la communauté chiite en assassinant nombre de dirigeants dAmal et de militants communistes dans les années 1980.
Le Hezbollah prend modèle sur la société théocratique des mollahs iraniens. Et cest effectivement ce type de société quil a de plus en plus réussi à imposer aux chiites, avec le voile et la réclusion des femmes, etc. Ses programmes sociaux lui permettent dencadrer la population et dasseoir son autorité, comme le font toutes les organisations intégristes, les Frères musulmans en Egypte, le Hamas à Gaza, etc. La chaîne de télévision du Hezbollah al-Manar a fait scandale il y a un ou deux ans en diffusant une série télévisée aux forts relents antisémites ce qui a donné un prétexte au gouvernement Chirac dinterdire sa diffusion en France et de se donner à lui-même un faux brevet de lutte contre lantisémitisme.
Le Hezbollah est sorti renforcé dabord par le retrait israélien du Sud-Liban en 2000, et ensuite par la dernière guerre. Mais, comme je le disais tout à lheure, le Liban est une théocratie plurielle. Contrairement à lIran, qui est une mosaïque de peuples opprimés par une majorité persane, mais qui est en général chiite, le Liban est en majorité non chiite. Une tentative du Hezbollah pour imposer son propre modèle de société religieuse à lensemble des communautés libanaises provoquerait probablement une guerre civile que le Hezbollah ne pourrait aujourdhui probablement pas gagner. Donc pour le moment il déclare sintégrer dans le système politique confessionnel libanais au côté des autres groupes religieux.
Les autres partis politiques libanais, qui ne sont pas en mesure de liquider le Hezbollah, même si ce nest pas lenvie qui leur manque, sont donc obligés de sen accommoder. En fait le Hezbollah siège tout à fait officiellement dans le gouvernement capitaliste libanais, et il a monté une alliance politique avec le général maronite Aoun, un personnage tout à fait sanguinaire qui a fait parler de lui pendant la guerre civile dans les années 1980. Aoun, qui avait été chassé par les Syriens, est revenu après le départ de ces derniers, et maintenant il est vu comme un partisan des Syriens au Liban. Ainsi va la politique dans ce pays. Et limpérialisme français non seulement a ses hommes du côté de la famille Hariri, mais Aoun lui-même, qui a passé 15 ans dexil en France, est retourné lannée dernière au Liban avec la bénédiction du quai dOrsay. Ainsi va la diplomatie de limpérialisme français qui entretient des partisans des deux côtés de diverses lignes de clivage qui traversent la société libanaise des lignes de clivages qui sont elles-mêmes créées et entretenues par la France. Le Figaro, un journal très bien introduit dans ces milieux, avait un article le 2 octobre citant un « intellectuel chiite indépendant », Lokman Slim :
« Les autres partis libanais sont finalement contents que le Hezbollah encadre la turbulente communauté chiite. Cela légitime leur propre contrôle sur leur communauté. Et en traitant avec un concessionnaire agréé chiite, ils évitent de se frotter à la complexité de cette communauté, de devoir parler avec dix interlocuteurs différents. »
Le Figaro conclut en disant « Un Hezbollah redouté, donc, mais si utile à tant de monde
» y compris aux impérialistes français, avec lesquels le Hezbollah cherche instamment un accord.
Tous les groupes intégristes islamiques, qui ne parlent que du règne de Dieu sur terre, sont en fait fondamentalement affectés par leur propre terrain national. Les ayatollahs chiites qui ont pris le pouvoir en Iran en 1979 ont poursuivi loppression chauvine grand-perse des Kurdes qui, en Iran, sont eux-mêmes pour la plupart chiites. Y compris en Afghanistan les Talibans sappuient sur les tribus pachtounes contre les autres ethnies.
Maintenant tout ceci pose la question de ce quil faut penser des groupes qui soutiennent le Hezbollah politiquement. Je veux dire par là tout dabord le Parti communiste libanais. Comme je lexpliquais tout à lheure, dans les années 1970 le PCL a joué un rôle crucial pour dévoyer la possibilité dune révolution prolétarienne en assujettissant les masses opprimées palestiniennes et chiites notamment derrière des chefs de clan réactionnaires. Maintenant ils en sont au point de faire des alliances politiques avec le Hezbollah.
