Documents in: Bahasa Indonesia Deutsch Español Français Italiano Japanese Polski Português Russian Chinese Tagalog
International Communist League
Home Spartacist, theoretical and documentary repository of the ICL, incorporating Women & Revolution Workers Vanguard, biweekly organ of the Spartacist League/U.S. Periodicals and directory of the sections of the ICL ICL Declaration of Principles in multiple languages Other literature of the ICL ICL events

Abonnez-vous au Bolchévik, journal de la Ligue trotskyste de France

Archives

Version imprimable de cet article

Le Bolchévik nº 226

Décembre 2018

A bas l’UE !

Le Brexit et la lutte pour une Europe socialiste

L’article ci-dessous, traduit de Workers Hammer (n° 243, automne 2018), est la transcription revue pour publication de l’exposé qu’a fait Kate Klein le 26 avril dernier à Londres lors d’un meeting de nos camarades de la Spartacist League/Britain.

Les lamentations pleuvent sur le Brexit dans la presse et les réseaux sociaux, mais il est frappant de constater que personne ne parle de ce qu’est vraiment l’Union européenne (UE). On la dépeint souvent comme une sorte de paradis où fleurissent les échanges culturels et où les immigrés sont les bienvenus, et comme une force de paix. Une réalité politique vraie comme Disneyland.

Ceux qui sont pour l’UE présentent le Brexit comme tout simplement une décision xénophobe et un désastre économique. En fait, nous sommes contre l’UE parce que c’est un cartel raciste et anti-ouvrier créé par et pour les impérialistes d’Europe. L’UE n’est pas là comme « force de paix », ni pour « supprimer les frontières », mais pour renforcer la domination économique des principales puissances, essentiellement l’Allemagne et la France, et aussi la Grande-Bretagne. L’UE pressure les pays plus petits et plus faibles, engraisse les banques et étrangle les syndicats.

La Spartacist League/Britain et les autres sections de la Ligue communiste internationale ont salué le vote pour le Brexit. Nous avons publié une déclaration le lendemain du référendum de 2016 où nous écrivions qu’il s’agissait là d’une défaite cuisante pour les banquiers et les patrons d’Europe et de Wall Street, et que ce vote exprimait « l’hostilité des opprimés et des dépossédés non seulement envers l’UE mais aussi envers l’arrogant establishment britannique au pouvoir, qui a plongé dans l’indigence des pans entiers du prolétariat en dévastant les services sociaux et l’industrie » (« Brexit : un camouflet pour les banquiers et patrons d’Europe ! », déclaration du comité central de la Spartacist League/Britain, supplément au Bolchévik n° 216, juin 2016).

Depuis, nous faisons souvent remarquer que Jeremy Corbyn, qui est écouté par des millions de travailleurs et de jeunes partout dans le pays, aurait pu montrer l’exemple à ceux qui s’opposent à ces rapaces de l’UE tout en rejetant le vil chauvinisme raciste de l’UKIP contre les immigrés. Il aurait pu le faire – c’était sa position dans le passé – mais il ne l’a pas fait. Au lieu de cela, Corbyn a laissé à l’UKIP et ses semblables le flambeau du Brexit et il a fait campagne pour rester dans l’UE, la main dans la main avec les blairistes, la City de Londres et l’establishment bourgeois. Notre pancarte « Honte à Jeremy Corbyn pour son soutien à l’UE » provoque toujours des réactions contrastées d’approbation et d’hostilité dans les manifestations et lorsque nous vendons le journal.

Ces derniers mois, Corbyn explique que le Parti travailliste est pour que la Grande-Bretagne reste dans le marché unique pendant une période de transition, et dans une union douanière permanente ensuite, ce qui reviendrait pratiquement à vider le Brexit de son contenu. Corbyn envoie un message à la classe capitaliste : il est clair que le Parti conservateur est divisé et incohérent, mais sous ma direction on pourra compter sur le Parti travailliste pour protéger vos intérêts. D’où le titre de première page du n° 241 de Workers Hammer : « Corbyn met du rouge à lèvre au porc de l’UE ».

