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Le Bolchévik nº 218

Décembre 2016

Brexit : une défaite pour les banquiers et les patrons d’Europe ! A bas l’UE et l’euro !

Corbyn et les blairistes – guerre de classes dans le Parti travailliste

Nous reproduisons ci-après un rapport (abrégé et revu pour publication) de Melanie Kelly, membre du comité central de la LTF, lors de notre meeting parisien du 22 septembre dernier. Jeremy Corbyn a été réélu à la tête du Parti travailliste le 21 septembre avec 62 % des suffrages, un score encore supérieur à celui de l’année dernière.

* * *

Chers camarades et amis,

Vous savez sans doute que l’élection du dirigeant du Parti travailliste en Grande-Bretagne s’est terminée hier, et les résultats seront annoncés samedi. Même les journaux bourgeois prédisent tous, à leur grand regret, que Jeremy Corbyn va gagner de nouveau contre le blairiste Owen Smith (les blairistes sont les partisans de l’ex-Premier Ministre travailliste Tony Blair). Voilà le titre de notre journal britannique, Workers Hammer : « Jeremy Corbyn a le droit de diriger le Parti travailliste – Jetez dehors les conspirateurs blairistes ».

L’une des grandes promesses de Smith était de renverser la décision du référendum du 23 juin sur le Brexit et de demander la réadmission de la Grande-Bretagne à l’Union européenne (UE) s’il était élu et devenait le prochain Premier Ministre. Corbyn a piétiné les intérêts des travailleurs et des minorités en prenant position contre le Brexit lors du référendum, mais au moins il a refusé de faire marche arrière sur le résultat et s’est engagé à respecter la décision.

Le vote pour le Brexit a été particulièrement fort dans la classe ouvrière et parmi les pauvres, notamment dans les ex-régions industrielles du Nord de l’Angleterre, du Pays de Galles et des Midlands (autour de Birmingham), qui sont les plus touchées par la suppression des programmes sociaux de l’« Etat-providence ». Comme une femme le faisait remarquer à un journaliste du Guardian, « si vous avez de l’argent, vous votez pour rester… si vous n’en avez pas, vous votez pour la sortie ».

Le résultat révèle sans aucun doute une société profondément divisée selon les classes. Corbyn lui-même a décrit le vote comme reflétant « l’échec de tout un modèle économique » qui « voulait trop souvent dire des salaires de misère, des contrats de travail zéro heure [c’est-à-dire pas de contrat du tout, sans qu’on ait la moindre idée si l’on pourra payer le prochain loyer] et des existences ruinées par la pénurie de logements abordables ».

C’était dans ce contexte de division, de colère et de haine contre la bourgeoisie et ses représentants au parlement que Corbyn a été élu il y a un an dirigeant du Parti travailliste, à la grande surprise de tout le monde – y compris de Corbyn lui-même. Avec la chute de l’Union soviétique au début des années 1990, les dirigeants capitalistes s’imaginaient que la lutte des classes était finie et qu’ils avaient gagné (voir notre article paru dans Spartacist édition française n° 32, « “Le Livre noir du communisme” : mensonges capitalistes usés »).

Quand l’establishment a commencé à réaliser que Corbyn allait gagner, le rédacteur en chef adjoint du Daily Telegraph, le journal des conservateurs (les Tories), a avoué que pendant les années 1990 « il semblait que la contre-révolution du marché libre des années 1970 et 1980, combinée avec l’effondrement de l’Union soviétique et du pacte de Varsovie, avait finalement tué le socialisme ». Et voilà que le programme « socialiste » et pro-syndicats de Corbyn a donné une voix aux aspirations de toux ceux qui s’étaient fait humilier pendant des années, même si Jeremy Corbyn n’a jamais représenté la moindre menace pour l’ordre capitaliste et s’il rejette ouvertement une révolution socialiste.

