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Le Bolchévik nº 223

Mars 2018

Pour l'indépendance de la Corse!

Provocations chauvines de Macron contre les Corses

Pour une république ouvrière !

Pour les Etats-Unis socialistes d’Europe !

En septembre dernier, nous écrivions à propos de la nomination par Macron d’un certain Eric Morvan comme nouveau chef de la police nationale : « La nomination d’Eric Morvan est une sinistre menace contre la lutte, que nous faisons nôtre, pour l’indépendance des peuples corse, basque et catalan face à l’Etat français » (« Les hommes du “président qui protège” – La main de fer dans un gant de soie blanc », le Bolchévik n° 221, septembre 2017). Morvan avait en effet été nommé en avril 1998 sous-préfet à Corti (Corte), deux mois après qu’avait été abattu le préfet Erignac. Morvan était allé par la suite sévir en tant que sous-préfet de Baiona (Bayonne).

Morvan s’est mis au travail sans tarder. Le FLNC-22 octobre déclarait récemment : « La jeunesse de notre pays a connu en une année plus de rafles que jamais dans toutes les années de lutte moderne. Plus de 150 interpellations avec pour seul but de ficher un maximum de militants. Comment imaginer que cette répression puisse être un gage de paix ? »

Macron accumule depuis provocation sur provocation, humiliation sur humiliation. Le ton a été donné par sa visite en Corse le 6 février, afin d’inaugurer une « Place Claude Erignac » à Aiacciu (Ajaccio) pour le vingtième anniversaire de son assassinat. Macron s’y est catégoriquement prononcé contre l’amnistie d’Yvan Colonna, accusé et condamné à perpétuité, sans l’ombre d’une preuve, pour le meurtre d’Erignac. Macron a déclaré à l’intention de Gilles Simeoni, ancien avocat de Colonna et aujourd’hui chef de l’exécutif corse, qu’un tel meurtre « ne se plaide pas », menaçant ainsi tous ceux qui tomberaient dans les rets de la police « antiterroriste » de les priver du droit le plus élémentaire à un avocat. Libération immédiate d’Yvan Colonna et de tous les militants corses emprisonnés, y compris les membres du « commando Erignac » !

Le terrorisme individuel est contraire aux conceptions marxistes basées sur la mobilisation de masse de la classe ouvrière et des opprimés pour la révolution socialiste. Mais des actes comme le meurtre d’Erignac, un représentant officiel de l’Etat français, ne constituent pas un crime contre la classe ouvrière, ni contre le peuple corse opprimé, et nous défendons ceux qui sont poursuivis pour cela.

Macron avait emmené le 6 février dans ses bagages Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre des flics du gouvernement capitaliste de Jospin et responsable de la déportation de milliers de sans-papiers. C’est sous Chevènement que le préfet Bonnet, successeur d’Erignac en Corse, avait clandestinement fait mettre le feu à des paillotes (restaurants de plage) pour faire porter le chapeau aux nationalistes corses. Chevènement, ruisselant de chauvinisme anti-Corse, a déclaré : « L’objectif des nationalistes est d’arriver à une indépendance qui transformerait la Corse en grande île mafieuse au sein de la Méditerranée » (Corse-Matin, 10 février).

Comme si cela ne suffisait pas, Macron a prononcé son discours le 7 février à Bastia non pas dans l’enceinte de l’Assemblée de Corse, comme ses prédécesseurs Hollande et Sarkozy, mais sur la scène d’un centre culturel : à l’intérieur cinq drapeaux français, cinq européens, pas un seul drapeau corse ! Et si l’on met de côté l’os à ronger de l’inscription de la Corse dans la Constitution… française (!), Macron a rejeté toutes les revendications des nationalistes.

La dernière provocation en date vise un dirigeant historique du FLNC, Charles Pieri, membre de la direction de Corsica Libera de Jean-Guy Talamoni. Il a été placé neuf heures en garde à vue pour des propos (vils et injurieux) visant la veuve du préfet Erignac. Nous ne savons pas si Pieri est l’auteur de ces propos. En tout cas, Macron cherche à enfoncer un coin entre les autonomistes de Simeoni et les indépendantistes de Talamoni, proches de Pieri.

Depuis les élections municipales à Bastia en 2014 jusqu’aux élections territoriales de décembre 2017, les nationalistes corses, autonomistes ou indépendantistes, enchaînent les succès. En décembre dernier, ils ont obtenu la majorité absolue. Cela fait plus de 250 ans que la Corse résiste à l’assimilation française. Il y eut un Etat corse indépendant sous la direction de Pasquale Paoli de 1755 à 1769. La France vainquit les armées corses le 8 mai 1769. Contrairement aux mensonges chauvins largement répandus, la nation corse n’a jamais choisi volontairement l’assimilation à la France : la Corse fut annexée. Pour l’indépendance de la Corse ! Pour une république ouvrière !

L’autonomie que réclament les nationalistes corses n’a pas grand-chose à voir avec l’exercice du droit d’autodétermination, c’est-à-dire le droit à l’indépendance, donc celui de la nation corse de se séparer de la France. Il s’agirait seulement d’un statut aménagé dans le cadre de la République française. La répression actuelle en Catalogne montre le caractère largement fictif des pouvoirs autonomes de la Generalitat, qui n’a aucun des attributs essentiels d’un Etat, notamment des forces armées. Dans son discours, Macron a d’ailleurs annoncé des renforts de police et autre déploiement de brigades, c’est-à-dire un renforcement de l’appareil répressif français en Corse. Comme le remarque le nationaliste Pierre Poggioli, la Corse a « en proportion le plus fort taux de policiers et gendarmes, et militaires par rapport à l’Hexagone » (Nutizie Nustrale, 7 février). Fermeture de la base aéronavale d’Aspretto et de la base aérienne de Solenzara ! Troupes et flics français, hors de Corse !

