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Spartacist, édition française,
numéro 43 |
Été 2017 |
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Introduction au document de conférence
La Ligue communiste internationale (quatrième-internationaliste) a tenu cette année sa Septième Conférence internationale, la plus haute instance politique et décisionnelle de notre organisation. Des mois d’intense lutte interne contre un pervertissement de longue date du léninisme sur la question nationale, notamment à propos des nations opprimées dans des États multinationaux, ont culminé dans le document principal, les motions adoptées, les discussions et la nouvelle direction élue à la Conférence. Cette déformation du léninisme représentait une capitulation aux pressions de l’impérialisme anglophone dominantes aux États-Unis, d’où notre tendance tire ses origines. Il est devenu clair au cours de la lutte que cette adaptation au chauvinisme de grande puissance avait contaminé notre lutte pour reforger la Quatrième Internationale, ce qui se voyait particulièrement dans l’arrogance avec laquelle avait été rabaissés des camarades venant de pays opprimés.
La lutte a commencé lorsqu’un collectif de cadres québécois, que nous avions recrutés à la suite des grèves étudiantes massives de 2012 au Québec, a réagi contre le grotesque mépris anglo-chauvin vis-à-vis des droits nationaux et linguistiques du peuple québécois opprimé qui s’exprimait dans des articles de Spartacist Canada, le journal de la Ligue trotskyste du Canada (LTC). Les exemples les plus scandaleux étaient parus entre 1975, année de la fondation de la LTC, et 1995, lorsque la section avait adopté l’appel à l’indépendance du Québec. Mais ce changement de ligne, nécessaire, avait un caractère centriste : le travail et la propagande de la section demeuraient dans un cadre anglo-chauvin.
Dès le début, les camarades québécois ont été rejoints pour mener la bataille contre l’anglo-chauvinisme par la dirigeante du Secrétariat international (SI), la camarade Coelho, ainsi que par le dirigeant fondateur de notre tendance internationale, Jim Robertson, qui avait lutté avec succès en 1995 pour renverser notre opposition à l’indépendance du Québec. Au fur et à mesure que la bataille se développait dans l’Internationale, elle a mis à nu un certain nombre de cas de chauvinisme où nous nous opposions à de justes luttes nationales, notamment la lutte pour la libération des peuples basque et catalan asservis dans la prison des peuples espagnole et sous la botte de fer des impérialistes français. Une différentiation politique s’est opérée parmi les cadres anglophones historiques de la LCI : entre d’une part ceux qui s’accrochaient au vieux programme sur la question nationale et au vieux mode de fonctionnement du parti, et d’autre part les camarades qui ont lutté pour une fusion authentique, longuement retardée, avec les camarades québécois.
Nous reproduisons dans ce numéro de Spartacist l’essentiel du document de conférence, « La bataille contre l’Hydre chauvine », revu pour publication. Le document se penche sur le cadre théorique de nos positions antiléninistes passées sur la question nationale, et sur les conséquences de celles-ci. En exposant de manière tranchante notre adaptation à la domination impérialiste, notamment celle des États-Unis, les camarades qui ont mené cette bataille ont agi pour préserver notre continuité révolutionnaire. Le dirigeant marxiste révolutionnaire Lénine écrivait :
« L’attitude d’un parti politique en face de ses erreurs est un des critériums les plus importants et les plus sûrs pour juger si ce parti est sérieux et s’il remplit réellement ses obligations envers sa classe et envers les masses laborieuses. Reconnaître ouvertement son erreur, en découvrir les causes, analyser la situation qui l’a fait naître, examiner attentivement les moyens de corriger cette erreur, voilà la marque d’un parti sérieux, voilà ce qui s’appelle, pour lui, remplir ses obligations, éduquer et instruire la classe et puis les masses. »
– Lénine, la Maladie infantile du communisme
(le « gauchisme »), 1920
Dans le but de rompre avec la prépondérance anglophone dans notre internationale, le document a été écrit en français (du Québec). C’est le fruit d’une collaboration multilingue de cadres de toute la LCI, notamment de nos sections mexicaine, grecque et sud-africaine, dont l’engagement envers notre parti et les talents de dirigeants ont été mis en évidence. L’internationalisme prouvé de ces camarades a longtemps été abusé par des régimes successifs du SI. Particulièrement depuis la chute de l’Union soviétique en 1991-1992, ces régimes avaient cédé à la pression de l’impérialisme des États-Unis, où se trouve notre centre international.