Son élection a été suivie d’une chasse aux sorcières menée par ces mêmes forces bourgeoises, y compris centralement par les députés blairistes de son propre parti. Elles sont toutes unies pour le déposer et mettre en échec ses efforts pour renverser le cours engagé par Blair il y a 22 ans : Blair voulait transformer le Parti travailliste, fondé au début du siècle dernier par la bureaucratie syndicale, en un parti entièrement capitaliste – comme le Parti démocrate aux Etats-Unis, qui n’a aucun compte à rendre au mouvement ouvrier.

Avant de parler davantage de cette guerre de classes dans le Parti travailliste et pourquoi les révolutionnaires ont pris un côté avec Corbyn, il faut revenir sur le contexte de la dernière tentative de putsch contre Corbyn, au lendemain du référendum sur le Brexit en juin. Le 24 juin, nos camarades britanniques ont publié une déclaration saluant le vote, que nous avons reproduite sous forme de tract et dans le Bolchévik de septembre :

« C’est une défaite cuisante pour la City de Londres, pour les patrons et les banquiers d’Europe dans leur ensemble, de même que pour Wall Street et le gouvernement impérialiste américain. Le vote en faveur de la sortie exprime l’hostilité des opprimés et des dépossédés non seulement envers l’UE mais aussi envers l’arrogant establishment britannique au pouvoir, qui a plongé dans l’indigence des pans entiers du prolétariat en dévastant les services sociaux et l’industrie. »

Nous sommes opposés par principe à l’UE et à sa monnaie unique, l’euro, qui est l’instrument pour l’asservissement et la paupérisation des travailleurs européens par les banques de Francfort, Paris ainsi que Londres (jusqu’au Brexit). La raison d’être de l’UE, c’est de servir les intérêts de ces puissances impérialistes et de leurs partenaires subalternes dans la concurrence internationale, et de transformer les pays dépendants plus faibles, comme la Grèce et les pays d’Europe de l’Est, en lieu de villégiature et/ou en base arrière pour leur production industrielle. Les divergences d’intérêts entre les principales puissances impérialistes rendent ce consortium intrinsèquement instable et voué tôt ou tard à l’implosion. Le Brexit représente un grand coup pour déstabiliser ce bloc réactionnaire et il crée des conditions plus favorables aux luttes de la classe ouvrière partout en Europe.

Ne pas confondre Brexit et montée de la réaction raciste

Face au résultat du référendum, les blairistes et leurs partisans petits-bourgeois étaient hystériques (comme les forces bourgeoises ici en France !) parce que l’équivalent des « sans-dents » de Hollande – c’est-à-dire les travailleurs et les pauvres – ont osé voter contre les précieux conseils de leurs soi-disant supérieurs. Ces mêmes masses pouvaient un jour voter aussi pour Jeremy Corbyn et chasser les blairistes du parlement. Selon les blairistes, les 17 millions d’électeurs qui ont voté contre l’UE ne sont que des idiots racistes et des réactionnaires tories ou UKIP (le parti populiste d’extrême droite anti-immigrés).

Le journaliste australien John Pilger, un libéral de gauche qui réside en Angleterre depuis 50 ans, décrit très bien la nature de ces partisans petits-bourgeois de l’UE qui étaient scandalisés par le résultat du vote :

« Les propagandistes les plus efficaces de “l’idéal européen” n’ont pas été l’extrême droite mais une insupportable classe dirigeante patricienne pour laquelle la ville de Londres c’est le Royaume-Uni. Ses membres dirigeants se voient comme libéraux, instruits, les tribuns cultivés de l’esprit du XXIe siècle, et même cools. Ils ne sont en réalité qu’une bourgeoisie aux goûts consuméristes insatiables, imbue d’un sentiment immémorial de supériorité. Dans leur quotidien, le Guardian, ils ont aboyé jour après jour après ceux qui osaient considérer l’Union européenne comme profondément anti-démocratique, à la source d’injustices sociales et d’un extrémisme virulent connu sous le nom de néolibéralisme. »

Il est certain que les racistes et les fascistes ont cherché à profiter du vote en faveur du Brexit pour intensifier leurs provocations et leurs crimes racistes. Cette racaille était enhardie par le fait que Corbyn et les bureaucrates syndicaux, qui prétendent parler au nom de la classe ouvrière, ont trahi en refusant de présenter un axe prolétarien en opposition à l’UE. Pendant la campagne, Corbyn a argumenté (même si c’était avec une certaine réticence) que ce cartel impérialiste, qui a mis le peuple grec à genoux, peut devenir, si l’on fait suffisamment pression, une Europe « sociale » répondant aux besoins des travailleurs et des opprimés. Et en France le PCF, le NPA et les bureaucrates syndicaux ont fait de même (voir notre article « Gauche française et Brexit : Soutien critique à l’UE ou chauvinisme populiste “de gauche” », le Bolchévik n° 217, septembre).

