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Spartacist, édition française,
numéro 39 |
été 2009 |
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Les ouvrières et les contradictions de la Chine contemporaine
Pour la défense de la Chine contre l’impérialisme et la contre-révolution !
Pour la révolution politique prolétarienne !
(Femmes et Révolution)
Le statut de la femme dans la Chine d’aujourd’hui donne une mesure précise des contradictions énormes de cette société, un Etat ouvrier bureaucratiquement déformé que nous trotskystes défendons inconditionnellement contre l’impérialisme et contre toute tentative de contre-révolution interne. La condition féminine en Chine montre quels acquis considérables la Révolution chinoise de 1949 a apportés dans un pays arriéré qui était autrefois écrasé sous la domination de l’impérialisme et le poids des traditions. Le renversement de la domination de classe capitaliste a permis un formidable développement de la production socialisée et du niveau de vie, ainsi que des droits des femmes ; il a arraché des centaines de millions de Chinois et de Chinoises à l’arriération des campagnes en les intégrant aux masses ouvrières d’une société de plus en plus industrialisée.
Les progrès de la Chine depuis la Révolution de 1949 et la collectivisation de l’économie qui l’a suivie sont basés sur l’expropriation de la bourgeoisie en tant que classe. Ils montrent les avantages incomparables d’une économie dont la force motrice n’est pas la production pour le profit privé. Jusqu’à la crise économique mondiale de 2008, le taux de croissance annuel moyen de la Chine a été pendant vingt ans de 10 % en moyenne. Environ 40 % de sa population vit maintenant dans les villes. Plus de la moitié de la population active travaille dans l’industrie, les transports, la construction et les services publics. Ces statistiques, qui représentent des progrès d’une importance historique inestimable, dépassent largement les indicateurs de croissance des néo-colonies capitalistes d’Asie. L’Inde, par exemple, a acquis son indépendance nationale peu avant la Révolution chinoise, mais a conservé une économie de type capitaliste. Son produit intérieur brut par habitant n’est actuellement que la moitié de celui de la Chine, tandis que son taux de pauvreté est deux fois plus élevé. Le taux de malnutrition infantile en Chine n’est que le quart de ce qu’il est en Inde. Près de 90 % des femmes chinoises sont alphabétisées, un taux pratiquement deux fois supérieur à celui de l’Inde.
Comparée à celle des économies en stagnation ou en déclin de l’Occident capitaliste et du Japon, la croissance chinoise est spectaculaire. Mais la Chine n’est certainement pas hermétiquement protégée de l’irrationalité destructrice du marché capitaliste mondial. La récession économique actuelle a déjà des effets négatifs sur l’économie chinoise. En 2008, un grand nombre d’ouvriers travaillant dans des entreprises privées fabriquant des biens de consommation, jouets, vêtements, etc. destinés à l’exportation vers le « premier monde », ont vu leur emploi s’envoler.
En termes plus fondamentaux, la Chine demeure un Etat ouvrier nationalement isolé comptant une vaste population de paysans pauvres. Le capital accumulé par habitant y est encore 30 fois moins élevé qu’aux Etats-Unis et au Japon. La persistance de cette pénurie matérielle constitue un obstacle fondamental à la libération des femmes et des autres travailleurs de Chine. On ne peut construire une société communiste que sur les fondements technologiques les plus avancés et sur la base d’une division internationale du travail, et pour cela il faut une révolution prolétarienne dans au moins plusieurs pays capitalistes avancés. Mais, depuis Mao Zedong jusqu’à Deng Xiaoping et ses successeurs, y compris le régime actuel de Hu Jintao, tous les dirigeants du Parti communiste chinois (PCC) ont toujours prêché qu’on peut construire le socialisme dans un seul pays. C’est une conception profondément antimarxiste. En pratique, ce que le « socialisme dans un seul pays » signifie, c’est essayer de se concilier les faveurs de l’impérialisme mondial et s’opposer à la perspective de révolution prolétarienne internationale.
On ne peut pas construire le socialisme une société égalitaire sans division de classes dans un seul pays ; le socialisme ne peut s’édifier que sur la base d’un énorme bond en avant de la productivité, dans le cadre d’une économie planifiée au niveau international. Karl Marx notait : « Le droit ne peut jamais être plus élevé que l’état économique de la société et que le degré de civilisation qui y correspond » (Critique du programme de Gotha, 1875). Pour émanciper les femmes, il faut remplacer la famille patriarcale oppressive par la collectivisation de l’éducation des enfants et des tâches ménagères. A ce jour, les femmes chinoises dans leur écrasante majorité restent prisonnières de l’institution de la famille, ce qui signifie pour les travailleuses une « deuxième journée de travail » à la maison. En faisant de la famille un élément fondamental de la société socialiste, les staliniens n’ont fait qu’ajouter un autre obstacle, idéologique celui-là, à celui, déjà considérable, de la pénurie.
Ces contradictions sont particulièrement évidentes dans la situation des dagongmei (« surs travailleuses »), ces jeunes paysannes qui par dizaines de millions ont migré vers les villes pour s’y faire embaucher par des entreprises capitalistes, généralement étrangères. L’une des principales « réformes de marché » entreprises par les gouvernements du PCC ces trente dernières années a été de créer des zones économiques spéciales (ZES) et autres zones franches, où les ouvriers se font brutalement exploiter dans des usines appartenant à des capitalistes chinois de Taïwan et Hongkong ainsi qu’à des grandes entreprises américaines, japonaises, sud-coréennes ou d’Europe occidentale. Ces entreprises s’appuient en grande partie sur une main-d’uvre de migrants originaires des campagnes chinoises relativement paupérisées.
En août 2008, le site web Stratfor estimait que ces ouvriers migrants, la « population flottante », étaient au nombre de 150 à 200 millions. Au niveau du pays ce sont en majorité des hommes, mais dans le delta de la rivière des Perles par exemple, à Dongguan, l’une des plus grandes villes industrielles de Chine, les usines d’assemblage attirent des ouvriers plus jeunes et moins qualifiés, et qui seraient à 70 % des femmes. Généralement très jeunes, âgées au plus d’une vingtaine d’années, ces femmes non mariées échappent pour la première fois aux conditions étouffantes de la famille paysanne traditionnelle pour se lancer dans la production collective et, dans certains cas, la lutte collective.
Cette nombreuse main-d’uvre migrante s’ajoute au prolétariat, puissant et d’importance stratégique, de l’industrie lourde chinoise qui est, elle, largement propriété d’Etat. La plupart des médias capitalistes, et la gauche réformiste qui leur fait écho, répandent cette idée fausse que la Chine serait un vaste atelier où règnerait une surexploitation inhumaine pour produire des biens de consommation destinés à l’exportation. La gauche réformiste prétend aussi que la Chine s’est, on ne sait comment, transformée en Etat capitaliste, ce qui n’est pas vrai non plus. Les impérialistes et les capitalistes chinois, de Chine continentale et de l’extérieur, ont certes fait des percées importantes, mais les secteurs clés de l’économie chinoise ainsi que son système bancaire demeurent la propriété de l’Etat et sont sous son contrôle. Les entreprises d’Etat qui sont directement gérées par les ministères à Pékin comptent pour un tiers de la production nationale. Elles constituent le noyau stratégique central de l’économie industrielle chinoise.
Premier producteur d’acier au monde depuis plus de dix ans, la Chine fournit actuellement plus du tiers de la production mondiale. S’il a été possible de développer massivement l’infrastructure les chemins de fer, les routes et les transports en commun , c’est uniquement du fait de l’économie collectivisée. Suite au tremblement de terre de mai 2008 au Sichuan, le régime a lancé un projet pour construire en l’espace de trois mois plus d’un million de maisons préfabriquées ; il a aussi entrepris de nourrir cinq millions de personnes qui avaient perdu leur logement ainsi que de reconstruire ou transférer des villes et des villages entiers. Des centaines d’usines étatisées ont été mobilisées pour accomplir ces travaux et les grandes entreprises d’Etat ont reçu l’ordre d’augmenter la production des matériaux nécessaires. Il est inutile de souligner à quel point cela contraste avec le traitement raciste et anti-ouvrier réservé aux victimes, majoritairement noires, de l’ouragan Katrina par le pouvoir capitaliste américain.
Cela dit, si la croissance économique rapide a amélioré le sort de millions de Chinois, le fossé s’est en même temps agrandi entre les riches et les pauvres, et entre la ville et la campagne. Il y a désormais plus de ressources pour satisfaire les besoins de base de la population, mais la bureaucratie au pouvoir coupe les subventions au secteur de la santé et à celui de l’enseignement primaire. L’accentuation des inégalités et la dégradation des services publics provoquent de très nombreuses manifestations. Les luttes ouvrières sont nombreuses : contre les fermetures d’usine, contre le non-paiement des salaires, des retraites et des avantages sociaux dans les entreprises d’Etat, et contre l’exploitation brutale dans le secteur privé. Les campagnes sont sans cesse le théâtre de manifestations paysannes dénonçant les expropriations illicites effectuées par les administrations locales, la corruption, la pollution et autres abus. Après le tremblement de terre du Sichuan, lors duquel des écoles mal construites s’étaient effondrées, causant la mort de milliers d’enfants, parents et grands-parents éplorés se sont mobilisés contre la corruption.
Il faut en Chine une révolution politique prolétarienne dirigée par un parti révolutionnaire marxiste (donc léniniste-trotskyste) pour chasser du pouvoir la bureaucratie stalinienne, une caste dirigeante parasitaire. Le pouvoir bureaucratique doit être remplacé par le pouvoir de comités élus d’ouvriers et de paysans déterminés à lutter pour la révolution socialiste mondiale. Les formidables luttes défensives du prolétariat chinois montrent quelle sera la force motrice de cette révolution politique. En 2000 par exemple, à Yangjiazhangzi, une ville industrielle du Nord-Est, 20 000 mineurs et leurs familles se sont révoltés. Ils ont dressé des barricades et incendié des voitures pour protester contre la vente de leur mine, une mine de molybdène étatisée, à des accointances de la direction. L’un des mineurs faisait observer avec amertume : « Nous les mineurs, nous travaillons ici pour la Chine et pour le Parti communiste depuis la révolution. Et là, d’un seul coup, on privatise ma part de la mine » (Washington Post, 5 avril 2000). Ces ouvriers comprennent bien que la propriété d’Etat appartient aux travailleurs. Alors qui a donné à la direction le droit de la vendre ?