Si Jeremy Corbyn est tellement populaire depuis qu’il a pris la direction du Parti travailliste, c’est en partie parce qu’il reconnaît que la classe ouvrière en prend plein la figure et que les infrastructures sont privées de financements et pillées par les capitalistes. L’ironie de l’histoire, c’est que son soutien à l’UE est en contradiction avec sa vision de ce qu’il faut faire pour reconstruire les infrastructures britanniques. L’UE, c’est la « concurrence du marché », qui exige les privatisations. Par exemple, la renationalisation des chemins de fer, de l’électricité, de l’eau, etc., dont parle Corbyn serait contraire aux règles de l’UE. L’UE rend obligatoires les appels d’offre pour les services publics, ce qui sape la capacité des syndicats à défendre les conditions de travail et la sécurité et fait pression à la baisse sur les salaires.

L’UE étrangle la Grèce…

L’euro est un instrument des puissances qui dominent l’UE, et en premier lieu des capitalistes allemands, pour imposer leurs volontés aux Etats plus faibles comme la Grèce, l’Irlande ou le Portugal. Ces puissances cherchent à améliorer leur compétitivité contre leurs rivaux impérialistes des Etats-Unis et du Japon. L’euro et l’UE, cela montre que les chars et les missiles ne sont pas les seuls instruments de conquête et d’asservissement dont dispose l’impérialisme. C’est on ne peut plus clair avec la Grèce, où une série de soi-disant « plans de sauvetage » imposés par la Commission européenne, le Fonds monétaire international et la Banque centrale européenne (la « troïka ») s’accompagnent de conditions revenant à placer le pays sous la tutelle des banques allemandes. Les créanciers de la Grèce ont exigé une réorganisation de la justice et de l’administration et ils dictent la politique économique, sociale et salariale. Résultat : des années d’austérité draconienne, un chômage de masse, une population qui n’a plus assez d’argent pour se nourrir ni pour se faire soigner. Le taux de chômage des jeunes était de 43 % en 2017. Et avec 60 000 réfugiés enfermés dans des camps sordides par le gouvernement du parti Syriza, les immigrés servent de bouc émissaire. Dans cette atmosphère de crise économique et de désespoir, les fascistes d’Aube dorée gagnent du terrain. Nous disons : Annulation de la dette grecque ! Grèce, hors de l’euro et de l’UE !

En juillet 2015, les Grecs ont voté contre de nouvelles mesures d’austérité dictées par l’UE, lors d’un référendum appelé par le gouvernement Syriza. Mais Syriza les a poignardés dans le dos en acceptant quand même les nouveaux diktats de famine de l’UE. Nos camarades du Groupe trotskyste de Grèce (TOE) ont alors publié un appel à construire des comités d’action ouvriers pour refuser la capitulation de Syriza devant l’UE en luttant pour sortir de l’euro et de l’UE, et pour des revendications répondant aux besoins urgents des opprimés. Dans ce texte, « Ça suffit ! » (reproduit dans le Bolchévik n° 213, septembre 2015), le TOE appelait à des groupes ouvriers d’autodéfense pour écraser la menace fasciste d’Aube dorée et pour défendre les immigrés contre les attaques racistes. Nous voulions que la classe ouvrière prenne conscience de sa puissance sociale et nous appelions à une lutte de classe commune des travailleurs de Grèce, d’Allemagne et des autres pays d’Europe contre les impérialistes de l’UE.

Non seulement l’UE opprime des pays comme la Grèce, elle s’oppose farouchement à l’autodétermination des nations opprimées à l’intérieur de ses Etats-membres. Pour les Catalans et les Basques, tout comme d’ailleurs pour les Ecossais si ceux-ci choisissaient l’indépendance, l’UE est un ennemi. On en a eu une démonstration spectaculaire en mars 2018 quand Carles Puigdemont, le président catalan en exil, a été arrêté en Allemagne en vertu d’un mandat d’arrêt européen lancé par l’Espagne. Celle-ci réclamait son extradition et celle de plusieurs autres responsables catalans en exil, dont Clara Ponsatí qui a été arrêtée en Ecosse (elle enseigne à l’université de Saint Andrews). Ces responsables catalans sont passibles de longues peines de prison s’ils sont jugés et condamnés en Espagne pour le « crime » dont les accusent le gouvernement espagnol et l’UE – avoir organisé le référendum sur l’indépendance de 2017. [Le gouvernement espagnol a levé en juillet les mandats d’extradition visant Ponsatí et Puigdemont, mais tous deux risquent toujours l’arrestation s’ils rentrent en Espagne.] Nous sommes sans ambiguïté pour l’indépendance de la Catalogne et du Pays basque, au Nord et au Sud de la frontière franco-espagnole.