Lorganisation de Besancenot, le Secrétariat unifié, a un groupe, ou tout au moins des partisans au Liban qui sont derrière le PCL, la cinquième roue du carrosse de Nasrallah et Aoun. La LCR a publié une déclaration de ses camarades là-bas, et nous lavons citée dans le Bolchévik, où ils répandent toute une série de mensonges sur le soi-disant caractère anti-impérialiste et pro-palestinien du Hezbollah. Loin dêtre une expression danti-impérialisme, la montée de mouvements islamistes de masse reflète le désespoir face à une oppression brutale. Le Hezbollah est tout aussi hostile au peuple palestinien que les autres groupes libanais. Quand le Hezbollah insiste sur le « droit au retour » pour les Palestiniens en Palestine, cest parce que, comme les autres, il voudrait que les Palestiniens débarrassent le plancher du sol libanais.
Rouge du 27 juillet a aussi publié sans commentaire des déclarations de son groupe libanais sur la nécessité de « dépasser le caractère confessionnel pur de la résistance actuelle [
] dans une atmosphère dentente et de coordination profondes avec la résistance islamique ». Ils ont aussi longuement interviewé (Rouge, 14 septembre) une certaine Nahla Chahal qui glorifie le Hezbollah comme un « mouvement de théologie de la libération » (pour elle cest quelque chose de bien) et que « cest le seul mouvement islamiste qui vienne dans les forums sociaux mondiaux et européens ». Que le Hezbollah le fasse, cela dit surtout quelque chose sur le caractère capitaliste de ces forums sociaux.
Iran 1979 : A bas le chah, à bas les mollahs !
Le soutien du PCL au Hezbollah rappelle immanquablement celui du Parti communiste dIran, le Toudeh, qui avait aidé à la prise du pouvoir de layatollah Khomeiny. En 1979 lensemble de la gauche et de la soi-disant extrême gauche sétait prosterné également devant layatollah Khomeiny. Ils le présentaient comme anti-impérialiste. Lambert, qui dirige le PT [Parti des travailleurs] français, avait un groupe là-bas, et Krivine de la LCR aussi. Ces groupes, tout comme le Toudeh, se sont faits littéralement massacrer après que Khomeiny a pris le pouvoir. Nous étions bien seuls à lépoque quand nous nous étions opposés aux mollahs. Nous avons écrit dans notre déclaration de principes internationale :
« La Révolution iranienne de 1979 a ouvert une période dascendance politique de lislam dans le monde historiquement musulman : ce développement a contribué à la destruction contre-révolutionnaire de lUnion soviétique, et a en retour été puissamment renforcé par celle-ci. La prise du pouvoir par Khomeiny en Iran, et sa consolidation, ont constitué une défaite semblable à lécrasement du prolétariat allemand par Hitler en 1933, même si cela sest accompli à une échelle locale plus restreinte. Avec notre mot dordre de A bas le Shah ! Pas de soutien aux mollahs ! et lattention que nous avons portée en particulier à la question femmes (Non au voile !), nous, tendance spartaciste internationale (TSI) [cétait le nom de notre organisation internationale à lépoque], nous sommes trouvés en totale opposition à la capitulation du reste de la gauche devant la réaction dirigée par les mollahs. »
La lutte contre la réaction islamiste, et la lutte pour défendre lUnion soviétique, ont eu un point culminant en Afghanistan avec le soulèvement dirigé par des mollahs, et financé et armé par Washington et le régime obscurantiste wahhabite dArabie saoudite, en 1979. Si Washington le soutenait cest parce quil voyait une opportunité pour faire tuer le plus grand nombre possible de soldats soviétiques. Nous avons à lépoque salué lArmée rouge en Afghanistan, et nous avons demandé lextension des acquis de la révolution dOctobre aux peuples afghans.
Nous avions mis en garde dès le début contre le fait que la bureaucratie stalinienne de Moscou risquait de trahir les peuples afghans en retirant lArmée rouge, au nom de la poursuite de la coexistence pacifique avec limpérialisme. Cest ce qui sest produit finalement en 1989, et le recul entamé à Kaboul sest terminé dans les rues de Moscou en 1991 avec la prise du pouvoir par Eltsine qui a ensuite détruit lEtat ouvrier dégénéré soviétique et restauré le capitalisme. Nous avons lutté pour une révolution politique ouvrière, pour que les ouvriers soviétiques balaient les barricades dEltsine. Nous avons perdu, nos opposants ont gagné, qui ont soutenu létablissement de la « démocratie », cest-à-dire du capitalisme, en Russie. Maintenant lURSS est détruite, et les impérialistes se retrouvent avec les Ben Laden, qui sont littéralement leur monstre de Frankenstein.
A bas la campagne raciste « antiterroriste » !
De lAfghanistan à lIrak et au Liban, les interventions des impérialistes et dIsraël sèment la terreur et la désolation. Nous luttons pour le retrait des troupes françaises du Liban, dAfghanistan, et aussi des Balkans, dAfrique et dailleurs. Les impérialistes, sous couvert de « lutte contre le terrorisme », renforcent « chez eux » lappareil policier, qui au premier abord est tourné contre les jeunes des banlieues, mais plus largement vise lensemble de la classe ouvrière.
