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Le Bolchévik nº 208 |
Juin 2014 |
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Le pouvoir ouvrier a ouvert la voie à l’émancipation sociale
La Révolution russe et les Roms
Europe capitaliste : Persécution des Tsiganes par l’Etat et terreur fasciste
En Hongrie, des nervis racistes attaquent leur maison à coups de cocktails Molotov et tirent sur les victimes qui essaient d’échapper. En République tchèque, des troupes de choc néonazies menacent de les exterminer dans des chambres à gaz. En Slovaquie, trois d’entre eux ont été tués par balle par un flic en dehors de son service, animé d’une mission pour « rétablir l’ordre ». En Bulgarie, ils sont agressés par des racistes à coups de poing américain. En France, des milliers d’entre eux ont été expulsés l’année dernière par le gouvernement du président PS François Hollande. Toutes ces victimes ont un point commun : elles sont roms (tsiganes).
D’un bout à l’autre du continent, les violences et la xénophobie contre les Roms s’intensifient dans les pays de l’Union européenne (UE) sous le choc de la crise économique capitaliste. Des flics grecs ont enlevé en octobre 2013 une fillette de quatre ans et arrêté ses parents en les accusant d’enlèvement parce qu’ils présumaient qu’il est impossible pour des Tsiganes d’avoir un enfant blond aux yeux bleus. Dans la même veine, les autorités irlandaises ont quelques jours plus tard arraché à leurs parents deux enfants roms à la peau claire. Des skinheads fascistes en Serbie sont encouragés par la persécution des Roms; sentant le racisme officiel souffler dans leur sens, ils sont passés à l’acte en tentant d’enlever un enfant rom au teint clair.
Les Roms sont dix à douze millions en Europe ; ils sont ostracisés et persécutés depuis toujours. La frénésie raciste dont ils sont victimes s’est dramatiquement intensifiée ces derniers mois, les gouvernements de droite comme de gauche essayant de dévier de l’ennemi de classe capitaliste la colère des travailleurs. Nous, les trotskystes de la Ligue communiste internationale (LCI), nous opposons depuis le début à l’UE : c’est un bloc commercial impérialiste établi pour renforcer l’exploitation et la paupérisation des travailleurs et des opprimés, notamment des immigrés qui sont des millions en Europe, sous la domination du capital allemand, et aussi français et britannique.
Les accords de Schengen de 1985, qui font partie du cadre juridique de l’UE, garantissent sur le papier la libre circulation des personnes entre pays membres, mais la « forteresse Europe » capitaliste ne fait qu’accroître la répression contre les immigrés et vide chaque fois un peu plus de sa substance le droit d’asile. Quand la Roumanie et la Bulgarie ont rejoint l’UE en 2007, leurs citoyens, dont de nombreux Roms, n’avaient pas le droit de travailler en Allemagne, en France ou en Grande-Bretagne. Ces restrictions ont été formellement levées depuis, mais le tollé provoqué par le gouvernement britannique de coalition conservateur/libéral-démocrate montre qu’ils continueront à se faire chasser d’un coin de l’Europe à l’autre.
Comme nos camarades de la Ligue trotskyste de France l’expliquaient dans un tract publié en octobre dernier (« A bas les expulsions racistes ! Pleins droits de citoyenneté pour tous les immigrés ! », 29 octobre 2013 [voir le Bolchévik n° 206, décembre 2013]) :
« Dans l’économie précapitaliste les Tsiganes occupaient une niche économique marginale en tant qu’artisans, colporteurs et artistes. Avec le développement du capitalisme ils ont été rejetés complètement aux marges de la société, victimes de persécutions qui ont culminé avec l’extermination de centaines de milliers de Tsiganes par les nazis. La vérité c’est que le capitalisme pourrissant est incapable d’“intégrer” les Roms, et encore moins en période de crise. »
Les populations tsiganes d’Europe ne forment pas une seule et même nation basée sur un territoire d’un seul tenant ou même sur une langue commune. Leur situation est dans un certain sens similaire à celle des Juifs d’Europe dans la société féodale. Ces derniers jouaient un rôle économique en tant que commerçants et prêteurs d’argent ; ils constituaient un « peuple-classe », comme l’a analysé le trotskyste Abraham Léon. Les Tsiganes étaient encore plus marginalisés socialement, mais les deux peuples ont en commun une longue histoire de haines et de persécutions brutales.
En défendant les Roms contre l’Etat capitaliste et les bandes fascistes, nous cherchons à mobiliser la classe ouvrière pour exiger la reconnaissance de leurs langues et dialectes et de leur culture, défendre le droit des Roms (nomades ou sédentaires) à l’égalité d’accès à l’éducation, au logement et à l’emploi, et exiger les pleins droits de citoyenneté pour les Roms où qu’ils vivent. Seule la révolution socialiste pourra, en fin de compte, rendre possible l’assimilation pleine et volontaire des Roms dans la société européenne, avec des droits entiers et égaux. C’est cette perspective qu’avait offerte la Révolution russe d’octobre 1917 dirigée par le Parti bolchévique.
