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Le Bolchévik nº 222

Décembre 2017

Gauche française: Soutien ouvert, ou masqué, à l'oppression des Catalans

L’éclatement de l’Etat espagnol chauvin castillan, avec sa monarchie et ses nostalgiques du franquisme, représenterait un immense pas en avant pour les luttes de tous les travailleurs d’Espagne contre la bourgeoisie. La lutte de libération nationale de la Catalogne et du Pays basque est intégralement liée à la lutte pour renverser la domination capitaliste dans toute l’Espagne et dans toute la France. Pour mener les travailleurs et les opprimés dans cette lutte, il faut des partis d’avant-garde léninistes-trotskystes, sections nationales d’une Quatrième Internationale reforgée. C’est cette perspective que nous avons mise en avant cet automne dans les mobilisations à propos de la Catalogne. A bas la monarchie espagnole ! Indépendance pour la Catalogne ! Pour des républiques ouvrières !

Mais la gauche française s’est distinguée soit par son chauvinisme ouvert contre les Catalans, soit au mieux par des circonvolutions revenant à couvrir le maintien par la force de la Catalogne dans le carcan espagnol – et français : nous sommes à notre connaissance les seuls à mettre en avant la lutte pour l’indépendance également de la partie Nord de la Catalogne (Cerdagne et Roussillon). La gauche française, elle, accepte en général la mythologie de sa propre bourgeoisie qu’avec la Révolution française la question nationale aurait été positivement résolue pour toujours dans tout l’Hexagone (y compris la Corse).

Sans doute ce chauvinisme est-il lié au fait que l’indépendance de la partie Sud de la Catalogne ne manquerait pas d’avoir un impact profond au Nord et de remettre en cause les frontières sacro-saintes de l’Hexagone, ainsi que de rapprocher l’heure de l’effondrement inéluctable de l’Union européenne impérialiste. D’où l’activisme anticatalan des Macron, Merkel, etc.

Macron n’est certainement pas isolé là-dessus dans le spectre politique français. C’est peut-être le populiste bourgeois Jean-Luc Mélenchon qui est le plus explicite à cet égard. Il a dénoncé « la maladie qui pousse à l’atomisation des Etats-nations » et il s’est lamenté au parlement, à propos de la Catalogne, que « la monarchie semble incapable d’assumer la fonction fédératrice que le franquisme lui avait confiée ». Il a proposé au gouvernement français qu’il intervienne en Espagne avant que tout cela ne dégénère et ne « vienne, pour finir, affecter la patrie républicaine des Français ». Là-dessus il est d’accord avec Manuel Valls, ce traître à la classe ouvrière et traître au peuple catalan.

Le chauvinisme français antiallemand de Mélenchon n’a pas empêché le PCF et le POI lambertiste de faire campagne pour lui aux dernières élections présidentielles. La Gauche révolutionnaire (Comité pour une Internationale ouvrière) ainsi que ses frères ennemis de la « Tendance marxiste internationale » se sont même carrément liquidés dans la FI de Mélenchon (France insoumise, un parti bourgeois). Il n’est donc pas étonnant que Mélenchon imprime sa marque, même dans le mouvement ouvrier, sur la question catalane.

Aussi, les manifestations de soutien au peuple catalan, ou même simplement les protestations contre la répression visant les électeurs et militants nationalistes, ont été des plus réduites en France. Pourtant ce n’est pas la sympathie spontanée pour les Catalans qui ferait défaut parmi les travailleurs en France, comme nous avons pu le constater avec le succès de notre campagne d’abonnements cet automne et l’intérêt pour le nouveau numéro de notre revue internationale Spartacist centré sur l’approche léniniste de la question nationale. La haine du franquisme (même si elle fut canalisée dans la collaboration de classe du front populaire) est une tradition vivace dans le mouvement ouvrier, et les travailleurs d’Espagne et de France peuvent et doivent être mobilisés dans la lutte pour l’indépendance de la Catalogne.

La responsabilité centrale pour ce manque de mobilisations repose sur le PCF, qui demeure le principal parti de la classe ouvrière dans ce pays. Même s’il a dénoncé la répression en Catalogne et a demandé la suspension de l’article 155 par le gouvernement espagnol, il n’en a pas moins exigé également, pour faire « bonne mesure », « la suspension de la déclaration unilatérale d’indépendance et la convocation de nouvelles élections par la présidence de la Generalitat » (déclaration de Pierre Laurent du 29 octobre).