Avec sa position pro-UE, Corbyn s’est rangé aussi du côté des nationalistes bourgeois du Scottish National Party en Ecosse, où 62 % de la population a voté pour rester dans l’UE. Corbyn a toujours été pour plus d’autonomie pour l’Ecosse, mais son refus de reconnaître le droit à l’indépendance de l’Ecosse le place avec les Tories et les blairistes qui veulent préserver à tout prix le sacro-saint Royaume-Uni, qui comprend aussi le petit Etat orangiste protestant d’Irlande du Nord.

Nous disons à bas la monarchie, la Chambre des Lords et l’Eglise anglicane (qui est la religion d’Etat en Angleterre). Nous sommes pour le droit à l’autodétermination de l’Ecosse et du Pays de Galles et pour une fédération volontaire de républiques ouvrières des îles britanniques, dans le cadre des Etats-Unis socialistes d’Europe.

Donc avec le vote pour le Brexit, les blairistes se découvrent soudainement des sentiments contre le racisme anti-immigrés, dans le seul but de consolider leur position pour la réintégration de la Grande-Bretagne dans l’UE. Avant le Brexit, plusieurs blairistes avaient, afin de flatter l’UKIP, mis en cause la défense des immigrés prônée par Corbyn. Ils ont appelé à changer les règles de l’UE pour limiter l’entrée des travailleurs d’Europe de l’Est.

Blair et ses sbires sont aussi bien sûr responsables de la participation de l’impérialisme britannique (derrière les Etats-Unis) à la conquête et la dévastation de l’Irak en 2003. Cette guerre, non moins que les autres interventions néocoloniales impérialistes au Proche-Orient et en Afrique ces quinze dernières années, a poussé les gens à fuir en masse en risquant leur vie pour arriver dans les camps de détention en Grèce, en Turquie, en Italie et ici en France. Fermeture des camps de détention ! Toutes les troupes impérialistes, y compris françaises, hors d’Afrique et hors du Proche-Orient !

Les médias bourgeois britanniques ont crié au scandale quand Seumas Milne, nommé responsable de la communication par Corbyn, a fait la constatation purement factuelle que « les prétentions de l’Ouest à se faire les promoteurs des droits de l’homme et des interventions humanitaires suscitent la dérision dans une bonne partie du monde ». L’UE est un cartel capitaliste qui défend avant tout la libre circulation du capital.

Comme nous l’avons expliqué dans le Bolchévik, les capitalistes français (tout comme les autres puissances impérialistes) profitent très bien des règles de l’UE. EDF est l’un des plus grands distributeurs d’énergie en Grande-Bretagne aujourd’hui, et tout le monde est au courant de son projet à Hinkley Point pour essayer de sauver son business nucléaire ; Veolia a un énorme marché du recyclage là-bas, et la SNCF a mis la main sur une partie de Southern Rail et du London Docklands Light Railway. A Southern Rail, la bataille continue entre les syndicats et la SNCF/Keolis contre leur tentative de supprimer les contrôleurs qui assurent la sûreté des voyageurs au départ des trains.

Quant à la circulation de la main-d’œuvre en Europe, elle est manipulée pour satisfaire les besoins des capitalistes dans les pays de l’UE. La libre circulation de Schengen est un mythe – il suffit de voir les barbelés et les points de contrôle aux frontières partout en Europe centrale, la fermeture des frontières à Menton, Calais, etc. Ceux qui ne sont pas expulsés ou qui échappent aux camps de détention sont surexploités et sous-payés dans le but d’aggraver la pression à la baisse sur les salaires de tous. De même pour les ressortissants de l’UE – depuis 2004 et l’adhésion de nouveaux pays d’Europe de l’Est, les membres fondateurs de l’UE ont changé les soi-disant règles de libre circulation, avec des exceptions pour différents pays.