La perspective de l’émancipation
Les migrations des Tsiganes vers ce qui allait devenir le territoire de l’Union soviétique ont eu lieu à différents moments de l’histoire. Au Xe siècle, un peuple tsigane connu sous le nom des Luli commença à se déplacer vers une région d’Asie centrale qui allait plus tard faire partie de l’empire tsariste; il cherchait à échapper aux incursions musulmanes sur ses terres d’origine dans le Nord de l’Inde. Au début du XVe siècle, des Tsiganes arrivèrent en Ukraine. Puis, toujours au XVe siècle, des Tsiganes furent contraints de fuir les persécutions en Allemagne et d’émigrer en Pologne et en Lituanie, où des fonctionnaires polonais demandèrent leur expulsion. Ces territoires furent annexés par la Russie au XVIIIe siècle.
Le principal écrivain et intellectuel rom d’Union soviétique, Alexander V. Germano, a décrit dans un ouvrage de 1931 intitulé Tsygane Vchera i Segodnia (Tsiganes d’hier et d’aujourd’hui) l’histoire des Roms européens : c’est une chronique sanglante de persécutions et d’aliénation. Les Tsiganes étaient brûlés au bûcher, pendus, massacrés, exilés. Ils étaient contraints par les habitants et par les fonctionnaires de vivre temporairement à la périphérie des villages, ce qui renforça le nomadisme comme mode de vie. Réduits à un statut de paria, beaucoup de Tsiganes furent mis en esclavage ou asservis, avec pour résultat l’arriération culturelle et l’exclusion politique.
Dans la Russie tsariste, les Tsiganes étaient soumis à des mesures policières et des lois discriminatoires. Au milieu du XVIIIe siècle, l’impératrice Elisabeth émit un décret interdisant aux Tsiganes d’entrer dans la capitale Saint-Pétersbourg et ses environs. Le Sénat chercha en 1783 à empêcher les Tsiganes de passer d’un propriétaire foncier à l’autre ; il décréta par la suite que les Tsiganes errants seraient placés sous surveillance et renvoyés dans leur district d’origine.
Certains Roms russes purent jouir d’une prospérité et d’une stabilité relatives parce qu’ils appartenaient à des churs tsiganes, très populaires dans la noblesse jusqu’à ce que cette classe soit écrasée par la Révolution russe. Néanmoins, les années de déclin de l’autocratie tsariste s’accompagnèrent aussi d’une intensification de l’oppression des Roms. Le régime tsariste et plusieurs autres gouvernements européens signèrent par exemple en 1906 un accord avec la Prusse pour persécuter les populations roms nomades.
Les bolchéviks étaient conscients que les classes dirigeantes capitalistes fomentent le racisme et le nationalisme pour diviser et affaiblir les ouvriers de différentes origines et maintenir ainsi leur pouvoir ; aussi ils étaient d’irréductibles opposants de l’antisémitisme et de toute autre oppression nationale, religieuse ou ethnique. La « Déclaration des droits des peuples de Russie », adoptée peu après la révolution d’Octobre, proclamait « le droit des peuples de Russie à l’autodétermination » et « l’abolition de tous les privilèges et restrictions nationaux et religieux-nationaux ». La déclaration engageait l’Etat ouvrier à garantir « le libre développement des minorités nationales et des groupes ethnographiques habitant le territoire de la Russie ».
Le jeune Etat soviétique était animé par le programme bolchévique de lutte contre le chauvinisme national et pour l’union des travailleurs du monde contre le système capitaliste impérialiste : il fit des efforts héroïques pour apporter le progrès, la modernité et la liberté aux peuples roms. Comme le fait remarquer l’historien David M. Crowe dans A History of the Gypsies of Eastern Europe and Russia (1994) :
« Les années 1920 furent témoin d’une sorte de renaissance tsigane venue d’Europe orientale et de Russie ; des intellectuels roms cherchaient à intégrer les Tsiganes dans les nouvelles nations. Leurs efforts pour créer des organisations et pour publier des ouvrages en romani étaient admirables mais ils étaient pénalisés par l’inexpérience et un soutien financier insuffisant ainsi que par des préjugés et une indifférence séculaires. C’est dans le nouvel Etat russe soviétique que les Roms obtinrent les acquis les plus remarquables et les plus durables. »
La situation des Roms en Russie soviétique progressa d’une façon qui était inconcevable dans le monde capitaliste. Mais ces avancées furent limitées et en partie remises en cause sous le régime de la bureaucratie stalinienne qui prit le pouvoir politique en 1923-1924. Alors que pour les bolchéviks de Lénine et Trotsky l’égalité de toutes les nations et de toutes les langues faisait partie du programme pour la révolution socialiste mondiale, le régime de Staline allait être marqué par un chauvinisme grand-russe grandissant à mesure qu’était mis en avant le dogme nationaliste et antimarxiste de la construction du « socialisme dans un seul pays ». Déjà en 1922 Lénine avait recommandé de démettre Staline du poste de secrétaire général du parti communiste parce qu’il avait attaqué les droits nationaux des Géorgiens.