Les travailleurs migrants, hommes et femmes, qui travaillent dans les entreprises capitalistes privées, peuvent, en prenant leur place au côté des gros bataillons du prolétariat industriel du secteur étatisé, jouer un rôle important dans la lutte pour la défense et l’extension des acquis de la Révolution de 1949.
Il n’existe qu’une seule voie pour la modernisation sociale et économique de la Chine et la libération complète des femmes qui en découlera : la révolution prolétarienne internationale. Ce n’est qu’en renversant la domination de la classe capitaliste dans les bastions économiquement avancés de l’impérialisme mondial que l’on pourra jeter les bases matérielles permettant d’éradiquer la pénurie et d’améliorer qualitativement le niveau de vie de tous, en établissant une économie planifiée au niveau mondial, où l’on cessera de produire pour le profit privé. En Chine, un gouvernement ouvrier et paysan se battrait pour l’égalité socio-économique des femmes dans tous les domaines, sans perdre de vue que la libération complète des femmes, comme celle de l’humanité dans son ensemble, dépend de la lutte pour renverser la domination de la bourgeoisie au niveau mondial, et du gigantesque bond dans le niveau de la production qui s’ensuivrait.
L’objectif des impérialistes : la contre-révolution en Chine
L’impérialisme américain n’a eu de cesse, depuis la Révolution de 1949 et la guerre de Corée de 1950-1953, qu’il ne détruise l’Etat ouvrier déformé chinois pour pouvoir à nouveau exploiter la Chine continentale sans entraves. Et cela continue aujourd’hui avec les livraisons d’armes à Taïwan. Depuis la destruction de l’Union soviétique par la contre-révolution capitaliste en 1991-1992, les Etats-Unis et les autres puissances impérialistes font de la Chine leur cible stratégique. Les bases US en Asie centrale font partie de la stratégie américaine d’encerclement militaire de la Chine. Le Pentagone poursuit activement son programme de « défense » antimissile pour enlever toute possibilité à la Chine de riposter à une première frappe nucléaire américaine. En 2005, les Etats-Unis ont conclu un pacte avec le Japon pour défendre Taïwan, un bastion de la bourgeoisie chinoise de l’extérieur.
Nous sommes pour que la Chine et la Corée du Nord se dotent d’un arsenal nucléaire : c’est une force dissuasive nécessaire contre le chantage nucléaire des impérialistes. Dans une déclaration commune intitulée « Non à l’alliance contre-révolutionnaire Etats-Unis/Japon ! », les sections américaine et japonaise de la Ligue communiste internationale écrivaient : « Nous sommes pour la défense militaire inconditionnelle de la Chine et de la Corée du Nord, ainsi que des autres Etats ouvriers restants, le Vietnam et Cuba, contre toute attaque impérialiste et la contre-révolution capitaliste interne [
]. Nous sommes contre les plans de réunification de la Chine continentale avec Taïwan préconisés par les staliniens, selon la formule “un pays, deux systèmes”. Ce que nous avançons c’est un programme pour la réunification révolutionnaire de la Chine, qui requiert une révolution politique ouvrière contre la bureaucratie stalinienne sur le continent, une révolution socialiste à Taïwan pour renverser et exproprier la bourgeoisie, et l’expropriation des capitalistes de Hongkong » (« Pour la défense des Etats ouvriers déformés chinois et nord-coréen ! », Workers Vanguard no 844, 18 mars 2005). Contrairement à la gauche réformiste internationale, nous sommes farouchement opposés à la campagne des impérialistes pour un « Tibet libre », de même qu’à celle sur les « droits de l’homme » ; elles n’ont pour but que de rallier l’opinion publique anticommuniste contre la République populaire de Chine.
Le régime stalinien bonapartiste de Pékin est un obstacle à la défense et à l’extension des acquis révolutionnaires. Le PCC de Mao qui a dirigé la Révolution de 1949 était ancré non dans la classe ouvrière, mais dans la paysannerie ; cette révolution a donc abouti à la création d’un Etat ouvrier déformé. Le PCC stalinien s’est alors transformé en caste bureaucratique privilégiée, reposant, comme un parasite, sur une économie qui a été vite collectivisée. Cette bureaucratie ne joue aucun rôle essentiel dans la production sociale. Elle maintient ses privilèges par la répression ainsi qu’en faisant périodiquement des concessions à certaines couches combatives du prolétariat. Les opposants au régime stalinien ne risquent pas seulement la prison, ils risquent aussi la peine de mort, une forme de terreur d’Etat inscrite dans le code pénal chinois. En tant que marxistes, nous sommes par principe opposés à l’institution de la peine capitale, tant dans les pays capitalistes que dans les Etats ouvriers déformés.
Au début, face à l’intense hostilité de l’impérialisme américain, le régime de Mao adopta une attitude « anti-impérialiste », mais cela prit la forme d’adaptation et de soutien à certains régimes nationalistes bourgeois en Asie et ailleurs. Mao donna ainsi son appui à la politique catastrophique de collaboration de classes du PC indonésien, qui soutenait le gouvernement capitaliste de Sukarno ; cela se termina en 1965 avec le massacre par l’armée de plus d’un demi-million de communistes, d’ouvriers et de paysans. C’est aussi au cours de ces mêmes années soixante que le contentieux grandissant entre les régimes bureaucratiques nationalistes de Moscou et de Pékin se termina par une rupture acrimonieuse. Au début des années 1970, Mao concluait une alliance antisoviétique criminelle avec l’impérialisme US, alors même que les bombes américaines pleuvaient sur les ouvriers et paysans héroïques du Vietnam.
A la mort de Mao en 1976, une importante industrie lourde s’était développée, mais la Chine demeurait très largement rurale. Les techniques de production agricole restaient archaïques et une grande partie de la paysannerie vivait dans une pauvreté abjecte. L’introduction de « réformes de marché » par Deng en 1978 est une politique typique des régimes bonapartistes staliniens. Pour qu’une économie planifiée fonctionne bien, il faut qu’elle soit gérée par un gouvernement de conseils ouvriers démocratiquement élus. Mais les régimes staliniens sont hostiles à toute expression de démocratie ouvrière et préfèrent gouverner par décrets administratifs arbitraires. Les régimes staliniens, lorsqu’ils sont confrontés aux déséquilibres inhérents aux économies planifiées bureaucratiquement, ont tendance à remplacer la planification et la gestion centralisées par les mécanismes du marché. Comme il n’y a pas de démocratie soviétique (c’est-à-dire celle des conseils ouvriers) pour fournir une discipline aux directeurs d’usine et aux travailleurs, la bureaucratie, pour pallier son inefficacité économique, cherche de plus en plus à soumettre les acteurs économiques à la discipline du marché (voir notre brochure « Market Socialism » in Eastern Europe [le « Socialisme de marché » en Europe de l’Est], juillet 1988).
Les bureaucrates du PCC ont, avec leur politique, considérablement augmenté les risques de contre-révolution interne ; ils ont créé une nouvelle classe de riches entrepreneurs capitalistes ainsi qu’une couche de technocrates et de gestionnaires jouissant d’un niveau de vie privilégié. La bureaucratie au pouvoir propage le concept nationaliste d’une Grande Chine, qui se superpose en grande partie au chauvinisme han et qui sert à justifier le développement de ces forces de classe hostiles au prolétariat tout en contaminant les masses ouvrières et paysannes avec une idéologie nationaliste bourgeoise. Entremêlé à des références occasionnelles à une société socialiste « harmonieuse », ce nationalisme sert en fait à maintenir la cohésion sociale. Ce véritable poison est commun aux régimes de Mao, de Deng et de Hu : l’autoritarisme bureaucratique de style Mao tout comme la discipline du marché sous Deng et ses successeurs cadrent parfaitement avec le nationalisme stalinien. Tous deux sont opposés et hostiles à la démocratie ouvrière et à la perspective fondamentale d’une révolution socialiste internationale. Le parti ouvrier révolutionnaire qu’il faut pour mener une révolution politique prolétarienne à la victoire ne se construira que sur la base d’une opposition irréductible au nationalisme, pierre angulaire du stalinisme.
La libération des femmes par la révolution internationale
Les marxistes savent que l’institution de la famille n’est ni immuable, ni éternelle ; il s’agit au contraire d’un rapport social qui peut changer au cours de l’histoire. Friedrich Engels établit dans l’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat, son ouvrage classique de 1884, que c’est dans la division de la société en classes que l’on trouve les origines historiques de la famille et de l’Etat. Le développement de l’agriculture permit de produire plus que ce qui était nécessaire pour subsister. Sur la base de l’appropriation de ce surplus social, une classe dirigeante oisive put se développer, ce qui entraîna la disparition de l’égalitarisme primitif qui régnait dans la société humaine à l’Age de la pierre taillée (le paléolithique). La famille acquit une signification centrale du fait de son rôle dans l’héritage de la propriété privée, ce qui impliquait la monogamie sexuelle des femmes et leur mise sous tutelle dans la société. Dans les 10 000 ans qui ont suivi l’apparition des classes sociales, la famille a pris des formes variées : polygame, étendue, nucléaire, etc. correspondant aux différentes économies politiques et à leurs religions respectives. Toutefois, l’oppression des femmes constitue un trait fondamental de toutes les sociétés de classes.
Les mesures que prit le jeune gouvernement soviétique de V. Lénine et Léon Trotsky envers les femmes opprimées de Russie faisaient partie intégrante du programme émancipateur et internationaliste du marxisme. Dans le pays économiquement arriéré où naquit l’Etat soviétique, l’asservissement des femmes avait de profondes racines dans les rapports de production d’une société largement paysanne fondée sur le labeur familial. De plus, après sept années de guerre impérialiste, puis de guerre civile, qui avaient ravagé l’économie industrielle de la Russie soviétique, les rangs de la classe ouvrière urbaine qui avait fait la Révolution étaient décimés. Confrontés à cette dure réalité, les bolchéviks firent néanmoins tout ce qui était en leur pouvoir pour mettre en uvre une amélioration générale de la condition féminine. En même temps, ils se démenaient pour briser l’isolement du jeune Etat ouvrier, notamment en créant l’Internationale communiste (IC, ou Comintern) pour promouvoir et diriger la révolution prolétarienne internationale.
