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Le Bolchévik nº 198

Décembre 2011

La crise économique et le soulèvement tunisien

L’article ci-après, basé sur un rapport présenté au printemps dernier par un camarade de la Ligue trotskyste de France lors d’une réunion de la Ligue communiste internationale, a été traduit et légèrement abrégé de Workers Vanguard n° 982, 10 juin.

* * *

La raison pour laquelle les différents soulèvements qui secouent le monde arabe se passent aujourd’hui et non pas il y a cinq, dix ou vingt ans a, selon moi, des origines économiques. Les ravages de la crise économique mondiale s’ajoutent à une situation qui s’était sans cesse détériorée ces quinze ou vingt dernières années pour les masses travailleuses d’Afrique du Nord. On l’a vu en particulier dans l’énorme augmentation du prix des produits alimentaires et les coupes sombres dans les subventions gouvernementales pour ces produits. Cette détérioration, dont la racine est en partie à rechercher dans la contre-révolution capitaliste qui a détruit l’Union soviétique, a été causée par l’adoption de mesures d’ajustement structurel imposées par le FMI à partir des années 1980 et ensuite par différents accords, principalement entre l’Union européenne (UE) et les pays d’Afrique du Nord au cours de la deuxième partie des années 1990.

Ces accords se basaient sur la promesse impérialiste que les capitalistes européens délocaliseraient une partie de leur industrie vers les pays du Maghreb (Maroc, Algérie et Tunisie). En réalité, les marchés intérieurs de ces pays arabes sont trop étroits pour attirer des investissements étrangers massifs et, d’autre part, la production industrielle délocalisée hors de l’Union européenne pour réexportation vers l’Europe a été déplacée plutôt vers le secteur capitaliste de l’Etat ouvrier déformé chinois. Il y a en Tunisie un peu de production de pièces détachées pour l’industrie automobile et aérospatiale, mais le gros de l’industrie d’exportation est constitué de production textile bon marché à faible valeur ajoutée.

L’objectif des accords était de démanteler les barrières tarifaires entre les deux côtés de la Méditerranée et de déréguler la maigre législation du travail qui était en place. En fait ce processus a d’abord commencé en Tunisie et c’est là qu’il est allé le plus loin, ce n’est donc pas une coïncidence si les soulèvements ont commencé en Tunisie.

Ce « néo-libéralisme » a laissé une économie dévastée en Afrique du Nord. Bien sûr il y a des variations, en particulier en fonction de la présence ou non d’une importante industrie pétrolière, comme en Algérie qui est un producteur important de pétrole et de gaz avec un potentiel significatif. Cependant, l’industrie lourde algérienne, qui avait été construite dans les années 1970, a été en grande partie démantelée. La sidérurgie a été restructurée avant d’être vendue, entre autres à Mittal Steel. De façon générale, du Maroc à la Syrie, entre 12 et 15 % de la population est employée dans l’industrie, y compris l’industrie légère. L’exception est la Tunisie où le chiffre dépasse 20 %.

La question de l’impact des délocalisations sur la force de la classe ouvrière et des syndicats est très pertinente pour l’Afrique du Nord. Il y a un nombre croissant de travailleurs employés informellement, via des agences de placement etc., même dans le soi-disant « secteur formel ». Le secrétaire général du syndicat tunisien de l’enseignement secondaire a déclaré à Informations Ouvrières (21 avril), le journal du Parti ouvrier indépendant lambertiste que :

« la grande majorité des mobilisations exige le règlement de la question essentielle, qui est celle de l’emploi et qui a été une des exigences centrales de la révolution. Il est très peu de grèves où est posée la question de l’augmentation des salaires, bien qu’elle ne soit pas négligeable dans nombre d’entreprises qui ne respectent aucun cadre réglementaire et qui sous-paient leurs salariés. Mais la plupart des mobilisations veulent en finir avec deux plaies : la sous-traitance et le travail temporaire. »

L’accroissement du secteur informel lui-même est symbolisé par Mohamed Bouazizi, le vendeur ambulant qui s’est immolé par le feu à Sidi Bouzid en décembre 2010, déclenchant la révolte.

Il y a également des raisons démographiques qui ont pris un tournant critique dans cette période. Après les indépendances dans les années 1950 et 1960, il y a eu un accroissement explosif de la population favorisé par l’amélioration des systèmes de santé. Depuis environ 1974, l’émigration de masse vers l’Europe a été stoppée quand les frontières européennes ont été fermées. Alors que l’espérance de vie de la classe ouvrière augmentait, l’afflux massif de jeunes a provoqué une explosion de la population en âge de travailler et en conséquence une explosion des taux de chômage structurel.

Cela s’est aggravé pour les jeunes diplômés. Les gouvernements d’Afrique du Nord, particulièrement la Tunisie, ont fait des efforts importants pour éduquer leurs jeunes. Durant les années consécutives à l’indépendance, le développement du capitalisme national était basé sur un secteur étatique important et le développement de systèmes d’enseignement et de santé significatifs : la perspective naturelle d’emploi pour les jeunes diplômés de l’enseignement supérieur était la fonction publique. Cela s’est de plus en plus inversé ces quinze dernières années environ, principalement du fait des mesures imposées par le FMI et l’UE de réduction de la fonction publique. En conséquence, le chômage augmente avec le niveau d’instruction et, même avant les récents soulèvements, on s’attendait à ce qu’il atteigne des proportions catastrophiques d’ici deux ou trois ans. On prévoit que 70 000 nouveaux diplômés de l’enseignement supérieur arriveront cet automne [2011] sur le marché du travail ; une grande partie rejoindra les rangs des chômeurs.