C’est en mobilisant le prolétariat multiracial et multinational à la tête de tous les opprimés qu’il faut se battre contre les attaques et les provocations racistes. Le mouvement ouvrier doit lutter aussi contre les expulsions. Pleins droits de citoyenneté pour tous ceux qui sont parvenus ici ! Pour des mobilisations des syndicats et des minorités contre les provocations fascistes ! A bas la « forteresse Europe » raciste !

Les blairistes, laquais de l’OTAN

Donc voilà le contexte – le vote du 23 juin et la fureur de la City et de ses laquais – pour une enième tentative de le déposer. La majorité du groupe parlementaire travailliste s’est mise à hurler le lendemain du vote, et elle a fait voter une motion de censure interne contre Corbyn (172 voix contre 40). Mais Corbyn a refusé de démissionner en disant que ce serait trahir les militants qui l’ont élu à la tête du parti.

Le résultat de ce putsch raté a été un nouveau vote des membres du Parti travailliste pour élire leur dirigeant. Le National Executive Committee (NEC), l’instance administrative du parti, a continué les sales coups en discutant d’abord si Corbyn devait carrément être exclu de l’élection au cas où il n’aurait pas assez de parrainages des députés. Cela n’est pas passé, en partie parce que la bureaucratie syndicale a encore une certaine influence dans la direction (même si elle est moindre qu’avant). Mais ensuite le NEC a essayé d’exclure du vote les 130 000 nouveaux membres qui ont adhéré depuis janvier 2016, et il a suspendu toute réunion des instances locales du parti jusqu’après le vote.

J’étais en vacances en Angleterre cet été pendant la campagne pour la direction du Parti travailliste. Chaque jour, les députés blairistes lançaient une nouvelle attaque contre Corbyn et ses partisans, les traitant de misogynes, de racistes, de djihadistes, de radicaux violents, d’antisémites, et bien sûr aussi de trotskystes ! Un journal a titré en première page « Pourquoi je déteste Jeremy Corbyn et ses troupes de choc nazies » ; l’article en question, écrit par un travailliste juif, ex-candidat aux législatives de 2015 et important donateur de fonds du parti, faisait référence aux paramilitaires qui ont aidé l’ascension de Hitler au pouvoir dans les années 1920 et 1930.

Le Parti travailliste compte aujourd’hui 650 000 membres, un niveau historique, plus de deux fois plus que lors des élections législatives de 2015, avant que Corbyn devienne dirigeant ; le PS français, lui, n’a que 60 000 membres et le PCF environ 50 000. Cela donne une idée de l’ampleur de la popularité de Corbyn et de ses positions en défense des syndicats, du système de santé, contre l’élitisme dans les écoles, etc. Comme nos camarades britanniques l’ont expliqué dans leur propagande, dans les meetings et rassemblements, il y a une différence de classe entre les deux candidats.

Le candidat des blairistes, Owen Smith, est un ex-journaliste de la BBC qui a refusé de voter contre les coupes claires dans les aides sociales proposées par les Tories. Pendant des années il a été lobbyiste pour le compte du géant pharmaceutique Pfizer, un de ces vautours capitalistes qui font d’énormes profits sur le dos du National Health Service (NHS – l’équivalent de la caisse nationale d’assurance maladie ici). Aujourd’hui le NHS est un des derniers acquis restants du gouvernement travailliste de 1945 – après avoir subi des privatisations partielles sous les gouvernements travaillistes et conservateurs de ces dernières années.