Très tôt la législation soviétique donna aux femmes l’égalité pleine et entière dans tous les domaines, avec entre autres le droit de vote, de divorce et de propriété. On rompit tous les liens de l’Etat avec la toute-puissante Eglise orthodoxe et l’on décréta dès le début que le gouvernement ne s’ingérerait pas dans les affaires sexuelles privées consensuelles. Mais les bolchéviks savaient bien que ces mesures démocratiques étaient insuffisantes. Comme le soulignait Lénine en 1919 lors d’un discours devant un groupe de travailleuses : « Chargée des soins de son ménage, la femme se trouve encore dans une situation gênée. Pour la libérer tout à fait et la rendre réellement l’égale de l’homme, il faut que l’économie soit collective et que la femme participe au travail productif commun. Alors la situation de la femme sera égale à celle de l’homme » (« Les tâches du mouvement ouvrier féminin dans la République des Soviets », 23 septembre 1919).
Le nouveau gouvernement soviétique prit des mesures d’une portée considérable pour libérer les femmes de leurs corvées ménagères, y compris en établissant crèches, garderies, cantines et cafétérias collectives. Mais ces mesures se heurtèrent aux obstacles posés par la pauvreté. L’avortement par exemple devint, selon la loi, libre et gratuit en 1920, mais il n’y avait pas suffisamment de médecins, de médicaments et d’hôpitaux pour fournir ce service à toutes celles qui le désiraient, notamment à la campagne. On décida de donner la priorité aux ouvrières, ce qui causa bien des souffrances chez celles qu’on renvoyait.
Les dirigeants bolchéviques savaient que pour arriver au socialisme et libérer les femmes de l’oppression familiale il fallait un énorme bond en avant de la production socialisée, et pour cela ils comptaient sur des révolutions imminentes en Europe centrale et occidentale. Mais la vague de soulèvements ouvriers qui avaient suivi la Révolution bolchévique échoua, notamment en Allemagne en 1923, et la démoralisation s’empara des masses ouvrières. Isolement, pauvreté et défaite propulsèrent l’ascension d’une caste bureaucratique conservatrice autour de Joseph Staline, qui commença dès le début de 1924 à dominer le Parti communiste et l’Etat soviétique. Plus tard la même année, la bureaucratie stalinienne avança pour la première fois le dogme nationaliste du « socialisme dans un seul pays ». Tout en consolidant sa mainmise sur le pouvoir au cours des années qui suivirent, la bureaucratie abandonna toujours plus la lutte pour la révolution internationale, ce qui allait avoir un impact direct sur l’issue de la Révolution chinoise en 1925-1927. A l’intérieur de l’Union soviétique, les staliniens abolirent de nombreux acquis que les femmes avaient obtenus avec la révolution. En 1936, ils interdirent l’avortement et déclarèrent que la libération des femmes c’était « reconstruire la famille sur une nouvelle base socialiste ». (Pour plus de détails, voir « La Révolution russe et l’émancipation des femmes », Spartacist édition française no 37, été 2006.)
Dans la Révolution trahie (1936), condamnation sans appel de la bureaucratie, Léon Trotsky explique pourquoi les staliniens en sont venus à glorifier l’institution oppressive de la famille. Notant l’arriération matérielle qui existait en Union soviétique, il écrivait : « La famille ne peut pas être abolie : il faut la remplacer. L’émancipation véritable de la femme est impossible sur le terrain de la “misère socialisée”. » Il ajoutait :
« Au lieu de dire : “Nous avons été trop pauvres et trop incultes pour établir des relations socialistes entre les hommes, mais nos enfants et arrière-neveux le feront”, les chefs du régime font recoller les pots cassés de la famille et imposent, sous la menace des pires rigueurs, le dogme de la famille, fondement sacré du socialisme triomphant. On mesure avec peine la profondeur de cette retraite ! »
La polémique de Trotsky s’applique tout autant aux dirigeants staliniens de la Chine, qui au moment de sa révolution en 1949 était encore plus arriérée que la Russie. Le PCC au pouvoir, fidèle au dogme stalinien, célèbre également la famille, la qualifiant d’institution « socialiste ». Malgré un flot de belles paroles sur « l’égalité », les femmes n’y jouissent toujours pas d’un salaire égal à travail égal, ni du même accès à la formation et aux emplois les plus qualifiés. Au lieu de cela on inculque aux masses les « valeurs familiales » chinoises. Il y a à la télévision des émissions à la gloire des « enfants dévoués » qui font d’énormes sacrifices pour prendre soin de leurs parents âgés. Et la Fédération chinoise des femmes organise des remises de prix en l’honneur des « dix mères les plus méritantes » et des « cinq bonnes familles ».
La Chine et la révolution permanente
Dans la Chine ancienne, l’extrême dévalorisation de la femme faisait partie intégrante du code confucianiste qui maintenait la population ployée sous l’arriération des coutumes et des rapports sociaux précapitalistes. La Chine confucianiste traditionnelle, exemple classique de société dans laquelle les institutions de la famille, des classes et de l’Etat ne faisaient qu’un tout, imposait obéissance au père, au propriétaire terrien et à l’empereur. Pour la femme, c’était l’asservissement le plus complet. Elle ne pouvait pas hériter ni posséder de terre. Son éducation visait non seulement à sa soumission, mais à son invisibilité. Dominée par son père, son mari ou son fils, elle pouvait être vendue comme épouse, concubine ou prostituée. La coutume du bandage des pieds, une mutilation qui n’était à l’origine pratiquée que dans la haute société, fut, au XIXe siècle, « résolument adoptée dans la petite noblesse et imitée dans la paysannerie partout où cela était possible. Au fur et à mesure qu’elle s’instaurait chez les masses paysannes, la norme du pied bandé perdit sa connotation élitiste et s’établit, dans beaucoup d’endroits en Chine, comme critère essentiel pour déterminer si une fille était mariable » (Susan Greenhalgh, « Pieds bandés, vies entravées : les femmes dans la Chine ancienne », Frontiers: A Journal of Women Studies, printemps 1977).
Les marxistes considèrent que des conquêtes historiques comme la révolution agraire et les droits démocratiques élémentaires des femmes (le droit de choisir son époux ou de posséder des biens, etc.) sont des tâches qui relèvent des révolutions démocratiques bourgeoises, comme celles qui eurent lieu en Europe à partir du XVIIe siècle. Mais la Chine n’a pas pu suivre cette voie. Sa bourgeoisie était trop faible, corrompue, et dépendante de l’impérialisme, trop liée aux propriétaires terriens et elle craignait trop les masses ouvrières et paysannes pour accomplir des tâches démocratiques bourgeoises comme l’émancipation nationale et le renversement des propriétaires fonciers traditionalistes qui opprimaient et exploitaient la paysannerie.
La Première Révolution chinoise, en 1911, vit le renversement de la dynastie Qing (ou mandchoue) par un mouvement républicain nationaliste bourgeois. Comme toute tentative de moderniser la société chinoise devait se heurter directement à la question femme, le Guomindang nationaliste, qui fut fondé en 1912, prit position contre certains aspects de l’horrible condition féminine (il s’opposait par exemple au bandage des pieds). Mais la Révolution de 1911 avait reçu l’aide des puissances impérialistes, et elle laissa la Chine divisée et dominée par les propriétaires fonciers et ces mêmes impérialistes.
La Première Guerre mondiale stimula l’expansion industrielle de la Chine et donna naissance à un prolétariat de petite taille mais puissant. En 1919, il y avait 1,5 million d’ouvriers, travaillant surtout dans de grandes usines dans les centres urbains, et les femmes en constituaient une proportion significative. La Chine devint donc un exemple typique de développement inégal et combiné : des villes en pleine expansion où dominait une industrie de pointe tandis que dans les campagnes régnaient encore des conditions de vie féodales misérables. Tout cela mettait clairement la question de la révolution permanente à l’ordre du jour. Cette théorie, formulée à l’origine par Trotsky dans le contexte des conditions particulières à la Russie tsariste, postulait que, dans les pays au développement capitaliste retardataire, les tâches de la révolution démocratique sont irréalisables sans la dictature du prolétariat soutenue par les masses paysannes opprimées.
La Chine ne pouvait briser ses chaînes que si le prolétariat prenait le pouvoir, mettant nécessairement à l’ordre du jour les tâches de la construction socialiste et l’extension de la révolution aux pays capitalistes avancés. C’est en 1919 que cette perspective révolutionnaire apparut pour la première fois en Chine, lorsque éclata le Mouvement du 4 mai, un soulèvement constitué en majorité d’étudiants opposés à l’asservissement et à la division du pays par les impérialistes. En 1921, sous l’impact de ces événements, le Parti communiste se constitua sous la direction d’un éminent intellectuel chinois, Chen Duxiu, qui, inspiré par la Révolution russe de 1917, s’était frayé un chemin du libéralisme de gauche au marxisme. Le parti connut une croissance régulière au cours des premières années, puis il vit le nombre de ses militants monter en flèche en 1925 lorsque éclata la Deuxième Révolution chinoise ; il gagna alors l’allégeance de centaines de milliers d’ouvriers et de certaines couches de l’intelligentsia urbaine radicalisée.
A ses débuts, le PCC fit des efforts considérables pour gagner les femmes chinoises. Il soulignait, selon la conception matérialiste, que les racines de l’oppression se trouvaient dans l’institution de la famille et que cette oppression ne pourrait être éradiquée que si l’on parvenait à surmonter l’arriération de la société chinoise dans son ensemble. Avant même le congrès de fondation du PCC, des communistes à Guangzhou publiaient un journal femmes, Travail et femmes. En 1922, le PCC établissait un comité responsable du travail parmi les femmes, prenant pour modèle la section femmes du Parti bolchévique. Il fut d’abord basé à Shanghai, où les femmes représentaient plus de la moitié de la classe ouvrière.
Mais, si le PCC cherchait au départ une solution révolutionnaire prolétarienne à l’instar de la Révolution bolchévique, cette impulsion fut bientôt remise en cause. En 1922, un représentant du Comintern ordonna au PCC d’adhérer au Guomindang nationaliste bourgeois. En l’espace de deux ou trois ans, cette politique allait mener à la liquidation pure et simple du jeune parti ouvrier. Pour cela, on exhuma une variante rétrograde de la théorie menchévique de la « révolution par étapes », une thèse dont la Révolution bolchévique en Russie tsariste avait démontré la faillite, et on subordonna les intérêts du prolétariat à ceux d’une bourgeoisie « progressiste » imaginaire, qui en réalité était liée aux impérialistes et aux propriétaires terriens. Trotsky se battit à l’intérieur du Comintern contre la liquidation politique du PCC. Une bonne partie de la direction du parti chinois, y compris Chen Duxiu, s’était également opposée au début à cette orientation désastreuse.
