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Le Bolchévik nº 204

Juin 2013

Le petit chaperon rouge, version gore laïcarde :

Baby Loup dévoré par la nounou en foulard

A bas les lois racistes contre le voile !

3 mai – Quand la Cour de cassation a cassé au mois de mars un jugement autorisant le licenciement par la crèche Baby Loup d’une employée portant un foulard, François Hollande s’est jeté dessus pour annoncer qu’il voulait une nouvelle loi étendant au secteur privé les restrictions au port du foulard en vigueur aujourd’hui dans les écoles publiques. Il a déclaré que « dès lors qu’il y a contact avec les enfants, dans ce qu’on appelle le service public de la petite enfance, […] il doit y avoir une certaine similitude par rapport à ce qui existe dans l’école » (publique).

Donc alors même que ce gouvernement et ses mairies ferment les maternités, sabrent dans les allocations familiales, interdisent les cantines scolaires aux enfants de chômeurs, etc., etc., Hollande et son ministre de l’Education Vincent Peillon nous rassurent : les bébés et les petits pourront dormir tranquilles car on les protégera des nounous portant un foulard. Hollande et Cie espèrent que leur nouvelle croisade, qu’ils mènent au nom des principes sacro-saints de la « laïcité » et des « valeurs républicaines », leur apportera une petite bouffée d’air frais en détournant l’attention du chômage qui monte et de leurs programmes d’austérité ajoutée à l’austérité déjà en vigueur.

On trouve aujourd’hui parmi les partisans de Hollande sur l’affaire Baby Loup les mêmes personnages qui hier vociféraient les provocations antimusulmanes de Sarkozy : Alain Finkielkraut, Philippe Val, Jeannette Bougrab, Elisabeth Badinter, etc. Mais derrière ces gens-là il y a le Parti de gauche et Lutte ouvrière (LO) pour donner une couverture grotesque à cette nouvelle attaque raciste de l’Etat français ; ils se sont joints à la meute au nom de la lutte contre l’oppression des femmes. Ainsi Lutte ouvrière titrait de la manière suivante son article à propos de la décision judiciaire concernant Baby Loup : « La Cour de cassation et la crèche Baby Loup : une attaque contre les droits des femmes » (Lutte Ouvrière, 29 mars).

Il est évident qu’une nouvelle loi interdisant le foulard dans le secteur privé ne fera que renforcer l’isolement au foyer des femmes qui le portent et leur misère économique ; c’est leur famille qui en souffrira. Cette campagne se prête au mensonge raciste que, soi-disant, le vrai problème dans la société n’est pas le système capitaliste raciste mais les femmes portant le foulard, les musulmans et les minorités en général. Les ayatollahs de la laïcité ont l’intention d’élargir leur offensive. Au nom de la « neutralité religieuse », ils cherchent maintenant à interdire le foulard aux nounous travaillant dans leur propre appartement. Une loi de ce genre avait déjà été adoptée il y a un an par le Sénat ; elle avait ensuite été sortie de l’agenda législatif ; elle refait maintenant surface sous la houlette de Roger-Gérard Schwarzenberg, président d’honneur des Radicaux de gauche et membre de la majorité gouvernementale.

Ces assistantes maternelles, qui sont souvent musulmanes, fournissent un service qui permet à des milliers et des milliers d’autres femmes de pouvoir aller travailler étant donné la pénurie de crèches en France. Mais ces grands défenseurs de la laïcité et des droits des femmes ne sont pas seulement prêts à voir fermer la crèche Baby Loup (une crèche qui, chose rare, offre des prestations 24 heures sur 24 sept jours par semaine dans l’une des banlieues les plus déshéritées de Paris) plutôt que d’employer une femme portant le foulard ; ils sont prêts à condamner aussi d’innombrables autres femmes au chômage si leur loi sur les assistantes maternelles est adoptée. Nous disons non aux exclusions racistes et aux lois contre le voile ! A bas l’offensive anti-islamique du gouvernement !