Corbyn a notamment voté contre le renouvellement des quatre sous-marins nucléaires britanniques Trident, alors que Smith et une majorité des députés travaillistes ont voté pour ce projet des Tories. Il a déclaré que s’il devenait Premier Ministre il n’appuierait jamais sur le bouton nucléaire. Les Trident symbolisent la « relation spéciale » entre la Grande-Bretagne et l’impérialisme américain. Cela signifie au niveau militaire que les forces britanniques participent pratiquement à toutes les opérations militaires américaines, comme la dévastation de l’Afghanistan, de l’Irak et d’autres parties du Proche-Orient. Et, au sein de l’UE, la Grande-Bretagne a joué en partie le rôle d’avocat des intérêts américains ; d’où l’opposition de Washington au Brexit.

Lors d’un débat public, quelqu’un a demandé à Corbyn comment il réagirait à une « agression militaire de Vladimir Poutine contre un membre de l’OTAN ». Corbyn a répondu : « Je ne souhaite pas faire la guerre. » En revanche, Smith a déclaré : « Nous devrons alors venir en aide à un autre pays membre de l’OTAN. » Ces réticences politiques de Corbyn vis-à-vis des Trident et de l’OTAN expliquent pourquoi il est considéré comme inapte au poste de Premier Ministre par la classe dirigeante britannique et ses partenaires et parrains américains.

Les chefs militaires britanniques sont très clairs en ce qui concerne Corbyn. A peine une semaine après son élection à la tête des travaillistes il y a un an, un « général d’active de haut niveau » britannique a déclaré que si Corbyn devenait un jour Premier Ministre cela produirait « un événement qui serait en réalité une mutinerie ». Et un peu plus tard, le 8 novembre, le chef de l’état-major britannique a déclaré que Corbyn était inapte à occuper le poste de Premier Ministre.

Nous ne partageons pas la position unilatéraliste et utopique de Corbyn. Il colporte le mensonge qu’avec un gouvernement travailliste l’impérialisme britannique pourrait se laisser persuader d’adopter une politique étrangère plus rationnelle. En tant que marxistes, nous cherchons à faire comprendre à la classe ouvrière et à tous les opposants à la guerre impérialiste que le militarisme impérialiste ne peut être stoppé que par la prise du pouvoir par la classe ouvrière et l’expropriation de la bourgeoisie sous un gouvernement basé sur les conseils ouvriers. Le pillage, la conquête et l’asservissement – telle est la nature de la bête impérialiste. C’est pourquoi il fallait vaincre les faucons blairistes lors de cette élection pour la direction du Parti travailliste.

L’unité du parti a longtemps été un article de foi pour la gauche travailliste. Dans la pratique, cela signifiait que la droite prédominait tandis que la gauche s’inclinait pour préserver l’unité. Il faut au contraire exacerber la scission au sein du Parti travailliste. Il faudrait forcer les blairistes à faire face à la colère des membres du parti. La classe ouvrière a un côté dans la lutte qui fait rage dans le Parti travailliste depuis l’élection de Corbyn il y a un an. Nous sommes pour chasser du parti l’aile blairiste, ce qui laisserait Corbyn à la tête d’un Parti travailliste « socialiste parlementaire » basé sur les syndicats. Une scission avec l’aile droite serait un pas vers l’indépendance politique de la classe ouvrière. Une telle scission créerait dans la classe ouvrière britannique une situation plus favorable pour démolir le mythe que le socialisme pourrait être instauré par une série de réformes votées par le parlement.

Parti ouvrier-bourgeois et bureaucratie syndicale

Historiquement, la formation du Parti travailliste par la bureaucratie syndicale au début du XXe siècle exprimait au niveau organisationnel l’indépendance de classe du prolétariat par rapport au Parti libéral, un parti bourgeois. Mais, sur le plan politique, le programme travailliste a toujours subordonné les intérêts de la classe ouvrière à ceux de la classe dirigeante capitaliste et à l’« intérêt national ». Le Parti travailliste est ce que Lénine, le dirigeant de la Révolution russe, appelait un parti ouvrier-bourgeois.