En 1927 à Shanghai, le Guomindang de Chiang Kai-shek décapita l’avant-garde prolétarienne chinoise, massacrant des dizaines de milliers d’ouvriers et détruisant les organisations du prolétariat. Cette tuerie signala la défaite sanglante de la Deuxième Révolution chinoise. Les organisations de femmes dirigées par des communistes, qui menaçaient les fondements mêmes de la bourgeoisie chinoise famille et classe furent l’objet d’une terreur particulièrement sauvage. Des milliers de militantes communistes furent violées, torturées et assassinées parce qu’elles avaient commis le « crime » d’avoir les cheveux courts ou de porter des « vêtements d’hommes ».
C’est à la suite du désastre de 1927 que Trotsky conclut que la théorie de la révolution permanente s’appliquait de façon générale aux pays à développement capitaliste retardataire lorsqu’il y avait une concentration prolétarienne suffisante (voir la brochure spartaciste The Development and Extension of Leon Trotsky’s Theory of Permanent Revolution [L’élaboration et l’extension de la théorie de la révolution permanente de Léon Trotsky], avril 2008). Trotsky a abondamment écrit sur la crise en Chine ; en 1928, il écrivit sa Critique du programme de l’Internationale communiste, où il faisait la synthèse de ce qu’impliquait internationalement la promulgation du « socialisme dans un seul pays » par le Comintern de Staline. Cette Critique fut publiée plus tard dans l’Internationale communiste après Lénine. Des centaines de jeunes communistes chinois étudiant à Moscou ainsi que des figures de proue du PCC en Chine, dont Chen Duxiu qui deviendra le principal dirigeant du trotskysme chinois, se joignirent à la lutte de Trotsky contre la collaboration de classes et pour l’indépendance de classe du prolétariat vis-à-vis de toutes les ailes de la bourgeoisie.
Dans les années qui suivirent, Mao arriva à la tête du PCC. Le parti quitta les villes pour prendre la voie de la guérilla paysanne, ce qui changea sa nature même (voir Benjamin I. Schwartz, Chinese Communism and the Rise of Mao [Le communisme chinois et l’ascension de Mao], New York, Harper and Row, 1967). Le parti s’était arraché à la classe ouvrière, comme le disait Trotsky. Durant les années 1930, le PCC se transforma en force militaire paysanne dirigée par des petits-bourgeois déclassés. Les trotskystes, qui rejetaient cette perspective antimarxiste, demeurèrent dans les villes et, en proie à une persécution intense, luttèrent contre vents et marées pour garder des racines dans la classe ouvrière (voir « Les origines du trotskysme chinois », Spartacist édition française no 31, automne 1997).
La libération des femmes et la Révolution de 1949
La transformation du PCC en parti paysan eut évidemment un impact sur sa politique envers les femmes. La direction maoïste ne pouvait pas se permettre de faire offense aux murs traditionnelles des hommes de la paysannerie, surtout si ceux-ci servaient dans l’Armée rouge du PCC. Le travail parmi les femmes dans les zones libérées fut par conséquent plus conservateur que ce qu’il avait été dans les années 1920, lorsque les communistes menaient dans les villes des luttes radicales pour la libération des femmes.
En 1931 le Japon envahit la Mandchourie et l’occupa. A partir de 1935, conformément à la politique de collaboration de classes dite de « front populaire » promulguée par le Septième Congrès de l’IC, le PCC appela à former une large coalition « antijaponaise » qui inclurait la bourgeoisie et les propriétaires terriens « patriotes ». En 1937, alors que les impérialistes japonais commençaient à étendre leur emprise sur le reste de la Chine, cette politique se concrétisa dans un second « front unique » avec le Guomindang de Chiang Kai-shek. Cette alliance entre le PCC et le Guomindang était plutôt une sorte de pacte de non-agression, qui plus est très instable, les forces de Chiang attaquant de façon répétée les armées paysannes dirigées par les communistes. Mao avait promis (sur le papier) de démanteler les gouvernements « soviétiques » établis par le PCC dans les régions dont il avait le contrôle pour en partager l’administration avec le Guomindang, mais dans la pratique les communistes gardèrent le contrôle exclusif de ces régions. Aussi, lorsque Chiang se subordonna à l’impérialisme américain après l’entrée des Etats-Unis dans la guerre du Pacifique en décembre 1941, et que le général américain Joseph Stillwell prit les commandes des forces armées du Guomindang, l’Armée rouge de Mao continua de mener une lutte indépendante contre les occupants japonais, ce qui justifiait un soutien militaire de la part des marxistes révolutionnaires. Le fait que l’Armée rouge de Mao avait joué le rôle principal dans les seules luttes véritables pour l’indépendance nationale de la Chine rehaussa beaucoup l’autorité et l’influence du PCC ; le territoire sous son contrôle s’était grandement étendu à la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
Toutefois, pendant toute la période du « front unique », Mao tint religieusement ses engagements envers les capitalistes et propriétaires fonciers « patriotes », et il s’opposa à l’expropriation de ces derniers dans les territoires contrôlés par l’Armée rouge. Les campagnes restèrent ainsi figées dans le vieil ordre social, les paysannes demeurant les esclaves du travail domestique et de leur mari. Ce n’est que lorsque la guerre civile contre le Guomindang éclata en 1946 que le PCC se plaça à la tête d’une révolution agraire et jeta les bases de l’émancipation sociale des paysannes.
Les femmes jouèrent un rôle de premier plan dans la victoire finale de l’armée paysanne de Mao. A l’époque, Jack Belden, militant de gauche américain qui fut témoin des événements, écrivait :
« Avec les femmes, en Chine, les communistes possédaient, toute faite, une des plus grandes masses d’êtres déshérités que le monde ait jamais vue. Et parce qu’ils ont trouvé la clé qui leur a ouvert le cur des femmes, ils ont également trouvé la clé qui leur a ouvert les portes de la victoire sur Chang Kaï Shek. »
Belden, la Chine ébranle le monde, Paris, Gallimard, 1951
Dans les zones rurales conquises par le PCC, la loi sur la réforme agraire de 1947 donna aux hommes et aux femmes les mêmes droits de propriété sur la terre. Cette révolution dans les rapports de propriété pour les femmes eut un impact électrisant. En 1949, dans les zones libérées depuis plus longtemps, 50 à 70 % des femmes travaillaient la terre. Dans certains villages, les paysannes constituaient la force la plus active dans la confiscation des terres des propriétaires fonciers. Quand les communistes remportèrent enfin la victoire dans la guerre civile, ils libérèrent les Chinoises d’une bonne part de la fange féodale qui les étouffait (les mariages arrangés, l’infanticide féminin, la vente des jeunes filles comme concubines à de riches propriétaires terriens, marchands et usuriers, etc.).
La proclamation de la République populaire de Chine en octobre 1949 marqua la naissance d’un Etat ouvrier bureaucratiquement déformé. Le prolétariat était morcelé après s’être fait réprimer pendant 20 ans tant par le Guomindang que les Japonais, et de plus il était affaibli par le sérieux déclin économique des années 1930 : il ne joua aucun rôle en tant que classe dans la Révolution de 1949. Ce sont des circonstances historiques exceptionnelles qui permirent à la paysannerie d’accomplir cette révolution sociale, entre autres la décomposition interne du régime corrompu du Guomindang et l’existence de l’Union soviétique, qui apporta son aide matérielle aux forces maoïstes. L’armée soviétique, qui entra en guerre contre le Japon dans les dernières semaines du conflit, pénétra rapidement en Mandchourie (où elle resta jusqu’en mai 1946), dans le nord de la Corée (y demeurant jusque fin 1948), et dans plusieurs autres secteurs sous occupation japonaise.
La Révolution de 1949 apportait l’instruction aux nouvelles générations de femmes grâce à l’éducation universelle gratuite, une étape cruciale pour leur intégration à la vie économique et sociale. Le Premier Mai 1950, le gouvernement promulgua une loi sur le mariage interdisant les mariages arrangés, interdisant de posséder des concubines, et donnant aux femmes le droit au divorce et à la propriété. Pour la première fois dans l’histoire de la Chine, bien des filles, brus ou épouses étaient en mesure de choisir leur compagnon, de répudier leur époux violent ou de quitter le foyer dans lequel elles étaient exploitées. On popularisa ces droits nouvellement acquis par des campagnes d’agitation de masse et par des slogans comme « Les femmes soutiennent la moitié du ciel » et « Tout ce que peut faire un homme, une femme peut le faire aussi ».
Mais la loi sur le mariage rencontra une résistance obstinée dans les campagnes. Au cours des années qui suivirent sa promulgation, quelque 80 000 personnes, dont une majorité de jeunes femmes cherchant à faire prévaloir leurs droits, étaient tuées chaque année pour des questions de mariage. Les cadres du PCC responsables de l’application de la loi dans les villages avaient souvent des liens de parenté avec les chefs de famille et beaucoup capitulaient sous la pression écrasante de ceux qui voulaient maintenir les normes familiales traditionnelles. De plus, même si les jeunes femmes célibataires ou celles qui voulaient quitter leur mari avaient formellement des droits, ceux-ci étaient limités dans la pratique par le manque d’indépendance économique. Car non seulement l’économie agricole primitive fournissait à peine de quoi vivre, mais c’était le chef de famille (le plus souvent le père, le beau-père ou le mari) qui contrôlait le lopin de terre. La collectivisation de l’agriculture et l’établissement des communes rurales dans les années 1950 ne réduisit guère non plus la dépendance économique des femmes vis-à-vis de la structure patriarcale traditionnelle. Même si elle obtenait le divorce, une femme ne recevait pas sa part de la propriété de la famille de son ancien mari.
Les paysannes dans la Chine de Mao
La Chine de Mao n’avait pas de ressources suffisantes pour offrir des emplois dans l’industrie ou dans les autres secteurs économiques urbains à la grande masse des paysannes (ni des paysans). Cela dit, outre ces limitations objectives, les orientations et les pratiques du gouvernement de Mao ont elles-mêmes contribué à perpétuer l’oppression des femmes, particulièrement dans les campagnes. A cette époque, la stratégie économique consistait à extraire le surplus maximum de l’agriculture et à le réaffecter à des technologies requérant des investissements lourds, pour la production industrielle dans les villes. Entre 1952 et 1975, la production industrielle est passée de 20 à 45 % de la production matérielle nette. Mais la part de la main-d’uvre employée dans les secteurs non agricoles n’est passée dans la même période que de 16 à 23 % (Carl Riskin, China’s Political Economy : The Quest for Development Since 1949 [L’économie politique de la Chine : La quête du développement depuis 1949], Oxford, Oxford University Press, 1987).