Il faut comprendre que l’Union soviétique demeurait un Etat ouvrier malgré la contre-révolution politique. Même déformée par la bureaucratie privilégiée au pouvoir et soumise aux énormes pressions des puissances impérialistes hostiles, l’économie collectivisée et planifiée permit d’immenses avancées sociales pour les peuples soviétiques et en particulier pour les peuples les plus arriérés comme ceux d’Asie centrale. Trotsky fit observer dans son analyse pionnière de l’Union soviétique sous Staline, la Révolution trahie (1936) :
« Il est vrai que la bureaucratie continue à accomplir dans ces deux domaines un certain travail progressif, quoique au prix d’énormes frais généraux. Cela concerne avant tout les nationalités arriérées de l’U.R.S.S. qui doivent nécessairement passer par une période plus ou moins longue d’emprunts, d’imitations et d’assimilation. »
La lutte pour le progrès
La situation des Tsiganes s’améliora considérablement dans les années qui suivirent la Révolution bolchévique, grâce notamment à des campagnes de sédentarisation, à l’éducation des enfants roms dans leur propre langue et à la création d’institutions culturelles dynamiques. Parmi les principaux inspirateurs de cette transformation sociale se trouvait un groupe de militants tsiganes dont le travail est décrit dans New Soviet Gypsies : Nationality, Performance and Selfhood in the Early Soviet Union, un nouveau livre de Brigid O’Keeffe, maître de conférences au Brooklyn College. Ces jeunes militants animés par la ferveur révolutionnaire qui imprégnait la jeune Russie soviétique étaient les héritiers de l’intelligentsia romani pré-révolutionnaire de Moscou, issue des churs tsiganes.
I.I. Rom-Lebedev était l’un des principaux dirigeants de ce travail. Il organisa avec des amis en 1923 à Moscou une cellule pour les Roms du Komsomol, l’organisation de la jeunesse communiste. L’objectif était de promouvoir le progrès et de combattre des pratiques comme dire la bonne aventure, faire la manche et autres activités opposées au travail productif. Avec l’aide de leur syndicat, les jeunes créèrent un espace rouge dans le parc Petrovskii, avec des livres et des revues, pour faire des Roms des citoyens soviétiques conscients. Les camarades du Komsomol participèrent un an plus tard à la formation d’un Comité d’action de membres fondateurs de la Société prolétarienne tsigane, parmi lesquels il y avait trois militants qui avaient servi dans l’Armée rouge, trois membres du parti communiste et trois membres du Komsomol.
Le Comité d’action reçut en juillet 1925 l’autorisation du Commissariat du peuple aux Affaires intérieures (NKVD) pour former l’Union tsigane panrusse (UTPR). Un an après la fondation de l’UTPR, son influence s’étendait déjà bien au-delà de la province de Moscou, et des sections affiliées furent créées à Leningrad, Tchernigov, Vladimir et Smolensk. De son côté, la section de l’UTPR de Moscou commençait à être inondée de lettres de Roms envoyées de toute l’Union soviétique, et elle revendiquait 330 membres en 1926.
La première ferme collective tsigane en Union soviétique fut créée en 1925 près de Rostov par un groupe de Roms qui avaient fourni des chevaux à l’Armée rouge pendant la guerre civile. Peu après, l’UTPR collabora avec le Commissariat du peuple à l’Agriculture et avec le Département des nationalités du Comité exécutif central panrusse pour établir la Commission pour la sédentarisation des travailleurs tsiganes, dans le but d’encourager les Roms à abandonner le nomadisme. Très vite, les Tsiganes commencèrent à s’établir sur les terres qui leur étaient réservées par chaque république soviétique. Environ 5 000 Tsiganes s’installèrent dans des fermes en Crimée, en Ukraine et dans le Nord du Caucase entre 1926 et 1928, sur une population rom totale estimée entre 61 000 et 200 000, en comptant les Roms nomades et autres établis dans les villes et leur périphérie.
Malgré les efforts de l’Etat et des militants, beaucoup de Roms refusèrent de s’installer sur les terres de l’Etat. Non seulement les masses tsiganes étaient dispersées et pour la plupart analphabètes, elles se méfiaient aussi des autorités car elles avaient été victimes, des siècles durant, de l’oppression brutale et de l’ostracisme. Comme les femmes communistes qui avaient revêtu le voile pour porter le message d’émancipation des bolchéviks aux femmes de l’Orient musulman, des militants de l’Union tsigane firent du travail parmi les Roms pour les gagner à leur cause. Ils expliquaient sur une affiche en russe et en romani les efforts soviétiques pour libérer de l’arriération les peuples minoritaires de l’ancien empire. Ils y déclaraient qu’auparavant les nomades avaient été opprimés par les tsars qui les maintenaient dans l’irrationalisme et l’aliénation mais qu’à présent, avec l’aide du pouvoir soviétique, les tribus nomades « commencent à s’établir sur des terres et à adopter l’agriculture. Elles ont leurs propres terres, leurs propres fermes, leurs bois, leurs villages et leurs propres écoles. »
C’est en effet dans le domaine de l’éducation que l’amélioration de la situation des Roms fut des plus frappantes. Le Commissariat du peuple à l’Education (Narkompros) avait déclaré dans un décret du 31 octobre 1918 intitulé « La question des écoles des minorités nationales » que les Tsiganes, comme toutes les nationalités soviétiques, avaient le droit de recevoir une éducation dans leur langue maternelle. Les premières salles de classe d’Union soviétique consacrées à l’éducation en langue romani furent ouvertes à Moscou en janvier 1926 au sein d’écoles élémentaires russes existantes. Les élèves apprenaient la lecture, l’écriture, l’arithmétique, le dessin, les travaux manuels, la musique, l’éducation physique, l’histoire et l’instruction civique. Des efforts furent également faits pour ouvrir des centres d’alphabétisation pour adultes, et des écoles en langue romani furent établies sur les fermes collectives où les Roms s’étaient installés.