Depuis le début de l’ère impérialiste il y a plus de cent ans, on voit les dirigeants du Parti travailliste (et ici en France les sociaux-démocrates de la SFIO, renommée depuis PS) soutenir leur propre bourgeoisie dans les guerres impérialistes et dans la gestion et le maintien de la dictature du capital. En 1918, sous la pression de la Révolution russe, le Parti travailliste a introduit la Clause IV, par laquelle il s’engageait soi-disant vers le socialisme « sur la base de la propriété commune des moyens de production ». Bien sûr, ceci n’a jamais été le vrai programme du Parti travailliste, mais cette clause reflétait la nécessité pour ses chefs de tenir compte (en paroles) des aspirations socialistes de sa base pour mieux l’enchaîner à sa propre bourgeoisie. Et inversement, quand après la chute de l’Union soviétique Blair a supprimé cette clause du programme officiel du parti en 1994, cela s’inscrivait dans son projet de créer un parti entièrement capitaliste.

Aujourd’hui, le prolétariat industriel est une fraction de ce qu’il était lorsque le Parti travailliste a été fondé. Pendant des années, les bureaucrates syndicaux ont refusé de mobiliser la force des syndicats pour lutter contre l’austérité du gouvernement, les suppressions d’emplois et les attaques contre le niveau de vie. En revanche, les internes des hôpitaux ont organisé ces six derniers mois un certain nombre de débrayages, et ils sont en train de planifier de nouvelles grèves dans les mois qui viennent. Mais jusqu’à présent, les dirigeants syndicaux n’ont pas cherché à organiser des grèves de solidarité parmi les centaines de milliers d’autres travailleurs (y compris une proportion élevée d’immigrés) dans les services de santé.

On commence maintenant à voir quelques signes de colère s’exprimant dans des grèves, comme chez les cheminots de Southern Rail. Des cheminots du métro de Londres ont fait grève la semaine passée contre les abus patronaux, ainsi que les travailleurs dans les bureaux de poste qui font face à des suppressions d’emplois et des attaques contre leurs retraites.

Il y a une certaine contradiction dans la bureaucratie syndicale, contradiction qui trouve sa racine non dans ses hésitations à trahir mais dans le fait que sa base sociale repose sur la classe ouvrière, et plus précisément sur l’aristocratie ouvrière ; et aujourd’hui la classe ouvrière est excédée par les attaques du gouvernement. En Grande-Bretagne, Corbyn cristallise au niveau parlementaire la haine qui s’accumule dans la société contre les gouvernements conservateurs ou blairistes. En France, le fait que Martinez et Mailly ont finalement pris la tête d’une grande mobilisation et de grèves contre la loi El Khomri après des années de guerre de classe unilatérale des patrons reflète aussi cette pression de leur base.

Comme ce fut le cas l’année dernière, les principaux syndicats britanniques soutiennent Corbyn même s’ils n’aiment pas son discours de gauche, et en particulier, pour certains, son opposition aux Trident. Au fond, les bureaucrates savent qu’ils ne peuvent rien espérer des blairistes. Les bureaucrates syndicaux procapitalistes veulent surtout conserver une voix au parlement afin d’endormir les travailleurs avec des illusions parlementaires et les détourner de la lutte de classe. Telle est la raison pour laquelle le Parti travailliste a été fondé par la bureaucratie syndicale il y a plus d’un siècle.

La formation des partis ouvriers – même de partis ouvriers réformistes comme le Parti travailliste – a représenté un important pas en avant pour la conscience politique de la classe ouvrière. Ils ont concrétisé le fait que la classe ouvrière a besoin de s’organiser dans son propre parti, dans un parti qui serait indépendant des partis politiques de la classe dirigeante et opposé à eux.

Mais même si une telle compréhension est un pas en avant pour la classe ouvrière, elle n’est pas en soi suffisante, parce que la classe ouvrière doit comprendre aussi que les partis réformistes ne représentent pas une rupture politique avec l’ordre bourgeois. Ces partis n’ont pas un programme pour l’émancipation de la classe ouvrière du joug capitaliste. Le Parti travailliste colporte historiquement le mythe que le socialisme pourrait être instauré en utilisant l’appareil d’Etat bourgeois britannique, fondamentalement par le vote d’une loi au parlement de Westminster. C’est essentiellement comme cela que la collaboration de classes fonctionne en Grande-Bretagne. Notre tâche, en tant que noyau d’un parti d’avant-garde léniniste, est d’intervenir et d’exposer au cours des luttes à venir la nécessité d’un authentique parti ouvrier révolutionnaire, indépendant aux niveaux organisationnel et politique de la bourgeoisie.