Nous avons salué le Brexit parce qu’il déstabilisera l’UE. Par exemple, en la privant d’un centre financier majeur – la City de Londres. Cette déstabilisation est une bonne chose pour la classe ouvrière dans toute l’Europe, et nous nous réjouirions de l’éclatement de ce cartel impérialiste. Bien sûr, après le Brexit ou un éventuel Grexit ou Italexit, la classe ouvrière aura toujours face à elle son ennemie, à savoir sa propre bourgeoisie. Mais l’affaiblissement de l’UE placera les travailleurs en meilleure position pour lutter.

… et opprime les travailleurs allemands

Il est instructif de regarder la condition de la classe ouvrière en Allemagne. Contrairement aux racontars sur la situation enviable des travailleurs dans l’économie la plus puissante de l’UE, il y a en Allemagne un énorme secteur de bas salaires. La politique de l’UE a appauvri les travailleurs. L’emploi précaire – en intérim ou contrat de travail au rabais – est très répandu. Les travailleurs allemands ont souvent besoin des aides sociales pour compléter leur maigre salaire. Et ces aides sociales sont souvent supprimées pour les motifs les plus futiles. Les retraités doivent accepter des emplois à temps partiel pour survivre, et les bénéficiaires des aides sociales se font traiter de « parasites ». Tout ceci est monnaie courante en Grande-Bretagne, mais c’est aussi le cas en Allemagne, le cœur industriel de l’Europe.

Cet état de choses remonte en bonne partie à l’époque du gouvernement SPD de Gerhard Schröder, un contemporain des gouvernements Blair ici. Tous les deux avaient cosigné en 1999 le manifeste « Europe : la troisième voie », où figurait l’engagement de « transformer le filet de sécurité des acquis sociaux en un tremplin vers la responsabilité individuelle », autrement dit d’en finir avec l’Etat-providence. En 2005, Schröder a fait passer les réformes « Hartz IV », qui ont fait augmenter de 25 % le nombre de travailleurs allemands ayant un salaire insuffisant pour vivre – plus de trois millions de personnes.

Un projet impérialiste dès le début

L’UE et son prédécesseur, le Marché commun, étaient dès le début des projets impérialistes. Après la Deuxième Guerre mondiale, les Etats-Unis, qui étaient devenus au sortir de la guerre la puissance impérialiste dominante dans le monde, avaient pour principale préoccupation politique de consolider l’unité européenne contre l’Etat ouvrier dégénéré soviétique. L’Union soviétique avait vaincu le fléau nazi, et dans toute l’Europe son prestige était immense parmi les travailleurs.

Mais il y avait aussi la détermination de la France à empêcher le retour de la domination allemande en Europe. Washington était obligé d’en tenir compte, et c’était dans une certaine mesure en contradiction avec la volonté américaine de faire de l’Allemagne de l’Ouest un rempart contre l’Union soviétique. Nous écrivions à l’époque du référendum britannique de 1975 sur l’adhésion au Marché commun : « Pour qu’il y ait stabilité en Europe de l’Ouest, il fallait que la bourgeoisie française ait un certain contrôle sur l’industrie allemande et reçoive une part de la richesse allemande » (« La Grande-Bretagne et le Marché commun », Workers Vanguard n° 71, 20 juin 1975).