La campagne laïque républicaine – une couverture pour les préjugés antimusulmans

La « laïcité », qui est une couverture pour les préjugés antimusulmans, n’a rien à voir avec le principe de la laïcité tel qu’il avait été établi lors de la Révolution française de 1789, comme nous l’expliquions dans notre article « Les femmes et l’immigration en France » (Spartacist édition française n° 35, printemps 2003) :

« L’Etat français a dénaturé les objectifs et les valeurs de la Révolution française en s’attaquant à ces jeunes filles musulmanes. Sous l’Ancien Régime du roi, on appelait la France “la fille aînée de l’Eglise”. Le principe de la laïcité de la Révolution française vient de la lutte pour protéger la liberté d’expression et pour arracher la société des mains de l’Eglise catholique. Que ce principe soit utilisé maintenant par une majorité catholique pour opprimer une minorité musulmane dans la société française est une ironie cruelle de l’histoire. Cela souligne à quel point la bourgeoisie française a dégénéré à l’époque de la décadence impérialiste – alors que cette classe avait dirigé la Révolution française, événement historique de la lutte pour l’émancipation de l’humanité. »

La Ligue trotskyste s’oppose depuis toujours au foulard et au voile, qui représentent un programme social réactionnaire pour confiner les femmes dans leur famille, dans leur foyer et dans une position de servitude. Nous nous opposons de même aux reliques d’autres religions qui toutes font la promotion de l’institution de la famille, le fondement de l’oppression des femmes. En France la loi de 1905 a institué une certaine séparation de l’Eglise et de l’Etat, mais le catholicisme conserve un poids social considérable et la bourgeoisie s’en sert comme d’un pilier du conservatisme social, et pour consacrer la domination de la classe capitaliste. On l’a vu de nombreuses fois ces six derniers mois où des curés et leurs ouailles bien habillées sont descendus dans la rue pour cracher leur venin réactionnaire : ils ont prié et défilé contre des droits démocratiques nouveaux pour les homosexuels et pour maintenir leur modèle d’un homme sur une femme pour la vie.

Mais l’islam en France ne sera jamais que la religion du ghetto, des opprimés, de ceux qui souvent ont perdu l’espoir de combattre la ségrégation raciste et la pauvreté dont ils sont victimes du fait de l’oppression capitaliste française, et qui se réfugient dans la religion mais aussi qui défient l’Etat français qui les exclut. C’est ce que Marx appelait « l’âme d’un monde sans cœur ». Les mosquées débordent à Chanteloup-les-Vignes, où se situe la crèche Baby Loup, et dans de nombreuses banlieues du pays où le taux de chômage est au moins le double de la moyenne nationale et même davantage pour les jeunes.

Il n’est pas surprenant que ce soit après un congé parental de cinq ans que Fatima Afif, la travailleuse au centre de l’affaire Baby Loup, voulait vraiment porter le foulard en revenant à la crèche en décembre 2008. Avant son congé parental, pris en mai 2003, elle n’avait eu aucun problème en portant le foulard au travail mais à l’été 2003, pendant son absence, de nouvelles règles furent édictées sur son lieu de travail pour imposer une obligation de « neutralité philosophique, politique et confessionnelle ». Pendant les cinq années de son congé parental les exclusions racistes ont servi à pousser des femmes comme Afif encore davantage vers l’obscurantisme religieux.

Pour un parti ouvrier révolutionnaire multiethnique !

C’est au début des années 1990 que la question de la laïcité a commencé à être utilisée à grande échelle comme couverture aux préjugés antimusulmans, et cela a culminé avec la loi Chirac contre le foulard à l’école en 2004. Le contexte de cette montée de la réaction, c’est la contre-révolution capitaliste en Union soviétique et en Europe de l’Est entre 1990 et 1992, qui a été une immense défaite pour la classe ouvrière et les opprimés du monde entier, et que pratiquement toute la « gauche » avait saluée. La classe capitaliste vole les richesses produites par les travailleurs et elle a besoin d’un bouc émissaire pour dévoyer les luttes de classe qui continuent d’éclater.