Le PCF, prenant ses ordres auprès de ses anciens camarades espagnols aujourd’hui liquidés dans Izquierda Unida (elle-même à la traîne des chauvins bourgeois espagnols de Podemos), est pour une révision constitutionnelle visant à maintenir l’unité de l’Espagne dans un cadre plus fédéral : contre l’indépendance.

Lutte ouvrière a pourtant réussi le tour de force de se placer encore à la droite du PCF sur la question nationale catalane ! En lisant ses articles, on ressent qu’elle a dû pratiquement se faire violence pour dénoncer (du bout des lèvres) la répression. Le message qu’elle ressasse au fil de nombreux articles, c’est que les travailleurs français doivent à tout prix s’abstenir de prendre parti dans la lutte du peuple catalan pour son indépendance.

A la veille du référendum brutalement réprimé du 1er octobre, Lutte Ouvrière (29 septembre) a ainsi enjoint ses partisans de surtout ne pas prendre de côté : « En aucune façon le monde du travail ne doit se sentir concerné, ni solidaire d’affrontements entre politiciens qui se disputent les postes pour mieux se vendre à telle ou telle fraction de la bourgeoisie, locale, régionale, nationale, voire internationale. » Autrement dit, maintenir le statu quo oppresseur (voir aussi notre article « LO, Voz Obrera et la Catalogne », le Bolchévik n° 220, juin 2017).

Une fois n’est pas coutume, Lutte Ouvrière (13 octobre) a même publié un extrait substantiel d’un article de Lénine (« La corruption des ouvriers par un nationalisme raffiné », 10 mai 1914) visant à faire croire que Lénine était opposé d’une façon égale aux « nationalismes et micronationalismes [sic] ». Il s’agit ni plus ni moins d’une falsification de ce texte de Lénine, qui ciblait le Bund (une organisation socialiste juive) et autres partisans de la séparation des socialistes, au sein d’un même Etat, en organisations distinctes selon leur nationalité – comme si l’on demandait aujourd’hui qu’à Barcelone les ouvriers catalans et ceux originaires d’ailleurs se retrouvent dans des partis séparés !

LO prostitue l’autorité de Lénine pour mettre sur le même pied le chauvinisme espagnol oppresseur et les aspirations du peuple catalan opprimé à la libération nationale. LO dénigre celles-ci comme des « particularismes régionaux », prenant la défense de la constitution néofranquiste de 1978 contre « la région la plus riche d’Espagne » – dont, toujours selon LO, la petite et moyenne bourgeoisie « ne veut plus partager avec le reste de l’Espagne » (Lutte de classe, novembre). Autrement dit, le cliché franquiste sur les riches Catalans qui ne veulent l’indépendance que parce qu’ils ne veulent pas payer pour les chômeurs andalous.

LO déclare : « Il est tout à fait contraire aux intérêts de la classe ouvrière, en Catalogne comme dans le reste du pays, de se placer à la remorque des partis nationalistes et de manifester derrière la droite et la gauche gouvernementales et le patronat catalan. Les mots d’ordre de république catalane et de lutte pour l’indépendance sont des leurres. Il est inacceptable qu’ils aient été repris par l’extrême gauche regroupée autour de la CUP. » Lénine répondait déjà dans « Du droit des nations à disposer d’elles-mêmes » (1914) qu’il n’était pas vrai que, en soutenant le droit de séparation, on soutiendrait nécessairement le nationalisme bourgeois des nations opprimées. Il ajoutait :

« Pour autant que la bourgeoisie d’une nation opprimée lutte contre la nation qui opprime, nous sommes toujours pour, en tout état de cause et plus résolument que quiconque, car nous sommes l’ennemi le plus hardi et le plus conséquent de l’oppression. […]

« Si nous ne mettons pas en avant et si nous ne faisons pas passer dans notre effort d’agitation le mot d’ordre du droit de séparation, nous ferons le jeu non seulement de la bourgeoisie, mais aussi des féodaux et de l’absolutisme de la nation qui opprime. »

LO est clairement à la remorque du nationalisme chauvin castillan, du nationalisme oppresseur. Un autre argument de LO est d’expliquer que « les travailleurs d’Espagne, comme ceux du Royaume-Uni, de Belgique, d’Italie, où se manifestent les mêmes tendances, ne doivent pas se donner comme objectif la dislocation du pays dans lequel ils vivent et sont exploités ». « Dislocation du pays » par… la tectonique des plaques ? Les réformistes de LO jettent en fait l’anathème sur la dislocation d’un Etat bourgeois, prison des peuples. Mais là encore, Lénine avait déjà répondu à ce genre d’argument en défendant dans la même brochure la position de Marx et Engels pour la séparation de l’Irlande d’avec l’Angleterre :