En fait, les principales revendications des nationalistes, bien que modestes et loin du compte en termes d’autodétermination de la nation corse, sont soutenables. Là où nous exigeons la libération immédiate des prisonniers politiques nationalistes dont Colonna, ils revendiquent l’amnistie et, à défaut, leur incarcération dans la prison de Borgo en Corse. Stéphanie Colonna déclarait à propos de l’emprisonnement de son mari à Arles : « Ca serait tellement plus simple et normal qu’il soit là à côté et que son fils puisse le voir toutes les semaines. »

L’hégémonie et les privilèges de la langue française en Corse, comme du reste en Iparralde (Pays basque nord) et en Catalogne Nord, s’exprime en ce qu’elle est la seule langue officielle, ce qu’a d’ailleurs réaffirmé Macron le 7 février. Lénine, co-dirigeant avec Trotsky de la seule révolution ouvrière victorieuse il y a cent ans en Russie, s’est toujours opposé à l’imposition par la force d’une langue officielle, la langue des oppresseurs.

En Corse, la langue des oppresseurs, c’est le français. Aucun privilège pour le français en Corse, Iparralde et Catalogne Nord ! Comme pour le créole en Guadeloupe, il est scandaleux que le corse soit considéré comme une langue « étrangère » en Corse. Pour l’enseignement en langue corse de la maternelle à l’université, avec des programmes bilingues gratuits et de qualité pour les immigrés afin d’assurer la transition entre leur langue maternelle et le corse ! A défaut, nous défendrions la co-officialité pour la langue corse réclamée par les nationalistes corses, même si ici encore cela ne représenterait qu’une mesure très partielle de défense du corse.

Le « statut de résident » revendiqué par les nationalistes corses est aussi une revendication très modeste et très partielle visant à limiter un peu la pression des continentaux sur le foncier corse et donc aussi sur les listes électorales de l’île. Comme l’explique un militant de Corsica Libera (Mediapart, 19 janvier 2017), cette mesure vise à ce que les candidats à l’achat de propriétés dans l’île soient tenus d’« avoir vécu pendant 5 ans en résidence principale en Corse, et donc en y payant leurs impôts sur le revenu, avant de pouvoir faire main basse sur divers biens immobiliers. Cela ne s’appliquera pas aux Corses de la diaspora. »

En tant que marxistes, notre point de départ est que nous ne mettrons jamais un trait d’égalité entre une nation opprimée et l’Etat oppresseur. La lutte d’une nation opprimée, comme celle de la nation corse pour défendre sa propre existence, est légitime et juste.C’est parce que nous sommes des ennemis implacables de l’oppression nationale que nous nous opposons au mot d’ordre utopique et réactionnaire de l’« ouverture des frontières ». Comme le montre amplement l’histoire de l’Etat sioniste d’Israël pour les Palestiniens, une immigration massive et illimitée remet en cause le droit d’autodétermination. La France pratique l’« ouverture des frontières » en Nouvelle-Calédonie depuis des décennies. Elle a même « accentué sa politique de peuplement dans les années 1960-1970 afin notamment de rendre minoritaires les Kanak et de se prémunir ainsi de velléités indépendantistes » (le Monde, 9 décembre 2017).

Etant pour l’indépendance de classe du prolétariat, nous ne donnons aucun soutien politique aux nationalistes corses qui ont par définition une perspective capitaliste. Notre perspective est celle d’une république ouvrière de Corse, dans le cadre d’Etats-Unis socialistes d’Europe. La lutte pour l’indépendance de la Corse, comme celle du peuple catalan, peut être un puissant levier pour accélérer la décomposition de l’Union européenne. Celle-ci est un instrument réactionnaire au service des puissances impérialistes d’Europe, centralement l’Allemagne mais aussi la France, pour augmenter l’exploitation des travailleurs dans toute l’Europe et l’asservissement des pays plus pauvres, comme la Grèce, et des nations minoritaires dans les Etats multinationaux. Pour cette raison, les dirigeants de l’UE sont farouchement contre l’indépendance de la Catalogne, de l’Ecosse et, inutile de le dire, de la nation corse, en dépit des illusions des nationalistes corses vis-à-vis de Bruxelles et son chiffon de papier, la « charte des langues ». A bas l’UE ! Pour les Etats-Unis socialistes d’Europe !

L’oppression nationale par la bourgeoisie française des Corses, des Basques, des Catalans, des Guadeloupéens, des Martiniquais, des Kanak mine l’unité de classe prolétarienne, et le chauvinisme de grande puissance enchaîne la classe ouvrière à son ennemi de classe.Nous luttons pour mobiliser la classe ouvrière de France pour défendre les droits nationaux du peuple corse et contre le chauvinisme qui gangrène le prolétariat français. La lutte pour la libération nationale de la Corse peut ainsi servir de force motrice pour la révolution socialiste en France et au-delà dans le reste de l’Europe. Cela exige de lutter pour des partis léninistes-trotskystes, sections nationales disciplinées d’une Quatrième Internationale reforgée.

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