En plus des murs confucianistes traditionnelles, le fait que les méthodes de production agricole demandaient tellement de main-d’uvre créait une pression économique sur les familles paysannes pour qu’elles aient beaucoup d’enfants (de préférence des garçons), ce qui alourdissait encore plus le fardeau des femmes. Dans le cadre des communes rurales, c’est la vente de produits artisanaux et des produits agricoles des lopins privés qui fournissait à la famille le plus gros de ses revenus. La réglementation et les pratiques courantes dans les communes étaient discriminatoires envers les femmes, qui avaient en moyenne un revenu inférieur (en points-travail) à celui des hommes, même pour un travail similaire. De plus, même si les revenus des femmes étaient calculés séparément, c’est au chef du foyer, le plus souvent un homme, qu’on remettait la somme des revenus de la famille.
A la fin des années 1950 fut lancé le « grand bond en avant », une tentative aventuriste et utopique de catapulter la Chine au niveau des pays industriels avancés en mobilisant la main-d’uvre paysanne en masse. Dans ce cadre, on tenta d’établir des cuisines collectives. Mais ces cuisines étaient de piètre qualité et de ce fait provoquèrent un énorme mécontentement. On les abandonna aussitôt après l’échec du « grand bond en avant », qui avait plongé le peuple épuisé dans l’une des pires famines de l’histoire. Nous sommes opposés à la communalisation forcée de la main-d’uvre paysanne et à l’élimination de toutes les restrictions de durée et d’intensité du travail, qui étaient deux aspects caractéristiques du catastrophique « grand bond en avant » de Mao.
Dans le cadre des « réformes de marché » de l’après-Mao, les communes agricoles furent supprimées et remplacées au début des années 1980 par le « système de responsabilité des ménages ». Basé sur la location de terres à long terme (jusqu’à 30 ans), ce système était en fait un retour à l’exploitation familiale individuelle. Au début la productivité augmenta. Mais ces « réformes » eurent aussi un effet dévastateur sur la condition de la femme paysanne. Il y eut notamment un écart de plus en plus grand à la campagne entre le niveau d’éducation des hommes et celui des femmes, et l’on vit réapparaître à grande échelle l’infanticide des petites filles, ainsi que les avortements sélectifs.
Les communes dispensaient auparavant une éducation primaire et secondaire gratuite à tous les enfants. Avec leur démantèlement, cette responsabilité passa aux municipalités rurales. Mais comme le gouvernement central avait radicalement réduit les financements (ceux-ci ont été graduellement réaugmentés depuis), les municipalités imposèrent toutes sortes de frais de scolarité onéreux. En conséquence, entre 1978 et 1993, le nombre d’élèves inscrits à l’école primaire chuta de 129 à 90 millions et ceux du secondaire de 48 à 26 millions (Tamara Jacka, Women’s Work in Rural China: Change and Continuity in an Era of Reform [Le travail des femmes dans la Chine rurale : changement et continuité à l’ère des réformes], Cambridge, Cambridge University Press, 1997). Etant donné que bien des familles paysannes étaient prêtes à faire des sacrifices pour leurs garçons, ce sont les filles qui furent le plus durement touchées par ce déclin. Dans une étude plus récente publiée par le quotidien d’Etat China Daily (2 avril 2007), on constate qu’entre 2000 et 2005 le nombre d’adultes illettrés en Chine a augmenté d’un tiers, passant de 87 à 116 millions, et ce sont en grande partie des femmes.
Il est encore courant de nos jours que la jeune mariée emménage dans le village de son époux, et souvent dans la maison des parents de celui-ci. Elle se retrouve donc sous l’autorité de ses beaux-parents, et de sa belle-mère en particulier. Le système des mariages arrangés, tel qu’il existait dans les campagnes avant 1949, a fait place à celui des mariages semi-arrangés. Il est rare que les couples soient contraints de se marier contre leur gré, mais se marier sans le consentement des parents est très mal vu. Des coutumes traditionnelles comme la dot et le prix de l’épousée restent courantes. Elles ont connu en fait une recrudescence à l’ère des « réformes » de l’après-Mao, étant donné le retour à l’exploitation agricole familiale individuelle. Le gouvernement a récemment annoncé que les paysans pourraient vendre leur bail d’exploitation à d’autres paysans ou à des entreprises privées. Mais il est difficile de prévoir à l’heure actuelle comment ces mesures s’appliqueront dans la réalité.
Le retour de l’infanticide des filles
Malgré la montée des inégalités, même les femmes paysannes ont en moyenne un sort nettement meilleur aujourd’hui que par le passé. L’électrification des campagnes représente un énorme progrès, car elle permet l’utilisation d’appareils ménagers (réfrigérateur, machine à laver) qui allègent les tâches ménagères de la femme ; elle donne aussi accès à des technologies de base comme la télévision. Dans les villes, les femmes qui ont atteint un certain niveau d’indépendance financière jouissent de ce fait d’une plus grande liberté sexuelle. Les relations sexuelles avant le mariage, autrefois interdites par le code de moralité puritain des staliniens, sont aujourd’hui monnaie courante. Le divorce est aussi beaucoup plus facile à obtenir : d’après les statistiques du ministère chinois des Affaires civiles, son taux a plus que triplé depuis 1985.
Mais les forces du marché ont amené un certain nombre de phénomènes rétrogrades qui vont de pair avec l’exploitation. On voit la recrudescence de certaines des pires abominations de la Chine ancienne. L’un des effets les plus alarmants est la résurgence de l’infanticide des filles, comme le montre la hausse importante de la mortalité infantile chez les petites filles. L’avortement sélectif des filles, que l’échographie rend désormais possible, est également devenu pratique courante. Liu Bohong, directrice adjointe de l’Institut de recherche sur la femme de la Fédération chinoise des femmes, estime qu’en 2005 il y avait parmi les nouveaux-nés 123 garçons pour 100 filles (la moyenne internationale étant de 104 à 107 garçons pour 100 filles).
Contrairement à Mao, Deng estimait qu’une croissance démographique incontrôlée était un sérieux handicap à la modernisation de la Chine. A la fin des années 1970, le gouvernement imposa des mesures draconiennes de contrôle des naissances et des amendes sévères limitant les familles urbaines à un enfant et les familles rurales à deux (mais uniquement si la première naissance est une fille ou un enfant handicapé ; il n’y a aucune limite pour les minorités nationales). Au milieu des années 1980, le régime de Deng entreprit d’éliminer le « bol de riz en fer », ce programme d’emploi à vie et d’avantages sociaux élémentaires offert aux employés des entreprises d’Etat. Exception faite d’une petite minorité d’employés plus âgés ayant droit à des pensions de l’Etat, la plupart des travailleurs ne peuvent plus compter aujourd’hui pour leur retraite que sur leurs économies ainsi que sur le soutien de leurs enfants. Comme les filles qui se marient rejoignent normalement la famille de leur mari, c’est des parents âgés de leur mari qu’elles prennent soin. La politique de « l’enfant unique » se conjugue à la structure familiale patriarcale et à la forte inégalité des salaires entre hommes et femmes pour induire un profond déséquilibre démographique, y compris dans les villes. En 2005 à Pékin par exemple, on comptait 109 naissances de garçons pour 100 naissances de filles.
La situation est encore pire au village, ce qui contraste fortement avec ce qui prévalait immédiatement après la Révolution, quand la nationalisation des terres, leur distribution égalitaire aux paysans, puis la collectivisation de l’agriculture, assuraient à tous un niveau de subsistance minimal. Durant les trente premières années de la République populaire, la proportion des naissances de filles par rapport à celle des garçons correspondait à la norme démographique naturelle. Comme les techniques agricoles primitives des communes demandaient beaucoup de main-d’uvre, plus il y avait de membres de la famille (filles ou garçons) occupés à la culture ou à des activités de construction connexes, plus la famille paysanne accumulait de points-travail et donc de revenus.
Aujourd’hui, les familles paysannes et les ouvriers migrants sont particulièrement touchés par une autre facette importante des « réformes de marché » : l’élimination des soins médicaux gratuits. Il est courant que les garçons naissent à l’hôpital ou dans une clinique et les filles à la maison. Si un garçon est malade, on l’amène chez le médecin, mais pas une fille. Depuis l’abolition des communes, la plupart des lopins de terre chinois sont si petits qu’il suffit d’un ou deux paysans expérimentés pour s’en occuper. Avoir d’autres membres de la famille au travail à la ferme est donc une surcharge économique.
La liquidation du système de santé gratuit provoque aussi une recrudescence des superstitions et des sectes religieuses (comme Falun Gong), avec un retour aux « médecines traditionnelles » et autres survivances de la vieille Chine (voir « Falun Gong, une force pour la contre-révolution en Chine », Workers Vanguard no 762, 3 août 2001).
Le contrôle des naissances est essentiel pour que les femmes puissent avoir un certain contrôle sur leur propre existence ; c’est une question particulièrement importante dans un pays qui compte 20 % de la population de la planète mais seulement 7 % de ses terres arables. Un gouvernement ouvrier et paysan en Chine aurait recours à des mesures éducatives pour encourager les familles à limiter volontairement le nombre de leurs enfants. Nous défendons le droit des femmes de décider si elles veulent ou non avoir des enfants, et combien. Comme nous l’écrivions il y a plus de dix ans : « Le régime de l’Etat ouvrier déformé chinois, avec son appareil d’Etat brutal et répressif, utilise toutes sortes de moyens pour limiter les naissances, allant d’avantages économiques à des méthodes de contrôle bureaucratique inflexible des masses ouvrières et paysannes. Ces méthodes, lorsqu’elles ont trait à la question très personnelle d’avoir des enfants, peuvent constituer des ingérences odieuses » (« Chine : les femmes menacées par la misère du “libre marché” », Women and Revolution no 45, hiver-printemps 1996).