Les professeurs s’évertuaient aussi, courageusement, à enseigner une autre matière : l’hygiène. Aussi bien dans la classe qu’en dehors, on apprenait aux enfants roms et à leurs parents qu’il fallait faire sa toilette, se laver les dents et se peigner. Le département de l’éducation à Moscou était alarmé par le taux élevé de malnutrition et de maladies telles que l’anémie, la tuberculose et la fièvre typhoïde chez les enfants roms. Mais la négligence des pratiques d’hygiène élémentaires ne se limitait en aucun cas aux Roms : elle reflétait une pénurie matérielle générale et l’ignorance qui régnaient dans la Russie soviétique des premiers temps, une société principalement agraire qui avait hérité d’une arriération séculaire.
A cause du manque de professeurs en langue romani et de l’absence même d’un alphabet romani, l’enseignement fut dans un premier temps donné en russe. Pour surmonter ces obstacles, des militants de l’Union tsigane entreprirent de créer un alphabet romani et de standardiser la langue avec l’aide d’un linguiste à l’Université d’Etat de Moscou. Le Narkompros décréta en mai 1927 que le nouvel alphabet devrait être basé sur l’alphabet cyrillique avec quelques modifications. Ceci représentait une rupture avec la pratique soviétique antérieure qui consistait à créer de nouveaux alphabets à partir de l’alphabet latin, comme pour le turkmène par exemple.
Très vite on publia les premiers manuels scolaires en langue romani. Une revue en romani, Romany Zoria (l’Eveil tsigane), commença à paraître en novembre 1927, suivie de Nevo Drom (Voie nouvelle), un livre de lecture destiné aux adultes. Le premier livre de grammaire romani utilisé dans les classes tsiganes, Tsyganskii Iazyk (La langue tsigane), parut en 1931 et à la fin des années 1930 fut publié un dictionnaire romani-russe de 10 000 mots. O’Keeffe affirme : « Même si pratiquement toutes les initiatives éducatives avaient été arrêtées avant le début de la Deuxième Guerre mondiale, beaucoup d’étudiants romani avaient déjà achevé l’éducation pratique et politique qu’ils avaient reçue à la fin des années 1920 et pendant les années 1930, et ils en étaient sortis comme citoyens soviétiques instruits et intégrés. »
Parallèlement aux efforts pour l’éducation des Roms se déroulait une lutte pour l’intégration des Tsiganes dans la classe ouvrière, qui eut pour résultat l’établissement de plusieurs artels (coopératives) à Moscou. Il y avait en 1931 dans la capitale 28 artels roms qui employaient 1 350 ouvriers. Il faut noter que, parmi les premiers et les plus prospères, il y avait deux artels, Tsygkhimprom (Manufacture chimique tsigane) et Tsygpichtcheprom (Fabrique alimentaire tsigane), qui n’employaient pas exclusivement des Roms. Au Tsygpichtcheprom, les Tsiganes travaillaient au côté d’ouvriers d’au moins onze autres nationalités.
Malgré ces modestes progrès, le Conseil des commissaires du peuple et d’autres entités dirigeantes soviétiques étaient devenus sceptiques vis-à-vis de l’Union tsigane. L’Inspection ouvrière et paysanne de la Commission de contrôle de Moscou fit une inspection surprise de l’UTPR en mars 1927. Elle conclut que la direction de l’Union était remplie de profiteurs, de gens du spectacle et de cols blancs, et que ses membres étaient essentiellement des spéculateurs sur le marché du cheval et autres éléments non prolétariens. Les dirigeants de l’Union tsigane réagirent en protestant que leur travail avait été freiné par l’attitude sceptique, intolérante et méfiante des fonctionnaires de l’Etat.
Au moment de la dissolution de l’UTPR en février 1928, le NKVD déclara qu’elle n’avait pas su prendre des mesures concrètes pour lutter contre des activités comme « dire la bonne aventure ou pratiquer la mendicité, les jeux d’argent, l’ivrognerie, entre autres particularités de la population tsigane ». En dehors du fait que ces plaies sociales étaient loin d’être des « particularités tsiganes », le fait est qu’il aurait fallu des années de lutte pour les éradiquer même dans les meilleures circonstances matérielles, sans parler des conditions d’arriération qui prévalaient à cette époque en Russie soviétique. Malgré la dissolution de l’UTPR, ses membres allaient continuer à jouer un rôle de premier plan dans la vie soviétique, contribuant à l’éveil culturel rom de la fin des années 1920 et du début des années 1930.
Les droits des Roms reculent
Les Roms n’allaient pas être épargnés par les énormes bouleversements sociaux qui accompagnèrent le premier plan quinquennal et la campagne de collectivisation forcée de l’agriculture lancée à la fin des années 1920. Trotsky et l’Opposition de gauche avaient lutté pour la mise en place d’une industrialisation planifiée et pour la collectivisation de l’agriculture, sur la base du volontariat, afin de renforcer l’économie socialisée de l’URSS. Mais le régime de Staline et de Nikolaï Boukharine encouragea les koulaks (paysans riches) à s’enrichir. En 1928 ceux-ci avaient pris conscience de leurs propres intérêts et ils étaient devenus une épée de Damoclès sur l’Etat ouvrier, ce qu’ils montrèrent en bloquant l’approvisionnement des villes en céréales, menaçant ainsi la population de famine. La bureaucratie se retourna alors soudainement contre les koulaks. N’ayant assuré aucune des bases techniques ou économiques, l’Etat soviétique entreprit avec la brutalité caractéristique de Staline de collectiviser la paysannerie et de lancer un rythme d’industrialisation aventureux. Ce tournant écarta la menace immédiate d’une restauration capitaliste en URSS.