C’est de ce panier de crabes qu’est sortie la Communauté européenne du charbon et de l’acier, créée en 1951. Cet accord donnait à la France un droit de regard sur la production de charbon et d’acier dans la Ruhr qui, comme le reste de l’Allemagne de l’Ouest, était alors occupée par les puissances alliées. (Quand vous contrôlez le charbon et l’acier, vous contrôlez l’économie, du moins à cette époque.) C’était l’embryon de ce qui allait devenir l’UE.

En 1957, cette tentative d’unité européenne donna naissance au traité de Rome, qui instaurait la Communauté économique européenne (CEE) ou Marché commun. Le traité était signé initialement par l’Allemagne, la France et quatre autres pays, mais pas la Grande-Bretagne. Il prévoyait notamment des subventions massives pour l’agriculture française (la Politique agricole commune) pour amadouer la clientèle électorale rurale des partis de droite. Le Marché commun était conçu comme l’appendice économique de l’OTAN dominée par les Etats-Unis. Mais alors que la bourgeoisie britannique était divisée sur la question du Marché commun, et que la Grande-Bretagne mit du temps à y adhérer, elle n’avait aucune hésitation au sujet de l’OTAN. Ernest Bevin, ministre des Affaires étrangères du gouvernement travailliste de 1945 à 1951, fut l’un de ses architectes et fondateurs. Le premier secrétaire général de l’OTAN, Lord Ismay, décrivait ainsi sa raison d’être : « Garder les Russes dehors, les Américains dedans et les Allemands en bas. »

Le travailliste Harold Wilson devint Premier Ministre en 1964. Il avait une réputation « de gauche », imméritée, pour avoir été lié à Aneurin « Nye » Bevan dans les années 1950. Wilson était déterminé à faire entrer la Grande-Bretagne dans le Marché commun mais, une fois écarté du pouvoir, il se déclara opposé à l’adhésion sur la base du protectionnisme, en s’alignant sur la position de la bureaucratie syndicale. Wilson, qui était alors dans l’opposition, se prononça contre l’adhésion en 1962, mais la défendit en 1967 une fois revenu au gouvernement. Par la suite, il dénonça le gouvernement conservateur de Ted Heath pour avoir fait entrer la Grande-Bretagne dans le Marché commun. Quand la Grande-Bretagne rejoignit le Marché commun en 1973, nous écrivîmes que « l’“opposition” de Wilson à l’adhésion au Marché commun vise uniquement à restaurer la popularité que le Parti travailliste britannique a perdue quand il était au gouvernement et à empêcher que la campagne contre le Marché commun soit dominée par la gauche travailliste et les “rouges” » (« Le Parti travailliste et le Marché commun », Workers Vanguard n° 15, janvier 1973).

Le cabinet Wilson comptait dans ses rangs Tony Benn, un opposant de toujours au Marché commun. Benn représentait la quintessence de la gauche travailliste, l’incarnation du mythe du « socialisme parlementaire ». Loyal envers l’impérialisme britannique, il était contre tout ce qui pourrait menacer le caractère sacré de la « mère des parlements ». Pendant la campagne du référendum de 1975 sur l’adhésion au Marché commun, il écrivit une lettre à ses électeurs où il expliquait ses objections au Marché commun. Il y déclarait que rester dans le Marché commun supprimerait progressivement « le pouvoir de se gouverner soi-même dont le peuple britannique jouissait autrefois », et que le Parlement « nous a protégés, ici en Grande-Bretagne, des pires excès de pouvoir du gouvernement […] [et] a défendu nos libertés fondamentales » – une véritable ode à la démocratie parlementaire bourgeoise. En fait, comme l’explique Lénine dans l’Etat et la révolution, la démocratie bourgeoise est toujours « une démocratie pour la minorité, uniquement pour les classes possédantes, uniquement pour les riches ».

Il est important de se rappeler que si Benn était en désaccord avec l’aile droite ouvertement pro-OTAN et liée à la CIA du Parti travailliste, il n’était pas explicitement contre l’OTAN. Il était d’accord avec les travaillistes de droite que l’Union soviétique était l’ennemie de la « démocratie », mais il voulait une relation moins servile avec les Etats-Unis. Le jeune Jeremy Corbyn était le protégé de Benn au Parlement.