Le PCF, la LCR (qui a finalement ôté le « communiste » de son nom pour devenir le Nouveau Parti anticapitaliste) ont cru au mensonge de la bourgeoisie sur la soi-disant « mort du communisme » et la fin du « grand soir », mais la bourgeoisie, elle, savait qu’elle devait continuer à inventer des histoires pour diviser et affaiblir la classe ouvrière – d’où le « péril vert ». Dès 1991 Mitterrand avait déployé Vigipirate pour la première fois, au début de la première guerre du Golfe ; cela rappelait l’offensive contre les musulmans à Paris pendant la guerre d’Algérie. Cela marquait aussi le début de la « guerre contre le terrorisme » visant l’islam. Les bases étaient jetées pour un renforcement significatif de l’arsenal répressif de l’Etat contre quiconque serait perçu comme un adversaire de la domination capitaliste, et en dernier ressort contre la classe ouvrière. A bas Vigipirate ! Pour des mobilisations ouvrières contre la terreur raciste de l’Etat !

L’isolement des opprimés aujourd’hui, leur désespoir dans cette société, est le fruit amer des trahisons de la gauche. De Mitterrand à Jospin et aujourd’hui Hollande, ils ont tous prétendu que les musulmans étaient la nouvelle « cinquième colonne », ils ont multiplié les expulsions et les attaques contre les sans-papiers et taillé à la hache dans le niveau de vie des couches les plus pauvres de la société. La crise économique n’a fait qu’aggraver les choses avec la fermeture de beaucoup d’usines qui auparavant employaient les parents et grands-parents des jeunes issus des minorités. La fermeture prévue de l’usine de PSA Aulnay, la suppression de 800 postes d’intérimaires à Sochaux et la perte annoncée de 1 200 emplois à Phone House ne sont que le haut de l’iceberg d’un chômage des jeunes en constante augmentation.

Ce sont les parents et grands-parents de ces jeunes des minorités et autres immigrés qui ont contribué à créer la richesse de la France après la Deuxième Guerre mondiale, mais leurs descendants sont traités dans une large mesure comme une population excédentaire, bonne dans le meilleur des cas pour un CDD occasionnel mais plus souvent pour les files d’attente de la « Mission locale pour l’emploi » ou pire la prison.

Et pourtant, jusqu’à ce que le capitalisme soit renversé la bourgeoisie aura besoin d’un prolétariat pour l’exploiter et en tirer de la plus-value afin de constituer des profits et du capital. Même si les capitalistes cherchent à transférer à l’étranger une part croissante de leur appareil de production industrielle, espérant ainsi tirer encore plus de profits de travailleurs étrangers, il reste une infrastructure industrielle dans ce pays et cela restera le cas. Il suffit de voir l’énorme pôle d’emplois autour de l’aéroport de Roissy, les usines automobiles, les transports publics, l’industrie de la construction, sans compter les sociétés de nettoyage et de services à la personne dans les maisons de retraite, etc. : les travailleurs issus des « minorités visibles » y constituent un pourcentage disproportionné de la main-d’œuvre. C’est leur rôle central dans la production qui leur donne une puissance sociale cruciale pour combattre l’exploitation capitaliste mais aussi qui fait d’eux une menace particulière aux yeux de la bourgeoisie.

Il faut porter la bataille à un niveau plus élevé que les luttes économiques isolées et souvent perdantes pour sauver des usines particulières ou pour défendre des conditions de travail localement. Pour cela il faut une direction révolutionnaire tribun du peuple. Une telle direction se battrait pour des emplois pour tous, notamment pour les jeunes d’origine immigrée ; elle combattrait la terreur raciste quotidienne dans les banlieues et se battrait pour les droits des femmes. Elle expliquerait comment le poison du racisme, une « fausse conscience », est utilisé pour diviser la classe ouvrière et elle chercherait à gagner la classe ouvrière à la défense des jeunes de banlieue et des femmes voilées contre la répression. En se battant contre ces manœuvres de division, les ouvriers peuvent mettre en œuvre leur puissance sociale avec une unité plus grande et se retrouver plus forts contre les patrons.