Au milieu du chaos qui s’ensuivit, des milliers de Roms s’enfuirent vers des centres urbains déjà surpeuplés. Parmi eux, il y avait de nombreux Roms valaques un peuple venu de Roumanie et de l’empire austro-hongrois qui avait émigré en Russie à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Contrairement aux Roms russes relativement bien établis, les Roms valaques ne parlaient en général pas le russe. A présent obligés de loger dans des campements à la périphérie de Moscou, ils furent considérés comme des « étrangers » par les autorités. Du 28 juin au 9 juillet 1933, la police secrète appréhenda 1 008 familles romani à Moscou 5 470 personnes en tout et les déporta dans des colonies de travail en Sibérie occidentale.
Ces déportations eurent lieu en même temps qu’on s’en prenait au droit des Roms à une éducation dans leur propre langue. Le premier cours de formation des professeurs roms avait débuté en 1932 à l’Institut central de Moscou pour l’avancement des cadres qualifiés de l’éducation (TsIPKKNO). Huit mois plus tard, 15 étudiants romanis avaient reçu leur diplôme et attendaient leur affectation dans les écoles du vaste territoire de l’Union soviétique. Mais bien vite certains étudiants commencèrent à se plaindre de discrimination à l’emploi. La réponse du TsIPKKNO fut de mettre fin au programme. D’autres exemples de discrimination et de protestation d’étudiants roms suivirent. Finalement le régime adopta en 1938 un décret (« Liquidation des écoles nationales et des départements nationaux au sein des écoles ») qui en finit avec l’instruction en romani. Le décret signifiait aussi la fin de l’éducation en assyrien, estonien, finnois, polonais, chinois et plusieurs autres langues.
La bureaucratie faisait alors de plus en plus étalage du nationalisme inhérent à sa doctrine du « socialisme dans un seul pays ». Après la prise du pouvoir par les nazis en Allemagne qui mit sur-le-champ l’Union soviétique en danger, les staliniens adoptèrent en 1935 la politique du Front populaire ; ils ordonnèrent aux partis communistes de donner un soutien politique et même parfois de participer à des gouvernements capitalistes « progressistes » prétendument amis de l’URSS. Les staliniens rejetaient explicitement la nécessité de lutter pour des révolutions ouvrières hors de l’URSS pour étendre le pouvoir prolétarien aux pays capitalistes économiquement avancés ; ce rejet allait de pair avec l’adoption en URSS même du nationalisme nauséabond que la Révolution bolchévique avait combattu dès la première heure.
La politique d’apaiser l’impérialisme ne servit qu’à affaiblir l’Etat ouvrier face à ses ennemis de classe. Quand l’Allemagne envahit l’Union soviétique en juin 1941, c’est l’existence même de l’Etat ouvrier qui se trouva menacée. Les trotskystes s’opposaient à toutes les puissances impérialistes en guerre mais ils appelèrent le prolétariat soviétique et les travailleurs du monde à lutter pour la défense de l’Union soviétique à l’heure du danger. De son côté, le régime stalinien surnomma la lutte armée de l’Union soviétique la Grande Guerre patriotique, cédant au nationalisme russe.
On estime de 30 à 35 000 le nombre de Tsiganes qui furent massacrés par les envahisseurs nazis pendant le porraimos (le génocide tsigane). Les Roms soviétiques prirent leur part à la lutte contre le fléau fasciste et ils contribuèrent à sa défaite. Le théâtre Romen, le premier théâtre professionnel rom du monde, organisa des représentations pour l’Armée rouge et certains membres de sa troupe devinrent soldats. Les Roms se joignirent également aux unités de partisans soviétiques en Biélorussie et en Ukraine, ce qui conduisit les chefs de la police militaire allemande à exiger l’exécution systématique des membres des groupes de musique tsigane, suspectés de soutenir les partisans.
Malgré le régime bureaucratique, les Roms soviétiques arrivèrent dans les années d’après-guerre à un haut niveau d’assimilation et de développement culturel. David Crowe cite une remarque de l’universitaire rom Lajko Cherenkov du début des années 1970 :
« Il est rare de rencontrer un Rom en Union soviétique aujourd’hui qui ne sache ni lire ni écrire, alors qu’avant la guerre personne ne savait dans certains groupes comme ceux de Bessarabie par exemple. La plupart des jeunes de la nouvelle génération finissent aujourd’hui le collège et, dans les villes, on ne peut pas distinguer les Roms des autres nationalités sur cette question. »
Les Roms d’Europe de l’Est sous le stalinisme, ou l’intégration par le bas
La victoire de l’Union soviétique sur l’Allemagne nazie jeta les bases du renversement des relations capitalistes de propriété en Europe de l’Est et en Allemagne de l’Est. Il y avait ainsi en 1948 des Etats ouvriers déformés, créés sur le modèle de l’Union soviétique de Staline par le biais des forces soviétiques et des partis communistes nationaux. En revanche, l’Etat ouvrier déformé yougoslave fut le résultat de la victoire des partisans du maréchal Tito. La destruction du capitalisme dans ces Etats permit aux populations roms de réaliser des progrès significatifs. Mais la façon dont les bureaucraties dirigeantes traitaient ces populations était inconstante et contradictoire, et elle variait d’un pays à l’autre.