La Grande-Bretagne était sortie de la Deuxième Guerre mondiale victorieuse mais économiquement lessivée. Elle était lourdement endettée, son industrie était délabrée et elle était en train de perdre son empire. Elle était désormais réduite au statut de partenaire subalterne de l’impérialisme américain, ce qu’elle est toujours aujourd’hui. La City de Londres joue les seconds couteaux à côté de Wall Street, et les forces armées britanniques ont participé à pratiquement toutes les opérations militaires américaines, depuis la Corée en 1950 jusqu’aux récentes guerres en Afghanistan, en Irak et en Syrie. Au sein de l’UE, la Grande-Bretagne sert depuis longtemps d’agent pour les intérêts américains, et c’est pourquoi les impérialistes américains étaient furieux que [le précédent Premier Ministre britannique] David Cameron se lance dans un coup de poker irréfléchi sur l’UE en organisant le référendum sur le Brexit. On a pu le voir pendant la campagne du référendum : Barack Obama, qui était alors président, a désespérément « tendu la main » aux électeurs britanniques pour essayer (sans succès) d’empêcher l’impensable.

L’UE dans le monde postsoviétique

La contre-révolution capitaliste de 1991-1992 en Union soviétique a été une défaite historique pour la classe ouvrière mondiale. L’Etat ouvrier soviétique, issu de la première et à ce jour unique révolution prolétarienne et socialiste, a été détruit après des décennies de pressions impérialistes extérieures et de trahisons staliniennes à l’intérieur. Nous, trotskystes, avons défendu jusqu’au bout l’Etat ouvrier soviétique, en même temps que nous luttions pour une révolution politique prolétarienne pour chasser la bureaucratie stalinienne qui minait les acquis de la révolution d’Octobre.

C’est pour cette même perspective que nous nous sommes battus en RDA (Allemagne de l’Est) en 1989-1990. Mais là-bas une révolution politique naissante fut engloutie par les forces de la restauration capitaliste, et les capitalistes ouest-allemands annexèrent l’Etat ouvrier déformé est-allemand. Cette défaite fut un sinistre prélude à la destruction de l’Union soviétique et elle a jeté les bases de la résurgence de l’impérialisme allemand. Quand nous nous sommes prononcés en 1992 contre le traité de Maastricht qui fondait l’Union européenne, nous avons noté ce que cela signifiait : « L’Allemagne de l’Ouest, autrefois alliée de guerre froide de l’impérialisme américain, s’est transformée en un Quatrième Reich agressif cherchant à devenir le maître de l’Europe » (« Les banquiers du Quatrième Reich provoquent… l’euro-chaos », Workers Vanguard n° 560, 2 octobre 1992).

L’impérialisme français soutint l’unification allemande à condition que l’Allemagne accepte une monnaie commune européenne, dont Paris pensait qu’elle permettrait de brider le deutsche mark. Ce qui devait devenir l’euro fut donc inclus dans le traité de Maastricht. Quel mauvais calcul des impérialistes français ! L’euro n’a pas affaibli l’impérialisme allemand, il l’a renforcé, y compris contre la France elle-même.

Les impérialistes ont entrepris de briser toute opposition sérieuse des syndicats à leur club capitaliste. Ils avaient besoin pour cela de quelqu’un de convaincant, et c’est depuis longtemps le rôle que joue la social-démocratie. Les sociaux-démocrates, y compris les dirigeants du Parti travailliste, du SPD allemand et du Parti socialiste français, sont d’utiles auxiliaires des impérialistes pour maintenir la classe ouvrière européenne sous le joug capitaliste.

L’escroquerie de l’Europe sociale

En 1988, le socialiste français Jacques Delors, qui était alors le président de la Commission européenne, a fait un discours devant les bureaucrates de la confédération syndicale britannique, le TUC. Ce sont des gens qui méritent bien d’être qualifiés de « lieutenants ouvriers du capital » : des agents de l’ennemi de classe au sein du mouvement ouvrier, qui enchaînent les travailleurs à leurs exploiteurs. Delors, tel un vendeur de voitures d’occasion sans scrupules, fit un tas de promesses fumeuses. Il promit que le marché européen intégré permettrait le développement des régions défavorisées, de lutter contre le chômage et de créer des emplois.