Une priorité que se donnerait un gouvernement des conseils ouvriers et paysans serait de corriger le déséquilibre sexuel actuel. Il s’efforcerait de fournir, grâce à la planification économique centralisée, des soins médicaux gratuits et de qualité à tous les citoyens de Chine, et à payer des retraites financées par l’Etat à tous les travailleurs des villes et des campagnes. C’est dans le surplus économique collectif produit par l’ensemble de la population active qu’il faudrait puiser les ressources nécessaires pour soutenir ceux qui ne peuvent pas travailler parce qu’ils sont trop âgés (ou malades ou infirmes) et non dans leurs économies ou dans les revenus de leurs enfants. Pour vaincre les préjugés culturels en faveur des garçons, préjugés encore renforcés par les réformes de marché de la bureaucratie, un gouvernement ouvrier encouragerait l’éducation et la formation professionnelle des jeunes femmes.
Pour libérer les femmes de la famille patriarcale paysanne, il faut collectiviser et moderniser rationnellement l’agriculture. Comme la majorité de la population vit encore à la campagne où les méthodes de production demeurent primitives et où les infrastructures modernes sont réduites, cette collectivisation entraînerait une profonde transformation de la société chinoise.
Pour pouvoir introduire les techniques modernes (engrais chimiques, moissonneuses-batteuses, en bref tout ce qu’implique l’agriculture scientifique), il faut que l’industrie se développe qualitativement par rapport à son état actuel. La hausse de la productivité agricole créerait à son tour le besoin d’une expansion considérable des emplois industriels dans les villes afin d’absorber le surplus de main-d’uvre qui apparaîtrait dans les campagnes. Tout cela prendrait évidemment du temps, surtout étant donné le niveau actuel de productivité, relativement bas, de l’industrie chinoise. Mais en dernière analyse, la possibilité même de réaliser cette perspective, et le rythme auquel cela se produirait, dépendent de l’assistance que la Chine recevrait d’un Japon ou d’une Amérique socialiste, ce qui souligne une fois de plus qu’il faut une révolution prolétarienne internationale.
De jeune paysanne à ouvrière migrante
Après la Révolution de 1949, grâce à la nationalisation de l’économie et l’introduction de la planification centralisée, des millions de femmes prirent part pour la première fois à la production socialisée. La plupart d’entre elles étaient cependant reléguées aux emplois les moins qualifiés, les moins bien rémunérés et les moins équipés en machines. Elles constituaient la majorité de la main-d’uvre dans les coopératives de production, alors que, dans les entreprises d’Etat, la main-d’uvre était généralement masculine et faisait un travail plus qualifié, mieux payé et plus mécanisé. En outre, plus de la moitié des quelque 30 millions de travailleurs qui ont perdu leur emploi lors de la privatisation et de la restructuration des entreprises d’Etat dans la deuxième moitié des années 1990 étaient des femmes. Mais si d’un côté le nombre de femmes travaillant dans les entreprises d’Etat a chuté, il est monté en flèche dans l’industrie privée, en particulier dans les usines appartenant aux étrangers et aux Chinois de l’extérieur. Avec la crise économique mondiale qui sévit actuellement, cette tendance risque de s’inverser.
Dans leur grande majorité, les ouvrières migrantes sont jeunes et célibataires ; elles n’ont généralement même pas vingt ans lorsqu’elles arrivent en ville. La plupart subissent une exploitation brutale, travaillant en moyenne de onze à douze heures par jour, souvent sept jours sur sept. Elles sont soumises à une discipline de fer, souvent payées à la pièce, avec des amendes prélevées de leur salaire pour tout produit défectueux. Elles sont parquées dans des dortoirs non mixtes surpeuplés. Les mesures de sécurité au travail sont rudimentaires ou inexistantes. Selon une étude gouvernementale du milieu des années 1990, il y avait des produits toxiques ou plus généralement des conditions de travail dangereuses dans 40 % des entreprises de Shenzhen, un important centre industriel du Guangdong (Holding Up Half the Sky: Chinese Women Past, Present and Future [Elles soutiennent la moitié du ciel : Les femmes chinoises hier, aujourd’hui et demain], sous la direction de Tao Jie, Zheng Bijun et Shirley L. Mow, New York, Feminist Press at the City University of New York, 2004).
Et pourtant, chaque année, des millions de jeunes femmes quittent leur village pour les usines de la Chine urbaine. Elles savent pour la plupart ce qui les attend, car elles cherchent souvent à se faire embaucher dans des entreprises où des parents ou amis de leur village travaillent déjà. Même si l’on tient compte du fait que la vie est chère dans les villes, il y a des avantages économiques considérables à être ouvrier migrant. D’après les statistiques officielles du gouvernement pour 2007, le revenu moyen net annuel était de 4 140 yuans par personne à la campagne et de 14 400 par personne chez les ouvriers migrants, soit plus du triple. Une jeune femme évoquait ainsi les conditions misérables à la ferme familiale qu’elle avait fuies : « Pour alléger leur fardeau [à ses parents], j’allais dans la montagne chercher de la nourriture pour les cochons, puis je donnais à manger aux cochons et aux canards ; au moment de la moisson, j’aidais aux champs, dans la boue à longueur de journée comme un singe de boue. Et je ne pouvais même pas m’acheter quelque chose de mettable » (cité par Dorothy J. Solinger, Contesting Citizenship in Urban China: Peasant Migrants, the State and the Logic of the Market [Contester la citoyenneté en Chine urbaine : les paysans migrants, l’Etat et la logique du marché], Berkeley, University of California Press, 1999).
Bien des jeunes femmes cherchent à se soustraire aux pressions des parents et de leur entourage qui veulent qu’elles se marient jeunes ; elles veulent profiter, au moins pour quelques années, des avantages culturels de la vie urbaine. Lorsque la chercheuse australienne Tamara Jacka leur demanda pourquoi elles étaient parties, bien des jeunes femmes lui répondirent « pour m’épanouir », « élargir mes horizons », « acquérir mon indépendance », « pour mon éducation », etc. (Jacka, Rural Women in Urban China: Gender, Migration and Social Change [Les femmes rurales en Chine urbaine : genre, migration et changement social], Londres, M.E. Sharpe, 2006).
Dans son ouvrage Made in China : Women Factory Workers in a Global Workplace [Fabriqué en Chine : ouvrières d’usine sur un lieu de travail mondialisé] (Durham, Caroline du Nord, Duke University Press, 2005), Pun Ngai, une universitaire de Hongkong qui a des sympathies féministes, cite une des rares ouvrières relativement plus âgées de l’usine, cuisinière à la cafétéria : « Nous n’aurions jamais osé imaginer quitter la famille et le village. Les femmes restaient toujours à la maison à faire la cuisine et les tâches ménagères, en attendant de se marier et de donner naissance à des fils. » La condition des ouvrières migrantes travaillant à l’usine, si dure soit-elle, reste donc tout de même meilleure que celle des villageoises avant 1978. Travailler en ville met en lumière les différences entre la ville et la campagne : « Quand on a vécu en ville un certain temps », note une ouvrière migrante, « on pense différemment, on se demande constamment comment on pourrait améliorer la vie à la campagne » (cité par Leslie T. Chang : Factory Girls [Jeunes ouvrières], New York, Spiegel & Grau, 2008).
La relative indépendance économique et les libertés individuelles de beaucoup d’ouvrières migrantes ne durent que quelques années, après quoi elles retournent au village pour se marier. Mais elles y reviennent avec une conscience sociale nouvelle et une perception nouvelle de la puissance du prolétariat, souvent acquise parce qu’elles ont elles-mêmes participé à des luttes contre les patrons capitalistes.
On pouvait voir au printemps 2007 l’énorme potentiel du prolétariat industriel chinois, lors d’une série de grèves des dockers à Shenzhen, quatrième port à conteneurs du monde. Il y avait déjà eu des grèves à Shenzhen en 2004, auxquelles 300 000 ouvriers avaient participé. Non loin de là, à Huizhou, ce sont des ouvrières qui avaient lancé une série de luttes combatives stoppant la production et bloquant des routes d’accès contre la Gold Peak Industrial Holding Ltd., une multinationale basée à Hongkong et à Singapour, qui y possédait deux usines de piles électriques.
Abolition du système stalinien discriminatoire du hukou !
Le système d’enregistrement des ménages (le hukou) instauré par la bureaucratie restreint sévèrement le droit de séjour et l’accès aux soins médicaux et à l’éducation des Chinois ruraux dans les villes ; il y rend le séjour des migrants précaire et incertain. Les ouvriers migrants ne reçoivent qu’un permis de séjour temporaire, moyennant une somme relativement importante ; certains n’ont pas de permis du tout. Si une migrante se marie, et surtout si elle tombe enceinte, elle a de bonnes chances de se faire renvoyer de son travail et de ne pas en retrouver un autre. Dans les villes, les hommes ne veulent pas épouser les femmes qui n’ont qu’un hukou rural. Les couples mariés de migrants payent souvent beaucoup plus cher les soins médicaux et l’éducation de leurs enfants que ceux qui ont un droit de séjour permanent en ville.
Avec le système du hukou, la bureaucratie a dans les faits créé une population d’immigrés à l’intérieur du pays, concentrée dans les couches inférieures de la classe ouvrière. Le hukou avait été établi en 1955 par Mao. Il s’agissait à l’origine de rationner les biens dans une économie de pénurie en empêchant en particulier les paysans de migrer en masse dans les villes pour travailler dans les entreprises d’Etat, dont les emplois étaient réservés à ceux qui résidaient légalement dans les villes. Quand la Chine s’ouvrit aux investissements étrangers, le hukou prit une fonction différente. L’expansion des usines étrangères est basée sur l’existence d’un immense réservoir de main-d’uvre de migrants qui sont mobiles et ont un statut légal précaire, et à qui on peut payer des salaires dérisoires. Il arrive que des migrants soient embauchés temporairement dans des entreprises d’Etat, le secteur névralgique de l’économie chinoise, mais ces entreprises sont généralement la chasse gardée des ouvriers titulaires d’un hukou urbain. La bureaucratie s’est ainsi transformée en une sorte de pourvoyeur de main-d’uvre pour le capital impérialiste et pour les capitalistes chinois de l’extérieur. Le hukou permet aussi de renforcer l’institution de la famille : il est héréditaire, et c’est le chef de famille qui détient les documents qu’il doit par exemple présenter pour permettre à son enfant de se marier.