Pour la première fois lors de cette Conférence, les discussions se sont déroulées avec interprétation simultanée intégrale en trois langues. Les camarades des différentes sections ont présenté leurs salutations à la Conférence dans leur(s) langue(s) maternelle(s). Cela marquait une rupture avec notre pratique, ces dernières décennies, où les délibérations lors de nos réunions internationales se déroulaient en anglais (avec traduction officieuse pour les non-anglophones). Cette pratique était en elle-même une adaptation au diktat anglo-impérialiste de l’English-only. Notre nouvelle politique illustre notre engagement à apprendre et parler les langues des travailleurs et des peuples opprimés du monde. Comme l’expliquait un dirigeant de notre section australienne, « les communistes ne veulent pas vivre dans un monde où la langue historique des oppresseurs impérialistes britanniques, de leur rejeton australien… et du monstre américain couvert de sang, reste la langue dominante. »
La lutte pour construire une
direction collective internationaliste
Au cours de la lutte interne, des cadres historiques anglophones se sont opposés à la fusion avec les camarades québécois. Plusieurs d’entre eux avaient d’ailleurs été parmi les architectes de notre ligne antiléniniste. Personne ne voulait défendre ouvertement l’anglo-chauvinisme. L’opposition a plutôt pris la forme d’une guérilla contre les camarades dirigeant cette bataille, alors même que ces derniers cherchaient patiemment à gagner ces cadres. Bien que le document de conférence ait été approuvé à l’unanimité, une opposition d’arrière-garde s’est poursuivie tout au long de la Conférence et après. En soulignant que cette opposition était cachée et cliquiste, la camarade Coelho a rappelé la remarque suivante de Trotsky (« Centrisme et Quatrième Internationale », février 1934) :
« Un centriste, jamais sûr ni de ses positions, ni de ses méthodes, éprouve de la haine pour le principe révolutionnaire : dire ce qui est. Il est enclin à substituer à la politique principielle des combinaisons personnelles et une médiocre diplomatie organisationnelle. »
Le temps dira si ces cadres sont dévoués en pratique à cette fusion. Nous ne négligeons pas leurs contributions, souvent par des luttes acharnées, pour construire notre internationale tout au long de leur vie. Cette couche de militants continue d’être représentée au sein de notre Comité exécutif international (CEI), bien que sans vote délibératif. Les membres du CEI élus à part entière sont désormais majoritairement d’origine non anglophone ; parmi eux figurent les dirigeants anglophones de longue date qui ont aidé à mener cette lutte.
La bataille au Canada a offert un cadre aux camarades ailleurs pour dévoiler les problèmes dans la relation entre leur travail et l’Internationale. Les camarades du Groupe trotskyste de Grèce (TOE) ont vu, dans le traitement paternaliste et arrogant que subissaient les camarades québécois, un parallèle avec le dédain grossier et chauvin auquel ils avaient été confrontés, notamment de la part de certains camarades étroitement impliqués dans le travail de la section ces dernières années. La Conférence a finalement reconnu le TOE comme section à part entière de la LCI. C’est à travers une lutte pour défendre les droits des minorités nationales opprimées en Grèce et pour la libération des femmes, en opposition au chauvinisme grec criant du dirigeant de leur groupe d’alors, que ces camarades ont formé une section sympathisante en 2004. Le fait que le TOE ait été maintenu comme section sympathisante pendant treize ans expose clairement la politique condescendante du SI.
Tout comme les camarades québécois, le TOE était en réalité traité comme un groupe de jeunesse, où l’expérience politique unique et le calibre de dirigeant de ces camarades étaient négligés. Il a fallu plus de dix ans pour lancer un journal en Grèce. La propagande est cruciale pour que nous puissions intervenir dans cette société explosive, où se trouve l’un des seuls partis staliniens de masse du monde capitaliste. Nos camarades en Grèce représentent un lien vivant vers d’autres pays des Balkans et du Proche-Orient, ainsi qu’un contrepoids important aux pressions s’exerçant sur nos sections dans les pays impérialistes dominant l’Union européenne (UE).
Le Grupo espartaquista de México (GEM) a lui aussi été traité avec condescendance depuis sa création. Il y avait eu, il y a plus de vingt ans, une lutte aiguë contre la politique opportuniste de Negrete, el jefe dictatorial de la section. Peu après, Negrete et son mentor, Jan Norden (longtemps le rédacteur en chef de notre journal américain Workers Vanguard), avaient tiré la conclusion organisationnelle de leur centrisme en faisant défection de la LCI pour former l’Internationalist Group. Negrete, peut-être le plus répugnant des « sales Américains », avait régné sur la section mexicaine pendant les six premières années de son existence. C’est malgré lui que la section avait fusionné en 1990 avec deux anciens dirigeants d’une organisation opposante qui avaient chacun plus de dix ans d’expérience dans le mouvement ouvrier. Pourtant, on n’a pas pris en compte leur riche expérience ; ces cadres n’ont jamais été pleinement intégrés dans notre direction internationale et on ne leur a jamais permis de véritablement jouer un rôle dirigeant au Mexique. Même la propagande du GEM était en grande partie écrite par Norden ou Negrete.