« La politique de Marx et d’Engels dans la question irlandaise a fourni un très grand exemple, qui conserve jusqu’à présent une énorme importance pratique, de la façon dont le prolétariat des nations qui en oppriment d’autres doit se comporter envers les mouvements nationaux ; elle a été une mise en garde contre l’“empressement servile” avec lequel les petits bourgeois de tous les pays, de toutes les couleurs et de toutes les langues qualifient d’“utopique” la modification de frontières d’Etat créées par la violence et par les privilèges des grands propriétaires fonciers et de la bourgeoisie d’une nation. »

Les pablistes à la recherche d’un patriotisme espagnol progressiste

Que le PCF et LO aient boycotté les maigres mobilisations contre la répression en Catalogne qui ont pu avoir lieu en France n’a donc rien de surprenant. En fait les seules organisations significatives dont nous ayons pu détecter la présence dans ces mobilisations étaient le NPA pabliste et les lambertistes (version POI ou version POID).

En ce qui concerne les pablistes (NPA/« Secrétariat unifié » – héritiers de Michel Pablo qui avait liquidé la Quatrième Internationale trotskyste dans les années 1950), leurs sympathies vont aux Catalans, mais… pas trop non plus. Le NPA se déchire en fait en public sur quelle attitude adopter sur la question (voir l’Anticapitaliste, 30 novembre) ; on trouve de tout au NPA, depuis des chauvins anti-Catalans à la LO comme Yvan Lemaitre jusqu’à ceux qui, comme Gaston Lefranc, prônent la liquidation dans l’organisation nationaliste bourgeoise catalane de la CUP. On trouve de tout, sauf une position marxiste pour l’indépendance de la Catalogne – au Nord comme au Sud – et pour des républiques ouvrières et la construction de partis léninistes d’avant-garde.

Le Secrétariat unifié (SU) considère dans le meilleur des cas que la question de l’indépendance se pose – et seulement au Sud – depuis le référendum du 1er octobre. La vraie politique du SU et de ses camarades d’Anticapitalistas (et leur branche catalane Anticapitalistes), c’est le soutien politique aux chauvins bourboniens espagnols de Podemos (voir notre autre article de première page), un parti capitaliste dans lequel sont liquidés les pablistes. La revue du SU Inprecor (août-septembre) publie ainsi un article de son dirigeant historique espagnolJaime Pastor, cherchant à conseiller Podemos comment mettre en œuvre la proposition de celui-ci d’un « patriotisme espagnol régénérateur » pour rafistoler l’unité de l’Etat espagnol :

« Pour pouvoir revendiquer un patriotisme espagnol il faut être disposé à parier non sur une “intégration” des autres nations dans “l’Espagne” mais sur un nouveau pacte – qu’il soit fédéral, confédéral ou simplement de respect mutuel – entre les peuples libres, égaux et solidaires, fondé sur l’exercice préalable du droit à l’autodétermination, y compris à la séparation. »

Il n’est donc pas étonnant que leur camarade catalan Andreu Coll soutienne ouvertement la perspective d’un bloc entre Podem et les partisans d’Ada Colau, la mairesse de Barcelone qui s’est opposée à la déclaration d’indépendance. Coll a déclaré dans ce cadre dans l’Anticapitaliste (9 novembre) : « Nous soutenons l’indépendance, mais pas comme un but en soi : l’indépendance pourrait être un moment vers un accord confédéral avec l’ensemble des peuples de l’État espagnol, basé sur le respect » etc. Autrement dit, les Catalans peuvent faire leur république (bourgeoise) s’ils insistent, mais de préférence dans le but de retourner dans le giron d’une Espagne unitaire retapée et démonarchisée.

Les lambertistes contre l’UE… mais pour la République française

C’est au fond également la position des lambertistes du POI (Parti ouvrier indépendant) et du POID (POI « démocratique », scission en 2015 du POI). Ces deux groupes font pas mal de bruit sur la question de la Catalogne, profitant du boycott par la gauche française des mobilisations sur la Catalogne pour se présenter comme les soutiens les plus significatifs en France de la cause catalane.

