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Le Bolchévik nº 218 |
Décembre 2016 |
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A bas l’interdiction du burkini !
L’article ci-dessous a été publié le 23 septembre dernier dans Workers Vanguard, le journal de la Spartacist League/U.S.
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Paris Même les plages sont devenues un champ de bataille pour le racisme anti-arabe frénétique de la bourgeoisie française. La propension de la classe dirigeante à faire des immigrés musulmans et de leurs enfants le bouc émissaire de tous les maux de la société capitaliste est montée d’un cran en juillet dernier après l’attentat criminel de Nice, dont l’auteur a été présenté comme un terroriste islamique, et qui a fait 86 morts (voir la déclaration de la LTF dans le Bolchévik n° 217). Cet été, un certain nombre de municipalités et de stations balnéaires ont pris des arrêtés pour interdire le burkini, un maillot de bain couvrant tout le corps à l’exception du visage et des pieds et principalement porté par des musulmanes (mais aussi par des femmes juives orthodoxes et d’autres).
Cela a commencé le 28 juillet à Cannes avec l’arrêté du maire Les Républicains interdisant l’accès aux plages et à la baignade « à toute personne n’ayant pas une tenue correcte, respectueuse des bonnes murs et de la laïcité ». Une interdiction similaire a été décrétée le 5 août à Villeneuve-Loubet, près de l’aéroport de Nice. Une semaine plus tard, une violente rixe éclatait à Sisco (Siscu), une petite station balnéaire corse, entre des familles d’origine maghrébine et d’autres habitants du lieu, apparemment à propos de l’accès à une crique. Trois jours plus tard, le maire socialiste de Sisco prenait un arrêté interdisant le burkini bien qu’aucun burkini n’ait été vu sur la plage disputée.
Un peu partout en France, des nuées de flics municipaux ont ensuite envahi les plages pour infliger des amendes et forcer les femmes à ôter leurs vêtements ou rentrer chez elles. Bien que la majorité des maires qui ont interdit le burkini soient de droite, certains sont membres du PS. Le Premier ministre Manuel Valls a soutenu avec véhémence ces interdictions racistes, discriminatoires et anti-femmes. Le voile est déjà interdit dans les écoles publiques, et le gouvernement s’est battu pour étendre cette mesure discriminatoire aux emplois dans le secteur privé (voir notre article « Baby Loup dévoré par la nounou en foulard », le Bolchévik n° 204, juin 2013). Valls se prononce maintenant pour exclure de l’université les étudiantes voilées.
Début septembre, le Premier ministre a publié une tribune critiquant vivement un article du New York Times dans lequel des femmes musulmanes françaises décrivaient l’ostracisme dont elles sont victimes dans la France « laïque ». Pour Valls, l’article du New York Times donnait une « image insupportable » de la France. (A vrai dire, c’est le sommet de l’hypocrisie de la part du New York Times, qui sert loyalement la bourgeoisie impérialiste des Etats-Unis, capitale mondiale du racisme et du chauvinisme antimusulmans, de sermonner les Français ou quiconque sur la tolérance.) Et Valls dément que la France force « les musulmans à quitter leur pays pour faire des études, trouver un emploi, faire carrière ». Mais c’est exactement cette pression que subissent les musulmanes pratiquantes. Quelle sera la suite verra-t-on bientôt des panneaux « Interdit aux chiens et aux musulmans » ?
Le 26 août, une ordonnance du Conseil d’Etat a invalidé l’interdiction de Villeneuve-Loubet, au motif que le maire avait outrepassé ses pouvoirs de police et avait porté « une atteinte grave et manifestement illégale » aux libertés fondamentales. Cette décision du Conseil d’Etat a conduit plusieurs tribunaux administratifs locaux à annuler des arrêtés anti-burkini similaires. Mais, le 6 septembre, l’arrêté d’interdiction était maintenu à Sisco avec l’argument que le burkini représenterait un risque de trouble à l’ordre public. Le 12 septembre, le tribunal administratif de Nice a validé les arrêtés d’interdiction dans deux villes au vu de plaintes déposées par des riverains. En d’autres termes, dès qu’il y a une mobilisation antimusulmans quelque part, on considère que c’est de la faute aux musulmans. En fait, les racistes et les flics sont encouragés par les hautes sphères du gouvernement.
Aheda Zanetti, la styliste australienne musulmane qui a conçu le burkini, a décrit au Guardian de Londres (24 août) l’idée derrière ce vêtement : « Il s’agissait d’intégration et d’acceptation, d’être égale et de ne pas être jugée. » Evoquant les réactions antimusulmanes en France, elle a fait ce commentaire : « Ils veulent que les femmes quittent les plages et retournent à leur cuisine. »
Le voile est bien un symbole et un instrument de l’oppression des femmes, et c’est pourquoi nous nous y opposons depuis toujours. Mais les arrêtés anti-burkini constituent une incitation au pogrome contre les musulmans dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme », dont le but est de militariser la société et de réprimer la population. Les mesures dirigées d’abord contre une population minoritaire isolée visent la classe ouvrière et les opprimés. On l’a bien vu lors des récentes mobilisations ouvrières contre la loi antisyndicale El Khomri (voir le Bolchévik n° 216), qui ont subi de multiples agressions policières, des arrestations en masse, des poursuites judiciaires et l’état d’urgence « antiterroriste ». La stigmatisation hystérique des femmes musulmanes à laquelle on assiste aujourd’hui est du pain bénit pour le gouvernement, notamment parce qu’elle détourne l’attention des récentes luttes de classe et fait au contraire passer au premier plan les divisions ethniques, dans la plus pure tradition de « diviser pour régner ».
En tant que marxistes, nous combattons toutes les discriminations et persécutions à l’encontre des minorités. Nous avons exprimé notre opposition à l’interdiction du voile dans les écoles en 2004 et à celle du port de la burqa dans la rue en 2009. Un amendement inséré dans la loi El Khomri fournit maintenant des moyens légaux pour faciliter le licenciement de femmes voilées. Aujourd’hui Lutte ouvrière et d’autres organisations soi-disant socialistes dénoncent les interdictions du burkini. Mais des militants de ces organisations avaient été en 2003 le fer de lance de l’exclusion de deux lycéennes, chassées de leur école en banlieue parisienne parce qu’elles portaient le voile bien sûr au nom de la « laïcité » et des droits des femmes.
Il est grotesque de prétendre que l’Etat capitaliste français veuille émanciper les femmes de l’arriération religieuse. En fait, ces mesures racistes ne font qu’aggraver la ségrégation sociale et l’isolement des femmes musulmanes. Le principe de la laïcité, tel qu’il est apparu pendant la Révolution française, était le produit de la lutte pour arracher la société bourgeoise émergente du carcan de l’Eglise catholique. Mais en France aujourd’hui c’est simplement un mot de code pour les préjugés réactionnaires contre les musulmans. Le gouvernement Valls s’en prend aux droits individuels des musulmans tout en s’opposant bien entendu à toute remise en cause des privilèges de l’Eglise catholique. A bas la croisade anti-musulmans ! Flics hors des mosquées ! Police des murs vestimentaires, dégagez des plages !
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