Avant la prise du pouvoir en Tchécoslovaquie par le parti communiste (PCT) en février 1948, les ministres du gouvernement précédent avaient réclamé des mesures sévères et contraignantes contre les Tsiganes. Le PCT déclara au contraire que son but ultime était d’intégrer les Roms dans la population et d’aligner leur niveau économique, social et culturel sur celui des Slaves. Le nouveau régime communiste accusa avec raison les gouvernements capitalistes précédents d’avoir aggravé la position économique et sociale des Roms, mais il ne prit initialement que des mesures hésitantes pour améliorer leur sort et les intégrer dans la classe ouvrière et la société en général. Le gouvernement adopta en 1958 une loi rendant le nomadisme passible d’une peine de six mois à trois ans de détention, tout en condamnant le racisme anti-Roms.
Il fallait lutter contre le nomadisme mais la bureaucratie du PCT, comme celle de Moscou, le fit à coup de décrets bureaucratiques au lieu de préconiser l’assimilation volontaire. Mais il ne faut pas pour autant oublier les avancées substantielles que connurent les Roms. Le régime du PCT, reconnaissant que 67 % des 153 000 Tsiganes de Slovaquie vivaient dans des conditions inhumaines, lança en 1965 un programme de démolition des logements insalubres et relogea les Roms sur les territoires tchèques, plus prospères, en leur accordant des aides financières et des prêts pour acheter de nouveaux logements. Cette politique de relogement se poursuivit pendant les années 1970, conduisant à une amélioration spectaculaire des conditions de vie des Roms. Plus de 70 % des Roms vivaient en appartement en 1980 ; en dix ans le pourcentage de personnes vivant en logement insalubre était passé de 80 à 49.
Des progrès eurent lieu aussi dans l’éducation. Entre 1971 et 1980, le pourcentage d’enfants roms qui terminaient l’école publique s’éleva de 16,6 à 25,6 ; et le nombre d’étudiants poursuivant des études supérieures passa de 39 à 191. Le taux d’alphabétisation chez les adultes atteignit 90 % à cette époque. Parallèlement, plus de quatre Roms sur cinq travaillaient dans l’industrie au début des années 1980.
Mais ces acquis avaient un prix. Le programme de relogement était insuffisamment financé et il engendrait aussi un ressentiment croissant contre l’arrivée des Roms sur les terres tchèques. Puis en 1972, le gouvernement de Gustav Husak enflamma les sentiments racistes avec un décret qui encourageait la stérilisation des femmes roms. Le prétexte de cette campagne cynique et scandaleuse était la taille soi-disant « malsaine » de la population rom. Les Tsiganes tchécoslovaques constituaient l’un des groupes roms les plus nombreux d’Europe de l’Est, mais ils représentaient en 1980 moins de 2 % de la population du pays.
La Roumanie était un pays majoritairement rural, plus arriéré et plus pauvre que la Tchécoslovaquie qui était relativement industrialisée, et avant la guerre son parti communiste était minuscule. Aussi était-elle bien moins hospitalière envers ses citoyens roms. Dès le XIIe siècle des Tsiganes avaient commencé à arriver dans ce qui allait devenir les principautés danubiennes de Valachie et de Moldavie, des régions finalement intégrées au territoire de la Roumanie moderne. A la fin du XIVe siècle, des familles tsiganes avaient été asservies dans des monastères locaux ; cela marqua le début d’une période de plusieurs siècles d’esclavage qui n’allait s’achever qu’en 1864. Même si leurs conditions de vie s’améliorèrent après leur émancipation, les Roms demeurèrent des parias démunis et opprimés par les propriétaires terriens boyards, et ils étaient l’objet du ressentiment des paysans en difficulté. Les Roms étaient aussi victimes de l’indifférence et de la terreur raciste pure et simple de l’Etat. En 1941, le dictateur Ion Antonescu appela à l’élimination des minorités nationales. Allié de l’Allemagne nazie pendant la Deuxième Guerre mondiale, il supervisa le massacre de dizaines de milliers de Tsiganes, dont beaucoup furent victimes de la Garde de fer fasciste.
La Roumanie sous le régime du dirigeant stalinien Gheorghiu-Dej promit de respecter les droits à l’éducation et les droits linguistiques et culturels des nationalités du pays. Mais l’éducation resta hors de portée pour une grande partie de la population tsigane, malgré leur urbanisation croissante. Environ 43 % des Roms de plus de huit ans étaient inscrits à l’école primaire en 1956, mais la scolarité au-delà de ce niveau était insignifiante : en 1966, il n’y avait qu’un seul Tsigane roumain à l’université !
Dans les années 1950 et 1960, le régime de Gheorghiu-Dej prit quelques mesures pour remédier au taux élevé d’analphabétisme chez les Tsiganes. Une étude menée en 1983, sous le gouvernement de Nicolae Ceausescu, alla plus loin ; elle définit des objectifs pour résoudre les nombreuses difficultés que rencontrait la population tsigane : analphabétisme, insalubrité du logement, chômage, délinquance, manque d’hygiène, mortalité infantile élevée et prévalence des maladies vénériennes, de la fièvre typhoïde et de la tuberculose. Une loi spéciale mit en avant la nécessité de fournir aux Roms des emplois dans la construction et l’agriculture et elle imposa aux fonctionnaires d’aider les Roms à construire des maisons. Mais le régime de Ceausescu un cinglé, acclamé par les Etats-Unis et autres puissances impérialistes pour son indépendance vis-à-vis du Kremlin dépensa des milliards pour rembourser la dette du pays vis-à-vis des banques étrangères et priva ainsi l’Etat des ressources nécessaires pour donner un logement, une éducation et des soins aux Roms.