Depuis janvier, la situation en Tunisie a empiré du fait du retour de 20 000 Tunisiens qui travaillaient en Libye, de l’arrivée de réfugiés étrangers en provenance de Libye et de la situation catastrophique de l’industrie touristique, qui fournit un grand nombre d’emplois. Les gens tentent de traverser la mer pour atteindre la France et des centaines de jeunes se sont noyés. On voit maintenant des groupes de jeunes Tunisiens dans les rues de Paris et Marseille qui cherchent en vain un logement et du travail et essaient d’éviter les raids policiers. Le FMI et la Banque mondiale commencent à tourner comme des vautours au-dessus de la Tunisie avec des promesses de crédits pour soi-disant sortir de la terrible situation actuelle. Comme toujours dans ce genre de circonstances, et comme les ouvriers grecs, irlandais et portugais en font l’amère expérience en ce moment, ces plans reviennent à injecter davantage d’argent frais dans les coffres des banques tout en imposant des mesures d’austérité plus drastiques aux travailleurs.

Ces quinze dernières années, les systèmes de sécurité sociale et d’assurance chômage, qui étaient au mieux basiques, ont été partiellement démantelés, si bien que l’insécurité a augmenté à tous les niveaux. Dans ce contexte il est vraiment remarquable que la classe ouvrière a pu apparaître comme un facteur en Tunisie, même si évidemment ce n’est pas en tant que classe pour soi ayant conscience de son rôle de fossoyeur du capitalisme. La classe ouvrière est restée enchaînée à sa propre bourgeoisie par la bureaucratie syndicale et les petits groupes de gauche qui sont récemment sortis de ses rangs, particulièrement l’ex-PC, appelé Ettajdid, le PCOT (Parti communiste ouvrier de Tunisie) ex-maoïste et la Ligue de la gauche ouvrière, ex-pabliste (voir « Pour la révolution permanente du Maghreb à l’Egypte ! Tunisie : le dictateur s’enfuit, les protestations continuent », supplément au Bolchévik n° 194, février 2011).

La Tunisie est soi-disant le pays le plus avancé dans le monde arabe s’agissant du statut des femmes. La femme de feu Habib Bourguiba, le premier dirigeant du pays après l’indépendance, et celle de Ben Ali qui vient d’être renversé, jouaient toutes les deux un rôle politique important, ce qui fait de la Tunisie un cas à part. Les gens y venaient de toute l’Afrique du Nord et de la péninsule arabique parce que la prostitution n’était pas illégale. On dit que les prostituées devaient espionner leurs clients pour le compte de la police politique. La polygamie était illégale mais pas l’avortement et la contraception. Mais bien sûr la réalité est bien sombre. Les mariages arrangés sont fréquents, du moins dans la bourgeoisie.

Pourtant il semble que la LCI soit la seule organisation à mettre ainsi en avant la question femmes. En Egypte la gauche capitule devant les Frères musulmans. En Tunisie elle prend part aussi à des alliances de collaboration de classes avec les islamistes. Elle les présente comme de « bons » islamistes du type de l’AKP bourgeois, le Parti pour la justice et le développement au pouvoir en Turquie. Mais je pense qu’une raison plus fondamentale pour laquelle la gauche tunisienne est silencieuse sur la question femmes, c’est qu’ils sont au fond des bourguibistes de gauche, et c’est Bourguiba qui avait établi le code de la famille immédiatement après l’indépendance. Ils croient que la Tunisie est réellement un pays progressiste en ce qui concerne la question femmes. Comme le dirait Obama, ils pensent que 90 % du chemin est déjà accompli vers l’émancipation finale des femmes. Avec habileté, le gouvernement a annoncé l’obligation de la parité sexuelle dans les listes aux élections à l’assemblée constituante. Les listes qui ne respecteraient pas cette règle seraient automatiquement éliminées.

Cela m’amène à l’omniprésence du nationalisme bourgeois. Depuis les meetings de la gauche tunisienne à Paris où nous sommes allés jusqu’aux rassemblements de masse au centre de Tunis, on chante l’hymne national et on brandit le drapeau national. La gauche nourrit des illusions dans l’armée, même sans la mythologie égyptienne de la défense de la patrie contre les sionistes d’Israël. Comme nous l’avons dit, l’idéologie de la gauche réformiste était, dans le passé, le socialisme par étapes, ligne de collaboration de classes qui s’est toujours terminée par la défaite sanglante de la classe ouvrière. Aujourd’hui elle est pour une étape unique vers une « république démocratique », c’est-à-dire la démocratie bourgeoise, un point c’est tout. Comme nous l’écrivions à propos de l’Afrique du Nord et du Proche-Orient dans le supplément de février du Bolchévik sur la Tunisie :

« Il est essentiel de forger des partis ouvriers révolutionnaires semblables au Parti bolchévique, qui avait conduit la classe ouvrière de Russie au pouvoir pendant la révolution d’Octobre 1917 – des partis fidèles au programme de la révolution permanente, qui répond aux besoins pressants des masses et les conduit invariablement à une seule conclusion finale : la conquête du pouvoir par le prolétariat. C’est le programme de la Ligue communiste internationale. Pour une fédération socialiste de l’Afrique du Nord ! »

 

Le Bolchévik nº 198

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