Une fois que le GEM s’était débarrassé de Negrete, le SI a continué à traiter la section comme un appendice de la Spartacist League/U.S. C’était particulièrement évident lors de la grève de 1999 à l’UNAM (Université nationale autonome du Mexique) : le SI avait d’abord argumenté contre une intervention soutenue, avant de dénoncer l’« abstention » du GEM. L’exemple par excellence du mépris, de l’arrogance et du chauvinisme pur et simple était la dissolution du comité central du GEM en 2007 sur ordre du régime de Wolkenstein, dont les principaux membres ont démissionné en 2010.
Des problèmes similaires ont marqué jusque récemment les rapports entre le SI et Spartacist/South Africa, qui est aussi devenue une section à part entière de la LCI lors de cette Conférence. Le document de conférence a salué la lutte fractionnelle victorieuse menée par nos camarades sud-africains contre leurs dirigeants historiques qui avaient essayé de jeter à la poubelle notre appel programmatique fondamental pour un gouvernement ouvrier centré sur les Noirs (voir « La lutte pour une section sud-africaine de la LCI », supplément à Spartacist South Africa, avril 2016). Contre la mal nommée « Fraction léniniste », nos camarades avaient formé la Fraction pour la continuité trotskyste. Faisant référence aux problèmes endémiques au capitalisme sud-africain, leur déclaration de fraction disait :
« Ce n’est que par la dictature du prolétariat que l’on peut mettre fin à l’oppression nationale de la majorité noire et surmonter les divisions raciales, ethniques et tribales entre les peuples non blancs. »
Dans un parallèle frappant avec le chauvinisme à la feuille d’érable de la LTC à propos du Québec, la Fraction léniniste avait tiré un trait d’égalité entre le nationalisme de la majorité noire opprimée et le chauvinisme raciste des oppresseurs blancs en Afrique du Sud : elle disait que de faire une différence entre les deux signifiait concilier le nationalisme noir !
L’aide du SI et du CEI pendant la lutte fractionnelle a été cruciale. Mais cette intervention contrastait singulièrement avec le traitement précédent des camarades sud-africains, dont l’opinion était régulièrement rabaissée ou ignorée, particulièrement par des camarades américains. Le camarade Bride, un dirigeant du SI, avait écrit à juste titre il y a près de vingt ans :
« Les camarades qui ont été transférés ici depuis l’Ouest pourraient réfléchir sur le fait que nos membres sud-africains ont déjà trop d’expérience dans le fait d’être dominés par la classe dirigeante, issue de l’Europe, de ce pays. Si nous permettons que se manifeste ne serait-ce qu’une trace de l’inégalité de la société capitaliste dans les relations entre camarades de notre parti, nous nous trouverons alors dans de profondes difficultés. »
L’arrogance impériale était aussi, par la suite, une marque distinctive du régime de Wolkenstein, qui décriait ouvertement les capacités des dirigeants de notre section sud-africaine. Affirmant qu’ils ne comprenaient pas le caractère de l’Alliance tripartite au pouvoir, Wolkenstein avait stoppé la production par eux de propagande sur cette question pour plutôt confier cette tâche à ses agents favoris du SI.
Concernant la section américaine, le document de conférence a réaffirmé la perspective de construire un parti dont les membres et la direction se composent à 70 % de Noirs, de Latinos et d’autres minorités. L’appel à un parti composé à 70 % de Noirs était à l’origine une polémique interne contre des camarades qui se dérobaient face à la lutte pour recruter des travailleurs et des jeunes noirs dans les années 1970 et au début des années 1980. Il ne s’agit fondamentalement pas d’une question de slogan : c’est une déclaration que nous nous engageons à recruter et consolider une direction trotskyste noire. La Conférence a réaffirmé notre programme pour l’intégrationnisme révolutionnaire qui avait été élaboré dans un document fondateur de la Spartacist League/U.S., « Noir et Rouge – La voie lutte de classe pour la liberté des Noirs » (Spartacist [en anglais] no 10, mai-juin 1967) :
« Notre objectif immédiat, c’est de former des cadres trotskystes noirs. Nous ne voulons pas seulement recruter des membres noirs – ce qui est un raccourci vers la classe ouvrière dans cette période – mais bien faire de ces ouvriers noirs des cadres trotskystes qui joueront un rôle dirigeant dans l’organisation des masses noires, à l’intérieur de la Ligue elle-même, et ailleurs. »
Il faut un niveau de conscience élevé et continu pour développer des cadres noirs dirigeants dans un pays défini par une intense haine raciale enracinée dans la ségrégation forcée de la majorité de la population noire au bas de la société. Cela signifie qu’il faut prêter une attention particulière aux pressions et aux abus incessants que subissent nos camarades noirs, y compris venant de libéraux blancs moralisateurs. Au lieu de cela, les directions précédentes ont souvent utilisé notre précieux noyau de camarades noirs comme têtes d’affiche pour des campagnes opportunistes. Deux exemples : le « grand bond en avant » (une campagne illusoire pour recruter de jeunes travailleurs noirs après une action de front unique contre les fascistes du Ku Klux Klan à New York en 1999) et la campagne sans fin pour « revitaliser » un mouvement de masse non existant pour la libération du prisonnier de la guerre de classe Mumia Abu-Jamal.