Alors que les travailleurs de Roumanie s’appauvrissaient de plus en plus, les staliniens se complaisaient dans le nationalisme roumain, ce qui eut des conséquences particulièrement graves pour les Roms et la minorité hongroise. Le gouvernement décréta en 1966 l’interdiction de l’avortement pour les femmes de moins de 45 ans qui n’avaient pas encore produit quatre enfants, une attaque visant spécialement les familles les plus pauvres et les plus nombreuses. Il a été révélé en 1989 qu’à cause de cette infâme politique les orphelinats débordaient ; ils comptaient plus de 100 000 enfants, les Roms étant proportionnellement en surnombre. Le régime de Ceausescu imposa aussi des déplacements forcés. Bien que cette politique ait visé avant tout la population hongroise, elle causa la destruction de quartiers tsiganes entiers, dont les habitants étaient relogés de force dans de grands immeubles d’habitation souvent situés dans des ghettos urbains.
Comme l’a fait remarquer le spécialiste rom hongrois István Kemény, les Roms avaient été dans un certain sens intégrés dans la société au début des années 1970, mais ils l’étaient « tout en bas de l’échelle sociale » (cité par Crowe dans A History of the Gypsies of Eastern Europe and Russia). A un degré ou un autre, cette affirmation décrit avec pertinence la position des Roms dans l’ensemble des Etats ouvriers dégénéré et déformés.
La contre-révolution, une catastrophe pour les ouvriers et les minorités ethniques
Les efforts sporadiques et contradictoires des régimes staliniens pour assimiler les Roms et favoriser un climat de pleine égalité ont fait naufrage au milieu de la pénurie matérielle et des chocs économiques. Ces fléaux eux-mêmes provenaient de la productivité relativement faible des Etats ouvriers gouvernés de façon bureaucratique, et du fait qu’ils étaient assiégés par les pays impérialistes plus puissants économiquement. Quand la crise terminale a frappé le stalinisme d’Europe centrale et orientale en 1989-1992, la Ligue communiste internationale a lutté au maximum de ses capacités et de ses ressources pour forger les partis révolutionnaires nécessaires pour gagner la bataille contre la contre-révolution capitaliste et pour la révolution politique prolétarienne contre les bureaucraties en voie de désintégration. Mais les ouvriers, dont la conscience politique avait été empoisonnée par des dizaines d’années de mauvaise gestion stalinienne, n’ont pas agi de façon résolue contre la contre-révolution, ce qui a abouti au renversement de ces Etats ouvriers.
Lors de notre intervention dans les événements en Allemagne de l’Est et en Union soviétique, nous avons averti à maintes reprises qu’avec la restauration capitaliste le vieux fatras de la réaction sociale allait revenir en force, visant les femmes, les Juifs, les immigrés, les minorités ethniques et les nationalités opprimées. Des skinheads fascistes ont commencé en 1990 à s’en prendre aux Tsiganes et aux ouvriers immigrés vietnamiens en Tchécoslovaquie. En Roumanie, les pogroms anti-Tsiganes sont devenus monnaie courante après le renversement et l’exécution de Ceausescu en décembre 1989. Les Roms étaient traités de « plaie sociale » et de « lie de la société », en premier lieu par le gouvernement et les médias ; cela rappelait les délires d’Hitler contre les Juifs.
Sans direction révolutionnaire, de nombreux ouvriers étaient réceptifs à ce genre de poison. Dans notre article « Réaction et résistance en Europe de l’Est » (le Bolchévik n° 103, juillet-août 1990), nous rapportions que des mineurs roumains mobilisés en masse avaient maté des contre-révolutionnaires à Bucarest ; après quoi certains mineurs, infectés de venin raciste, avaient attaqué des quartiers tsiganes.
Des Balkans aux pays baltes et à la Russie elle-même, le torrent nationaliste qui a aidé à la destruction des Etats ouvriers a atteint un paroxysme sanglant dans la foulée de cette défaite. Partout les Roms étaient chassés, attaqués et contraints de fuir pour échapper à la mort. Comme l’a fait remarquer Isabel Fonseca dans son livre de 1995, Enterrez-moi debout : L’odyssée des Tsiganes : « Pour les Gitans du centre et de l’est de l’Europe, le changement le plus spectaculaire survenu depuis les révolutions de 1989 est la brusque escalade de la haine et de la violence à leur encontre. La seule Roumanie a été le décor de plus de trente-cinq attaques graves menées contre leurs communautés, principalement dans les zones rurales écartées : on brûle, on bat, certains ont même été assassinés, des enfants ont été estropiés. » Il n’est pas surprenant que plusieurs Roms interrogés par Fonseca dans la ville de Constanta en 1991 aient gardé un bon souvenir de la vie sous Ceausescu.
Confrontés à cette vague de violence et à une telle pauvreté, des dizaines de milliers de Roms au désespoir durent fuir en Allemagne. Une fois là-bas, ils se faisaient agresser par des meutes néonazies qui mettaient le feu à leurs foyers sous les yeux de la police. Le gouvernement de l’Allemagne capitaliste réunifiée signa ensuite un accord avec la Roumanie en septembre 1992 pour déporter les Roumains (surtout roms) dans leur pays d’origine.