Le 17 octobre cette année, cétait le 45e anniversaire du massacre de plusieurs centaines dAlgériens à Paris. Cette année le Monde, qui nest-ce pas a plus ou moins une réputation de gauche, titrait son édition du 17 octobre non pas sur la terreur policière contre les Algériens, mais sur la terreur des jeunes contre la police dans les banlieues. Prenez dailleurs lHumanité de la veille, cest pareil. Que le gouvernement du capitalisme français et sa presse puissent faire des campagnes aussi monstrueuses est dû notamment à la complicité avec Sarkozy/Villepin des bureaucrates syndicaux et des réformistes il y a un an pendant la révolte des banlieues. Le soutien des partis ouvriers réformistes à la politique extérieure de limpérialisme français, du vote des pouvoirs spéciaux pour la guerre dAlgérie en 1956 à lenvoi de troupes aujourdhui au Liban, trouve son pendant en France même dans leur refus de mobiliser la classe ouvrière contre les campagnes racistes visant les « Arabes » entre guillemets ici.
Cest la question du racisme, notamment contre les jeunes des banlieues, les enfants et petits-enfants des esclaves coloniaux de la France, qui déjà domine la campagne électorale. Les réformistes, du PS à LO, dans le meilleur des cas se mobilisent un peu pour les sans-papiers, mais face à la terreur quotidienne dans les banlieues ils noffrent pas dautre recette que plus de police, « de proximité » bien sûr.
Lénine a développé une explication marxiste du phénomène de limpérialisme en même temps quil développait une explication marxiste du réformisme à lintérieur du mouvement ouvrier. En effet avec le développement de limpérialisme, la bourgeoisie fait des surprofits en exportant ses capitaux financiers, ce qui lui permet de redonner une petite part à une mince couche de travailleurs privilégiés, pour leur faire croire quils ont un intérêt objectif dans le maintien du système capitaliste. Cest sur cette couche que se basent la bureaucratie syndicale et les partis ouvriers réformistes, du PS à Lutte ouvrière. Doù découle leur politique de collaboration de classes, basée sur les travailleurs français blancs et enchaînant ces derniers à leur propre bourgeoisie par le mécanisme du « front populaire » avec des partis bourgeois « de gauche ». En se basant sur une lettre dEngels à propos du soutien dans la classe ouvrière anglaise à la politique coloniale, Lénine résume ainsi :
« Voilà donc, nettement indiquées, les causes et les conséquences. Les causes : 1) lexploitation du monde par lAngleterre ; 2) son monopole sur le marché mondial ; 3) son monopole colonial. Les conséquences : 1) lembourgeoisement dune partie du prolétariat anglais ; 2) une partie de ce prolétariat se laisse diriger par des hommes que la bourgeoisie a achetés ou que, tout au moins, elle entretient. [
] Ce qui distingue la situation actuelle, cest lexistence de conditions économiques et politiques qui ne pouvaient manquer de rendre lopportunisme encore plus incompatible avec les intérêts généraux et vitaux du mouvement ouvrier : dembryon, limpérialisme est devenu le système prédominant. »
Cela montre toute labsurdité des théories républicaines de groupes petits-bourgeois comme le Mouvement des Indigènes de la République : on ne peut « décoloniser la République », comme ils disent, sans lutter pour son renversement révolutionnaire par le prolétariat.
Limpérialisme français est très conscient de ce quil fait. Il a une longue mémoire, il paie des journalistes et des propagandistes pour réécrire sa propre histoire sanglante, celle du colonialisme français. Cest notre rôle de rétablir la vérité, et de tirer les leçons de la lutte de la classe ouvrière et des opprimés pour leur libération. Lhistoire coloniale de la France, du Liban à lAlgérie, au génocide du Rwanda en 1994, et aujourdhui encore les Antilles, la Nouvelle-Calédonie ou la Réunion, montre que le racisme est inhérent au système capitaliste. La situation peut paraître sombre, au Liban ou ici avec la soi-disant alternative qui se profile, entre voter pour Sarkozy et voter pour Royal (ce pour quoi Lutte ouvrière vient dailleurs de se prononcer). Pourtant lutopisme nest pas de lutter pour la révolution ouvrière, mais de faire croire quil y a un raccourci permettant de rendre le capitalisme moins horrible. On nen finira avec le racisme et avec loppression des peuples du tiers-monde quen luttant pour renverser le capitalisme ici même et internationalement. Cest la perspective à laquelle nous voulons vous gagner. Merci.
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