Vers une Quatrième Internationale reforgée !
Nous publions aussi dans ce numéro une motion, adoptée par les délégués de la Conférence, corrigeant nos articles sur la guerre indo-pakistanaise de 1971 (voir page 30). Ces articles affirmaient faussement que la lutte pour l’indépendance du Bangladesh était devenue une question subordonnée par rapport à l’intervention de l’armée indienne. La Conférence a aussi approuvé une motion, adoptée par la Spartacist League of Australia, rétablissant l’appel à l’indépendance de la Papouasie occidentale du joug indonésien et réitérant les slogans : « Retrait immédiat des troupes indonésiennes ! Australie, bas les pattes ! » Faisant référence à une grève des mineurs en 2011 qui avait galvanisé le soutien des combattants indépendantistes de Papouasie occidentale, la motion concluait :
« Cela illustre notre perspective de lier l’émancipation de la classe ouvrière profondément exploitée de l’archipel aux luttes de ses peuples minoritaires, et la nécessité de lier la lutte pour la révolution ouvrière en Indonésie à la lutte pour la révolution ouvrière dans les pays impérialistes avancés. »
Les principaux cadres qui ont travaillé au document de conférence ont fait bon usage des ressources précieuses de la Prometheus Research Library (la bibliothèque centrale d’archives du comité central de la Spartacist League/U.S.). Leurs recherches et leurs discussions intenses à la PRL ont réaffirmé l’importance de la bibliothèque comme espace de travail marxiste. Non seulement ses fonds préservent les leçons chèrement acquises du passé, ils sont aussi des armes dans la lutte de nouvelles générations de dirigeants communistes. Son matériel précieux en diverses langues, comme le hindi ou le bengali, doit être utilisé pour étendre notre internationale.
La Conférence a aussi entrepris de transformer les comités de rédaction de notre revue théorique internationale en quatre langues, Spartacist, en de véritables instances politiques avec leurs propres délibérations et décisions sur le contenu de la revue : ils ne doivent pas être de simples bureaux de traduction de l’édition anglaise. L’édition française de ce numéro paraît ainsi avant l’édition anglaise. Elle a une importance toute particulière pour la LCI au Québec : corriger publiquement notre ancienne ligne anglo-chauvine est essentiel pour y poursuivre notre travail, notamment pour le lancement de République ouvrière, notre publication québécoise.
Depuis la destruction contre-révolutionnaire de l’Union soviétique, la LCI a fait face à des luttes répétées pour maintenir notre continuité révolutionnaire contre une succession de directions opportunistes. En réponse à des camarades rejetant la faute pour nos problèmes en premier lieu sur les pressions de la réalité défavorable à laquelle nous sommes confrontés, un camarade dirigeant québécois argumentait ainsi :
« Les pressions objectives qui pèsent sur nous sont considérables, mais ce n’est pas une excuse pour abandonner notre raison d’être. Il serait objectiviste et déterministe de penser que le facteur subjectif ne peut pas changer la réalité et surmonter les pressions de la société bourgeoise. Le rôle de la direction et du parti dans son ensemble est de contrer ces pressions et d’appliquer un programme marxiste à la réalité. […]
« Le paysage politique ne s’améliore pas pour nous. La tâche de cette Conférence est d’élire une direction qui sera la plus en mesure d’appliquer un programme trotskyste aux défis auxquels nous serons confrontés. Nous n’avons aucune garantie de réussite, mais nous avons une chance. Cependant, nous ne pouvons corriger notre trajectoire si nous ne confrontons pas notre passé honnêtement. C’est la seule manière pour défendre notre continuité. »
Cette continuité a non seulement été préservée, mais aussi renouvelée par cette bataille qui a réaffirmé la nécessité d’un parti prolétarien, révolutionnaire et internationaliste. Le chant de L’Internationale en conclusion de la Conférence a donné une expression petite, mais vitale, de notre raison d’être. Entonnée par un camarade québécois, elle a été chantée en punjabi, catalan, espagnol, grec, arabe, allemand, polonais, italien, anglais et d’autres langues. À petite échelle, elle rendait palpable le refrain retentissant : « l’Internationale sera le genre humain ! »
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