Au sein de la population migrante elle-même, il y a une division entre ceux qui ont un statut légal et ceux qui n’en ont pas : presque tous les migrants qui travaillent dans des usines ou des grandes entreprises comme Wal-Mart possèdent un permis de séjour temporaire en ville. Mais il y a aussi des millions de migrants « sans papiers » (personne n’en connaît le nombre exact) qui survivent péniblement comme journaliers, femmes de ménage, nourrices, vendeurs ambulants, etc. Dans le souci d’atténuer le mécontentement social tant dans les villes que dans les campagnes, et d’assurer un réservoir de main-d’uvre stable, le régime a dû envisager de réformer ou de remplacer le système du hukou ; des essais dans ce sens ont déjà été faits dans certaines régions. Cela n’a pas empêché les autorités de Pékin, à la veille des Jeux olympiques de 2008, de lancer une vaste campagne contre les ouvriers migrants et de forcer des centaines de milliers d’entre eux, dont beaucoup avaient travaillé dans des conditions épuisantes à la construction des installations olympiques, à quitter la ville. Nous sommes contre le système arbitraire et discriminatoire du hukou. Nous sommes pour que les ouvriers migrants aient les mêmes droits et les mêmes avantages sociaux que les résidents qui ont un statut légal.
Ce dont les ouvriers chinois ont besoin, c’est d’un parti trotskyste qui dirige une révolution politique pour chasser la caste bureaucratique stalinienne privilégiée et établir un gouvernement des conseils ouvriers et paysans démocratiquement élus, représentant toutes les couches du prolétariat, et les travailleurs ruraux. C’est seulement si les rênes du pouvoir sont aux mains des travailleurs que l’Etat ouvrier pourra résoudre de façon satisfaisante les grandes questions auxquelles il est confronté, que ce soit dans le domaine de la politique extérieure et de la stratégie militaire ou bien de l’économie ; et cela inclut d’éventuelles mesures administratives concernant la mobilité de la population ou concernant des pénuries ou des catastrophes naturelles. Comme le disait Trotsky : « Il ne s’agit pas de remplacer une coterie dirigeante par une autre, mais de changer les méthodes mêmes de la direction économique et culturelle. L’arbitraire bureaucratique devra céder la place à la démocratie soviétique » (la Révolution trahie).
Les « démocrates » qui veulent un retour au capitalisme et les ouvriers migrants
Il y a maintenant dans la bureaucratie du PCC un certain nombre d’éléments qui ont des liens, de parenté ou autres, avec des chefs d’entreprise capitalistes ; en 2007, l’Assemblée populaire nationale, qui ne fait qu’entériner les décisions d’en haut, a passé une loi qui renforçait les droits de propriété des personnes et des sociétés. La base matérielle sur laquelle repose la bureaucratie n’en continue pas moins d’être la propriété collectivisée, fondement de son pouvoir et de ses revenus. Mais la bureaucratie ne défend les acquis de l’Etat ouvrier déformé chinois que dans la mesure où elle craint le prolétariat. Le régime Hu agit prudemment face à la colère qui gronde à la base de la société chinoise : il ralentit certaines mesures « de marché » au nom de la « société harmonieuse » et emprisonne, ou même exécute, certains membres de l’administration trop ouvertement corrompus.
En 2006, le département officiel de propagande du PCC a publié une déclaration exprimant des inquiétudes concernant le fait que les ouvriers migrants touchaient de trop bas salaires de leurs employeurs (Face-to-Face with Theoretical Hot Spots [Confronter d’épineux problèmes théoriques], Pékin, Study Press and People’s Publishing House, 2006). Craignant surtout que les salaires de misère et les conditions de travail pénibles n’engendrent une montée de la contestation parmi les ouvriers migrants, la bureaucratie a adopté une nouvelle législation du travail qui encourage les contrats à long terme et qui donne des avantages sociaux supplémentaires aux ouvriers migrants. La Fédération nationale des syndicats de Chine, contrôlée par l’Etat, crée maintenant des sections syndicales dans des entreprises appartenant à des capitalistes étrangers ou à des Chinois de l’extérieur.
Wal-Mart, le géant américain de la grande distribution, notoirement anti-syndicats, a ainsi été obligé de reconnaître les syndicats dans la centaine de magasins qu’il possède en Chine. En 2006, Japan Focus publiait un article sur la lutte pour organiser un syndicat dans un Wal-Mart du Fujian : « A 6 h 30, ils ont déclaré qu’ils avaient constitué une section syndicale et ils ont entonné l’Internationale sous une banderole proclamant : “Nous sommes déterminés à poursuivre le développement du syndicalisme aux couleurs de la Chine !” » (Anita Chan, « Syndicalisation à Wal-Mart : Le syndicalisme chinois à un tournant », Japan Focus, 8 septembre 2006).
Un certain nombre d’universitaires féministes, occidentales et chinoises, dénoncent les conditions de vie des ouvrières migrantes et affirment que celles-ci peuvent trouver des alliés dans les organisations non gouvernementales (ONG) et autres agences « humanitaires » qui sont parrainées et financées par des fondations et des gouvernements capitalistes. L’idée que ces institutions impérialistes sont du côté des ouvriers migrants est pire que de la mystification ; c’est en fait prendre le côté des forces qui représentent l’ennemi de classe du prolétariat chinois.
Au cours de certaines luttes, des migrants revendiquent le droit de former leur propre syndicat indépendant. C’était le cas par exemple en 2005 lorsque 12 000 travailleurs (en majorité des femmes) ont déclenché une série de grèves contre l’entreprise japonaise de produits électroniques Uniden. Il est important que les travailleurs chinois en lutte se battent pour des syndicats indépendants de la bureaucratie, mais cette lutte doit avoir pour principe directeur la défense de l’Etat ouvrier fondé par la Révolution de 1949. C’est d’autant plus important que des forces procapitalistes sont en train de manuvrer pour organiser des syndicats soi-disant « indépendants » au nom de la « démocratie » occidentale qui n’est rien d’autre que la domination des exploiteurs capitalistes derrière une façade parlementaire.
C’est dans cette direction contre-révolutionnaire que les impérialistes et leurs lieutenants ouvriers cherchent à canaliser les luttes légitimes des ouvriers chinois. Ils soutiennent entre autres le China Labour Bulletin (CLB) de Hongkong, qui a pour figure de proue un certain Han Dongfang ; ce dernier, se présentant comme défenseur des ouvriers chinois, anime une émission régulière sur Radio Free Asia, qui est financée par la CIA. Récemment, en référence au nouveau code du travail, le CLB a appelé à travailler à l’intérieur de la Fédération des syndicats de Chine. Le programme politique de Han Dongfang et de ses acolytes n’est pas au service des intérêts du prolétariat chinois, mais des forces qui veulent un retour à la domination et à l’exploitation impérialistes. On compare souvent le type de syndicat qu’ils veulent construire à Solidarność en Pologne ; dans les années 1980, ce soi-disant « syndicat libre », soutenu par Washington et le Vatican, avait servi de fer de lance à la contre-révolution capitaliste dans le bloc soviétique. Une fois au pouvoir en 1989, le gouvernement Solidarność a présidé à la restauration d’une exploitation capitaliste débridée. Il a détruit les moyens de subsistance et le niveau de vie de la classe ouvrière, notamment des travailleuses, et il a attaqué de front les droits des femmes, avec notamment l’interdiction quasi-totale de l’avortement.
Diverses organisations dans le monde fournissent une couverture « de gauche » à ces formations qui se battent ouvertement pour le retour au capitalisme. Ainsi en France, Lutte ouvrière (LO) a invité un porte-parole officiel du CLB, Cai Chongguo, à prendre la parole lors d’un meeting à sa Fête annuelle de 2007 en région parisienne. Des camarades de la Ligue communiste internationale y sont intervenus pour critiquer le fait que LO avait invité ce contre-révolutionnaire et le soutien que LO avait apporté à Solidarność et autres forces pro-impérialistes en URSS et en Europe de l’Est.
Le Comité pour une internationale ouvrière (CIO) de Peter Taaffe, basé en Grande-Bretagne, se gêne encore moins dans son journal en ligne China Worker. Il appelle à une « alternative socialiste démocratique » au régime du PCC. Pour comprendre ce que cela veut dire en pratique, il suffit de voir la participation du CIO à un rassemblement « pour la démocratie » le 4 juin 2008 à Hongkong (soi-disant pour commémorer le massacre de Tiananmen en 1989), qui était organisé par des groupes qui prônent ouvertement le retour au capitalisme. China Worker du 6 juin 2008 la qualifie d’« excellente mobilisation » et cite sans aucun commentaire critique un discours du groupe qui l’organisait, l’Alliance de Hongkong pour le soutien aux mouvements patriotiques et démocratiques en Chine, dont l’un des « objectifs opérationnels » est une « Chine démocratique ».
Les organisations du CIO, en Grande-Bretagne et dans d’autres pays impérialistes, se comportent comme de parfaits sociaux-démocrates qui sèment des illusions dans le parlementarisme bourgeois, c’est-à-dire en fait la dictature des exploiteurs sous le couvert de la « démocratie ». Si l’on transpose cela au niveau des Etats ouvriers, cela devient un programme pour la contre-révolution, comme on l’a vu lorsque les taaffistes ont soutenu le « syndicat » Solidarność en Pologne en 1981. En 1991, ils étaient sur les barricades de Boris Eltsine au moment où celui-ci ouvrait les vannes de la contre-révolution capitaliste en Union soviétique. Depuis la Révolution bolchévique de 1917, les sociaux-démocrates condamnent les Etats ouvriers au nom de la « démocratie ». Le social-démocrate allemand « de gauche » Karl Kautsky, l’aïeul idéologique du CIO, fulminait contre la dictature du prolétariat et propageait des illusions sur la « démocratie pure ». Pour les marxistes, la question qui se pose toujours c’est : démocratie pour quelle classe ? Comme le soulignait Lénine, la lutte pour libérer la classe ouvrière est une lutte pour « la nouvelle démocratie [
] la démocratie prolétarienne, qui doit être substituée à la démocratie bourgeoise et au parlementarisme » (Lénine, « Résolution sur les thèses relatives à la démocratie bourgeoise et à la dictature du prolétariat », mars 1919).