Nous avons publié un article dans Women and Revolution n° 38 (hiver 1990-1991) intitulé « Le racisme du Quatrième Reich vise les immigrés Arrêtez la persécution des Tsiganes ! » où nous disions que les Roms « fuient l’Europe de l’Est pour sauver leur peau ». L’article poursuivait :
« Ils sont les premières victimes du torrent raciste meurtrier qui engloutit de partout l’Europe de l’Est après l’effondrement des régimes staliniens et la plongée dans une économie de marché sauvage. Les idéologues bourgeois saluent la “mort du communisme”, mais avec le retour de l’exploitation capitaliste on voit la résurgence de la racaille criminelle nationaliste, antisémite et anticommuniste qui dominait la région avant la victoire de l’Armée rouge en 1945. »
Pour les Etats-Unis socialistes d’Europe !
La LCI s’est battue jusqu’au bout pour défendre les acquis de la révolution d’Octobre contre la restauration capitaliste. En revanche, pratiquement tous nos opposants de gauche se sont précipités pour soutenir les forces de la contre-révolution au nom de la « démocratie », la « liberté » ou l’« indépendance nationale ». Certains de ces groupes se plaignent aujourd’hui des mauvais traitements infligés aux Roms en Europe depuis la contre-révolution. Un bon exemple : Sozialistische Alternative (SAV), la section allemande du Comité pour une internationale ouvrière (CIO) de Peter Taaffe, auquel appartient Socialist Alternative aux Etats-Unis [et la Gauche révolutionnaire en France]. Dans la deuxième partie d’un article sur les Roms paru sur sozialismus.info (4 février 2013), SAV évoque ainsi la période qui a suivi la restauration capitaliste en Europe de l’Est :
« Dans la plupart des cas, les Roms étaient les premiers licenciés parce qu’ils avaient en général moins d’instruction et qu’ils avaient un niveau d’études plus bas. La majorité des Roms n’ont pas profité des grâces du capitalisme, et ils ont donc été les premiers et les plus grands perdants de la transformation. Par besoin, beaucoup se sont tournés à nouveau vers leurs structures familiales. Ce n’est pas leur faute si des Roms sont obligés de faire les poubelles ou de commettre des larcins pour subvenir à leurs besoins. Non, c’est la faute du système économique capitaliste, qui s’avère incapable de leur garantir un niveau de vie convenable. »
A entendre ces banalités pompeuses, on ne devinerait jamais que la section russe du CIO était en 1991 sur les barricades du contre-révolutionnaire Boris Eltsine au moment où celui-ci, soutenu par les Etats-Unis, menait l’assaut final contre l’Etat ouvrier issu de la révolution d’Octobre. On ne devinerait pas non plus que les sections du CIO attisent les préjugés racistes dans leur propre pays. Les taaffistes britanniques ont joué un rôle de premier plan en 2009 dans une grève réactionnaire d’ouvriers de la construction à la raffinerie de Lindsey contre l’embauche de travailleurs provenant d’autres pays de l’UE. Ce poison s’exprimait dans le mot d’ordre « les emplois britanniques pour les travailleurs britanniques » utilisé pendant la grève ; on ressort maintenant ce mot d’ordre contre les immigrés bulgares et roumains, dont beaucoup sont roms.
Comme le rapporte la Spartacist League/Britain dans son article « L’austérité de l’UE attise le racisme : l’Etat irlandais enlève des enfants roms » (Workers Hammer n° 225, hiver 2013-2014), les restrictions à certains types d’emplois pour les citoyens bulgares et roumains en Grande-Bretagne (où ils peuvent se rendre sans visa en tant que ressortissants de l’UE) ont été levées au 1er janvier. A l’approche de cette échéance, le gouvernement conservateur s’est empressé de faire passer tout un ensemble de mesures limitant l’accès aux allocations chômage et aux aides au logement pour les Bulgares et les Roumains. Le Parti travailliste, artisan des restrictions à l’emploi, a répondu que ces mesures racistes arrivaient trop tard !
Les Roms et autres migrants désespérés servent de bouc émissaire aux dirigeants à la fois des poids lourds de l’UE, l’Allemagne et la France, et des pays dépendants, comme la Grèce, aux prises avec les injonctions des banquiers impérialistes. On les désigne comme responsables du chômage de masse, de l’austérité, de la pauvreté, entre autres fléaux causés par le système capitaliste lui-même. Seul le renversement du capitalisme par la révolution ouvrière permettra de libérer le continent de ces maux et d’ouvrir la voie à des Etats-Unis socialistes d’Europe où tous les peuples auront leur place, libre et égale.
C’est dans ce but que la LCI lutte pour construire des partis ouvriers révolutionnaires internationalistes dont la mission est d’inculquer au prolétariat la compréhension qu’il est historiquement le fossoyeur du système capitaliste. Comme Lénine l’a écrit dans Que faire ? (1902), les socialistes révolutionnaires doivent agir comme « tribun populaire sachant réagir contre toute manifestation d'arbitraire et d’oppression, où qu’elle se produise, quelle que soit la classe ou la couche sociale qui ait à en souffrir, sachant généraliser tous ces faits pour en composer un tableau d’ensemble de la violence policière et de l’exploitation capitaliste [
] pour expliquer à tous et à chacun la portée historique de la lutte émancipatrice du prolétariat ». Alors que l’Europe est balayée par la répression brutale et les attaques pogromistes, la défense des Roms et de tous les immigrés est une tâche essentielle et immédiate du mouvement ouvrier.
Traduit de Workers Vanguard n° 1037, 10 janvier
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