Un parti révolutionnaire combattrait aussi les mensonges distillés par la gauche, du genre que le capitalisme pourrait être rendu plus humain, plus gentil et avec moins d’exclusion. Seule la révolution socialiste, où les travailleurs renverseront leurs exploiteurs, pourra commencer à jeter les bases d’une société nouvelle grâce à une économie centralisée et planifiée. Il faudra étendre cette lutte internationalement mais on pourra dès lors commencer à s’attaquer aux plaies du capitalisme – le chômage, la pénurie et l’oppression sociale – ainsi qu’aux préjugés et à la réaction qu’ils engendrent. Nous avons pour but de construire une telle direction. Notre modèle, c’est l’expérience du Parti bolchévique et de la Révolution russe d’octobre 1917.

Lutte ouvrière, fer de lance pour la loi Chirac de 2004 qui a exclu les jeunes femmes voilées de l’école

C’est en 2003, à l’époque des énormes mobilisations du secteur public contre le plan Fillon attaquant les retraites, qu’on a pu voir un exemple des plus clairs de comment la bourgeoisie agite la laïcité pour diviser les travailleurs et affaiblir leurs luttes. Les enseignants constituaient l’un des secteurs les plus combatifs de ces grèves ; les protestations s’étaient terminées en juin avec la trahison des bureaucrates syndicaux mais de nombreux enseignants menaçaient de reprendre la grève à la rentrée. Dès le début du mouvement, Jack Lang, ex-ministre PS de l’Education, déposa une proposition de loi cherchant à interdire le foulard à l’école. Laurent Fabius reprit le flambeau : au plus haut du mouvement de grève, fin mai, il exigea publiquement une telle loi, rejoignant ainsi les rangs des dirigeants UMP qui, de plus en plus nombreux, exigeaient également une loi.

Quand vint la rentrée, ce sont les fantassins de la laïcité, militants de Lutte ouvrière et certains militants de la LCR comme Pierre-François Grond (aujourd’hui dirigeant de la Gauche anticapitaliste dans le Front de gauche) qui, au lieu de reprendre la bataille sur les retraites, ouvrirent un nouveau front, mais cette fois-ci ils marchaient dans l’unité avec Fillon et Chirac, pour exclure de l’école des jeunes femmes portant un foulard. Des militants de LO et Grond jouèrent un rôle pivot dans l’exclusion d’Alma et Lila Lévy de leur lycée à Aubervilliers. Ils servirent de fer de lance à la loi de 2004 qui offrit un rare instant d’unité nationale à Chirac, qui de là repartit pour de nouvelles attaques contre les travailleurs, notamment avec la privatisation d’EDF-GDF en juin 2004.

Déjà en août 2003, avant la rentrée, LO s’était plainte que Chirac ne voulait pas aller jusqu’au bout en interdisant le foulard à l’école. Ils écrivaient alors : « quand on veut enterrer un problème, on crée une commission. Et celle que Chirac se propose de mettre en place semble bien issue de cette tradition-là » (Lutte Ouvrière, 8 août 2003). Mais LO n’allait pas être déçue par la commission présidée par Bernard Stasi. Celle-ci recommanda en décembre 2003 l’interdiction du foulard à l’école. Quelques semaines plus tard à peine, la loi était votée par 93 % des députés de tous les partis. Le journaliste Alain Gresh a fait remarquer dans un article récent sur l’affaire Baby Loup (voir blog.mondediplo.net) à propos de la commission Stasi :

« Revenir sur le débat de 2003-2004 est important, car la commission s’est appuyée pour justifier ses choix sur des “exemples”, sur des “cas”, censés prouver que le système de l’enseignement était soumis à une menace imminente. Or c’est le même prétexte qui est utilisé avec l’affaire de la crèche Baby Loup, pour justifier une nouvelle loi dont l’unique résultat sera, encore une fois, de stigmatiser les musulmans, suspects a priori. »