Les bureaucrates syndicaux appelaient de leurs vœux un gouvernement travailliste sur lequel ils pourraient faire pression pour obtenir quelques miettes, parce que Margaret Thatcher ne leur en donnerait aucune. Delors présenta l’UE comme un contrepoids aux attaques thatchériennes contre les syndicats. Parmi les traîtres à leur classe rassemblés pour écouter Delors figurait Ron Todd, le secrétaire général du Transport and General Workers Union (TGWU). Pendant l’héroïque grève des mineurs de 1984-1985, Todd avait à deux reprises fait reprendre le travail aux dockers qui s’étaient mis en grève aux côtés des mineurs. Convaincu par le discours de Delors, Todd déclara : « A court terme, nous n’avons pas la moindre chance à Westminster [le siège du Parlement]. Notre seule carte en ce moment, elle est dans une ville qui s’appelle Bruxelles. »

Comme on peut le constater avec l’usage qu’en fait Corbyn, on brandit le miroir aux alouettes de « l’Europe sociale » quand l’enthousiasme pour l’UE faiblit. Brian Denny, qui écrit dans le Morning Star et partage l’hostilité du Parti communiste à l’UE d’un point de vue protectionniste, a raconté comment Keith Richardson, un membre de la Table ronde des industriels européens, a contribué à convaincre des syndicalistes hésitants. Ce personnage expliquait pourquoi il acceptait d’inclure la « Charte sociale européenne » de Delors à l’Acte unique européen de 1987 : « Si les politiciens pensent qu’il est important d’avoir le chapitre qui explique que le plein emploi est souhaitable, et s’ils pensent que ce sera utile pour l’opinion publique, nous n’avons rien à y redire – à condition bien sûr que cela reste du domaine des souhaits » (« L’étrange mort de l’Europe sociale », tuaeu.co.uk).

Ennemie des travailleurs et des immigrés

Donc que signifie réellement l’UE aujourd’hui pour les syndicats et les luttes ouvrières ? Les défenseurs de l’« Europe sociale » vous diront que l’UE protège ou peut protéger les droits des travailleurs. Mais regardez les dockers espagnols, un secteur hautement stratégique du prolétariat. Il y a quelques années, la Cour de justice européenne a déclaré que les ports espagnols où les dockers étaient syndiqués violaient les règles européennes sur la « libre entreprise ». L’objectif de l’UE est d’en finir avec les syndicats dans les ports. Les dockers s’y sont opposés par la grève. Et regardez la récente grève des cheminots en France. Ils s’opposaient aux décrets du président Emmanuel Macron préparant la privatisation des chemins de fer conformément aux directives de l’UE, un premier pas qui prépare des attaques contre le statut de tous les travailleurs du secteur public.

J’ai lu plusieurs articles extrêmement ennuyeux sur les affaires jugées par la Cour de justice européenne, et l’essence de beaucoup de ces jugements se résume à ceci : le premier des droits est celui des capitalistes de faire des profits ; si un syndicat « interfère » avec ce droit en faisant grève ou en réclamant des droits garantis par des conventions collectives, il peut se faire accuser d’avoir enfreint la loi. Mais les bureaucrates syndicaux continuent à raconter des bobards sur de prétendus acquis syndicaux sous l’égide de l’UE. Par exemple, le TUC s’est extasié devant la « Directive sur le travail intérimaire » de l’UE, qu’il a présentée comme une avancée majeure. Cette directive était censée garantir aux millions de travailleurs (plus d’un million en Grande-Bretagne) employés par des agences d’intérim et autres intermédiaires – des parasites purs et simples – le même salaire et les mêmes conditions de travail que les salariés en CDI qui effectuent le même travail. C’est de la blague : les patrons ont une clause exonératoire, la « dérogation suédoise », qui leur permet sous certaines conditions de payer moins cher leurs salariés ! L’UE a pour raison d’être d’imposer la « flexibilité du marché du travail » : précarité, privatisations, contrats de travail à zéro heure, gel des salaires, coupes claires dans les retraites et les prestations sociales.