Il faut rompre avec le blairisme et avec le front populaire !

Les blairistes veulent détruire cette expression de l’indépendance organisationnelle de la classe ouvrière et son lien avec les syndicats, et c’est pourquoi ils doivent être vaincus. Ici en France le véhicule pour enchaîner la classe ouvrière à la bourgeoisie a été historiquement le front populaire. Les fronts populaires sont des gouvernements et des alliances électorales entre les partis ouvriers réformistes comme le PCF et le PS et des partis ou des groupes bourgeois – radicaux de gauche, chevènementistes, Verts, etc. Dans toutes les grandes crises du capitalisme depuis un siècle, les dirigeants réformistes ont eu recours au front populaire pour sauver la bourgeoisie.

Dans une telle alliance, la contradiction existant dans les partis ouvriers réformistes entre leur base ouvrière et leur direction procapitaliste est masquée. Ils se présentent devant les masses ensemble avec la classe dirigeante exploiteuse, comme une seule formation politique avançant un seul programme capitaliste, et sur laquelle, contrairement à ce que prétendent les réformistes de gauche et les centristes, on ne peut pas faire pression pour qu’elle agisse dans l’intérêt de la classe ouvrière. Cela s’est appelé Front populaire, Union de la gauche, Gauche plurielle, etc.

Il faut un parti bolchévique

Contrairement au réformisme parlementaire de Corbyn, un point de départ élémentaire pour les révolutionnaires est de comprendre que la classe ouvrière ne peut pas conquérir l’Etat capitaliste et l’utiliser à ses propres fins. L’Etat est le comité exécutif de la classe dirigeante capitaliste ; il consiste fondamentalement en détachements d’hommes armés – l’armée, la police, les tribunaux et les prisons – dont le rôle est de protéger la domination de classe de la bourgeoisie et son système de production. Il faut une révolution socialiste pour briser l’appareil de l’Etat bourgeois et le remplacer par un nouvel appareil d’Etat pour imposer le pouvoir ouvrier.

Dans la gauche britannique, nos camarades de la Spartacist League/Britain sont les seuls à avoir pour objectif de devenir le noyau d’un parti ouvrier révolutionnaire prolétarien sur le modèle du Parti bolchévique de Lénine et Trotsky, qui avait dirigé la Révolution d’octobre 1917 et l’avait menée à la victoire. Nous avons toujours pris parti pour Corbyn contre les blairistes, tout en expliquant comment notre programme révolutionnaire et internationaliste s’oppose à son socialisme parlementaire. Les espoirs de Corbyn dans la possibilité d’améliorer la situation de la classe ouvrière par des lois au parlement et par de petits aménagements économiques sont futiles. Pour créer une société au service des travailleurs, des minorités, des femmes et des jeunes, il faut d’abord briser le pouvoir de la bourgeoisie.

Pour commencer à s’adresser à des questions telles qu’un emploi pour tous, l’accès libre et gratuit aux services de santé et une éducation de qualité, en Grande-Bretagne, ici et partout, il faut la mobilisation des syndicats sous une nouvelle direction lutte de classe. Pour régénérer les anciennes régions industrielles et jeter les bases d’un niveau de vie décent pour tous, il faut le renversement de l’ordre capitaliste par une révolution socialiste. Une telle révolution expropriera la bourgeoisie et commencera à mettre en place une économie collectivisée, planifiée et internationaliste.

C’est cela notre programme. Contre le poison nationaliste propagé par la droite et par les populistes de gauche qui aujourd’hui mettent en avant le protectionnisme, nous sommes pour l’unité des travailleurs européens par-delà les frontières. Notre mot d’ordre, ce sont les Etats-Unis socialistes d’Europe..

 

Le Bolchévik nº 218

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