Ce n’est que le tout dernier jour d’audition que la commission accepta de seulement écouter des femmes portant le foulard, alors qu’elle n’avait eu aucun état d’âme auparavant à entendre le Front national ou à auditionner des enseignants, une principale de collège, une proviseure de lycée et son adjointe, tous choisis de façon sélective, qui s’étaient mis à raconter plus ou moins la même histoire horrible où le soi-disant joyau de la République – son système d’enseignement public laïc – était mis en état de siège par des fanatiques islamiques. La LTF a pris part le 14 février 2004 à une manifestation de protestation contre cette loi ; nous avions une banderole qui disait : « Non à la loi raciste contre les jeunes qui portent le foulard ! Pleins droits de citoyenneté pour tous les immigrés ! Pour la libération des femmes par la révolution socialiste ! »

Mais LO salua la loi Chirac : « si finalement loi il y a, tant mieux. Car pour toutes ces jeunes filles qui se battent pour pouvoir s’habiller, travailler et vivre comme elles l’entendent, et donc ne pas porter le voile, cela pourra être un point d’appui » (Lutte Ouvrière, 6 février 2004). Depuis que la loi a été adoptée en 2004 la division et les tensions raciales n’ont fait qu’augmenter. Il existe maintenant au moins une dizaine d’écoles musulmanes privées, y compris à Aubervilliers, là où Lutte ouvrière avait fait expulser Alma et Lila Lévy. Il est difficile d’établir combien d’expulsions exactement ont eu lieu depuis neuf ans, mais il est indéniable que des jeunes femmes continuent de se faire chasser de l’école et renvoyer dans des écoles religieuses privées.

Un dernier exemple en date : Sirine, une jeune femme âgée de 15 ans, s’est fait exclure de son collège dans le Val-de-Marne début avril après avoir été privée de cours pendant quatre mois parce qu’elle portait un bandana jugé trop large et une jupe trop longue au goût de ses Inquisiteurs. En fait le tribunal de Melun avait décidé à la mi-mars que son collège devait la réintégrer mais le rectorat a fait appel et elle a été exclue définitivement peu après. Sirine ira maintenant dans une école privée, c’est-à-dire sans aucun doute une école religieuse, probablement musulmane. A LO et ses copains laïcards d’expliquer comment son expulsion permet de combattre l’oppression des femmes.

Lutte ouvrière pour l’interdiction des licenciements… sauf pour les femmes voilées !

Lutte ouvrière avait été aux avant-postes en 2003-2004 pour faire adopter une loi pour exclure les femmes voilées de l’école. Aujourd’hui de même, dans la foulée de l’affaire Baby Loup, ils se présentent à nouveau comme les garants d’une nouvelle législation à recommander par l’« Observatoire de la laïcité » de Hollande. Lutte ouvrière a déclaré dans un article de son journal (29 mars) à propos de la décision judiciaire en faveur de Fatima Afif : « Ce jugement a soulevé à juste titre une vague de protestations, car il donne des armes aux obscurantistes de tout bord, et nombreux sont ceux qui réclament une révision des lois existantes, demandant l’élargissement de l’interdiction des signes ostensibles d’appartenance religieuse au nom de la laïcité. » Vu ses « protestations » contre le jugement, on ne peut que supposer que LO se considère parmi les « nombreux » partisans d’une nouvelle loi. Et cela dans un contexte d’attaques racistes en augmentation, dont les femmes sont souvent les principales victimes : 94 % des victimes d’agressions islamophobes recensées par le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) sont des femmes.