Quand on regarde la réaction des soi-disant dirigeants des syndicats, il est clair que la classe ouvrière a besoin d’une direction lutte de classe. Forger une telle direction doit être lié à la lutte pour un parti ouvrier révolutionnaire multi-ethnique capable de mener la lutte pour en finir avec le système d’esclavage salarié capitaliste par une révolution socialiste.

Et concernant la « libre circulation » des personnes en Europe, le vrai principe directeur du cartel capitaliste qu’est l’UE, c’est la libre circulation du capital. Les bourgeoisies décident où investir leur capital et elles manipulent ensuite les mouvements de main-d’œuvre conformément à leurs besoins. Les travailleurs immigrés originaires des pays plus pauvres de l’UE, notamment d’Europe de l’Est, servent de réservoir de main-d’œuvre bon marché.

Et il n’y a pas de libre circulation pour vous si vous êtes un réfugié fuyant l’enfer créé par telle ou telle guerre des impérialistes américains et européens, quand vous essayez d’escalader les murs de la forteresse Europe. Il y a quelques années, alors que des milliers de réfugiés se noyaient en Méditerranée, quelle a été la réaction des puissances européennes ? La Grande-Bretagne, la France, l’Italie et l’Allemagne ont envoyé des navires de guerre au large des côtes libyennes pour empêcher les gens d’arriver jusqu’en Europe.

Les marxistes sont contre les expulsions et pour les pleins droits de citoyenneté pour tous ceux qui sont arrivés dans ce pays. Cette revendication démocratique est un élément clé de la lutte pour construire un parti ouvrier révolutionnaire qui sera un tribun de tous les opprimés. Notre programme, c’est la révolution prolétarienne internationale pour renverser l’ordre impérialiste qui force des millions de personnes à fuir leur pays natal dévasté.

Pour des Etats-Unis socialistes d’Europe !

Il y a plus de 100 ans, le dirigeant bolchévique Lénine écrivait :

« Du point de vue des conditions économiques de l’impérialisme, c’est-à-dire de l’exportation des capitaux et du partage du monde par les puissances coloniales “avancées” et “civilisées”, les Etats-Unis d’Europe sont, en régime capitaliste, ou bien impossibles, ou bien réactionnaires. […]

« Certes, des ententes provisoires sont possibles entre capitalistes et entre puissances. En ce sens, les Etats-Unis d’Europe sont également possibles, comme une entente des capitalistes européens… dans quel but ? Dans le seul but d’étouffer en commun le socialisme en Europe, de protéger en commun les colonies accaparées contre le Japon et l’Amérique. »

– « A propos du mot d’ordre des Etats-Unis d’Europe » (août 1915)

C’est une bonne description de l’UE. Aujourd’hui la bourgeoisie et ses laquais sociaux-démocrates présentent l’UE comme une garantie de « paix ». Mais c’est un mensonge éhonté, même s’il n’est pas nouveau. La brochure de Lénine l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme (1916) était une polémique contre le social-démocrate Karl Kautsky. Lénine y ridiculisait la théorie de Kautsky qui, comme disait Lénine, faisait croire « que l’impérialisme n’était pas si mauvais, qu’il était proche de l’inter- (ou de l’ultra-) impérialisme, susceptible d’assurer une paix permanente ». Lénine, démontant ces arguments, montrait que l’impérialisme n’est pas une politique adoptée par la classe capitaliste mais le stade suprême du capitalisme, où le monopole prédomine et où le capital industriel se fond dans le capital financier. Ceci signifie inévitablement des guerres entre puissances impérialistes concurrentes en lutte pour repartager les ressources et les sphères d’influence.

L’Etat-nation est depuis longtemps devenu un obstacle au développement des forces productives. Mais cet obstacle ne peut pas être surmonté par une combinaison d’Etats capitalistes, dont chacun compte sur sa propre puissance militaire pour défendre ses intérêts. La base même du capitalisme, c’est la concurrence entre bourgeoisies nationales pour exploiter au maximum la classe ouvrière, chez elles et à l’étranger. Le gros poisson domine les petits. C’est cela l’UE.