Le POID attaque le POI à pas cher en montrant que ce dernier est allé jusqu’à demander un nouveau référendum, autrement dit le POI est d’accord avec les chauvins espagnols du PSOE que le référendum du 1er octobre n’était pas « démocratique ». Mais les divergences POI/POID s’arrêtent en gros là, les deux groupes se battant pour l’héritage de Pierre Lambert, qui déclarait sur la Catalogne en 2007 : « Nous sommes contre la monarchie qui opprime et exploite tous les peuples d’Espagne (…) et nous sommes pour l’union libre des peuples libres d’Espagne, nous nous prononçons pour la République catalane, la République basque, la République andalouse, etc, nous sommes pour l’union des Républiques libres d’Espagne. » Donc : une république fédérale bourgeoise d’Espagne. En lambertiste orthodoxe, le POID revendique donc : « République Catalane ! République [noter le singulier] dans toute l’Espagne ! »

Il y a toutefois une différence entre pablistes et lambertistes. Les premiers cherchent à donner un lifting à l’Union européenne (ils revendiquent en toute occasion une Europe capitaliste « démocratique et sociale »), alors que les seconds la dénoncent avec virulence depuis des années. Ils se répandent maintenant sur le rôle criminel de l’UE concernant la répression contre les Catalans. Fort juste. Il semble que la récente crise ait ouvert les yeux d’un grand nombre de Catalans qui croyaient jusque-là en sa façade « démocratique ». L’UE est et a toujours été une construction profondément réactionnaire et fondamentalement hostile au droit des peuples à l’autodétermination.

L’UE a ainsi privé la Grèce de toute souveraineté économique, pour le plus grand profit des banquiers impérialistes de Francfort, Paris et Londres. Aujourd’hui elle organise la vente à l’encan des biens du pays pendant que, de « mémorandum » en « mémorandum » de la troïka impérialiste UE-BCE-FMI, elle plonge les travailleurs, les jeunes, les femmes, les retraités grecs dans une misère de plus en plus noire. Des recettes qui ensuite sont généralisées aux travailleurs ailleurs en Europe, y compris en Allemagne et en France, sous couvert de « directives de Bruxelles ». Pas étonnant que les populistes d’extrême droite puissent prospérer en se déclarant des opposants de l’UE, quand la gauche passe son temps à proposer un nouveau lifting « démocratique » et « social » à ce moloch.

Le seul cas où l’UE soit jamais intervenue soi-disant au nom du droit d’autodétermination, c’est au Kosovo en 1999 lorsqu’elle a servi de couverture à la campagne meurtrière de l’OTAN contre la Serbie (et plus récemment pour s’opposer à l’adhésion de la Crimée à la Russie, confirmée par un vote positif de 80 % environ de sa population). Près de vingt ans plus tard, la Serbie souffre encore des séquelles de cette guerre, alors que le Kosovo n’est toujours pas indépendant, mais un protectorat de l’UE occupé par des troupes de l’OTAN, affublé de l’euro comme monnaie ; et les immigrés kosovars comptent parmi les victimes privilégiées des politiques de déportation des puissances occidentales. A bas l’Union européenne ! A bas son instrument financier, l’euro, et sa BCE !

Mais, pendant des années, voici ce que disaient les lambertistes : « c’est l’Union européenne qui, avec sa politique régionale, pousse à la régionalisation et à l’éclatement des nations dans toute l’Europe » (article non signé, Informations ouvrières n° 3 [2397], 3-9 juillet 2008). Ils dénonçaient la menace de fragmentation notamment de la France et de la Belgique visant à ce qu’elles soient mieux dominées par les Etats-Unis (et l’Allemagne). Il s’agissait d’une campagne chauvine française des lambertistes pour défendre la République hexagonale « une et indivisible » avec ses 36 000 communes. Avec cela les lambertistes français manifestaient leur hostilité irréductible à la lutte des Catalans, des Basques ou des Corses pour leur autodétermination. Cela montre à quel point l’opposition des lambertistes à l’UE procède du chauvinisme français, pas de l’internationalisme prolétarien.

La réponse à la question catalane est un symptôme du glissement vers la droite de plus en plus prononcé du mouvement ouvrier français, laminé par cinq ans de gouvernement Hollande, suivis (pour le PCF notamment) par un appel à battre Le Pen dans les urnes, c’est-à-dire voter Macron, ainsi que par la montée du populisme bourgeois de Mélenchon.

La lutte pour reforger un authentique parti communiste internationaliste doit lier indissolublement la lutte pour l’indépendance de classe contre la bourgeoisie impérialiste française, ses partis et ses agents dans le mouvement ouvrier, à la lutte contre l’oppression nationale et l’oppression raciale dans ce pays. C’est un tel parti que nous cherchons à construire. Pour l’indépendance de la Catalogne et du Pays basque ! Pour des républiques ouvrières ! Pour un parti ouvrier léniniste, tribun des opprimés ! Pour une Quatrième Internationale trotskyste reforgée !

Le Bolchévik nº 222

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