Taaffe prétend que « les tâches auxquelles sont confrontés aujourd’hui les ouvriers chinois confirment de manière nouvelle et originale la théorie de la révolution permanente de Trotsky », et il appelle à « lier la lutte pour les droits démocratiques à la lutte pour le socialisme » (« La Chine à un tournant », China Worker en ligne, 24 mai 2007 [traduit par nos soins]). Quelle falsification grossière de la théorie de Trotsky ! Taaffe affuble la révolution permanente d’un habillage capitaliste « démocratique », l’applique à un Etat ouvrier pour ensuite la transformer en appel à la contre-révolution « démocratique » ! La lutte pour une direction léniniste-trotskyste authentique et pour la révolution politique prolétarienne en Chine se base d’abord et avant tout sur la défense militaire inconditionnelle de l’Etat ouvrier contre les forces de la contre-révolution.
Pour une direction révolutionnaire prolétarienne
La bureaucratie chinoise, pour se concilier l’impérialisme mondial, part de fausses prémisses : elle prétend que si elle peut « neutraliser » les risques d’intervention militaire grâce à une politique de « coexistence pacifique », elle pourra devenir une superpuissance et effectivement construire le « socialisme dans un seul pays ». Mais les impérialistes ont un arsenal qui ne se limite pas à la force armée : ils cherchent notamment à affaiblir le contrôle du gouvernement chinois sur les banques et sur les mouvements de devises. Etant donné l’énorme excédent de la balance commerciale chinoise, il y a de fortes pressions dans les milieux dirigeants aux Etats-Unis et dans certains pays européens en faveur d’une politique protectionniste vis-à-vis de la Chine. Aux Etats-Unis, le Parti démocrate prône cette politique. En Chine, la crise économique mondiale actuelle pourrait aussi déclencher de sérieuses luttes sociales.
Tôt ou tard, sans doute lorsque des éléments bourgeois à l’intérieur de la bureaucratie et dans sa périphérie décideront de se débarrasser du pouvoir politique du PCC, les tensions sociales grandissantes en Chine feront voler en éclats les structures politiques de la caste bureaucratique. Le jour où cela se produira, le destin de la Chine se jouera. Soit les ouvriers balayeront du pouvoir l’élite parasitaire par une révolution politique prolétarienne, en défendant et cherchant à étendre les acquis de la Révolution de 1949 pour faire de la Chine un bastion de la lutte pour le socialisme mondial, soit la contre-révolution capitaliste triomphera, ramenant avec elle les ravages de la domination impérialiste et de l’exploitation.
Le soulèvement de mai-juin 1989, dont le foyer était la place Tiananmen, a montré qu’une insurrection ouvrière en faveur du socialisme était possible. Des étudiants furent à l’initiative de manifestations, en opposition à la corruption et pour la libéralisation politique, auxquelles se joignirent des millions d’ouvriers à travers toute la Chine ; ces ouvriers se mobilisaient autour de leurs propres revendications contre les effets de plus en plus importants des mesures de marché en Chine, en particulier une importante hausse des prix. Ils lancèrent des assemblées ouvrières et montèrent des piquets volants motorisés, ce qui signalait la possibilité que se constituent de véritables conseils d’ouvriers, de paysans et de soldats.
L’entrée en lutte de la classe ouvrière terrifia les bureaucrates du PCC qui finalement déclenchèrent une répression sanglante. Mais la bureaucratie, y compris le corps des officiers, avait commencé à se scinder sous l’impact du soulèvement prolétarien. Confrontées à l’énorme popularité du mouvement parmi les masses travailleuses de Pékin, les premières unités de soldats déployées contre les manifestants refusèrent d’intervenir. Ce n’est qu’en mobilisant des troupes plus fidèles à Deng que l’on put procéder aux massacres de juin 1989, dont la cible principale était les ouvriers.
La LCI a abondamment couvert ces événements dans ses journaux, avançant les mots d’ordre : « Chassez la bureaucratie ! Pour le communisme de Lénine ! Des soviets d’ouvriers et de soldats au pouvoir ! » (voir « Soulèvement en Chine », Workers Vanguard no 478, 26 mai 1989, et « Chine : pour la révolution politique prolétarienne ! », le Bolchévik no 94, juin-juillet 1989). Une révolution politique prolétarienne en Chine aurait posé à brûle-pourpoint la question de défendre et d’étendre les acquis sociaux de l’Etat ouvrier en combattant la contre-révolution capitaliste. Ce qui manquait c’était une direction léniniste-trotskyste.
On a pu voir plus tard la même année le rôle que jouerait une telle direction révolutionnaire lors du soulèvement en République démocratique allemande (RDA), qui a été influencé par la lutte héroïque des ouvriers et des étudiants chinois. Lorsque la population est-allemande s’est soulevée contre les privilèges et la mauvaise gestion de la bureaucratie, le régime stalinien a commencé à se désintégrer. Des manifestations allant jusqu’à un million de personnes se sont produites sous des mots d’ordre comme « Pour les idéaux communistes non aux privilèges ! » La LCI a entrepris la plus grande mobilisation de son histoire, nos camarades luttant pour que des comités d’ouvriers et de soldats se forment et prennent le pouvoir. La force de notre programme trotskyste a été mise en évidence avec la manifestation de 250 000 personnes le 3 janvier 1990 à Berlin-Est. C’était une manifestation contre la profanation par des fascistes d’un monument dans le parc de Treptow honorant la mémoire des soldats soviétiques, et pour la défense de l’URSS et de la RDA. C’est nous qui avions lancé l’appel à cette mobilisation avant qu’il ne soit repris par le parti stalinien au pouvoir qui, effrayé par l’écho que notre programme avait parmi les ouvriers de Berlin-Est, se sentait obligé de mobiliser sa base. Treptow a été un tournant : confrontée à la possibilité croissante d’une résistance ouvrière à la contre-révolution, la bureaucratie soviétique de Mikhaïl Gorbatchev s’est empressée de donner le feu vert à la réunification capitaliste, et le régime stalinien de la RDA lui a emboîté le pas.
Notre combat pour la révolution politique prolétarienne en RDA, conjuguée à la révolution socialiste en Allemagne de l’Ouest donc pour la réunification révolutionnaire de l’Allemagne , allait directement à l’encontre du bradage de la RDA à l’impérialisme ouest-allemand. Le document de notre conférence internationale de 1992 a décrit ainsi la situation : « Comme l’a montré par la suite Treptow, nous étions dès le début en lutte avec le régime stalinien démissionnaire sur la question de l’avenir de la RDA. [
] Il y eut en fait un affrontement, marqué toutefois par la disproportion des forces, entre le programme de la révolution politique de la LCI et le programme stalinien de capitulation et de contre-révolution » (« Pour le communisme de Lénine et Trotsky ! », Spartacist édition française no 27, été 1993). Mais nous n’avons eu ni le temps ni assez de forces pour nous enraciner dans la classe ouvrière autant que nécessaire. Nous avons perdu, mais notre intervention a montré que, lorsqu’une série d’événements dans un Etat ouvrier bureaucratiquement déformé engendre finalement un soulèvement et crée des fissures dans le pouvoir de la bureaucratie, il est possible même pour une petite organisation léniniste-trotskyste munie d’un programme révolutionnaire internationaliste d’avoir un impact de masse.
La lutte pour la libération des femmes doit être un élément central du combat pour la révolution politique prolétarienne en Chine. Un gouvernement ouvrier et paysan révolutionnaire procéderait à l’expropriation de la classe nouvelle d’entrepreneurs capitalistes chinois ; il renégocierait dans l’intérêt des travailleurs les termes des investissements étrangers, en insistant par exemple pour que les salaires, les avantages sociaux et les conditions de travail des femmes et de tous les ouvriers soient au moins aussi favorables que dans le secteur d’Etat. Il mettrait fin à l’arbitraire et à la corruption bureaucratiques. Il établirait une économie centralisée et planifiée régie par la démocratie ouvrière, et prendrait les mesures nécessaires afin d’éliminer le chômage touchant particulièrement durement les travailleuses, ainsi que pour fournir un niveau élémentaire de sécurité économique à l’ensemble de la population. Il demeurerait cependant toujours conscient que seul le renversement de l’impérialisme dans le monde entier pourra assurer la prospérité à tous les travailleurs chinois.
Pour forger un parti léniniste-trotskyste en Chine, il faut faire revivre le marxisme internationaliste libérateur qui inspirait Chen Duxiu et les autres fondateurs du Parti communiste chinois. Ceux-ci avaient pour motivation première le combat mondial pour la révolution socialiste. S’inscrivant en faux contre la glorification stalinienne de la famille, les trotskystes comprennent que l’émancipation complète de la femme ne se fera qu’avec l’avènement d’une société communiste mondiale marquant l’élimination une fois pour toutes de la pénurie matérielle. Les femmes prendront alors pleinement part à l’émancipation à un niveau inconcevable jusque-là du potentiel humain et à une avancée monumentale de la civilisation. Comme le notaient Marx et Engels il y a plus de 160 ans : « La “libération” est un fait historique et non un fait intellectuel, et elle est provoquée par des conditions historiques, par le [progrès] de l’industrie, du com[merce] [de l’agri]culture » (l’Idéologie allemande, 1846).
Une révolution politique prolétarienne en Chine, brandissant le drapeau de l’internationalisme socialiste, ébranlerait le monde. Elle aurait entre autres un fort impact sur le territoire capitaliste de Taïwan. Elle mettrait fin au climat idéologique de la soi-disant « mort du communisme », que les impérialistes propagent depuis la chute de l’URSS. Elle radicaliserait la classe ouvrière du Japon, qui est aujourd’hui le bastion industriel de l’Asie et qui cherche à en être le maître impérialiste sans partage. Elle serait l’étincelle de la lutte pour la réunification révolutionnaire de la Corée par la révolution politique dans l’Etat ouvrier déformé du Nord et la révolution socialiste dans le Sud capitaliste. Il y aurait des réverbérations parmi les masses du sous-continent indien, d’Indonésie, des Philippines, d’Australie et plus loin encore, y compris en Afrique australe et dans les forteresses impérialistes d’Amérique du Nord et d’Europe de l’Ouest. Cela déclencherait à nouveau la lutte pour la révolution socialiste dans l’ex-Union soviétique et en Europe de l’Est, où les ravages de la contre-révolution ont engendré ruine, maladie et barbarie, causant une chute dramatique de l’espérance de vie. C’est pour donner une direction à toutes ces luttes que la LCI combat pour reforger la Quatrième Internationale de Trotsky, parti mondial de la révolution socialiste. Pour la libération des femmes par la révolution socialiste internationale !
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