La conclusion marxiste, c’est que la classe ouvrière doit prendre le pouvoir, remplacer l’Etat capitaliste par un Etat ouvrier et exproprier la bourgeoisie. L’instauration du pouvoir ouvrier au niveau international jettera les bases d’un ordre mondial socialiste.

Mais les mots ne coûtent pas cher. Donc il se peut que vous entendiez le mot d’ordre « Etats-Unis socialistes d’Europe » dans la bouche par exemple du Socialist Party [dont l’organisation-sœur en France est la Gauche révolutionnaire, mélenchoniste]. Mais ces gens placent leurs espoirs dans le Parti travailliste de Corbyn pour qu’il instaure le socialisme par des élections et des votes au Parlement. Quand Corbyn a fait son grand discours en février 2018 pour rester dans le marché unique et l’union douanière, le Socialist Party n’y a rien trouvé à redire, alors même que sur le papier ils sont contre l’UE et le marché unique et qu’ils soutiennent le Brexit. Comme je le disais, les mots ne coûtent pas cher.

Si le Socialist Party s’oppose à l’UE, c’est comme pour Tony Benn : du point de vue du nationalisme de la « petite Angleterre ». Cela vaut également pour le Parti communiste, les Syndicalistes contre l’UE et Bob Crow, le secrétaire général du syndicat RMT (Rail, maritime et transports) aujourd’hui décédé. Une telle perspective mène nécessairement au chauvinisme anti-immigrés, comme avec les grèves réactionnaires à la raffinerie de Lindsey en 2009, qui avaient pour mot d’ordre « les emplois britanniques aux Britanniques ». Le comité de grève comptait dans ses rangs un membre du Socialist Party. Nous nous sommes opposés à ces grèves contre les ouvriers étrangers. Elles ne pouvaient que faire le jeu des patrons, qui exploitent les divisions qu’ils fomentent au sein de la classe ouvrière. A Lindsey, les travailleurs immigrés étaient employés conformément à la directive de l’UE sur les travailleurs détachés qui permet d’embaucher des immigrés avec des contrats de travail temporaires au rabais. Les syndicats doivent syndiquer les travailleurs immigrés et exiger qu’ils soient payés au tarif syndical et avec les mêmes protections.

Nous avons défendu Corbyn contre les attaques incessantes de la bourgeoisie et des blairistes au sein même de son parti. Nous rejetons comme sans fondement les calomnies qu’il encouragerait la haine des Juifs – c’est une chasse aux sorcières. Mais, disons-le clairement, la trahison de Corbyn sur l’UE est typique du travaillisme de gauche, de l’aile gauche de la social-démocratie : venir au secours de la bourgeoisie quand ça compte vraiment. Le travaillisme est depuis plus d’un siècle le principal obstacle à la formation d’un parti ouvrier révolutionnaire en Grande-Bretagne. Nous nous réclamons d’une tradition opposée, celle de Lénine. Nous luttons pour construire un parti d’avant-garde capable d’élever le niveau de conscience de la classe ouvrière pour qu’elle puisse mobiliser derrière elle tous les opprimés dans la lutte pour en finir avec le système de l’esclavage salarié capitaliste. La première étape, c’est de reconnaître qui sont les amis de la classe ouvrière et qui sont ses ennemis. Nous disons donc : A bas l’UE, et honte à ceux qui voudraient la défendre au nom des opprimés.

 

Le Bolchévik nº 226

Le Bolchévik nº 226

Décembre 2018

·

Pour un gouvernement ouvrier et paysan centré sur les Kanak !

Indépendance pour Kanaky !

·

A bas la campagne laïcarde antimusulmans – Levée des inculpations !

Halte à la vendetta contre Tariq Ramadan !

·

Corrections

·

Droits de douane et provocations militaires américaines

Impérialistes, bas les pattes devant la Chine !

·

Levée immédiate des poursuites contre les étudiants de Nanterre !

·

Pruderie d’« extrême gauche »

CCR du NPA : procureur spécial de la République antimusulmans

·

A bas l’UE !

Le Brexit et la lutte pour une Europe socialiste