Le collectif Mamans toutes égales (MTE) organise le 18 mai une nouvelle manifestation pour protester non seulement contre toute future loi empêchant des femmes voilées de travailler dans le secteur privé, mais aussi pour revendiquer l’abrogation de la circulaire Chatel de 2012 (sous Sarkozy) qui recommande, au nom du principe de « laïcité et de neutralité du service public », que les écoles « empêchent » les mamans portant un foulard d’accompagner leurs enfants lors des sorties scolaires. Le ministre PS des flics « et des cultes », Manuel Valls, a, bien entendu, déclaré qu’il veut maintenir la circulaire en vigueur. L’année dernière à la même époque le Collectif MTE avait écrit à tous les candidats à propos de l’impact de la loi de 2004 ; il avait demandé aux candidats leur position sur la circulaire Chatel, sur l’interdiction pour les femmes voilées de travailler dans le secteur public, etc. Nathalie Arthaud, dirigeante de LO et candidate, a répondu :

« La loi, loin d’exclure les jeunes filles permet à toutes de venir à l’école, et à celles qui ne veulent pas porter le voile de garder cet espace de liberté.
« Que des femmes veuillent le porter [le foulard] est une chose, que ce fait discriminatoire soit reconnu par la société en est une autre.
« Ce n’est ni au nom de la laïcité, ni au nom du combat contre les religions que nous critiquons votre démarche, mais au nom du combat des femmes pour leur émancipation. Celle-ci ne passe pas par l’autorisation de porter le voile dans des structures publiques, mais au contraire par l’autorisation de ne pas le porter, pour celles qui le souhaitent. […]
« Aussi notre solidarité va avant tout aux femmes et aux jeunes filles qui ont le courage de résister à ces pressions, à celles qui veulent mener leur vie librement, à visage découvert et qui voient leur espace de liberté se rétrécir. »

Arthaud refuse d’« autoriser » le port du foulard dans le secteur public et s’oppose à ce que des mères voilées accompagnent leurs enfants. Avec tout cela, et leur réaction sur l’affaire Baby Loup, il semble que le cri de ralliement de LO « contre le chômage, l’interdiction des licenciements » ait ses limites et que sa « solidarité » ne s’étende pas aux femmes portant le foulard, dont beaucoup sont au nombre des femmes les plus pauvres et les plus opprimées dans la société française. Comme si l’on allait combattre l’oppression des femmes en empêchant des jeunes femmes portant le foulard d’aller à l’école ou d’aller travailler et en les renvoyant au foyer ! Derrière ces discriminations et ces exclusions il y a les criailleries de Valls et Cie que ces femmes ne veulent pas s’intégrer dans leur République chérie.

Que LO appelle le système public d’éducation un « espace de liberté » est révélateur de leur réformisme sur cette question. Cela reflète aussi le fait qu’ils ont une base sociale importante parmi les enseignants. L’école est tout simplement une institution cruciale pour maintenir la domination capitaliste : elle enseigne aux enfants de la bourgeoisie comment régner et aux enfants des opprimés qu’ils doivent accepter leur asservissement à l’autorité bourgeoise ou se faire exclure. Nathalie Arthaud enseigne à Aubervilliers, une ville avec une forte proportion d’immigrés où beaucoup de mamans portent le foulard. Ce n’est pas qu’Arthaud ne voie pas la réalité mais qu’elle s’aveugle volontairement (et, ce qui est plus important, qu’elle aveugle ses partisans) avec ses préjugés laïcards.

Comme LO refuse de comprendre l’oppression spécifique – et que les plus opprimées choisissent de porter le foulard –, elle voit les femmes voilées comme des idéologues militantes qui cherchent à islamiser la France. En fait certaines de ces femmes, qui sont en partie immigrées, poursuivent les pratiques religieuses oppressives de leur pays d’origine où l’islam est religion d’Etat. D’autres choisissent, consciemment ou non, de le porter en signe de défiance vis-à-vis de l’exclusion raciste qu’elles subissent sous le capitalisme français, et pour trouver une consolation face aux épreuves et à la stigmatisation. Dans tous ces cas LO, en répétant comme un perroquet la campagne raciste contre le « fascisme vert », est loin de même aborder la question de l’oppression matérielle de ces femmes, ou de leurs opinions religieuses arriérées ; elle ne fait que les renforcer.

L’oppression des femmes est enracinée dans la société de classes. La famille a pour fonction historique sous le capitalisme de transmettre la propriété privée aux héritiers « légitimes » grâce à l’héritage (ce qui requiert la monogamie des femmes) et d’inculquer le respect vis-à-vis de l’autorité et l’obéissance au code de moralité bourgeois. C’est pourquoi nous disons qu’en dernier ressort il faut la révolution socialiste pour la libération des femmes. Un Etat ouvrier œuvrerait à mettre en place des crèches et garderies 24 heures sur 24, des cantines et cuisines communales, des laveries, un système de santé gratuit et de qualité ; tout cela remplacera avec le temps les fonctions sociales de la famille et permettra aux femmes de participer pleinement à la vie sociale.

Leçons de la Révolution d’octobre 1917 et de l’intervention soviétique en Afghanistan

Nous nous inspirons du travail des bolchéviks pour l’émancipation des femmes. Dans un contexte très différent de la France impérialiste et laïcarde d’aujourd’hui, des dirigeantes bolchéviques, donc athées, mirent elles-mêmes un voile sous la direction du Jenotdel (Département des femmes ouvrières et paysannes) pour aller parmi les femmes terriblement opprimées d’Asie centrale soviétique afin de les éduquer et les libérer. C’était un travail extrêmement dangereux et de nombreuses organisatrices bolchéviques furent assassinées. Comme nous l’avons écrit dans Spartacist (édition française n° 35, printemps 2003) :

« La création d’une économie planifiée et collectivisée a permis à l’Etat ouvrier d’investir le surplus de l’Ouest plus développé dans l’Est arriéré et de créer ainsi plus d’égalité entre les peuples de l’Union soviétique. Ca se voit clairement quand on regarde les conditions de vie dans les républiques de l’ex-Union soviétique et qu’on les compare à celles de l’Afghanistan, de l’autre côté de la frontière. Du côté soviétique, les femmes n’étaient plus voilées et asservies, elles savaient lire et écrire ; par contre en Afghanistan elles étaient pour la plupart analphabètes. Il y avait une différence considérable dans les chiffres de la mortalité infantile et de l’espérance de vie de chaque côté de la frontière. »

Lorsque l’Armée rouge soviétique est entrée en Afghanistan en 1979, à la demande de son gouvernement, les femmes ont reçu une éducation. Elles devenaient enseignantes, infirmières, soldates. Mais les impérialistes étaient en campagne pour restaurer le capitalisme en Union soviétique ; les Etats-Unis ont armé les islamistes réactionnaires qui remettaient les femmes dans la prison de la burqa et attaquaient au vitriol les enseignants qui apprenaient à lire et à écrire aux filles (avec les « Médecins sans frontières » et autres « bénévoles » français liés aux services secrets pour soigner les « résistants » islamistes). En Afghanistan la question du voile était une question de vie ou de mort pour les femmes – et Lutte ouvrière a condamné l’intervention soviétique en comparant l’intervention progressiste de l’Armée rouge au viol du Vietnam par les impérialistes français puis américains (une position qu’ils maintiennent encore à ce jour). Au temps pour ces soi-disant avocats des droits des femmes.

Nous pensons qu’un autre monde est possible, mais ici, pas dans les cieux ni tant que le système capitaliste reste intouché. Contrairement à nos opposants nous disons la vérité ; même si cette perspective paraît lointaine aujourd’hui, c’est seulement grâce à la révolution prolétarienne socialiste que nous pourrons commencer à construire une société libérée de la faim, de la guerre et du racisme. Un monde où les hommes et les femmes n’auront plus à se réfugier dans les fantasmes religieux pour échapper à la dure réalité de cette société capitaliste d’oppression et de misère. Dans ce but, nous luttons pour préserver un programme révolutionnaire et pour construire le parti mondial dédié à mener la classe ouvrière au pouvoir.

 

Le Bolchévik nº 204

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Juin 2013

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